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Évaluation des compétences sociales et de l’autonomie : nouvelle stigmatisation des élèves de milieu populaire

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Academic year: 2021

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Évaluation des compétences sociales et de l’autonomie : nouvelle stigmatisation des élèves de milieu populaire

La mise en place du socle commun de connaissances et de compétences introduit une transformation fondamentale quant aux finalités de l’Ecole et à la conception même de l’enfant dont on n’a peut être pas encore mesuré tous les effets.

1. Transformation du rapport à l’apprendre et de la place du sujet

Plusieurs principes fondamentaux du projet d’Ecole émancipatrice et éducatrice fondateurs de l’Ecole républicaine sont remis en cause par le courant des idées porteur de la logique des compétences.

L’idéal d’une éducation humaniste héritière des lumières s’est développé en contradiction avec les postulats précédents fondés sur la reproduction des places et des statuts où

« l’initiation et l’imitation au contact quotidien avec l’homme de métier » faisaient office d’éducation »1.

Le projet humaniste vise la transmission « d’un ensemble sédimenté d’œuvres, de savoirs de pratiques, s’interpellant dans le temps »2 qui constitue le sujet comme Homme et citoyen libre et responsable.

Mais le passage à une société qui valorise l’immédiateté, fragilise cette conception d’un passé qui peut donner sens à l’avenir, qui inscrit le sujet dans une histoire collective et universelle participant à l’hominisation de l’enfant par cette entrée dans la culture.

Cet effacement de l’obligation pour la génération en place de transmettre « la pensée, l’art, la civilisation passée dont l’Ecole est dépositaire »3 est déjà sensible selon MH. Dubost dans le miroir du débat élaboré à l’issue des consultations sur l’avenir de l’Ecole. « L’Ecole selon les rapporteurs doit déplacer quelque peu son accent : non plus seulement transmettre mais faire maîtriser « (…) ». Ce ne sont ni l’élève, ni les savoirs qui doivent être au centre du système, c’est la maîtrise par l’élève, non seulement des savoirs mais aussi de certaines compétences et règles de comportement » ; règles de comportement qui ne procèdent pas d’un « rapport au savoir » mais bien d’un vivre ensemble supposé résulter d’une socialisation séparée co- assumée par l’Ecole et la Famille »4.

La connaissance devient subordonnée à la compétence. C’est un moyen pour matérialiser un savoir faire et/ou un savoir être en situation et non un instrument d’intelligibilité du monde.

On glisse donc insensiblement des savoirs déclaratifs (savoir que) aux savoirs procéduraux (savoir comment)5.

Cette logique rencontre celle de l’individualisation pédagogique qui tend à minorer l’importance des médiations et interactions sociales dans l’acquisition des savoirs, à situer dans l’individu l’origine préprogrammée de ses « talents » dont la compétence constituerait l’actualisation.

« Ce nouvel ordre des représentations met finalement en cause le rapport à l’apprendre et le rapport au savoir comme si l’individualisation des perspectives existentielles en faisant du savoir un objet non plus assimilé et nécessaire à ce qu’est un sujet mais extrinsèque et

1 MH Dubost « ce que l’Ecole fait aux individus »

2 idem

3 Plan Langevin-Wallon

4 Miroir du débat Thélot

5 Dubost idem

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2 contingent à la formation d’un individu (…) entraînait une altération déterminante de ce qui avait été jusque là regardé comme un invariant anthropologique : le goût d’apprendre et le désir de connaître ».6

Le rôle de l’Ecole serait donc essentiellement désormais de permettre l’épanouissement de ces

« talents » en fournissant stimulation et occasion de mise en actes.

Là où le sujet a besoin des savoirs pour se constituer, l’individu n’a besoin que de savoirs pour agir

2. Les dérives liées à la notion de compétences

Il suffit d’examiner les textes officiels français et européens pour remarquer que la définition de la compétence est loin d’être stabilisée. On oscille entre aptitude, connaissance, attitude, capacité et finalement on peut se demander avec M. Crahay,7 si cette « capacité à mobiliser des ressources diverses pour affronter des problèmes complexes et inédits » n’était pas le nouveau nom de l’intelligence.

Dès lors, qu’évalue t-on ? alors que la plupart des recherches en psychologie cognitive montrent que les connaissance et les méthodes sont construites en contexte et que la décontextualisation doit faire l’objet d’un autre apprentissage, la doxa dominante continue à poser comme modèle l’acquisition de prétendues compétences transversales qui n’ont jamais été validées scientifiquement.

La question est encore plus préoccupante s’agissant des compétences sociales (pilier 6) et de l’autonomie et de l’initiative (pilier 7) qui ne font l’objet d’aucun enseignement.

La notion de compétence sociale a surtout été étudiée par les psychologues anglo-saxons.

Cette compétence peut se définir comme une capacité à décoder une information sociale, extraire des indices verbaux et non verbaux pour analyser une situation, se comporter de manière adaptée, efficace, socialement acceptable.

La traduction dans le domaine scolaire apparaît à la fois très floue et très normative.

Dans le BO n° 29 du 20 juillet 2006, les capacités correspondent à des savoirs faire jamais contextualisés : communiquer, travailler en équipe, savoir écouter et faire valoir son point de vue. S’agissant de l’autonomie, c’est ni plus ni moins à l’aune du bon élève idéal que devrait s’apprécier l’acquisition de cette compétence. Les attitudes renvoient à des valeurs (le respect de soi et des autres, le refus des stéréotypes et des préjugés) quand ce n’est pas à des processus psychologiques (l’intérêt, la volonté, la prise de conscience, la curiosité) dont on se demande bien quels pourront en être les indicateurs. Les situations évoquées sont plutôt repérées à l’extérieur de la classe, voire de l’établissement, ce qui traduit bien le divorce souligné précédemment entre une autonomie qui procéderait des savoirs et une autonomie réduite à des règles de comportements normatifs mise en œuvre à l’occasion de manifestations ponctuelles.

Il est pour le moins étrange que l’acquisition de ces deux piliers ne fasse jamais référence à la psychologie des adolescents et aux questions spécifiques que pose le rapport à la règle et la problématique des liens de dépendance aux parents.

6 Dubost idem

7 M Crahay « Dangers , incertitudes et incomplétudes de la logique de compétence en éducation. » Revue Française de pédagogie N° 154 ,2006

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3 Il n’est pas plus compréhensible que les travaux en psychologie sociale sur les jugements scolaires et les biais sociaux de perception du comportement des élèves n’aient pas été pris en compte dans l’élaboration des grilles d’évaluation proposées.

3. Les grilles de référence et les livrets expérimentés

Ces grilles comportant un certain nombre de présupposés implicites qui risquent de conduire à une évaluation socialement située et très discriminante.

1) Les grilles reposent sur l’idée qu’une évaluation juste et objective des personnes est possible, passant sous silence l’influence des relations interpersonnelles et des codes sociaux qui peuvent l’influencer dans le contexte scolaire. Certaines expériences ont montré que les enseignants prouvaient en moins de 15 secondes se faire une idée sur le niveau scolaire de l’élève à partir de l’interprétation non consciente d’un ensemble d’indices.

D’autres études ont mis en évidence que la norme d’internalité (capacité à s’attribuer la responsabilité des événements dans une situation ) était surtout développée dans les catégories favorisées.

Comment les enseignants seront-ils sensibilisés à ces facteurs ? Comment s’en dégager dans l’appréciation des élèves ?

2) Les grilles et les livrets reposent également sur l’implicite d’un accès transparent aux intentions, aux motivations, à l’activité de l’élève.

Mais là encore, c’est faire peu de cas de la complexité de l’activité des élèves.

C’est ne rien connaître des stratégies de protection de l’image de soi que peuvent développer des élèves en échec, les amenant à adopter des comportements remettant en cause le cadre scolaire et les rôles attendus, pour ne pas être aux prises avec le doute sur leurs propres capacités

3) En l’absence de situations précises évoquées, chaque évaluation, chaque établissement pourra établir ses propres indicateurs. Il y a tout lieu de penser que les indicateurs d’évaluation resteront opaques et très subjectifs, ouvrant la porte à une évaluation de caractéristiques considérées comme internes.

4) Les nouveaux outils proposés par le Men insistent sur l’auto-évaluation sans mesurer encore une fois que leur utilisation repose sur l’idée de la sincérité des élèves et de la transparence de cette « introspection ». Or les travaux en psychologie sociale sur la « clairvoyance normative » montrent que là encore tous les élèves ne sont pas à égalité. Certains, plutôt dans les catégories favorisées sont plus à même de décrypter les réponses attendues que d’autres pour lesquels ils ne constituent pas des « allant de soi ».

5) Les liens implicites établis entre connaître et adopter le comportement correspondant (ex. connaître et respecter les règles d’hygiène, de santé, de sécurité, les règles de la vie collective) peuvent amener à évaluer une connaissance pour en tirer des conséquences sur l’existence de ce comportement, ce qui reste extrêmement discutable.

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4 6)Les items portant sur la maîtrise du corps par l’amalgame qui est fait d’une maîtrise apprise dans des gestes sportifs et d’une maîtrise sociale dans diverses situations balaye là encore tous les travaux de Bourdieu et d’autres, sur le caractère social des postures et des gestes. Sur quoi va ton évaluer les élèves ? Sur leur appartenance à un milieu social considéré implicitement comme ne possédant pas les bons codes de la vie en société ?

7) Les grilles de référence sur l’autonomie font l’impasse sur toutes les connaissances scientifiques en psychologie : rapport aux savoirs, difficultés d’apprentissage, période de l’adolescence, élaboration des projets.

L’adolescent est réduit à un être purement rationnel et sincère, motivé et impliqué grâce à sa bonne volonté.

En particulier l’introduction d’items concernant la démarche d’éducation à l’orientation est particulièrement pernicieuse et dangereuse. Pas plus que « le discours sur la méthode » ( apprentissage de la méthodologie) n’est efficace, la connaissance d’un nombre important de métiers ne sera déterminante pour construire son projet et son parcours.

Devra t on considérer qu’un élève qui « s’accroche » à son projet n’a pas suffisamment « d’ouverture d’esprit »?

« Passer des idées aux actes » comme le suggère la grille de référence suppose que l’avenir soit suffisamment ouvert, que l’estime de soi soit suffisamment bonne, que les possibilités qui s’offrent soient suffisamment attractives.

Tous les élèves seront-ils dans la même situation ? La motivation, la confiance en soi, le désir de réussir ne sont pas des traits émergeants spontanément à l’Ecole, en dehors de tout contexte social et psychologique. C’est justement le rôle de l’Ecole que de les développer. C’est pour cela que le Snes a toujours exigé que l’aide à l’élaboration des projets d’avenir ne soit pas dissocié de la mise en œuvre des conditions de la réussite scolaire dans les missions des Co-Psy..

8) Enfin pour ces deux compétences, quelles sont les occasions de découverte, de réflexion, d’autonomie et d’initiative que l’Ecole met en œuvre ?

Evaluer sans avoir créé les possibilités d’un développement revient à mesurer la distance sociale par rapport à une norme comportementale et psychologique qui dévalorisera de manière encore plus stigmatisante qu’avant, car formalisée, les enfants de milieu populaire.

SNES – section nationale – Co-psy Mars 2009

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