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Tant qu'il y aura des gens comme ça... rien n'est perdu., Gilbert NANCY

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Academic year: 2021

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Tant qu'il y aura des gens comme ça...

rien n'est perdu.

L'homme peut nous paraître un animal foncièrement mauvais. Une de ses caractéristiques est la cruauté.

Depuis les temps mythiques jusqu'à nos jours les tortionnaires ont inventé des raffinements pour faire souffrir et tuer. Et les bons sauvages, n'en déplaise à Rousseau, ne valent pas mieux que les autres. Les coupeurs de têtes, qui devaient rapporter des têtes d'ennemis pour montrer qu'ils étaient assez vaillants pour mériter le mariage et dignes de procréer, en sont une illustration. Quant à notre société qui, en des siècles encore récents, prétendait diffuser la civilisation par le colonialisme, elle a battu tous les records dans le domaine des meurtres, des génocides, des supplices, utilisant les avancées technologiques pour être plus efficace en la matière. Et ce n'est pas récent, la mythologie conserve le souvenir de forfaits célèbres. Toute l'histoire est entachée de massacres, de pillages, d'incendies, mises à sac…

Le pire fut le XX° siècle. Les progrès scientifiques et technologiques donnèrent aux grandes nations industrielles une puissance d'action, jamais atteinte auparavant, sur la nature, et en même temps une force de destruction inouïe. Les hommes utilisèrent cette nouvelle force pour s'extermimer. Le XX° siècle fut le temps des guerres mondiales, des génocides et celui de la bombe atomique.

Le XXI° siècle en son début se révéla comme le temps du terrorisme mondial. Des groupes, voire un peuple, de fanatiques se donnent pour tâche de torturer et de tuer. Ils ne pensent qu'à cela et utilisent leur intelligence, parfois diaboliquement brillante,1

dans ce seul but. Et pourtant il faut se convaincre que rien n'est perdu.

Regardons autour de nous. Voyons-nous une humanité dépravée dans notre entourage ? Bien sûr, il y a les petits dealers dans le quartier, il y a ceux que la police arrête pour des délits divers. On en a peut-être connu dans le voisinage. Certains ont peut-être vu un jeune se radicaliser et ils ont compris la douleur de la famille. D'autres ont des amis ou des parents victimes ou sont eux-mêmes victimes du terrorisme. En voyant les horreurs commises par certains de nos congénères, nous avons parfois honte d'appartenir à l'humanité. Mais il y a aussi tous les autres qui ne vendent pas de drogue, qui ne volent pas, qui ne tuent pas. Il y a ces nombreux « Lambdas » ces « Tartempions », ces hommes et femmes « de la rue », ces chacun d'entre nous qui tant bien que mal nous efforçons de ne nuire à personne et même essayons dans la mesure de nos moyens de nous rendre utiles. Estimons-nous sans valeur l'humanité de nos parents, de nos amis, des personnes inconnues ou célèbres que nous admirons, notre propre humanité ? Et lesquels sont les plus nombreux, les délinquants ou les gens honnêtes ? Evidemment personne n'est parfait, mais la plupart des gens qui se rencontrent dans notre quotidien, même s'ils ont des défauts sont fréquentables. Et on est bien content de pouvoir les fréquenter. On se parle, on s'aide, on se fait des amis.

La population délinquante ne forme qu'une faible partie de l'ensemble de notre entourage et de notre pays. Ceux qui n'ont jamais de démêlés avec la justice appartiennent à la normalité en ce sens qu'ils sont beaucoup plus nombreux que les condamnés et qu'ils forment la société. Ils sont des citoyens conformes aux normes du citoyen et ils éduquent leurs enfants à devenir des citoyens. Les prisons contiennent un pourcentage suffisamment faible de la population pour que l'on considère la délinquance comme une anomalie. Je sais bien que tous les actes répréhensibles ne sont pas punis par une incarcération, mais à titre indicatif, il suffit de prendre en compte le poucentage de la population des prisons (de notre pays, par exemple) par rapport à celui de l' ensemble de la

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population pour comprendre dans quelle proportion l'honnêteté est l'état normal des hommes.

Quant au terrorisme… Attention, je ne veux en rien relativiser, négliger ou mépriser la souffrance qu'il inflige aux victimes, aux proches des victimes et à tous ceux qui s'affligent, par humanité, des assassinats. Mais je veux minimiser l'impact terroriste, ce qu'il est indispensable que nous fassions si nous voulons que ses auteurs manquent l'objectif qu'ils se sont fixé : nous terroriser. Augmente-t-il vraiment les dangers de l'existence ? Pour en être certains, il nous faudrait des études démographiques qui nous montrent que le taux de mortalité s'élève à cause des attentats, comme cela se produit à l'occasion de guerres, de famines ou d'autres fléaux terribles. S'il n'en n'est rien, et si, de plus, je mets en balance d'autres causes qui diminuent la mortalité, la vie de la population n'est pas plus dangereuse qu'avant la vague de terrorisme. Le taux de mortalité ne fait que baisser moins vite qu'on l'aurait espéré sans les attentats. Le terrorisme fait peur parce qu'il fait souffrir. Mais la terreur se répand sourtout par elle-même, parce que chacun craint pour les siens, pour soi et pour autrui surtout lorsque se diffuse l'idée que l'on ne peut rien pour arrêter le mal, comme lors des épidémies autrefois. Alors la terreur se répand par la parole. On ne cesse d'en parler. Les informations deviennent ininterrompues.2

Je soutiens que nous pouvons constater, chacun, que nous avons surtout des gens honnêtes dans notre entourage et que les gens honnêtes sont de beaucoup les plus nombreux.

Sur les lieux d'un massacre commis par un fanatique mille personnes apportent, chacune, une rose blanche.

En écoutant les intervenants dans les émissions interactives de certaines radios on peut juger de la mentalité ouverte et accueillante et du désir d'aller vers autrui de bon nombre de nos concitoyens.

D'aucuns choisissent une activité professionnelle en vue de services qu'ils pourront rendre à la collectivité.

Il existe une multitude d'associations de bénévoles qui se chargent d'aider les personnes en difficultés : personnes âgées dépendantes, S.D.F., enfants malades etc.

Pour ce qui est des réfugiés… Oserions-nous nous regarder sans honte, si ceux qui immigrent dans notre pays, dans notre Europe, ceux qui ont échappé à la guerre, à la prison avec torture, à la mort violente et la noyade ne rencontraient chez nous que haine et crainte, des « moi d'abord, toi s'il en reste », des « retourne dans ton pays », « moi à ta place j'aurais combattu », « ils nous prennent notre travail » « on les soigne gratuitement, moi je paye », « on leur donne un logement gratuit, moi je n'ai pas droit à une H.L.M. ». Arguments faux. Commérages et coups de gueule dignes du fameux adjudant Kronembourg du regrétté Cabu. Qui peut envier les installations de fortune de la porte de la Chapelle à Paris ou de la jungle à Calais ? Heureusement nombreux sont ceux qui accueillent, réconfortent, nourrissent, soignent… Un capitaine de navire qui agit conformément à la déontologie de son métier, lorsqu'il entend un appel de détresse se détourne de son itinéraire et recueille les naufragés sans se demander combien le sauvetage coûtera à sa compagnie. Cet esprit existe encore chez les Européens :

Des municipalités de Calabre que la jeunesse a fuies pour trouver du travail au nord de l'Italie offrent leurs maisons à des immigrés qui font revivre des villages.

Des fermiers dans les Alpes offrent l'hospitalité à ceux qui passent d'Italie en France, quitte à se faire condamner parce qu'ils ne s'occupent pas de savoir si ceux qu'ils aident passent les frontières légalement.

Des familles admettent que les réfugiés soient répartis dans leurs maisons.

2 Ici je me permets d'ajouter que les médias qui diffusent en boucle les images des attentats à longueur de journées font le jeu des terroristes. Ils informent et ils proclament leur indignation en ce qui concerne le sang versé et ils ont raison. (S'ils n'abusent pas du sensationnel pour augmenter l'audimat). Mais ils diffusent la terreur et ils ont tort. Il leur appartient de rester très vigilants pour respecter un équilibre difficile à trouver, certes.

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Tant qu'il y aura des gens comme ça, pour manifester la noblesse de leurs sentiments, rien n'est perdu.

Les arts et la littérature mettent en valeur la générosité, l'ouverture à l'autre, l'accueil. Beaucoup sont des Victor Hugo à leur façon.3

Je ne connais pas une série de la télévision qui montre sous un jour favorable le racisme, le rejet de l'autre, le meurtre et le délit sous toutes ses formes. La popularité de ces séries atteste qu'elles reflètent les sentiments de la multitude.

Il existe une presse raciste et xénophobe, des artistes racistes et xénophobes qui s'exhibent dans des one man shows, par exemple. Mais je pense qu'ils s'adressent à une minorité et les critiques sont là pour ne pas les ménager.

Tant qu'il y aura des gens pour manifester la noblesse de leurs sentiments, rien n'est perdu. Et pour confirmer mon optimisme, je suggère au lecteur de se rendre à un concert (peu importe le genre de musique), de visiter des musées, d'admirer les merveilles architecturales de nos villes, ou de nos modestes villages, en France, en Europe, dans le monde entier. Et même parmi les peuples où il n'y a ni villes, ni architecture, il verra des merveilles. Ce n'est pas sans raisons esthétiques que des compositeurs de la civilisation occidentale se sont inspirés des chants des Pygmées.

Les sports, pour les professionnels, les amateurs, et aussi les spectateurs donnent l'opportunité d'exercer des vertus comme le sens de l'effort, le fair play, l'esprit d'équipe, la soumission aux règles. Ils provoquent de magnifiques rassemblements - et le hooliganisme n'est jamais victorieux - où s'expriment la joie et la conscience d'appartenir à des collectivités qui s'étendent en cercles concentriques depuis la municipalité ( l'école, le collège ou le lycée) le département, la région jusqu'à la nation. A ce niveau-là se réveille le patriotisme qu'il serait bon d'élargir jusqu'aux dimensions du continent. Personnellement je suis toujours content lorsque ce sont des Européens qui gagnent. Imaginez. Si nous avions des équipes d'Europe nous remporterions presque toutes les médailles dans les rencontres intertionales.

Que dire des religions ? On sait que les guerres au Moyen -Orient viennent dans ces pays de ce que les pouvoirs politiques et religieux sont confondus : conflits entre musulmans chiites et sunnites. L'état d'Israël a été constitué après la seconde guerre mondiale pour servir de refuge aux Juifs de la diaspora victimes souvent de racisme violent et particulièrement du génocide opéré par les nazis. Les Israëliens sont en guerre permanente avec les palestiniens musulmans. Mais on peut constater que dans les états laïcs, où le pouvoir religieux ne cherche pas à influencer ou à dominer le pouvoir politique, les fidèles des grandes religions sont pacifiques et généreux. Le pape parle sans cesse de paix et d'aide aux pauvres, et dans les circonstances actuelles, d'aide aux réfugiés. Chaque fois que se produit un attentat islamiste des musulmans proclament que leur religion est une religion de paix, d'amour et de pardon.

Partout où il y a des hommes, il y a du beau, des sentiments nobles et généreux. L'aspect Mr. Hyde de l'humanité est toujours là, évidemment, mais la durée de l'espèce homo sapiens, sa survie longue de trois cent mille ans4

, son histoire, à travers de multiples épreuves montrent que, malgé les coupeurs de tête, les fous de la gachette et des explosifs et autres camionneurs écraseurs, le docteur Jekyll l'emporte.

Rien n'est perdu de nos espoirs.

3 Les publications de « Lire en ligne » le manifestent.

4 Récemment des paléontologues ont découvert, au Maroc, des ossements qui font remonter l'origine de notre espèce à 300 000 ans. On croyait jusu'alors qu'homo sapiens existait depuis 200 000 ans

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Sentiments et raison.

(I)

Dans les pages précédentes j'écrivais que l'être humain a de bons sentiments : des sentiments généreux et altruistes. La méchanceté est le fait d'une minorité. Il faut le comprendre ainsi : personne n'est parfait, chacun est plus ou moins positif dans le quotidien de son existence, de même personne n'est absolument mauvais. Platon disait que les bandits ont entre eux une forme de justice, une sorte de code moral. Même les pires des fondamentalistes islamistes, ceux qui ne vivent que pour tuer ne sont pas dépourvus de sentiments positifs à l'égard de leurs sembables, sinon leurs sociétés d'individus mortifères ne se maintiendraient pas. Ce qui distingue les bons des mauvais, pour recourir à la fable de R.L. Stevenson, c'est que chez les premiers le bon docteur Jekyll domine Mr. Hyde, tandis que chez les seconds il est réprimé par l'infect Mr. Hyde. Et ceci à des degrés divers. Chez certaines personnes la domination de l'un ou de l'autre est presque à parité. Ces personnes ne sont ni vraiment bonnes ni vraiment mauvaises ; elles restent imprévisibles et on ne sait jamais comment elles vont tourner. D'autres manifestent un pouvoir quasi absolu de Mr. Hyde ; ce peut être une forme de maladie mentale qui les prive du sens moral ou un fanatisme qui écrase tous les autres sentiments. Les meilleurs ont presque anéanti Mr. Hyde ; ce sont les héros ou les saints. Je dis bien qu'ils l'ont presque anéanti. Chacun sait que la perfection n'est pas de ce monde et qu'elle indique des chemins bien difficiles à parcourir. Regulus, supplicié, enfermé debout dans sa caisse hérissée de clous à l'intérieur, est un exemple de ces extrêmement bons. Mais sa défaite contre les Carthaginois révèle qu'il n'était pas parfait. Il avait remporté précédemment de brillantes victoires, il en était devenu négligent ; trop de confiance en lui-même lui fit perdre sa dernière bataille.

Les bons sentiments, généreux et altruistes, ceux qui font que les hommes favorisent l'existence de leurs congénères, parfois même au risque de leur propre vie, sont ceux qui assurent la survie d'un groupe social auquel nous appartenons, voire de notre espèce. On arrive à réprimer ses peurs, ses répulsions, ses fatigues, ses souffrances, parce que l'on a la conviction que cela sert à la communauté. Nous savons aussi que la survie du groupe (famille, commune, région, état, espèce humaine) assure notre propre survie. Nous le savons ; sans doute un vieil instinct animal qui s'est installé au niveau de notre conscience et qui peut devenir calcul.

Un exemple de ce genre de calculs qui pèsent les données concernant notre sécurité nous est fourni par l'actualité. J'écris ces lignes le 2 juin 2017. Donald Trump vient de désolidariser les U.S.A de l'accord signé par son prédécesseur à la COP 21 de Paris, par lequel les états cossignataires s'engageaient à diminuer l'utilisation des énergies fossiles, responsables du réchauffement climatique. Les conséquences risquent d'être terribles : non pas trois cent mille morts, crime perpétré par le dictateur syrien ; non pas un génocide, mais la terre progressivement rendue inhabitable pour les hommes : la destruction de l'espèce humaine. Les informations nous apprennent qu'une réaction mondiale (états et industries) commence à s'organiser pour renouer plus solidement les dispositions prises contre l'effet de serre afin de contre-balancer l'augmentation de CO2 qui ne manquera pas de se produire à la suite de la décision du président Trump. Des états et des industriels des Etats-Unis mêmes refusent de suivre leur président. Un pays qui se met en route vers le plus grand crime jamais réalisé en refusant d'appliquer les accords de Paris : les Etats Unis de Trump, un pays qui n'a pas encore ratifié le traité : la Russie de Poutine. Mais 195 signatures plus l' Union Européenne et 169 ratifications plus l' U.E.5

Et combien de pays, combien d' entreprises

5 Les représentants des états ont presque tous signé le 22/4/2016, ils disposaient d'un délai d'un an pour le faire. La ratification de 55 pays responsables de 55 % des émissions de gaz à effet de serre était nécessaire pour que l'accord

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industrielles vont agir avec l'Europe et la Chine, l'Inde… en vue de permettre aux générations futures de vivre ? Voilà de quoi confirmer mon optimisme.

(II)

Les êtres humains sont donc, pour la plupart, dotés de bons sentiments, mais ils ont aussi une bonne intelligence. Il sont raisonnables, cela signifie qu'ils raisonnent bien et qu'ils ne font pas n'importe quoi.

Quand j'écris qu'ils raisonnent bien, je veux dire que leur intelligence est faite pour développer des connaissances adéquates, conformes à la réalité.

L'acte de connaître s'exerce à deux niveaux : celui de l'intuition et celui de l'abstraction rationnelle.

L'intuition, c'est la perception (intueri, en latin, signifie regarder). Elle peut être sensible : les informations que les sens nous apportent, froid, chaud, brûlure, une couleur, un éblouissement. La liste est inexhaustible. L'intuition peut s'éloigner de la simple sensation, guidée par une appréhension intellectuelle ; par exemple, la ligne, le cercle, les figures géométriques tracées sur le papier par le géomètre,6 ou la ligne intellectuelle, celle que le mathématicien a en tête lorsqu'il dit

qu'il réfléchit non pas tellement sur la ligne tracée que sur la ligne en général. On saisit encore ce qu'est cette intuition quand on voit une courbe qui représente une équation.

L'abstraction rationnelle, c'est l'activité de l'entendement7

qui s'éloigne du concret : la perception de cailloux, trois cailloux pour signifier des objets au nombre de trois, un nom de nombre (trois) ou un chiffre (3) , une lettre de l'alphabet pour signifier n'importe quel nombre, les x,

y, z pour désigner n'importe quel nombre inconnu, et encore des symboles pour représenter une

opération en général.

Tout le monde sait que l'abstraction étend la portée du raisonnement parce qu'elle est généralisation, et qu'elle apporte rigueur,voire certitude dans les conclusions. Un calcul est bon ou faux, pas les deux en même temps. La somme des angles d'un triangle vaut 180°, il n'y pas d'autre solution.8

L'intuition et la raison marchent de concert sur le chemin de la connaissance. L'intuition fournit des données matérielles que l'entendement ordonne rationnellement pour en tirer des conséquences.

Une axiomatique est une méthode de déduction qui pose des termes et des propositions en principes. A partir de ces principes elle enchaîne par déductions toute une série de nouveaux termes et de nouvelles propositions appélées théorèmes. Robert Blanché a montré qu'il existe un lien vertical qui attache les axiomatiques les une aux autres. A la base, celles qui portent sur des objets intuitifs, tels les objet complexes des sciences appliquées, au sommet, les plus abstraites exerçant leurs déductions uniquement sur des symboles vides de représentations. Mais il n'y en a pas d'absolument concrètes, ni de complètement abstraites, totalement privées de sens. Il n' y a pas à la base une intuition naïvement passive ; les premières perceptions se font dans le cadre d'une appréhension de la raison. Et au sommet, l' axiomatique la plus formelle n' est pas dépourvue

entre en vigueur ; ce qui nécessitait une consultation parlementaire dans les pays démocratiques.

6 Ou au sol lorsque les géomètres mesurent la terre , comme ils le faisaient chaque année dans l'ancienne Egypte, pour répartir entre les paysans les surfaces irriguées par la crue du Nil.

7 Pour faire simple et ne pas m'enfoncer dans certaines considérations philosophiques, j'emploie raison et entendement comme des synonymes.

8 Des spécialistes rappelleront que la certitude, à haut niveau d'abstration, porte sur la cohérence et non sur la vérité des propositions. Ils ont raison, bien sûr, mais il n'est pas de mon propos, dans cet article, de m'avancer jusque là.

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d'objets. Autrement dit, à mesure que le raisonnement abstrait, l'intuition s'abstrait elle aussi, mais elle est toujours là. Je cite :

« Il n'y a pas des sciences abstraites et des sciences concrètes, des sciences rationnelles et des sciences empiriques. Il y a, premièrement, entre les sciences, des degrés divers d'abstraction et de rationalité, qui permettent de les ordonner en série. Il y a ensuite, pour chacune d'elle, possibilité d'une double lecture : abstraite, rationnelle et formelle, ou concrète, empirique et matérielle. »9

Ces phrases nous montrent bien que l'entendement humain est un instrument de connaissance du réel. Et ceci à l'encontre d'un idéalisme soutenu par des philosophes qui prétendaient que la connaissance ne se faisait que dans des cadres inhérents à la conscience humaine : par exemple des prénotions vides ou l'espace et le temps a priori.10

La connaissance ainsi s'appliquerait à des phénomènes de conscience, sans que la conscience puisse sortir d'elle-même. Mais il n'en est rien. R. Blanché nous montre que toute science s' offre à deux interprétations : une formalisation et une assignation à des objets. Les sciences les plus ancrées dans la complexité de la réalité (les sciences morales traitant de l'objet d'étude le plus complexe) s'offrent plus tardivement à la formalisation. Les sciences les plus abstraites, comme les mathématiques peuvent être largement formalisées. Mais pas totalement, car elles s'appliquent toujours à des objets, fussent-ils des abstractions mathématiques ou de simples symboles.

Ce que dit Robert Blanché nous amène à considérer une aptitude merveilleuse : l'homme connaît la réalité. Rien d' étonnant à cela, puisque le monde est logique, d'une logique mathématique. On le sait parce qu'il s'explique mathématiquement. L'entendement humain fonctionne selon des règles logiques de la mathématique. L'entendement et le monde fonctionnent de la même façon ; c'est pourquoi le premier a le pouvoir de concevoir l'autre. Et nous aurions tort de dire que ce que les savants n'expliquent pas encore ne s'expliquera jamais. Nous ne voyons pas de limites à ce potentiel explicatif.

Il est vrai que les sciences sont du ressort de savants de plus en plus spécialisés. Mais chacun ne peut pas tout faire dans une civilisation qui évolue en se compléxifiant toujours davantage. On se partage le travail selon les aptitudes. Il en va de même pour ce qui est du travail scientifique. Il faut faire confiance aux savants puisqu'ils ont des connaissances réelles qu'ils développent et affinent et que le rythme des découvertes s'accélère, en même temps que les connaissances augmentent. Mouvement soutenu par le fait que les scientifiques, aidés de techniciens, en même temps qu'ils progressent et grâce à leurs progrès, découvrent, fabriquent et perfectionnent des instruments d'observation et d'expérimentation toujours plus performants.

Bien sûr, le mythe du savant fou est présent à nos consciences, sans cesse ravivé par les romans et le cinéma. On se souvient des recherches médicales entreprises par les nazis. On sait que les laboratoires et les usines d'armements offrent aux états (et aussi aux particuliers) de terribles machines à tuer. Certaines affaires révèlent que des laboratoires pharmaceutiques testent leur produits de façon douteuse, qu'ils soudoient des chercheurs qui effectuent ces tests pour des organismes neutres. Il serait facile d'allonger la liste des conflits d'intérêts entre finance et recherche.11

Cependant les scientifiques sont des personnes en qui, généralement, les populations font confiance et à bon droit. Aucun savant, n'a jamais travaillé seul, à l'insu de tous, comme Frankenstein créait son monstre en secret. Depuis que la science existe, les savants se rencontrent, s'écrivent. Le corpus euclidien est une œuvre collective. On peut encore lire la correspondance de Descartes et de Mersenne. Au XVII° et XVIII° siècles apparaissent des académies des sciences dans les pays européens. Et de nos jours où le savoir est beaucoup trop vaste pour qu'un homme le possède dans sa totalité, chacun a bien conscience qu'il ne travaille que dans une petite spécialité de

9 Robert Blanché. L'axiomatique P.UF. Édition de 1967 ; pp.93-94.

10 Kant. A priori signifie que l'espace et le temps sont dans la conscience avant toute expérience. 11 Cf. Le Canard enchaîné. Sans numéro précis, les révélations sont fréquentes.

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sa discipline. Le travail des chercheurs est donc organisé dans des universités, dans des centres de recherches, comme le C.N.R.S. en France, lesquels coopèrent au niveau régional, national, international. A ces mêmes niveaux des congrès se rassemblent. Plutôt que de rivaliser les savants préfèrent partager leurs connaissances. Ils se rencontrent, s'écrivent, communiquent par tous les moyens que notre époque leur offre.

La communauté scientifique ne se rassemble pas seulement pour faire progresser les sciences, mais les savants savent aussi se réunir, dans un esprit de militantisme, pour le bien de l'humanité. On se souvient de l'activité de Bertrand Russell et d'autres savants du monde entier qui se sont rassemblés pour dénoncer les risques de guerre atomique après la seconde guerre mondiale. Les plus grands de la science du XX° siècle, et en grand nombre, ont participé aux réunions, déclarations et publications de ce mouvement. Ils ont bien contribué pour leur part à ce que la guerrre nucléaire fatale à l'humanité, tant redoutée, ne se soit pas encore produite. Pour ajouter un exemple récent : les déclarations négationnistes du président Trump concernant le réchauffement climatique et sa décision de se retirer des accords de la COP21 ont provoqué des rassemblements de savants dans le monde entier.

Les savants sont sensés. L'efficacité scientifique est une évidence. Voltaire écrit dans « L'homme aux quarante écus » qu'à son époque l'espérance de vie était de vingt-trois ans à Paris. Et maintenant ? Les savants sont hommes et femmes de bien en ce sens qu'ils agissent pour la sauvegarde de l'humanité. Evidemment les moyens techniques puissants qu'offre la science peuvent être détournés. Trop de progrès menace la planète. Mais la plupart des hommes sont prêts à agir pour pallier à ces dangers.

J'ai développé ces considérations sur les sentiments et sur le savoir pour proclamer que rien n'est perdu. Nous sommes nombreux à le penser. Depuis quelques années les nouvelles circulent à travers le monde à la vitesse de la lumière. Mais ce n'est pas une raison de ne retenir que les mauvaises. Celles-ci nous affectent, sans doute, plus que les bonnes car la douleur est certainement plus poignante que le plaisir. Apprenons à remarquer et à retenir aussi les bonnes. La vie des générations précédentes ne fut pas plus douce que la nôtre, retenons l'espoir qui animait le courage de nos ancêtres qui ont progressé jusqu'à nous offrir les bienfaits de notre civilisation. Reprenons le flambeau qui guide l'humanité vers de meilleures conditions d'existence. Rien n'est perdu. Il faut le répéter et le crier pour soulever l'enthousiasme qui insuffle l'espoir, gonfle et élève les coeurs. Nos ancêtres, parce qu'ils avaient les sentiments nécessaires à la préservation de l'espèce et le savoir qui permet d'inventer et de progresser ont créé leur avenir qui est notre passé et notre présent. A nous de continuer l'Odyssée extraordinaire de l'humanité.

Mais la question fondamentale reste posée : A quoi nous sert l'optimisme ? Quel sens peut avoir notre vie ou la vie de notre espèce dans un univers où tout est provisoire ? Les êtres vivants meurent, les glaciations détruisent des biodiversités, les réchauffements climatiques détruisent celles qui s'étaient adaptées au froid. Rien ne perdure. La terre disparaîtra, le système solaire aussi. Alors quelles raisons peut-on trouver qui justifient une volonté de nous sauvegarder, de sauvegarder notre espèce ? Si le bien est la préservation de nos existences, si les bons sont ceux qui agissent pour la préservation des hommes et de leurs groupes sociaux, le bien est absurde puisque la disparition de hommes et de leur environnement est inévitable. Il seront remplacés par quelque chose, mais quoi ? Ce quelque chose nous concerne-t-il ? Nos efforts sont absurdes. Néanmoins Albert Camus écrivait : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».12

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La sérénité

Derrière la saleté

S'étalant devant nous Derrière les yeux plissés Et les visages mous Au delà de ces mains Ouvertes ou fermées Qui se tendent en vain Ou qui sont poings levés Plus loin que les frontières Qui sont de barbelés Plus loin que la misère Il nous faut regarder Il nous faut regarder Ce qu'il y a de beau ……….. .

Jacques Brel

Pour être optimiste il faut commencer par apprendre à vivre, c'est à dire trouver satisfaction dans son existence.

Je n'ose pas parler de bonheur. C'est un bien grand mot qui désigne un absolu, un état de béatitude complète, perturbée par aucun revers. Et pourtant on voit qu'il sonne comme bonne heure dont il est une contraction. De même malheur signifie mauvaise heure. (L'adjectif mal, en vieux français veur dire mauvais). Dans un univers où la destruction annéantit toute existence, sans cesse des êtres apparaissent et disparaissent, les bonnes et les mauvaises heures se succèdent. On parle couramment de mauvais quarts d'heures ou de bons momments. De fait, le bonheur n'est pas de ce monde. On peut se sentir complètement heureux, mais on sait que ce n'est que provisoire. Ce sont des moments fragiles et on a toujours l'angoisse de l'avenir. Et les religions le savent qui promettent le bonheur dans un autre monde. La mythologie grecque et romaine nous annonce les champs Elysées; les religions chrétiennes et musulmanes font miroiter le Paradis. Comme je parle de la vie sur terre j'éviterai donc le mot bonheur, je parlerai de sérénité.

Diverses méthodes venues de civilisations orientales sont en vogue de nous jours. Je ne les connais pas, je n'en parlerai donc pas et surtout je n'en médirai pas. Au contraire, j'invite ceux qui les pratiquent à les faire valoir et à les enseigner. Rien n'est à négliger de ce qui aide à vivre.

Des sages de notre civilisation, dans la lignée de la philosophie socratique, nous ont laissé des méthodes. J'en rappelerai deux, à titre d'exemples, dont on peut tirer profit pour apprendre à vivre dans une espèce de tranquillité apaisée et joyeuse - trois termes qui peuvent définir ce que j'entends par sérénité. Cet état d'esprit s'acquiert lorsque l'on sait prendre conscience des bonnes heures pour prendre goût à la vie, tout en sachant qu'elle est passagère, entourée d'êtres temporaires.

« Carpe diem», disait Epicure.13

Pour cela il nous apprend à supprimer les occasions de la

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souffrance, à refuser même les plaisirs qui sont suivis de douleur. « Apporte-moi un petit pot de lait caillé pour que je puisse faire bombance » écrivait-il à un de ses amis. Un plaisir qui ne coûte pas cher et qui ne sera pas suivi de maux d'estomac. Des poètes romains épicuriens ont chanté la

paupertas. Ce mot latin ne se traduit pas par pauvreté synonyme d'indigence, il dénote le fait de se

contenter de peu, favorable à une existence saine et agréable. Horace se fait une joie de vivre des ressources de sa petite exploitation agricole dans sa modeste demeure. Il n'a pas besoin de tentures de pourpre, de portes décorées avec des écailles de tortues, d'aliments rares et importés à grand frais. L'essentiel dans la vie, c'est d'atteindre l'ataraxie. Ou de s'en approcher s'il s'avère impossible d'y parvenir. Lalande définit ainsi l'ataraxie :« Tranquillité de l'âme qui résulte de la mesure dans le plaisir, de l'harmonie dans la vie. » Il continue en citant Renouvier : tranquillité qui résulte « de l'égoïsme philosophique qui livre sans regret le monde à la lutte des passions ».14

L'épicurisme présente bien une méthode pour s'entraîner à vivre dans une forme de sérénité, mais Renouvier a raison, cette philosophie tend à enseigner l'égoïsme. L'épicurien se réfugie avec ses amis dans son jardin pour, dans un cadre agréable, jouir de bonnes heures. Ajoutons quatre vers de Lucrèce : il semble que le poète trouve un certain plaisir à voir les autres affectés de mauvais moments auxquels il échappe :

« Suave, mari magno turbantibus aequora ventis, e terra magnum alterius spectare laborem ; non quia vexari quemquam jucunda voluptas,

sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est. »15

Lucrèce.

On ne peut dire que Lucrèce affirme qu'il soit heureux de voir les souffrir les autres ; il met une restriction dans ses vers : la souffrance d'autrui est un doux plaisir, non parce qu'on voit autrui souffrir, mais parce que l'on sait qu'on échappe à la souffrance. Néanmoins l'épicurisme nous met mal à l'aise. Il forme une élite d'amis qui se sont construit un espace sans douleurs, un jardin clos dont les haies protrectices cachent les malheurs de ceux qui n'adhèrent pas à leur philosophie. On peut répondre à cela que les épicuriens tenaient des écoles, leur enseignement ayant pour but d'apprendre à devenir épicurien. Mais le problème persiste : on agrandit le cercle des égoïstes. Que faire de ceux qui souffrent, de ceux qui ne savent pas ne pas souffrir ? On les laisse dans leur misère ?

La sérénité enseignée par les stoïciens montre plus de générosité, bien qu'ils paraissent plus rigides, parfois même d'une impassibilité sauvage.

Les stoïciens divisent les événements en deux catégories : ceux qui dépendent de nous et ceux qui ne dépendent pas de nous. Ne dépend pas de nous tout ce qui nous arrive : richesse, pauvreté, maladie, santé, mort, ce qui arrive à nos proches, enfin tout ce qui se produit dans le monde. Il arrive des événements que je considère comme des malheurs et ils me font souffrir. Mais je ne peux rien contre ces événements. Une maladie, la misère, les décès, impossible de les éviter. Mais la façon dont je les accepte ou ne les accepte pas dépend de moi. Un « stoïque aux yeux secs », comme écrivait André Chénier,16

considère tout ce qui arrive comme un bien voulu par la Providence qui agit non pas forcément pour préserver les personnes en particulier, mais aussi en considération de l' ensemble du monde. Donc tout ce qui arrive est bien. Ton frère et ton père

14 Vocabulaire technique et critique de la philosopie. André LALANDE. P.U.F. Edition de 1968.

15 De Natura rerum Livre II, vers 1 à 4. Sous ce titre Lucrèce, philosophe et poète romain expose l'épicurisme en latin. Traduction : Il est doux lorsque des vents font tourbillonner les flots sur la grande mer de regarder, depuis le rivage, la peine des autres ; non que le spectacle d'un homme dans la souffrance soit un plaisir agréable, mais parce qu'il est doux de voir les maux auxquels on échappe.

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meurent – C'est bien, répond le sage stoïcien. On va te jeter en prison et te couper la gorge – C'est bien. Et le sage s'entraîne à accepter de bon coeur les événements terribles pour les autres hommes.

Cette sagesse est excessivement rude, et je ne prétends pas qu'il faille en arriver à ce genre de sérénité qui consiste en une destruction sauvage des sentiments. D'ailleurs cette rigidité extrême ne se rencontre guère. C'est une méthode pour vaincre les peurs qui hantent ces époques dangereuses où l'on l'on côtoie la cruauté au quotidien. Sénèque, parmi les stoïciens romains, ne manque toutefois pas de souplesse. Il écrit modestement qu'il se dirige vers la sagesse sans l'atteindre et il ne manque pas de sentiments. Sénèque, un des hommes les plus riches de son temps, ne se prive pas de vivre dans le luxe, et il s'en justifie dans ses écrits : il profite des douceurs de la vie, mais elles ne lui sont pas indispensables et si les aléas de l'existence l'exigent, il peut s'en passer ; du moins il s'entraîne pour y parvenir et il eut l'occasion de vérifier la force de sa sagesse lors de son exil ou quand Néron lui envoya l'ordre de se suicider. Sénèque sait aussi qu'il peut être dans l'ordre des choses que des hommes soient secourus par lui et il écrit que le stoïcien sait mettre sa vie en danger pour sauver autrui. Dans ce cas sa mort sera une bonne chose.

Carpe diem.

C'est dans le sens du carpe diem pratiqué par les stoïciens et les épicuriens que nous acquérons des dispositions à nous sentir tranquilles et joyeux, à vivre dans la sérénité.

Profiter du moment, jouir des bonnes heures. Ne pas se persécuter en ressassant les mauvais quarts d'heures du passé. Ne pas se laisser absorber par les contrariétés et les douleurs du présent. Ne pas se préoccuper de l'avenir qui n'existe pas ; seulement s'en occuper, dans la mesure où préparer l'avenir fait partie du présent. Mais quand, dans le présent, nous faisons en sorte d'éviter les dangers de l'avenir, ces dangers ne sont pas là, ils n'existent pas. Il faut s'entraîner à envisager sans peur les mauvaises heures qui nous guettent.

Et pour ce qui est des événements les plus terribles, les maux qui surviennent à nos proches, à nos amis, leur mort ? « sang et larmes.»17

Allons-nous rester serein ? D' abord, il ne faut surtout pas que ces malheurs, lorsque nous envisageons leur éventualité, désolent notre propre vie par une angoisse obsessionnelle. Mais lorsque la catastrophe est là ! Alors il est normal de souffrir et de pleurer. Mais voyons, nos défunts exigeraient-ils que nous nous détruisions nous-mêmes pour entretenir leur souvenir ? Qui voudrait, parmi les gens sains d'esprit, qu'à sa mort, ses proches se désespèrent au point de s'autodétruire de quelque façon que ce soit ? Toute personne sensée veut qu'après son décès, ceux qu'elle aime continuent à vivre leur vie. Alors ne faisons pas ce que le mourant ne voudrait pas que nous fassions, ce que nous ne voulons pas que nos amis fassent à notre mort.

La vie, c'est la mort. « Vivre c'est apprendre à mourir », disait Sénèque. Mais cela ne nous empêche pas de vivre toutes les bonnes heures de notre vie, de cueillir les beaux jours. C'est peut-être là notre destinée : vivre des moments temporaires et successifs. Il y en a de tristes, apprenons à vivre les moments heureux en pleine conscience des bonnes heures qu'ils nous offrent. Et notre rôle en ce monde de l'éphémère consiste à agir en sorte que nous-mêmes et les autre hommes ayons le plus possible de bonnes heures. Voilà la finalité de notre existence et de nos sociétés. Pourquoi exercer un métier ? A quoi bon des loisirs, les arts, la littérature, les sports, la politique ? Tout cela sert à nous procurer des occasions de vivre dans la sérénité.

Et quand on ne trouve rien de beau dans le moment présent, comme quand on vient de perdre un être cher, quand on voit que des hommes se donnent pour fonction de tuer, de rechercher l'horreur dans leur méthode de mise à mort pour semer la terreur, que l'on ressent la honte et le dégoût d'appartenir à la même espèce qu'eux, quand tout nous semble hideur, alors ils reste à nous dire que l' avenir adoucira le présent. C' est dans la nature des choses. « Tempus omnia delet »18

17 Churchhill.

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disaient les Romains. La sérénité reviendra.

La foi en l'homme

La sérénité est une discipline individuelle. Il est inévitable qu'elle nous apparaisse comme un remède égoïste aux chagrins et aux douleurs, une sorte de médecine pour supporter les aléas de l'existence. On peut même envisager de la pratiquer comme un détachement volontaire, un refus de se lier à autrui par des relations affectives qui seraient causes de souffrances.

La sérénité ne suffit pas à tout.

Est-il acceptable de rester sourd aux appels de ceux qui souffrent ?

Est-il envisageable de rester insensible aux avertissements lancés par les nombreux semeurs d'alertes qui clament les maux inhérents à notre société occidentale capitaliste ? Les riches s'enrichissent sans cesse aux dépens des pauvres qui s'appauvrissent. Les fabricants d'armes vendent leur production à des régimes dictatoriaux ou fanatiques qui s'en servent pour massacrer des civils, femmes et enfants. Les gouvernements corrompus acceptent la commercialisation de produits dangereux ; éventuellement ils modifient leurs lois de protection du terriroire pour que des industriels puissent bétonner leurs installations et exercer leurs activités toxiques. Pour des intérêts commerciaux les gouvernements occidentaux traitent avec des dictateurs meurtriers etc. Nos financiers n'hésitent pas à mettre l'humanité en danger de mort en détruisant sur notre planète les biodiversités indispensables à la vie humaine.

L'homme qui, au milieu de ces désastres chercherait à vivre dans la sérénité en évitant les relations à autrui, ne pourrait éviter d'être assailli par les affres de la mauvaise conscience. La vraie sérénité doit être située dans le contexte d'une société fondée sur l'interaction de chacun de ses membres, ce qu'on appelle altruisme. L'altruisme consiste à se comporter comme agent au service du groupe (famille, cité, état, entreprise etc.) et des individus qui le constituent.

En d'autres termes, est bon moralement celui qui agit pour conserver et rénover les groupes sociaux auxquels il appartient et qui s'oppose à tout phénomène menançant de les détruire ou de les affaiblir.

La véritable sérénité se vit dans l'interaction sociale. Et elle est rendue possible par la foi en l'homme.

J'ai employé le mot foi car il s'agit d'une conviction, pas d'une certitude. Et il n'y a pas de certitude pour tout. La vie est trop complexe pour être enfermée dans des théorèmes. Qu'est-ce que la foi en l'homme ? C'est une conviction que je fonde sur mon observation de la vie des hommes en société telle que les historiens nous la montrent et telle que je peux l'observer de nos jours grâce au travail des praticiens des sciences humaines, des journalistes et grâce à tous les moyens d'information dont nous disposons à l'heure actuelle. La préhistoire et l'histoire nous attestent que l'humanité a su l'emporter sur les risques d'anéantissement depuis trois cent millénaires. La multitude des hommes de bonne volonté me laisse croire que l'humanité a la capacité de surmonter les risques de destruction à venir.

J'ai entendu et lu beaucoup de prophètes modernes annonçant « l'abomination de la désolation ». Ces auteurs ont raison de proclamer l'autodestruction de l'humanité. Les risques sont réels. Il existe des profiteurs moralement aveugles s'enrichissant du pillage de notre planète qui aboutirait imanquablement à l'assassinat de l'espèce humaine. Mais nos prophètes ne prêchent pas dans le désert et ils auraient tort de désespérer. Ils sont nombreux et écoutés. Leur nombre, les moyens qu'ils ont de s'exprimer doivent leur redonner espoir. Les pilleurs et les exploiteurs n'ont pas encore réussi leur œuvre d'anéantissement.

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Non, Big Brother19

ne règne pas sur nos sociétés démocratiques occidentales. Tous ceux qui dénoncent le phénomène montrent que la réaction se produit déjà.

Enfin, n'oublions pas que nous jouissons, dans nos démocraties d'une qualité de vie jamais atteinte auparavant. En Europe particulièrement, nous vivons en paix depuis soixante-treize ans.20

Les progrès de la médecine ont considérablement augmenté l'espérance de vie. Nous bénéficions de protections sociales, de droits du travail. Le bien être matériel dû aux progrès des sciences et des techniques prolonge et agrémente nos vies. Nous aurions tort d'en rougir en voyant la misère et les souffrances des pays pauvres ou en guerre. (Je ne veux bien-sûr pas dire qu'il faille rester indifférent aux malheurs de ces peuples, ne pas s'indigner, ne pas agir contre.) Ce bien-être nous le devons aux génération qui nous ont précédés qui ont oeuvré, parfois dans la douleur, pour que nous ayons une existence meilleure que la leur.

Rien n'est perdu.

Il dépend des hommes de savoir goûter les bons côtés de l'exisence, dans la sérénité. Et l'espèce humaine a les moyens de s'offrir une grande longévité sur terre.

Gilbert NANCY

Aoüt 2018

19 Cf. le roman de George Orwell 1984.

20 Exception faite de la guerre qui eut eu lieu à la suite de l'éclatement de la Yougoslavie après l'écroulement du communisme à l'est de l'Europe, guerre causée par la volonté nationaliste de Milosevic. Les massacres qui y furent commis montrent encore une fois la honte du nationalisme.

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