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Les principes directeurs de la sécurité sociale : rapport établi à l'intention du Département de la sécurité sociale, Bureau international du travail

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Les principes directeurs de la sécurité sociale : rapport établi à l'intention du Département de la sécurité sociale, Bureau international

du travail

GREBER, Pierre-Yves

GREBER, Pierre-Yves. Les principes directeurs de la sécurité sociale : rapport établi à l'intention du Département de la sécurité sociale, Bureau international du travail. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, 1998, no. 20, p. 7-45

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8505

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LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Rapport établi à l’intention du Département de la sécurité sociale

Bureau international du Travail*

Pierre-Yves GREBER

Professeur de droit de la sécurité sociale à l’Université de Genève

1. PARTIE INTRODUCTIVE 1

1.1 L’objet du rapport 1

1.2 L’environnement de la sécurité sociale 3

1.2.1 L’environnement 3

1.2.2 A l’origine 5

1.2.3 Les mutations 8

1.3 Le défi 10

2. LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 2.1 Le droit de chaque être humain à la sécurité sociale 11 2.2 Les missions de la sécurité sociale 21 2.2.1 La garantie des soins de santé 22 2.2.2 La garantie d’un revenu social de remplacement

et la garantie de ressources de base 27 2.2.3 La garantie d’insertion, de réinsertion et de valorisation

des ressources humaines 37

_________________

* Version anglaise - « The guiding principles of social security » - présentée le 16 avril 1997, à BUDAPEST, dans le cadre de la conférence « Tripartite Regional Consultation with Central and Eastern European Countries on the Development of an ILO Approach to the Reform and Development of Pension Systems », organisée par le Bureau international du Travail (BIT).

Version française publiée dans les CGSS, avec l’aimable autorisation du BIT, Département de la sécurité sociale.

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2.2.4 Bilan intermédiaire : rationalité et limites du concept

de sécurité sociale 46

2.3 Les principes directeurs au service des missions de la

sécurité sociale 51

2.3.1 Le principe de l’égalité de traitement, entre nationaux

et non-nationaux, entre femmes et hommes 52 2.3.2 Le principe de la solidarité 55 2.3.3 Le principe de l’affiliation obligatoire 59

2.3.4 La responsabilité de l’Etat, la participation 66 Brève conclusion et points pour discussion 75

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1. PARTIE INTRODUCTIVE

1.1 L’objet du rapport

1. Le présent rapport a pour but de mettre en évidence les principes directeurs de la sécurité sociale. Il se fonde sur la théorie générale de la sécurité sociale, le droit international et l’évolution des systèmes. Cela revient en fait à essayer de distinguer, d’une part, les éléments fondamentaux de la sécurité sociale, qui - tout en évoluant - gardent une substance certaine et, d’autre part, les aspects techniques et les éléments qui varient selon la conjoncture. En d’autres termes, c’est un essai de mettre en évi- dence le cœur même de la sécurité sociale.

2. Une telle entreprise pourrait, à première vue, paraître purement abstraite, déta- chée des problèmes et défis actuels. Il s’agit, au contraire, d’une référence indispen- sable à toute réforme, qu’elle soit menée sur un plan international, régional ou na- tional. Préoccupations actuelles et révisions - même à court terme - doivent être situées par rapport à l’institution. Le risque sinon est d’atteindre voire de détruire des principes directeurs sans forcément le vouloir, sans en discerner les conséquences sociales, éco- nomiques et politiques.

1.2 L’environnement de la sécurité sociale

1.2.1 L’environnement

3. Il est évident que les systèmes de sécurité sociale reposent sur :

- un ensemble de règles juridiques, adoptées par les Parlements, les Gouverne- ments, les partenaires sociaux, certaines institutions de sécurité sociale, le tout étant mis en lumière par la jurisprudence des tribunaux et par la pratique;

- un certain nombre d’institutions, publiques ou privées, qui vont notamment percevoir les ressources nécessaires, établir, calculer et verser les prestations;

- des flux financiers, provenant de divers acteurs (collectivités publiques, emplo- yeurs, travailleurs, individus, instituts de placements), de diverses sources (coti- sations; fiscalité directe, indirecte; intérêts), administrés selon certaines tech- niques (répartition, capitalisation, systèmes mixtes).

4. Mais il est aussi clair que les systèmes de sécurité sociale s’inscrivent dans une réalité politique, économique et sociale, qu’ils subissent des pressions, parfois brutales;

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ils évoluent dans un environnement, qu’ils ne manqueront pas, à leur tour, d’in- fluencer. Cet environnement comprend les besoins de protection, les valeurs générale- ment reconnues (elles influenceront la prise en charge des besoins, jouant un rôle sélec- teur et pondérateur), les ressources et limites économiques (la sécurité sociale a un coût apparent, dont la visibilité est grande actuellement), les données démographiques (au premier rang desquelles le vieillissement des populations), la situation politique géné- rale (la sécurité sociale demande des choix). Une appréciation unilatérale, qu’elle soit économique, juridique, sociale, etc., est périlleuse et génératrice de déséquilibres : il faut, au contraire, prendre en considération tous ces paramètres et leurs interactions.

Concevoir, puis piloter un système de sécurité sociale est un exercice subtil et exigeant, il demande de relier judicieusement les leçons de l’Histoire et l’exploration prospective, le souhaitable et le possible1.

1.2.2 A l’origine

5. Le concept de sécurité sociale est né dans des conditions difficiles voire tra- giques. Les premières expériences aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande et au Royaume- Uni des années trente et quarante2 visent ainsi d’abord la lutte contre la misère et la pauvreté3. Le concept international de la sécurité sociale émerge dans le cadre de l’Or- ganisation internationale du Travail (OIT), à la fin de la Seconde guerre mondiale et au début de la reconstruction; ses pièces essentielles sont la Déclaration concernant les buts et objectifs de l’Organisation internationale du Travail (dite Déclaration de Philadel- phie)4, la Recommandation (N° 67) concernant la garantie des moyens d’existence, 1944, la Recommandation (N° 69) concernant les soins médicaux, 1944 et la Conven- tion (N° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 19525.

6. L’urgence du moment a incité les auteurs de ces instruments fondamentaux à aller à l’essentiel. Les textes de droit international mettent ainsi l’accent sur le champ d’application personnel (personnes protégées), la définition des éventualités, le niveau de protection (exprimé en pourcentages rapportés aux revenus dans l’Etat qui ratifie). Les assurances sociales deviennent une technique privilégiée au service de la sécurité sociale, complétée par le service public, l’assistance sociale. La sécurité sociale

1 Voir l’annexe bibliographique.

2 Social Security Act 1935, Social Security Act 1938, The Beveridge Report, 1942.

3 William BEVERIDGE : Social Insurance and Allied Services. His Majesty’s Stationery Office. London 1942. - AISS : Le rapport Beveridge, 50 ans après : un numéro double spécial. Revue internationale de sécurité sociale, 1-2/1992. - Jean-Jacques DUPEY- ROUX : Droit de la sécurité sociale, cité dans la bibliographie, pp. 46 sv.

4 Texte annexé à la Constitution de l’OIT et faisant partie intégrante de celle-ci.

5 Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale. Tome V de La Sé- curité sociale. Son histoire à travers les textes. Association pour l’étude de l’Histoire de la Sécurité Sociale. Paris 1993, pp. 228 sv., 500 sv.

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n’écarte ainsi pas les modes de protection qui l’ont précédée, elle les intègre, dans une perspective qui se veut globale. L’OIT a mis sur pied un « modèle », destiné à inspirer les législateurs nationaux.

7. Dès les années cinquante, une croissance économique soutenue dans les pays industrialisés permet de développer les systèmes de sécurité sociale. L’OIT accom- pagne, guide cette évolution au moyen de normes plus élevées qui, de 1952 à 1988, amélioreront les standards pour toutes les éventualités classiques de la sécurité sociale6 sauf celle des charges familiales7 pour lesquelles il n’est fait qu’en passant allusion aux responsabilités de l’institution dans la Convention (N° 156) et la Recommandation (N°

165) sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, 1981. Sur la base des ins- truments adoptés en 1944/1952, l’OIT a ainsi judicieusement mis en place une sorte d’architecture normative, conçue selon une progression souple de la protection (la ratification devait être possible, nonobstant la diversité des législations et des traditions nationales). Cette stratégie a été appelée à l’origine harmonisation, avant que ce terme ne prenne une autre connotation8.

1.2.3 Les mutations

8. Depuis son origine, le monde n’a en fait pas cessé d’évoluer. Cependant, l’épo- que actuelle est marquée par une série de mutations qui sont à la fois profondes et ra-

6 Soins médicaux, indemnités de maladie, maternité, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse, invalidité, survivants, chômage, charges familiales.

7 - Convention (N° 103) et Recommandation (N° 95) concernant la protection de la ma- ternité, 1952.

- Convention (N° 121) et Recommandation (N° 121) concernant les prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles 1964.

- Convention (N° 128) et Recommandation (N° 131) concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants 1967.

- Convention (N° 130) et Recommandation (N° 134) concernant les soins médicaux et les indemnités de maladie 1969.

- Convention (N° 168) et Recommandation (N° 176) concernant la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage 1988.

8 Par distinction avec la coordination, laquelle vise l’égalité de traitement des nationaux et des non-nationaux, le maintien des droits acquis, le maintien des droits en cours d’ac- quisition, la désignation du droit (du système) applicable, la coopération administrative.

Les orientations de l’harmonisation et de la coordination sont complémentaires. L’OIT, depuis son origine, les pratique. Voir p. ex. : Guy PERRIN : L’action de l’Organisation internationale du Travail en faveur de la coordination et de l’harmonisation des légis- lations de sécurité sociale. Revue belge de sécurité sociale. [Bruxelles] 1969, août-octo- bre, pp. 76 sv.

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pides. Les contours des sociétés de demain sont encore flous pour nous. Et tout ceci in- fluence directement la sécurité sociale : son environnement change.

9. Il n’est guère possible, pour des raisons de place, de passer en revue ces muta- tions. Seule une mention, plus que rapide, peut être proposée :

a) Les besoins évoluent : la médecine, la biologie, la chimie, l’informatique ont connu une évolution extraordinaire ces dernières décennies, modifiant profon- dément l’efficacité des moyens de diagnostic et de traitement. D’autres avancées (en matière de cancers, SIDA, gérontologie) sont probables. L’allongement de la vie met en évidence la dépendance du grand âge. Les structures familiales se di- versifient et se fragilisent. Il en va de même du monde du travail, marqué de plus par un chômage persistant et important, facteur de précarisation;

b) Les valeurs évoluent : si les sociétés vieillissantes resteront vraisemblablement sensibles à l’importance de la sécurité, qu’en sera-t-il de la solidarité (entre re- venus, entre générations) ? Allons-nous vers une réduction des inégalités (entre femmes et hommes, entre groupes de la société, entre nationaux et non- nationaux) ?

c) Les points de repère économiques ont complètement changé : la globalisation est en passe de supplanter les économies nationales, l’économique bouscule le politique et conteste le social, l’évolution technologique change le paysage. Les acteurs, plus particulièrement les travailleurs et leurs représentants syndicaux sont souvent désorientés, sur la défensive. Un sentiment d’impuissance peut émerger chez ceux qui ne sont pas des « acteurs déterminants » sur le marché. La dislocation de nos sociétés est une menace;

d) L’évolution démographique comporte un élément connu - le vieillissement des populations, mais dont nous ne maîtrisons pas encore toutes les implications - et une inconnue, l’intensité des migrations internationales à venir;

e) Les débats politiques sont évidemment beaucoup plus tranchés que pendant les années de croissance, la sécurité sociale est régulièrement au centre des discus- sions9.

1.3 Le défi

10. Compte tenu des éléments qui viennent d’être rappelés, compte tenu que le be- soin de protection est en lui-même une constante liée à la condition humaine10

9 Voir l’annexe bibliographique.

, com- ment permettre aux systèmes de sécurité sociale de demain d’être au service des popula- tions, tout en étant supportables (acceptables) sur le plan économique ? Le défi est clair :

10 Guy PERRIN : Vues prospectives sur la sécurité sociale. Revue belge de sécurité so- ciale 1970, pp. 1153 sv. (p. 1154).

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il s’agit du maintien, viable sur le long terme, d’un instrument indispensable d’hu- manisation. La mise en évidence des principes directeurs de la sécurité sociale est une étape indispensable dans la recherche de réponses appropriées.

2. LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

2.1 Le droit de chaque être humain à la sécurité sociale

11. L’Organisation internationale du Travail (OIT) et les Nations Unies ont fourni un apport décisif concernant la reconnaissance du droit à la protection. L’OIT, dans le préambule de sa Constitution (1919), relève « qu’il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les priva- tions, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger, et (...) qu’il est urgent d’améliorer ces conditions ». Le texte mentionne plusieurs éléments qui concernent directement la sécurité sociale : la lutte contre le chômage, la protection des travailleurs contre les maladies et contre les accidents pro- fessionnels, la protection des enfants, des adolescents et des femmes, les pensions de vieillesse et d’invalidité, la défense des travailleurs occupés à l’étranger. L’art. 1 de la Constitution pose ainsi la fondation d’une organisation permanente chargée de réaliser une protection contre les risques mentionnés.

12. Deux éléments doivent être soulignés : - l’attention est centrée sur les travail- leurs, avec certaines préoccupations s’étendant à leur famille; - le message social con- tenu dans le préambule, malgré tous les efforts accomplis depuis 1919, reste actuel en cette fin de siècle.

13. L’OIT franchit une étape décisive en 1944 et 1946. En 1944, la Conférence gé- nérale de l’OIT adopte la Déclaration concernant les buts et objectifs de l’Organisation internationale du Travail11. Le texte relève notamment que :

- « la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous » (I, lettre c);

- « tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales; la réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit consti-

11 Connue généralement sous le nom de Déclaration de Philadelphie (lieu de son adoption, le 10 mai 1944).

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tuer le but central de toute politique nationale et internationale » (II, lettres a et b);

- « La Conférence reconnaît l’obligation solennelle pour l’Organisation internatio- nale du Travail de seconder la mise en œuvre, parmi les différentes nations du monde, de programmes propres à réaliser : (...) - f) l’extension des mesures de sécurité sociale en vue d’assurer un revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’

une telle protection, ainsi que des soins médicaux complets; g) une protection adéquate de la vie et de la santé des travailleurs dans toutes leurs occupations;

h) la protection de l’enfance et de la maternité » (III, lettres f, g, h);

- Ces principes ont une valeur universelle (V).

14. En 1946, la Déclaration est formellement annexée à la Constitution de l’OIT et l’art. 1, § 1, révisé dispose dorénavant que l’Organisation est chargée de travailler à la réalisation du programme exposé tant dans le préambule que dans la Déclaration.

15. Les enseignements à tirer de cette nouvelle étape peuvent être résumés comme suit : - la compétence de l’OIT dépasse désormais la protection des travailleurs pour s’étendre à celle de l’ensemble des êtres humains, aspect fondamental souligné par Nicolas VALTICOS et Guy PERRIN12, qui va permettre à l’OIT de jouer un rôle décisif lors de l’émergence du concept de sécurité sociale et de son développement; - le droit à la sécurité sociale conçu comme une prérogative de chaque être humain est en train de prendre forme; - à nouveau, le message social, nonobstant les avancées substantielles, reste actuel. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle le Directeur général du BIT, Michel HANSENNE, s’était prononcé contre la possibilité d’envisager l’adoption d’un instru- ment qui aurait remplacé la Déclaration de Philadelphie13 : « C’est d’abord d’un consen- sus renouvelé autour de nos valeurs communes que nous avons besoin pour nous per- mettre ensuite, en temps voulu et par les voies approuvées, de fixer nos objectifs et de déterminer notre programme d’action ».14 Dans la période de mutations profondes, par- fois angoissantes, que nous traversons, le consensus renouvelé et les valeurs communes sont assurément des mots-clés.15

16. Sur le plan des textes de principe, les Nations Unies ont porté l’évolution à son terme, en posant clairement le droit à la sécurité sociale comme droit de l’être hu-

12 Nicolas VALTICOS : Droit international du travail. 2e édition. Tome 8 du Droit du travail. Dalloz. Paris 1983, N° 102, - Guy PERRIN : Les fondements du droit interna- tional de la sécurité sociale. Droit social 1974, pp. 479 sv. (pp. 480-481).

13 CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (81e session-1994) : Rapport du Directeur général, cité dans la bibliographie, p. 25.

14 Idem, p. 26.

15 Voir également : Eddy LEE : La Déclaration de Philadelphie : rétrospective et prospec- tive. Revue internationale du Travail, vol. 133, 1994, N° 4, pp. 513 sv.

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main, en tant que tel, sans discrimination aucune. Les Nations Unies ont procédé en deux étapes. Tout d’abord par l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), dont l’art. 22 proclame que : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale (...) ». Le terme est employé alors de manière très large, mais il fait l’objet de précisions judicieuses aux art. 23 et 25 de la Déclaration.

Ces deux dispositions se réfèrent, en effet, au droit aux soins médicaux, à la sécurité en cas de maladie, de maternité, d’invalidité, de décès, de vieillesse, de chômage, à la pro- tection de l’enfance et contiennent une clause ouverte qui permet de tenir compte de l’évolution des besoins (« (...) ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsis- tance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ». (art. 25, § 1, in fine).

Ensuite, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), dont l’art. 9 reconnaît « le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales ». Cette dernière adjonction, comme l’ont souligné Jean-Jacques DUPEYROUX et Guy PERRIN16, donne de la substance à cette reconnaissance : comme les assurances sociales relient cotisations, prestations et revenus, la référence n’est pas limitée à une protection mini- male17, mais vise, au moins partiellement, l’objectif du maintien du niveau de vie. La Déclaration et le Pacte prohibent de plus toute discrimination notamment fondée sur la nationalité ou le sexe (art. 2 des deux instruments), exigeant par là un effort certain de la part des législateurs nationaux18. Le droit à la sécurité sociale est véritablement reconnu comme un droit de l’être humain, en cette qualité. Il convient aussi de souligner, du point de vue juridique, le passage d’un texte déclaratif à un instrument de type conven- tionnel, sujet à ratification et à contrôle. Comme le souligne Guy PERRIN, cela montre

« le passage progressif d’un droit théorique à un droit réel en matière de sécurité so- ciale »19.

17. La direction indiquée par les textes de principe internationaux - le droit à la sécurité sociale appartient à chaque être humain - est claire. Il va sans dire qu’elle exige des efforts très importants pour les Etats et que certains d’entre eux ne peuvent qu’ac- complir une partie du chemin. D’où l’utilité d’une concrétisation, par étapes, guidée par des instruments normatifs. C’est une approche contenue dans la Convention (N°

16 Jean-Jacques DUPEYROUX : Le droit à la sécurité sociale dans les déclarations et les pactes internationaux. Droit social 1960, pp. 365 sv. (p. 372). - Guy PERRIN : Les fon- dements du droit international de la sécurité sociale, cité à la note 12, p. 482.

17 Un filet de sécurité, pour reprendre une expression souvent employée.

18 Pour différentes raisons (financières, référence à un modèle familial traditionnel, etc.), les législations nationales ont pu opérer certaines distinctions entre nationaux et non- natio-naux, hommes et femmes, qui n’étaient pas dues à des besoins différents. Voir p.

ex. : - La sécurité sociale des travailleurs migrants. Bureau international du Travail.

Genève 1974, pp. 31 sv. - Les femmes et la sécurité sociale. Les progrès de l’égalité de traitement. Par Anne-Marie BROCAS/Anne-Marie CAILLOUX/Virginie OGET. Bu- reau international du Travail. Genève 1988.

19 Guy PERRIN : Les fondements du droit international de la sécurité sociale, cité à la note 12, p. 484.

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102) concernant la norme minimum de la sécurité sociale, dans les conventions et re- commandations qui améliorent cette norme minimum par des règles de deuxième et troisième niveaux de protection. La technique employée doit permettre des ratifications sur la base de différents types de régimes de sécurité sociale : contributifs ou non, in- conditionnels ou soumis à des conditions de ressources, professionnels ou non, etc. La référence peut donc être faite à des régimes universels (avec ou sans conditions de res- sources), à des régimes généralisés à la population économiquement active, à des ré- gimes protégeant les salariés. Prenons l’exemple relatif à l’éventualité vieillesse :

- l’Etat peut choisir la référence aux salariés : 50 % au moins de ceux-ci devront être couverts selon la Convention (N° 102), l’ensemble de ceux-ci, selon la Con- vention (N° 128);

- l’Etat peut opter pour la référence à la population économiquement active : les pourcentages respectifs seront de 20 % au moins de l’ensemble des résidents, de 75 % des économiquement actifs;

- l’Etat peut ratifier en protégeant tous les résidents dont les ressources ne dépas- sent pas des limites établies en fonction des deux instruments.

Le droit (théorique) à la sécurité sociale se concrétise ainsi par étapes, dont la réalisation effective peut être contrôlée.

18. Les Etats qui ont bénéficié d’une bonne conjoncture économique après la Se- conde guerre mondiale ont suivi cette voie et ont progressivement étendu le champ d’application personnel de leur système ou de certains de leurs régimes. Fondamentale- ment, deux voies ont été suivies : celle de l’universalisation (précédée ou non d’une protection conditionnelle), c’est-à-dire d’une protection s’étendant à l’ensemble de la population d’un pays; celle de la généralisation aux travailleurs, avec une extension aux membres de leur famille - s’il y a comblement des lacunes, la seconde voie rejoint la première. En d’autres termes, le droit à la sécurité sociale reconnu par le droit interna- tional s’est inscrit dans les législations nationales et la réalité concrète20.

19. Le principe directeur de la reconnaissance du droit à la sécurité sociale est sou- mis à deux défis importants :

a) le courant politique néo-libéral le conteste fortement, sous l’angle de sa légitimi- té et de sa capacité. D’une part, l’universalité tendrait à faire de chacun un assisté en puissance, attendant de l’Etat une protection complète contre tous les risques de la vie. D’autre part, le vieillissement des populations, qui sera marqué au XXIe siècle, joint à la globalisation de l’économie et à la concurrence internatio- nale accrue qui en résulte, rendraient indispensable un recentrage des systèmes de sécurité sociale sur les plus défavorisés (accent mis fortement sur la sélectivi-

20 Voir l’annexe bibliographique.

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té)21. Ce courant est très marqué dans les pays anglo-saxons, plus particulière- ment aux Etats Unis - pays qui ont paradoxalement fourni un apport très pré- cieux pour l’émergence même de la sécurité sociale, il suffit d’énumérer les noms de Roosevelt, Churchill et Beveridge, les Social Security Acts américains (1935) et néo-zélandais (1938) - et il prétend être le seul viable à long terme22 b) la réalisation effective du droit à la protection ne concerne qu’une minorité des

habitants de la Planète, essentiellement ceux des pays économiquement dévelop- pés. Certes, chaque Etat ou presque connaît un système de sécurité sociale, mais ce dernier ne couvre, dans les pays en développement, que quelques catégories de la population (secteur public, secteur privé structuré)

;

23. Cette réalité heurte de front la reconnaissance, sur le plan international, du droit à la sécurité sociale en tant que droit de chaque être humain.

20. Quelques fondées que puissent être certaines de ces critiques, et il serait vain de vouloir les ignorer, il n’en demeure pas moins que face aux risques de la vie, face aux dépenses engendrées par des éventualités positives - au centre des- quelles la maternité et la charge d’enfant - le droit à la sécurité sociale est destiné à demeurer le premier principe directeur. Encore faudra-t-il pouvoir transmettre et expliquer le message social qu’il contient, celui de la solidarité24, pouvoir maintenir son adéquation à l’égard des besoins et ressources, pouvoir étendre son bénéfice à ceux qui en sont privés.

2.2 Les missions de la sécurité sociale

21. Si le premier principe directeur est celui du droit à la sécurité sociale, il con- vient ensuite d’étudier son contenu. C’est faire référence aux missions assumées par la sécurité sociale. En considérant la théorie générale, le droit international, les droits na- tionaux, quelles sont les tâches fondamentales qui incombent aux systèmes de sécu- rité sociale ?

21 Averting the Old Age Crisis. Policies to Protect the Old and promote Growth. A World Bank Policy Research Report. Oxford University Press. New York 1994.

22 Voir aussi Vladimir RYS : Evolution générale de la sécurité sociale en Europe centrale et orientale. In : La sécurité sociale en Europe à l’aube du XXIe siècle, cité dans la bi- bliographie, pp. 71 sv. (pp. 86-88).

23 P. ex. : S. GUHAN : Stratégies de sécurité sociale dans les pays en développement.

Revue internationale du Travail, vol. 133, 1994, N° 1, pp. 37 sv.

24 Dont chacun, quelle que soit sa position, peut un jour avoir à bénéficier. Les avancées technologiques de toutes sortes ne doivent pas nous masquer la vulnérabilité de l’être humain. C’est sa condition.

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2.2.1 La garantie des soins de santé

22. Il peut être utile de rappeler quelques évidences :

- chaque être humain peut être atteint dans sa santé, physique ou psychique, de manière plus ou moins marquée, pour une période plus ou moins longue. Certes, la prévention des maladies et des accidents, la protection des lieux de travail et du milieu de vie font reculer les risques. Ceux-ci ne disparaissent pas cependant.

Et certaines avancées (p. ex. à l’égard de maladies infectieuses) sont contreba- lancées par des risques nouveaux (SIDA) ou dont l’importance croît avec le vieillissement de la population (cancers, maladies dégénératives, dépendance du grand âge);

- la médecine est devenue très performante, au moins dans les pays économique- ment développés, elle a utilement bénéficié des progrès de la biologie, de la chi- mie, de l’informatique. Mais cette médecine développée est devenue coûteuse;

- un droit à la santé a émergé : « Même réduite à sa dimension raisonnable, qui impose à l’Etat une obligation de moyen non plus seulement au regard de l’hy- giène du milieu, mais aussi en vue d’assurer à tous l’égale faculté de recourir aux moyens préventifs et thérapeutiques de la médecine, l’affirmation du droit à la santé a achevé de situer l’organisation des soins médicaux dans la sphère de la politique sociale assumée par la puissance publique ».25

23. Le besoin de soins de santé peut être considéré comme une constante. Il nous amène à une alternative :

- l’accès aux soins de santé représente-t-il une question individuelle (ou fami- liale) ? Il s’agit alors d’acquérir un bien si et dans la mesure où l’on bénéficie des moyens financiers nécessaires. Toujours si ces moyens sont disponibles, il est possible de s’acheter une protection, en concluant un contrat avec un assureur.

Celui-ci, œuvrant selon une perspective commerciale, cherchera les « bons risques », pratiquera ainsi la sélection et fixera les primes en fonction du risque assuré. Sous réserve des régimes Medicare et Medicaid, c’est la voie suivie par les Etats-Unis et qui est maintenue vu l’échec de la réforme envisagée par le gouvernement Clinton26

25 Guy PERRIN : Le droit à la santé et l’évolution des régimes de soins médicaux. In : ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE : Assurance- maladie et politique de santé. Documentation de sécurité sociale, série européenne, N°

2. AISS. Genève 1979, pp. 29 sv. (p. 32).

;

26 Rashi FEIN : American concepts and attitudes to social security - Health care. In : INSTITUT EUROPEEN DE SÉCURITÉ SOCIALE/EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY : American and european Perspectives on Social Security, cité dans la bibliographie, pp. 5 sv.

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- ou, au contraire, l’accès aux soins de santé est considéré comme une ques- tion sociale. Il s’agit alors de le garantir en fonction du besoin de protection, in- dépendamment de la capacité financière de l’intéressé (ou de son inexistence).

Des mécanismes collectifs, fondés sur une solidarité, doivent alors être institués.

C’est la voie indiquée par le droit international, de la Recommandation (N° 69) concernant les soins médicaux, 1944 à la Convention (N° 130) et à la Recom- mandation (N° 134) concernant les soins médicaux et les indemnités de maladie, 1969, en passant bien sûr par la Convention (N° 102) concernant la sécurité so- ciale (norme minimum), 1952. C’est la voie suivie entre autres en Europe.

24. Le droit international de la sécurité sociale place indiscutablement la garantie des soins de santé parmi les principes directeurs.

25. Son apport peut être synthétisé de la façon suivante27 :

- le droit aux soins de santé est fondé sur le principe de l’universalité, il est vrai dans des instruments non contraignants (Recommandations N° 69 et N° 134), mais conforté par les textes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme.

Des étapes intermédiaires sont posées (Conventions N° 102 et 130);

- le droit international admet aussi bien l’octroi direct des soins (service national de santé) que l’octroi indirect (assurance-maladie)28

27 Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale, cité à la note 5, pp.

228 sv., 500 sv., 558 sv. - Pierre-Yves GREBER : Les soins de santé en droit interna- tional de la sécurité sociale. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N° 15- 1995, pp. 17 sv.

. Le § 5 de la Recomman- dation (N° 69) concernant les soins médicaux, 1944 est le plus explicite à cet égard : « Les soins médicaux devraient être fournis soit par un service de soins médicaux relevant de l’assurance sociale, complété par l’assistance sociale en ce qui concerne les besoins de personnes nécessiteuses qui ne bénéficient pas en- core de l’assurance sociale, soit par un service public de soins médicaux ». Les normes de l’OIT, de portée mondiale, doivent pouvoir servir de guide à des sys- tèmes nationaux conçus de manière différente et le choix appartient aux Etats. Il est bien difficile de dire, dans l’abstrait, si un système est meilleur que les autres.

L’essentiel paraît ici plutôt résider dans la formation et l’engagement des four- nisseurs de soins, dans la qualité des équipements techniques, dans les rapports soignants-soignés, dans le coût supportable pour une économie;

28 Milton ROEMER : L’organisation des soins médicaux dans le cadre de la sécurité socia-le. Bureau international du Travail. Genève 1969, pp. 33-34. - Michel VOIRIN : L’or-ganisation administrative de la sécurité sociale. Un enjeu social et politique. Bu- reau inter-national du Travail 1991, p. 140.

(15)

- le droit international définit l’éventualité : p. ex. selon l’art. 7 de la Convention (N° 130) concernant les soins médicaux et les indemnités de maladie, 1969, l’éventualité doit comprendre le besoin de soins curatifs et préventifs29

- le droit international comprend des finalités ouvertes sur la prévention, le trai- tement et la réadaptation, avec respect du principe de l’égalité : « Tous les membres de la communauté englobés dans le service (de soins), devraient pou- voir en tout temps et lieu bénéficier de soins préventifs et curatifs complets sous les mêmes conditions et sans obstacles ou entraves de nature administrative, fi- nancière ou politique, ni autres sans relation avec leur état de santé » (§ 20 de la Recommandation (N° 69) concernant les soins médicaux, 1944;

;

- le droit international garantit expressément ou indirectement les principes clas- siques de la médecine : droit de choisir son médecin (Recommandation N° 69,

§§ 47, 48, 50 à 52), rémunération financière adéquate du médecin à la place de l’entente directe quant aux honoraires (idem, § 62), reconnaissance d’une auto- nomie large de décision (idem, § 56), prise en considération de l’importance des relations entre médecins et malades et de leurs intérêts (idem, § 46);

- le droit international contient quelques règles en matière de financement, qui doivent éviter de faire supporter une charge trop lourde aux personnes à faibles ressources (Convention N° 102, art. 71; Recommandation N° 69, § 75).

25. La garantie des soins de santé revêt également le rang d’un principe directeur de la sécurité sociale dans les Etats. Dans les pays économiquement développés, une protection large voire universelle est effectivement garantie de manière générale. Dans le sud de l’Europe, l’on a assisté à un renforcement des systèmes nationaux de santé, alors que les pays anciennement à économie planifiée avaient tendance à abandonner ce type de protection au profit de l’assurance-maladie. L’AISS et l’OCDE observent que les réformes récentes ont comme objectifs principaux : l’accès pour tous aux soins de santé; la maîtrise des coûts, qui ne devraient pas dépasser une proportion raisonnable des ressources d’un pays, compte tenu du vieillissement de la population et de la situa- tion économique; la recherche d’un meilleur rapport protection-coût30. Les pays en dé- veloppement tentent d’étendre la protection de base à davantage de catégories de la po- pulation. Les résultats sont contrastés : amélioration de certains indicateurs (espérance de vie, mesures préventives), mais augmentation des disparités entre pays et à l’intérieur de ceux-ci31.

29 Pour les soins préventifs, selon les conditions prescrites par le droit national.

30 ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE : Développe- ments et tendances de la sécurité sociale, 1993-1995, cité dans la bibliographie, pp. 89 sv. - La réforme des systèmes de santé : étude de dix-sept pays de l’OCDE. OCDE. Pa- ris 1995.

31 AISS : Développements et tendances de la sécurité sociale, 1993-1995, cité dans la bibliographie, pp. 101 sv.

(16)

26. La garantie des soins de santé représente bien un principe directeur de la sécurité sociale, ancré de longue date dans le droit international et dans certains droits nationaux (pour les pays en développement, c’est encore largement un ob- jectif). Son bien-fondé est destiné à durer. Le défi consiste à trouver l’équilibre le plus équitable entre la qualité des soins et la maîtrise des coûts, dans un contexte de vieillissement démographique (donc d’augmentation des besoins) et de difficultés éco- nomiques.

2.2.2 La garantie d’un revenu social de remplacement et la garantie de ressources de base32

27. A nouveau, il peut être utile de rappeler quelques réalités bien connues :

- chacun peut tomber malade, être accidenté, perdre son emploi et se retrouver au chômage et nécessiter ainsi un revenu de remplacement succédant à un salaire ou à un gain d’indépendant;

- la maternité et la charge d’enfants peuvent entraîner un tel besoin;

- la retraite, le décès du soutien de famille, le divorce, l’invalidité entraînent aussi la nécessité d’un revenu de remplacement;

- pour des raisons démographiques, sociales et économiques, l’actualité met en évidence les situations de dépendance (essentiellement liée au grand âge), de précarité et d’exclusion, qui nécessitent des appuis financiers et en services.

28. Ces situations évoluent dans un contexte fragilisé, tant sur le plan social (aug- mentation des divorces, des familles monoparentales, régression des mariages, p. ex.), qu’économique (chômage important et partiellement de longue durée, précarisation des emplois, globalisation), marqué par l’évolution démographique (moins de jeunes, allon- gement de la vie).

29. Derechef, il y a présence d’une alternative :

- la garantie de revenu, à court ou à long terme, plus ou moins développée, re- lève-t-elle de la responsabilité individuelle et familiale ? L’individu est alors censé assumer les risques de l’existence par l’épargne, par l’assurance privée. Un filet minimal peut être mis en place par les autorités, parce que, comme le relève si justement le préambule de la Constitution de l’OIT, l’injustice, la misère et les privations mettent en danger la paix sociale;

- ou, au contraire - et dans des limites à définir - la garantie de revenu est considérée comme une question sociale, impliquant certaines mesures, une so- lidarité, une véritable politique sociale.

32 Voir l’annexe bibliographique.

(17)

30. Dans la lignée ouverte par les assurances sociales et par l’assistance publique, le droit international de la sécurité sociale, quantité de législations nationales, ont opté pour le second terme de l’alternative. Comme pour la question de l’accès aux soins de santé, il s’agit d’un choix de société, de civilisation.

31. Ce choix n’est pas venu par hasard, mais il a été déterminé par certains facteurs : - les risques de la vie ne sont pas considérés comme une fatalité ou comme le ré- sultat d’une volonté divine. Ils représentent une donnée, sur laquelle on peut agir;

- le libéralisme économique a « commencé à faire reculer la pénurie, la famine et l’oppression des tortures sacrificielles »33

- les êtres humains ont développé des capacités techniques importantes en matière de prévision, d’appréciation et de gestion des risques;

; il faut continuer dans cette voie;

- notre siècle est caractérisé par une attente importante à l’égard de la sécurité.

Paul DURAND l’a bien mis en évidence34.

32. Mais quel niveau de revenu garantir ? Une protection minimale pour tous, une protection tendant vers le maintien du standard de vie pour les travailleurs, les deux ? En quelques mots35

33 Michel ALBERT : Capitalisme contre capitalisme, cité dans la bibliographie, p. 9.

, l’on peut rappeler que les systèmes de protection sociale ont été marqués par leurs origines. Ceux qui provenaient de mécanismes d’assistance, avec un accent mis sur la libération du besoin, ont privilégié les régimes universels offrant une protection de base. Ceux qui avaient été institués sous la forme d’assurances so- ciales, destinées essentiellement aux salariés et à leurs familles, ont principalement opté pour des régimes généralisés aux travailleurs, avec un objectif de maintien du niveau de vie. L’évolution des législations nationales a cependant montré une convergence de ces deux grands courants, d’inspiration respectivement nordique/britannique et continen- tale. Les régimes universels ont été enrichis de régimes complémentaires; les régimes généralisés ont fait l’objet de comblements. La question posée actuellement est celle de la capacité de continuer à combiner protection de base pour tous, protection amélio- rée aux travailleurs. Elle est importante : négliger la première aboutit à l’exclusion de certaines catégories de population; abandonner la seconde serait de nature à démotiver les travailleurs.

34 « L’expérience a révélé l’étendue et la gravité des risques rencontrés par l’individu au cours de sa vie. (...) bien rares sont devenus les risques insusceptibles d’assurance (...) La sagesse et l’expérience d’une population âgée s’accompagnent d’un sentiment d’insécurité devant l’avenir. Le phénomène a été aggravé par les pertes des deux grandes guerres. (...) C’est dans ce mouvement général vers la sécurité que doit être re- placé le problème de la sécurité sociale ». Paul DURAND : La politique contemporaine de sécurité sociale, cité dans la bibliographie, pp. 12 et 13.

35 Voir notamment Jean-Jacques DUPEYROUX : Droit de la sécurité sociale, cité dans la bibliographie, pp. 79 sv.

(18)

33. Quid du droit international de la sécurité sociale ? Il répond, au moins impli- citement, à ces deux attentes. En effet, l’OIT a mis en place un premier étage de protec- tion au moyen de la Convention N° 102; il s’agit d’un premier socle. L’OIT l’a ensuite amélioré par une série de conventions et de recommandations aux exigences plus sé- vères. L’architecture normative comprend ainsi trois étages de protection, se superpo- sant, deux à caractère conventionnel, un sous la forme de recommandation. En s’engageant dans la réalisation de ces normes, un Etat passe progressivement d’une pro- tection de base à une protection qui se rapproche du maintien du niveau de vie. Et ces instruments ne se bornent pas à l’utilisation de termes généraux (protection suffisante, convenable, etc.); ils se réfèrent judicieusement aux revenus antérieurs, fixant le pour- centage de ces revenus qui doit au moins être atteint par les prestations de sécurité so- ciale36. De plus, ils tiennent compte des différents types de régimes37 : à prestations mo- dulées selon le salaire ou le gain, à prestations inconditionnelles uniformes, à prestations tenant compte des ressources du bénéficiaire et de sa famille (cf. art. 65, 66 et 67 de la Convention N° 102; art. 26, 27, 28 de la Convention N° 128; §§ 22, 23 de la Recom- mandation N° 131). Une protection effective est ainsi garantie et elle est vérifiable par les organes de contrôle.

34. Une nuance doit cependant être apportée : les conventions, du moins certaines d’entre elles, peuvent être ratifiées partiellement (voir p. ex. l’art. 2 de la Convention N° 102, 1952). Un Etat peut donc tout à fait être lié pour certaines éventualités seule- ment par le droit international et demeurer en dessous des exigences de ce dernier pour les autres éventualités. Deuxième nuance : suivant le choix opéré pour la ratification, la garantie du minimum vital n’est pas nécessairement acquise. En effet, la référence faite au revenu antérieur (p. ex. selon l’art. 27 de la Convention N° 128, 1967) implique que les prestations représentent un pourcentage défini de ce revenu, un plafond pouvant être fixé par l’Etat. Or, ce pourcentage, rapporté à des revenus faibles pourra se situer en dessous du minimum vital. Enfin, l’universalité est loin d’être généralement exigée.

35. D’une manière générale cependant, le droit international de la sécurité so- ciale tend à garantir un revenu social de remplacement et des ressources de base. Il gagnerait à formuler ces objectifs de manière plus claire, par exemple dans une nou- velle recommandation sur les principes directeurs de la sécurité sociale. Une inspiration

36 Exemple : soit un homme ayant atteint l’âge de la retraite, dont l’épouse a aussi l’âge d’ouverture à pension et soit un Etat qui a ratifié la Convention (N° 128) concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants, 1967 en se référant à l’art. 27 de cet instrument (disposition applicable aux régimes inconditionnels dont les prestations varient selon le gain du bénéficiaire). La pension de vieillesse devra être au moins égale à 45 % du gain antérieur du bénéficiaire (étant précisé que ce pourcentage ne doit pas être observé pour toute la gamme des gains réalisés dans un pays : un plafond peut être fixé par l’Etat qui ratifie, en vertu de l’art. 27, § 3 de ladite convention).

37 Voir la typologie établie pour les pensions par Jean-Victor GRUAT : Le débat capitali- sation/répartition : Quelques uns des enjeux. Regards. CNESS, 1996.

(19)

peut être recherchée, à cet égard, dans la Recommandation du Conseil38 du 27 juillet 1992 relative à la convergence des objectifs et politiques de protection sociale (92/442/

CEE)39; ce texte décrit les missions de la sécurité sociale, telles que recommandées aux Membres de l’Union européenne, au titre desquelles figurent la garantie universelle d’un

« niveau de ressources conforme à la dignité humaine » et la garantie aux travailleurs, atteints par une éventualité (maladie, retraite, etc.), d’un revenu de remplacement « pré- servant leur niveau de vie d’une manière raisonnable, en fonction de leur participation à des régimes de sécurité sociale appropriés » (I, A, 1, lettres a et d).

36. Au vu des éléments examinés, il apparaît que la garantie d’un revenu social de remplacement tout comme la garantie de ressources de base - ou conformes à la dignité humaine, pour reprendre une formulation communautaire - représentent des principes directeurs de la sécurité sociale, ancrés dans la théorie générale, le droit international (comme européen), les droits nationaux. Dans la période actuelle, caractérisée notamment par le vieillissement des populations et l’incertitude écono- mique, l’accent des politiques nationales est mis sur le maintien, autant que pos- sible40, de la protection; deux aspects sont cependant développés : les garanties mi- nimales de ressources et d’insertion, d’une part, la prise en charge de la dépendance, d’autre part. En effet, dans le premier cas, il s’agit tout en remontant à l’une des sources de la sécurité sociale - la libération de la misère et de la pauvreté41 - d’éviter de nos jours l’éclatement de sociétés même économiquement développées42. Dans le second, une double poussée est exercée par l’évolution démographique (allongement de la vie) et socio-économique (accroissement de l’activité professionnelle des femmes sans que celles-ci soient suffisamment relayées par les hommes)43.

2.2.3 La garantie d’insertion, de réinsertion et de valorisation des ressources hu- maines

37. De nouveau, un simple rappel peut s’avérer utile :

- certaines personnes commencent leur parcours terrestre de manière difficile, frappées dès leur naissance ou leur jeune âge par la maladie, physique ou psy- chique;

38 De la Communauté européenne.

39 Journal officiel des Communautés européennes, du 26 août 1992, N° L 245/49.

40 AISS : Développements et tendances de la sécurité sociale, cité dans la bibliographie, pp. 19 sv.

41 L’on peut rappeler à cet égard que ce fut l’un des objectifs du Rapport Beveridge (cf.

William BEVERIDGE : Social Insurance and Allied Services, cité à la note 3, §§ 11 et suivants).

42 Voir l’annexe bibliographique.

43 Voir l’annexe bibliographique.

(20)

- d’autres sont écartées de leur « cheminement normal » par des atteintes à la san- té, par d’autres chocs (tel un divorce, la mort d’un proche), par un licenciement, par l’obsolescence de leurs connaissances professionnelles;

- d’autres vivent des situations d’exclusion dont les causes peuvent être multiples;

- d’autres enfin, à un moment donné de leur vie, souhaitent changer d’orientation, commencer peut-être de nouvelles études, s’engager dans un nouveau projet (so- cial, humanitaire, culturel, artisanal, artistique, etc.)

Les situations vont du subi au choisi. Elles entraînent plus qu’un besoin de res- sources : des conseils, des services, un accompagnement pour les dernières années de vie pendant lesquelles la capacité d’indépendance faiblit. L’accélération des mutations, notamment économiques et technologiques, exerce certainement une pression dans ce domaine.

38. Dans un discours récent, le Directeur général du Bureau international du Travail, Michel HANSENNE, a mis en évidence la dimension économique de l’enjeu : « A l’échelle nationale, le rôle important de la cohésion sociale sur les résultats économiques ne devrait jamais être oublié. Une économie déchirée par des troubles sociaux ne saurait engendrer pendant longtemps des améliorations sur le plan matériel. La mise en valeur des ressources humaines est probablement l’instrument le plus efficace dont disposent les gouvernements pour promouvoir en même temps la justice sociale et la performance économique. La promotion d’un accès plus facile et plus juste à l’enseignement et à la formation est une importante dimension de l’équité. (...) Deuxième élément de réflexion : le nécessaire élargissement du modèle social pour tenir compte des phénomènes d’exclusion. Nombre de pays européens doivent aujourd’hui faire face à nouveau à un accroissement de la pauvreté et de la marginalisation. Ces phénomènes sont très souvent liés à un processus d’exclusion du monde du travail (...) ou de précarisation du marché du travail (...). Les mécanismes de sécurité sociale s’avèrent dans nombre de cas impuis- sants pour régler de telles situations. Et cela d’autant plus que l’exclusion totale ou par- tielle du marché du travail révèle ou accentue d’autres fragilités de ces populations dites à risque. La mise à l’écart économique conduit de plus en plus de gens à l’exclusion sociale. En raison de leur dispersion, de leur faible pouvoir de négociation (de leur ca- pacité très limitée à mener une action collective), il paraît difficile que ces catégories de personnes, puissent défendre seules leurs intérêts propres. L’exclusion appelle à des formes d’expression et de représentation renouvelées »44.

39. Le défi est, en effet, grand. Pour nos sociétés d’abord : « La seule question est : quelle humanité voulons-nous construire ? Pour y répondre, il faut choisir le regard que

44 ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL : Allocution de M. Michel HANSENNE, Directeur général, Bureau international du Travail, à l’occasion de la Conférence sur la politique sociale et les performances économiques. Amsterdam, 23 janvier 1997.

(21)

nous portons sur nous-mêmes et sur les autres » (JACCARD)45. Pour la sécurité sociale ensuite, qui doit développer sa capacité de répondre à l’exclusion, qui doit soutenir l’intégration, c’est-à-dire la participation possible à la vie sociale, encourager la valori- sation des ressources humaines.

40. Plutôt qu’une alternative, la combinaison d’efforts privés et publics paraît aller de soi. L’intégration dans une société, avec respect de la liberté individuelle, est l’affaire de chacun, des familles, des rapports de voisinage et professionnels, des mouvements associatifs, religieux, idéaux. C’est le « tissage continuel d’une toile de vie, de société », où chacun devrait pouvoir trouver une place. Combinaison de droits et de devoirs.

L’expérience montre que cette intégration ne va pas de soi. Les politiques sociales, les systèmes de sécurité sociale sont ainsi appelés à apporter leur contribution, mettant en œuvre des flux financiers comme des services.

41. Le droit international de la sécurité sociale comprend ainsi un volet impor- tant consacré aux personnes handicapées. L’Assemblée générale des Nations Unies a notamment adopté, le 9 décembre 1975, une Déclaration des droits des personnes handi- capées (résolution 3447, XXX), axée sur l’acquisition de l’autonomie la plus large pos- sible, couvrant les aspects médicaux, sociaux et professionnels. L’Organisation interna- tionale du Travail a adopté en deux étapes un ensemble de normes consacré à l’adaptation et à la réadaptation professionnelle ainsi qu’à l’emploi des personnes han- dicapées46. Ces instruments portent sur les politiques et mesures générales (nécessité d’une réflexion globale et renouvelée, accessibilité des mesures pour tous les intéressés, promotion de l’emploi, égalité des chances, consultation des organisations représenta- tives, mise en œuvre par voie de législation nationale ou par d’autres méthodes, prise en compte des spécificités des zones rurales)47

45 Albert JACCARD : Inventer l’homme. Editions Complexe. Bruxelles 1984/1991, pp.

182-183.

, sur l’orientation et la formation profes- sionnelle (création ou développement de services spécialisés, suggestions de méthodes, notion large de formation, exercice dans la mesure du possible d’une activité écono- mique), sur l’emploi (incitations financières à l’égard des employeurs, créations d’emploi, suppression des barrières architecturales, placement, emplois protégés), sur l’accès aux services d’adaptation et de réadaptation (diffusion de l’information, gra- tuité de l’accès, aides financières), sur l’organisation de la réadaptation profession- nelle (responsabilité des institutions de sécurité sociale, collaboration avec des institu- tions publiques et privées, qualifications du personnel). Il est évident que la conjoncture

46 - Recommandation (N° 99) concernant l’adaptation et la réadaptation professionnelles des invalides, 1955.

- Convention (N° 159) et Recommandation (N° 168) concernant la réadaptation profes- sionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983.

47 CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (68e session-1982) : Rapport VI (1) : Réadaptation professionnelle. BIT. Genève 1981, p. 29.

(22)

économique actuelle rend plus difficile l’application de telles normes, si déjà les per- sonnes en bonne santé ont de la peine à retrouver un emploi.

42. Le droit international de la sécurité sociale et la politique actuelle de l’OIT contiennent aussi un volet important consacré à la protection contre le chômage et à la promotion de l’emploi. L’Organisation internationale du Travail a adopté plusieurs instruments de sécurité sociale y relatifs48. On peut se borner à rappeler ici que les plus récents, la Convention N° 168 et la Recommandation N° 176 relient l’emploi et la sécu- rité sociale, les deux devant être coordonnés sur le plan national; d’autre part, l’application doit être faite en consultation et en collaboration avec les partenaires so- ciaux. La promotion du plein emploi doit être considérée comme un objectif prioritaire, qui tiendra compte des catégories de personnes désavantagées (femmes, jeunes travail- leurs, personnes handicapées ou âgées, chômeurs de longue durée, migrants, travailleurs affectés par des changements de nature structurelle). Les dispositions relatives à l’insertion et à la réinsertion comprennent notamment : des règles particulières pour les nouveaux demandeurs d’emploi, qui devraient progressivement être inclus dans la pro- tection; des aides à la mobilité professionnelle et géographique; une définition du travail convenable que le chômeur ne peut refuser d’accepter; la coordination avec les autres régimes de sécurité sociale, en particulier ceux de soins de santé et de retraite. Dans son rapport à la Conférence, présenté lors du 75e anniversaire de l’Organisation internatio- nale du Travail, le Directeur général du BIT a souligné que : « La création d’emplois productifs et librement choisis constitue incontestablement la priorité absolue des res- ponsables politiques du monde entier. Elle doit donc être au cœur des activités de l’OIT dans les prochaines années ».49 Sur cette base, le BIT présente périodiquement un rap- port sur l’emploi dans le monde, qui combine observations et incitations. Dans un monde qui est de plus en plus « gouverné » par des considérations économiques, l’OIT joue ainsi un rôle indispensable de sentinelle, chargée de rappeler constamment l’équilibre indispensable entre le social et l’économique.

43. La lutte contre l’exclusion et la pauvreté, qui implique un principe directeur consacré à la garantie de ressources de base, met aussi en œuvre des prestations de ser-

48 - Recommandation (N° 67) concernant la garantie des moyens d’existence, 1944 (§§ 5, 7, 14 notamment).

- Convention (N° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952 (Partie IV).

- Convention (N° 168) et Recommandation (N° 176) concernant la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage, 1988.

Voir notamment : Daniele CATTANEO : Les mesures préventives et de réadaptation de l’assurance-chômage. Prévention du chômage et aide à la formation en droit suisse, in- ternational et européen. Faculté de Droit de Genève. Helbing & Lichtenhahn. Ba- sel/Frankfurt am Main 1992, pp. 145 sv.

49 CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (81e session-1994) : Rapport du Directeur général, cité dans la bibliographie, p. 95.

(23)

vices : information, discussions, conseils, opportunités d’exercer une activité écono- mique ou d’utilité publique, une formation. Elle a des liens avec l’accès aux soins de santé et avec le logement. L’aide dans toute la mesure du possible doit permettre aux bénéficiaires de retrouver une autonomie, un projet. La difficulté consiste à apporter une aide suffisante sans « enfermer le bénéficiaire dans le piège de la pauvreté ». Il faut en effet que la reprise d’une activité rémunérée, si elle est possible, demeure attractive et que les efforts accomplis par l’intéressé n’aboutissent pas à péjorer sa situation (éviter que la perte d’avantages sociaux ne soit plus grande que l’autonomie retrouvée). Le rap- port du BIT « La sécurité sociale à l’horizon 2000 » relève que les services sociaux peuvent exercer des fonctions de prévention, de protection - de ceux dont la sécurité ou le bien-être sont menacés -, de réadaptation - à l’égard de ceux qui sont en marge de la vie sociale normale - et de développement des potentialités - pour ceux qui ont be- soin d’être appuyés. Ses auteurs soulignent que : « Les services sociaux, non moins que les services de santé, peuvent apporter une contribution majeure à la qualité de la vie des individus et des familles ».50

44. Un point doit encore être rappelé : le lien entre droits (prestations) et devoirs.

La personne handicapée (que le handicap soit physique, mental ou social) va non seule- ment bénéficier d’une protection (en espèces, en services), mais elle aura l’obligation de se réadapter si et dans la mesure où cela est possible51. La personne au chômage doit être « capable de travailler, disponible pour le travail et effectivement en quête d’emploi » (art. 10, § 1, de la Convention (N° 168) concernant la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage, 1988), elle doit utiliser les services mis à sa disposi- tion et elle ne peut pas négliger un emploi convenable (idem, art. 20, lettre f). Certains programmes de lutte contre l’exclusion impliquent également une contrepartie du béné- ficiaire. L’AISS relève que, sous la pression de la récession économique et des pro- blèmes de financement qui vont de pair avec elle, les législateurs nationaux ont tendance à renforcer nettement l’incitation à la reprise d’un travail52.

50 BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL : La sécurité sociale à l’horizon 2000, cité dans la bibliographie, pp. 78-79.

51 Par exemple, l’art. 32, § 1, lettre f, de la Convention N° 128 concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants (1967) permet la suspension, dans une me- sure prescrite par le droit national, des prestations « lorsque l’intéressé néglige sans rai- son valable d’utiliser les services médicaux ou les services de rééducation qui sont à sa disposition ».

52 AISS : Développements et tendances de la sécurité sociale, 1993-1995, cité dans la bibliographie, p. 128 (avec indications sur une série de réformes nationales, pp. 129 sv.). - Dans le même sens, voir Reinoud DOESCHOT/Corrie MEUS : Les mesures d’incitation financière en matière de sécurité sociale. In : AISS : La sécurité sociale demain : permanence et changements, cité dans la bibliographie, pp. 217 sv. - Neil GILBERT : Du droit aux prestations aux mesures d’incitation. L’évolution de la philo- sophie de la protection sociale. Revue internationale de sécurité sociale, 3/1992, pp. 5 sv.

(24)

45. La garantie d’insertion, de réinsertion et valorisation des ressources hu- maines représente ainsi un principe directeur de la sécurité sociale. Celui-ci met en œuvre une série d’efforts publics et privés. Le droit international consacre un cer- tain nombre de dispositions spécifiques aux personnes handicapées, au lien entre la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage. Il est nettement moins profilé en matière de lutte contre l’exclusion, où l’avancée est plutôt le fait de légi- slateurs nationaux. Ceux-ci ont tendance à renforcer « l’aspect devoirs » ou, si l’on préfère, les incitations à la reprise d’un travail.

2.2.4 Bilan intermédiaire : rationalité et limites du concept de sécurité sociale

46. Arrivé à ce stade du rapport, un bref bilan intermédiaire peut être proposé. Cinq principes directeurs ont été analysés. Le plus fondamental est celui qui correspond au droit à la sécurité sociale. Les quatre principes directeurs suivants, qui concernent la garantie des soins de santé, la garantie d’un revenu social de remplacement, la garantie de ressources de base, la garantie d’insertion et de valorisation des res- sources humaines correspondent à des fonctions constitutives de la sécurité sociale; ils donnent du contenu au droit à la sécurité sociale. Il apparaît que l’on est ici vraiment en présence du cœur même de la sécurité sociale. Et ces cinq principes directeurs mon- trent la rationalité du concept de sécurité sociale. C’est ce qui a permis, et devrait permettre, à l’institution d’exercer un effet dynamique, d’être une pièce maîtresse de l’Etat moderne.

47. Le concept de sécurité sociale met l’accent sur les missions tout en étant très souple quant aux modalités : les assurances sociales, l’assistance sociale, le service public sont devenus des techniques au service de l’institution53. Il y a indéniablement une simplification énorme par rapport à la période d’avant guerre : une vision globale, tant pour le champ d’application personnel et matériel que pour la protection, a été dé- gagée, au service des êtres humains.

48. Et pourtant, à quelques exceptions près (pays nordiques notamment), les sys- tèmes nationaux de sécurité sociale ne sont ni simples ni rationnels. Il y a le passage de la théorie (le concept international) à la pratique (la mise sur pied, concrète, d’un sys- tème national). Le droit international joue un rôle de guide; il indique des buts, dessine une architecture générale, des perspectives. Les législateurs nationaux adoptent des

53 Alexandre BERENSTEIN : La Suisse et le développement international de la sécurité sociale. Schweizerische Zeitschrift für Sozialversicherung [Bern] 1981, pp. 161 sv.

(spécialement p. 167). - Albert DELPEREE : Assistance publique et sécurité sociale.

Revue belge de sécurité sociale 1973, pp. 703 sv. - Pierre LAROQUE : De l’assurance sociale à la sécurité sociale. Revue internationale du Travail 1948, vol. 57, pp. 621 sv.

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