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Reference
Du Temps et des chiffres
AMEZ-DROZ, Philippe René
Abstract
Chronique Planète Réseaux. Commentaire du rachat du Temps sous l'angle de l'économie des médias et des indicateurs REMP / Net-Metrix sur les audiences du quotidien, son taux de pénétration. Mise en perspective du titre dans un contexte plus national et sous l'angle de la mutation digitale de la presse écrite.
AMEZ-DROZ, Philippe René. Du Temps et des chiffres. La Tribune de Genève , 2020
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:144908
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Date: 05.11.2020
Tribune de Genève 1204 Genève 022/ 322 40 00 https://www.tdg.ch/
Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse journ./hebd.
Tirage: 31'282
Parution: 6x/semaine N° de thème: 377.116
Ordre: 1094772 Page: 8
Surface: 28'303 mm²
Référence: 78830670
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Du «Temps»
et des chiffres
Planète Réseaux Philippe Amez-Droz
Chargé de cours au Medi@lab UNIGE
Salué comme une «bonne nou- velle» par les observateurs de l'écosystème médiatique de Suisse, le rachat du quotidien
«Le Temps» par la fondation Aventinus est apparemment da- vantage une «affaire de coeur»
que de chiffres. La preuve: pas un seul chiffre n'est dévoilé par les acteurs de cette transaction, à savoir le groupe Ringier et la fondation Aventinus.
À la lecture des interviews don- nées par François Longchamp, président de la fondation, on ap- prend tout de même que le contrat de 300 pages a nécessité trente minutes pour en valider le contenu. C'est donc qu'il a tout de même fallu parler
«chiffres» avant de tout rame- ner, communication oblige, à une «affaire de coeur», de «ci- visme» ou de «sauvetage» d'un titre présenté comme garant d'une certaine qualité journalis- tique. Soit. En matière de trans- parence, les médias exigent da- vantage de clarté lorsqu'ils en appliquent le principe aux en- treprises extérieures à leur mi- crocosme. En cela, la «bonne nouvelle» peut inspirer de l'in- quiétude quant à sa gouver- nance future.
Revenons dès lors aux chiffres.
Comment se porte «Le Temps» et quelle est sa valeur? Les indica- teurs d'audience sont plutôt bons en termes d'audience totale (lec- teurs imprimés et lecteurs en ligne). Selon les chiffres 2019 de la REMP (l'institut de recherches et études des médias publicitaires), elle s'est élevée à quelque 171'000 lecteurs, soit une progression de +40% par rapport à 2016.
Les chiffres d'audiences cumu- lés fournissent des résultats qui, comme l'indique l'intitulé de la REMP, servent à proposer le produit médiatique à des annon- ceurs. Or, et c'est le drame épique de la presse d'informa- tion, le succès d'audience n'est pas gage de succès financier.
Pour une raison connue: l'éro- sion lente mais continue du lec- torat abonné se double d'une chute abyssale des revenus issus de la publicité. Aux déficits structurels de la presse papier (les coûts de la distribution sont élevés et les économies d'échelle de sa production exigent de plus en plus de regroupements de titres) s'ajoute une crise du mo- dèle économique. Pour le dire autrement, l'audience n'est plus garante des revenus qui fi- nancent le modèle éditorial. Ce qui explique le recours au mécé- nat.
En comparaison avec d'autres titres, le taux de pénétration (autre indicateur de l'efficience d'un titre de presse par rapport à un marché donné) du «Temps»
est satisfaisant, sans plus. Selon l'étude Audience Totale 2020 de
la REMP et l'institut spécialisé NET-Metrix, ce taux est de 107 (pour une projection de 1000) pour «Le Temps», de 94 pour la
«Tribune de Genève», de 146 pour «24heures», de 111 pour «Le Nouvelliste», de 242 pour la
«NZZ» et de... 497 pour l'édition romande de «20Minutes».
Cela souligne l'impact de la gra- tuité sur les habitudes de consommation de l'information au détriment des titres payants.
Des chiffres certes à relativiser si l'on prend en compte la straté- gie dite de niche ou de club de titres payants qui ne visent pas une «masse» mais plutôt une
«communauté» de lecteurs, atti- rés par la ligne éditoriale et les opinions partagées. L'extension de la gratuité de l'information, avec Watson.ch et Blick.ch en Suisse romande dès 2021, va en- core accroître la pression sur les médias régionaux payants.
Quotidien qualifié de référence, quel est l'impact du «Temps»
sur l'opinion publique? L'étude Monitoring médias Suisse, sur mandat de l'Office fédéral de la communication (OFCOM), four- nit un indicateur fiable. L'en- quête publiée en janvier 2020 livre des résultats révélateurs du duopole qui caractérise au- jourd'hui l'écosystème média- tique suisse: la SSR et le groupe Tamedia sont de loin les plus in- fluents sur l'opinion avec des in- dices de 35 et de 16, loin devant NZZ-Mediengruppe (6), AZ Me- dien (5) et Ringier (5).
À bien considérer les chiffres ac- cessibles, il est raisonnable de considérer qu'il était préférable qu'une telle cession soit d'abord et surtout une «affaire de coeur».