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L'organisation temporelle des discours. Une approche de psychologie du langage

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L'organisation temporelle des discours. Une approche de psychologie du langage

BRONCKART, Jean-Paul

BRONCKART, Jean-Paul. L'organisation temporelle des discours. Une approche de psychologie du langage. Langue Française, 1993, no. 97, p. 3-13

DOI : 10.3406/lfr.1993.5823

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:37331

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M. Jean-Paul Bronckart

L'organisation temporelle des discours. Une approche de psychologie du langage

In: Langue française. N°97, 1993. pp. 3-13.

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Bronckart Jean-Paul. L'organisation temporelle des discours. Une approche de psychologie du langage. In: Langue française.

N°97, 1993. pp. 3-13.

doi : 10.3406/lfr.1993.5823

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1993_num_97_1_5823

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Jean-Paul BRONCKART Université de Genève

L'ORGANISATION TEMPORELLE DES DISCOURS Une approche de psychologie du langage

La démarche présentée dans ce numéro s'inscrit dans le cadre d'une psychol ogie qui se donne comme objet central les actions humaines, à savoir ces structures de comportements socialement orientées, au travers desquelles l'activité de l'espèce humaine se matérialise, et auxquelles participent un ou plusieurs « agents » singuliers.

Comme le propose aujourd'hui la sociologie comprehensive d'Habermas (1987) ou de Ricœur (1986), l'action est d'abord sociale, en ce sens que le contexte qui la définit (qui la rend interprétable) est constitué par les réseaux de coordonnées formelles (de représentations) construites par le groupe au cours de son histoire : coordonnées relatives au « monde objectif», sur la base desquelles sont évaluées les prétentions de l'action à la vérité (et en conséquence à l'efficacité) ; coordonnées relatives au « monde social », sur la base desquelles sont évaluées ses prétentions à la justesse (conformité aux normes) ; coordonnées relatives au « monde subjectif»

enfin, sur la base desquelles sont évaluées ses prétentions à l'authenticité. Dans cette perspective, la problématique de la psychologie générale est d'abord d'éluci

der les modalités de participation d'un agent (d'un « sujet psychologique ») à ces structures socialement organisées : quelle est sa part de responsabilité dans le déroulement de l'action ? Elle est ensuite d'analyser la structure et le fonctionne

ment des connaissances que se construit l'agent, dans le cadre de sa participation aux actions sociales. La psychologie du langage quant à elle poursuit ces deux démarches en se centrant sur une forme d'action particulière, la produc tion/compréhension verbale. Elle vise dès lors d'abord à comprendre le fonction nement « pratique » des actions langagières et ensuite à expliquer leur contribution à la construction des connaissances humaines.

Les actions langagières exercent une fonction générale de médiation des autres actions humaines, qui se réalise sous trois modalités (cf. Bronckart, 1992). Le langage constitue d'abord la condition même de construction des coordonnées formelles définissant les contextes d'action (le symbolisme est « auteur » des mondes objectif, social et subjectif) ; il est ensuite le medium au travers duquel un agent singulier a accès à ces mondes. Enfin, il se réalise concrètement sous forme de discours, c'est-à-dire de structures plus ou moins spécifiques qui re-configurent les actions sociales et au travers desquelles les humains apprennent à se comprendre.

Formes d'objectivation des représentations que se forgent les humains des modal ités de leur participation aux actions, les discours constituent donc les traces privilégiées des mécanismes de construction de la « raison pratique ».

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Par cette mise en contexte lapidaire, nous avons voulu signaler que le but ultime des travaux présentés dans ce numéro est de contribuer, au travers de l'analyse de la structuration des discours, à la compréhension des déterminations de la raison pratique. Dans ce qui suit, nous ferons cependant abstraction de cette signification psychologique générale de nos travaux, pour nous centrer sur ses aspects plus techniques et plus spécifiquement linguistiques. Nous présenterons d'abord les aspects essentiels de notre cadre théorique de référence et de notre démarche méthodologique générale, puis nous présenterons succinctement les cinq recherches empiriques rassemblées dans ce numéro.

1. L'action langagière, son réfèrent et son contexte

Comme toute action humaine, l'action langagière se déploie dans un espace régi par des attentes, des usages et des normes, espace que nous désignerons par le terme volontairement vague de lieu social. Dans ce lieu, interagissent des agents producteurs et/ou récepteurs de langage, que nous désignerons respectivement par les termes d'énonciateur et de destinataire. Ces deux types d'interactants se définissent par leur position sociale (le « rôle » qu'ils jouent dans l'interaction : parent, enseignant, client, etc.) et par l'ensemble de leurs caractéristiques psycho logiques (cognitives, affectives, etc.). Entre les interactants, se nouent enfin des relations complexes de but ou de visée, qui ont trait à la fois au monde objectif (modifier un état du monde, état qui inclut notamment les représentations du destinataire), au monde social (contribuer au renforcement des normes en usage, ou les contester) et au monde subjectif (montrer quelque chose de soi, par le « style » même de l'action engagée).

À ces quatre paramètres qui définissent le contexte social de l'action langa gière, doit être adjoint un second ensemble de paramètres définissant son contexte matériel. Toute production verbale constitue aussi un acte concret, émanant d'un émetteur, éventuellement en présence d'un récepteur, l'une et l'autre de ces entités matérielles étant situées dans les coordonnées du temps et de l'espace. C'est ce second aspect du contexte que l'on appelle habituellement « situation d'énoncia- tion ».

L'action langagière véhicule enfin des signes, c'est-à-dire des entités formelles qui, dans le cadre des contraintes de l'organisation des signifiants d'une langue naturelle donnée, subsument des signifiés, c'est-à-dire des agrégats de représenta tions du monde disponibles dans la mémoire des interactants. Le réfèrent d'une action langagière peut dès lors être défini comme la somme des représentations cognitives qui se trouveront mobilisées par les signes utilisés.

Cette première conceptualisation appelle deux remarques.

a) Le contexte social, le contexte physique et le réfèrent sont des construc tions psychologiques (même l'identité de l'émetteur doit se construire dans les premières années de la vie) ; ces constructions sont mobilisées au moment même de la production d'une action langagière et elles en constituent donc partiellement un produit.

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b) L'action langagière se définit entièrement du point de vue psychologique, c'est-à-dire sans préjuger des caractéristiques linguistiques des textes qui l'objec tiveront (exemple d'action : dans le lieu social « université », un émetteur ayant le statut d'enseignant, prend la parole à un moment X et en un lieu Z, pour convaincre des récepteurs ayant le statut d'étudiants, de lire l'entièreté de l'œuvre de Skinner). Elle constitue la base à partir de laquelle des « décisions linguistiques » seront prises, qui aboutiront à la réalisation d'un texte concret.

2. Texte, discours et opérations langagières

Nous définirons le texte comme le matériau linguistique brut au travers duquel se réalise l'action langagière. Ce matériau exhibe nécessairement les caractéristiques morpho-syntaxiques et lexicales propres à une langue naturelle, et il manifeste d'emblée certains des effets du contexte social dans lequel il a été produit. Les décisions de lexicalisation notamment (choix de coder un ensemble de représentat ions cognitives par l'un des signifiants disponibles « en langue ») s'opèrent manifestement sous le contrôle des paramètres du contexte social. Dans ce qui suit, nous nous centrerons sur trois ensembles de décisions (ou opérations langagières) qui nous paraissent déterminantes pour la structuration temporelle des discours.

Nous renvoyons le lecteur à Bronckart et al. (1985) pour une présentation plus complète de ces opérations.

2.1. Le choix d'un type de discours

Même si leur importance (et leur signification même) ont pu être contestées (cf., par exemple, Maingueneau, 1984), les questions typologiques se posent immanquablement dès lors que sont attestées, dans le cadre de toutes les langues naturelles, des modalités différentes d'organisation des énoncés, c'est-à-dire des genres ou types de discours, et dès lors surtout que le caractère socio-historique de ces genres a été clairement démontré (cf. Bakhtine, 1979). À un état donné du développement d'une langue, plusieurs types discursifs co-existent donc, et la première opération langagière consiste précisément à choisir le type qui sera le plus pertinent et le plus efficace pour concrétiser une action langagière donnée. Pour en revenir à notre exemple, dans le but de convaincre ses étudiants de l'urgence de lire Skinner, le professeur peut, soit engager avec eux un dialogue à caractère maïeutique, soit raconter l'histoire de sa découverte de cette œuvre, soit encore exposer les notions fondamentales qu'elle introduit, ce qui signifie qu'il choisira d'adopter un des « modèles » discursifs disponibles en français contemporain. Les paramètres généraux de l'action langagière constituent donc une base d'orientation pour la décision qui sera prise par l'énonciateur.

D'un point de vue psychologique, cette décision repose sur deux « calculs » binaires. Le premier concerne le réfèrent. Soit les événements et/ou états verbalisés sont « mis à distance » de la situation d'interaction ; ils se déclenchent dans ce cas

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à un moment du temps (« origine ») et sont organisés chronologiquement. Soit les événements ou états verbalisés restent « présents » à la situation d'interaction et dans ce cas, ni Г« origine temporelle » ni l'organisation chronologique ne sont nécessaires. Ce premier calcul introduit l'opposition entre l'ordre du RACONTER et l'ordre de l'EXPOSER, que nous préférerons, pour des raisons terminologiques évidentes, à l'opposition identique que Benveniste établit entre ordre de l'HISTOIRE et ordre du DISCOURS. Le second calcul a trait à la situation matérielle d'énoncia- tion. Soit le discours s'articule explicitement à un ou plusieurs paramètres de cette situation (émetteur-récepteur, espace-temps de production), et dans ce cas, des unités déictiques sont nécessairement produites (ordre de l'iMPLI CATION). Soit le discours est construit dans une relation d'indépendance par rapport à ces mêmes paramètres, et dans ce cas, les unités déictiques sont exclues (ordre de l'AUTONO- MIE). En croisant ces deux oppositions, on obtient un premier tableau des architypes discursifs, pour lesquels nous avons proposé les appellations suivantes :

— Ordre de l'EXPOSER et de l'iMPLICATION : discours interactif, dont l'exem ple le plus clair serait le dialogue conversationnel ;

— Ordre de l'EXPOSER et de l'AUTONOMIE : discours théorique, dont l'exemple le plus clair serait un monologue informatif ;

— Ordre du RACONTER et de l'iMPLICATION : récit, c'est-à-dire discours avec origine déictique (« hier », « il y a quinze jours », etc.) ;

— Ordre du RACONTER et de l'AUTONOMIE : narration, c'est-à-dire discours avec origine anaphorique (« Le 12 décembre 1935 », « il était une fois », etc.).

Telles que nous venons de les définir, les opérations de choix d'un prototype discursif ont un statut exclusivement psychologique. Même si, comme l'ont démontré des recherches antérieures portant sur l'allemand, sur le basque (Plazao- la, 1988) ou sur le français (Bronckart et al., 1985), elles se traduisent au niveau du texte par des différences significatives de distributions d'unités linguistiques, elles ne permettent pas de prédire les configurations d'unités linguistiques précises qui seront effectivement produites. Cette limitation tient à deux raisons (au moins).

Tout d'abord, dans le cadre d'une même langue naturelle, il n'est pas rare que plusieurs paradigmes d'unités soient en concurrence pour un architype discursif donné, et le choix de l'un de ces sous-systèmes dépend d'autres facteurs que ceux mentionnés jusqu'ici. En français, par exemple, l'architype narratif peut être construit avec une base temporelle « présent historique » aussi bien qu'avec une base temporelle passé simple/imparfait (cf. plus loin). Ensuite, les différentes langues peuvent adopter des moyens différents pour signaler les différences entre architypes psychologiques et elles marquent ces différences avec plus ou moins de netteté. Si, en français, la différence entre récit et narration est marquée à la fois par le système des temps (PC/IMP vs PS/IMP) et par le système des pronoms (présence vs absence des déictiques), en allemand, seul ce second marquage est utilisé. A l'inverse, si le français utilise une même base temporelle pour l'ensemble des discours de l'ordre de l'EXPOSER (discours interactif et discours théorique), la langue basque, qui dispose de trois formes de présent, exploite cette ressource pour marquer la différence entre discours interactif et discours théorique (cf. Bronckart

& Bourdin dans ce numéro).

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La problématique typologique est en outre confrontée à l'hétérogénéité manifeste de nombre de textes. Il peut certes arriver qu'une action langagière se concrétise par la production d'un et d'un seul type de discours ; dans ce cas, le texte est homogène, c'est-à-dire qu'il ne comporte qu'une seule base énonciative. Mais la plupart des actions langagières se matérialisent par la production de plusieurs types discursifs ; elles sont alors réalisées par des textes hétérogènes, c'est-à-dire par des textes contenant plusieurs bases énonciatives. A la suite d'Adam (1986), nous distinguerons l'hétérogénéité par enchâssement et l'hétérogénéité par « fusion de types ». Dans le procédé d'enchâssement, les différentes bases énonciatives exhi bent l'essentiel des caractéristiques du type dont elles relèvent, et leurs frontières sont nettement délimitées ; voir, par exemple, la plupart des insertions de

« discours direct » (base énonciative du discours interactif) dans une base de narration ou de récit. Dans le procédé de « fusion », deux bases énonciatives différentes se superposent et les caractéristiques linguistiques qui leur sont propres s'amalgament plus ou moins fortement dans la textualité. Comme le montre Besson dans ce numéro, sur l'axe de l'EXPOSER, les textes « explicatifs », « argumentatifs » ou « injonctifs » témoignent d'un amalgame étroit et souvent subtil entre caracté ristiques découlant d'une base théorique et caractéristiques découlant d'une base interactive. Par ailleurs, les « évaluations d'auteur », « commentaires » et autres

« énoncés métadiscursifs » qui affleurent dans les textes de l'ordre du RACONTER peuvent également être analysés comme des traces d'une base interactive se superposant localement à une base de narration ou de récit.

L'identification des différentes bases énonciatives n'épuise à l'évidence null ement l'analyse des phénomènes d'hétérogénéité textuelle. Tout d'abord, le chan gement de base énonciative est une opération « technique » dont il reste à élucider les mobiles. La décision d'enchâsser une base interactive dans une base narrative (discours direct) ou au contraire de fondre la première dans la seconde (« style indirect libre ») relève d'une stratégie d'auteur pour la description de laquelle le concept de « distance » proposé par Genette (1972) ou les propositions formulées par Hamburger (1977/1986) gardent toute leur pertinence. De la même manière, la superposition de segments relevant d'une base interactive sur un discours à base narrative (« évaluations » ou « commentaires ») peut validement être interprétée en termes de « changement de voix », ce qui implique une conception de l'énon- ciateur moins monolithique que celle que nous avons proposée plus haut. Enfin, comme le montre Dolz dans ce numéro, le changement de base énonciative peut s'articuler à d'autres opérations langagières, notamment à celles qui sous-tendent la planification générale d'un texte.

2.2. L'organisation interne d'un type discursif

Les caractéristiques spécifiques d'un type discursif (ou d'une base énonciative) dépendent pour l'essentiel de deux ensembles d'opérations : celles ayant trait à la structuration temporelle et celles ayant trait à la planification discursive.

Les deux « calculs » qui fondent la distinction entre les quatre architypes psychologiques ont une incidence évidente sur la structuration temporelle des discours.

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Dans le discours interactif, les événements ou états verbalisés sont mis en relation déictique avec le moment de la prise de parole (ou des prises de parole successives dans le cas du dialogue). Pour autant que l'on tienne compte de la perspective trichotomique issue de Reichenbach (1947), ce type de discours est le seul pour lequel une analyse en termes de « relations temporelles » (simultanéité, antériorité, postériorité) est pertinente.

En raison notamment de leur caractère nécessairement monologique, les autres types discursifs sont construits à partir d'une (et d'une seule) relation globale à l'espace-temps de renonciation, et cet ancrage temporel initial exerce une détermi nation sur l'ensemble du discours. Les types discursifs monologiques se caractéri sent en outre éventuellement par la présence d'un système de repérage temporel, qui

explicite la chronologie interne des événements ou états verbalisés ; enfin, ils comportent éventuellement des procédés de mise en contraste de ces événements ou états (temporalité relative, oppositions aspectuelles, foregrounding) dont le fon ctionnement précis relève des opérations de textualisation (cf. infra). Les unités linguistiques qui actualisent ces trois procédés sont, outre les lexemes verbaux eux-mêmes, les organisateurs temporels (adverbes, groupes prépositionnels, coor donnants et subordonnants) et les temps des verbes (TDV). Pour l'organisation de ces derniers, à la suite de Dolz (1990), nous avons retenu la notion de base temporelle, sous-système de TDV récurrents, dont le choix est partiellement dépendant de l'adoption de la base énonciative (cf. supra). Une base temporelle comporte un ou deux temps centraux qui la définissent (PS/IMP par exemple), et un ensemble de temps secondaires (les formes composées notamment), et nous considérons que la distribution interne de l'ensemble des TDV d'une base donnée s'explique prioritairement par les procédés de mise en contraste. Pour le récit, l'ancrage initial est de type déictique, un système de repérage temporel est mis en place, et, en français, la base temporelle privilégiée s'articule aux deux TDV centraux PC et IMP. Pour la narration, l'ancrage initial est de type anaphorique, un système de repérage plus conventionnel est mis en place et deux bases temporelles peuvent être choisies (base PS/IMP ou base « présent historique »).

Pour le discours « théorique » enfin, l'ancrage initial est de type a-temporel (le discours s'articule à un espace de référence non borné), le système de repérage temporel est en principe absent et la question reste ouverte de l'existence de procédés de mise en contraste interne analogues à ceux observables dans les discours de l'ordre du RACONTER.

Par « planification discursive », nous désignons les procédés, propres à un type discursif, de mise en configuration des propositions élémentaires qu'il contient, procédés qui ont par ailleurs été décrits en termes de « superstructures sémanti ques » ou encore en termes de « séquentialités » spécifiques (cf. Adam, 1992). Une des questions majeures que posent ces procédés est celle de leur degré de généralité.

Dans la perspective que nous adoptons, leur actualisation dans un texte concret implique d'abord l'existence, dans l'interdiscours, de modèles conventionnels (ou en voie de conventionnalisation). De tels modèles existent sans nul doute pour la narration et le récit (cf. le « schéma narratif ») et pour certains sous-genres théoriques (argumentatif, notamment) et ils constituent à nos yeux un des 8

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sous-produits de plusieurs siècles d'enseignement de ces genres. Pour les autres sous-genres théoriques (informatif, explicatif), leur existence paraît plus problémat ique. Nous défendrons dès lors l'hypothèse que, pour la production d'un type discursif déterminé, l'énonciateur peut utiliser un modèle conventionnel de plani fication, pour autant qu'un tel modèle existe dans l'interdiscours, mais qu'il peut aussi élaborer des structures de planification ad hoc (attestables dans la plupart des discours expositifs) qui restent aujourd'hui largement sous-analysées.

Comme le démontre Adam (op. cit), qu'ils soient conventionnels ou ad hoc, les procédés de planification discursive déterminent largement la structure phrastique, et en conséquence certains aspects de la lexicalisation. Ils sont actualisés par des moyens spécifiques (organisateurs logico-argumentatifs et, pour l'écrit, techniques de « mise en page »), mais aussi par des unités qui peuvent contribuer en même temps à la structuration temporelle du discours (organisateurs temporels, alte rnance de bases temporelles, etc.).

En conséquence, pour la narration et le récit, la planification peut ou non procéder de l'application d'un modèle conventionnel, et elle est marquée par des unités qui peuvent contribuer également à la structuration temporelle. Pour les genres relevant du type théorique, l'adoption d'un modèle conventionnel est rare, et le marquage s'effectue avec un sous-ensemble d'unités plus spécifiques, qui suppléent en quelque sorte à l'absence de repérage chronologique.

2.3. Les opérations de textualisation

L'emploi du terme « textualisation » (ou « mise en texte ») signale que sont rassemblées ici des opérations dont la portée dépasse généralement les frontières des types discursifs. Ces opérations s'appliquent donc au texte dans son ensemble, même si le choix des moyens linguistiques qui les actualisent reste partiellement dépendant du type discursif dans lequel ils apparaissent.

L'existence d'opérations de connexion distinctes des opérations de planifica tion discursive n'est attestable que dans les textes hétérogènes. Dans ces situations, un plan général de texte, toujours ad hoc, est produit, qui intègre les planifications propres aux diverses bases énonciatives qu'il contient. Les unités qui marquent ce plan général sont généralement celles qui marquent la planification de la base énonciative dominante.

Les opérations de cohésion se distribuent en deux sous-ensembles, portant respectivement sur les formes nominales (relais des arguments) et sur les formes verbales (relais des prédicats). Dans le premier cas, sont en jeu les divers procédés de marquage des reprises anaphoriques, pour la description desquels diverses analyses pertinentes ont été proposées (cf. notamment Charolles, 1988 ou Berren- donner et Reichler-Béguelin, 1989). Dans le second cas, sont en jeu les procédés de marquage, par la distribution des TDV, des contrastes évoqués plus haut. Trois formes de contrastes peuvent être distinguées. Dans les textes hétérogènes tout d'abord, des contrastes généraux peuvent être établis par le jeu des « ruptures temporelles ». Certaines de ces ruptures ne constituent que le sous-produit d'un

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changement de base énonciative, mais d'autres s'articulent au plan général de texte et y introduisent un marquage supplémentaire : focalisation sur certaines événe ments importants ; contraste de positions idéologiques, etc. (cf. Dolz dans ce numéro). Dans les textes homogènes (ou à l'intérieur d'une même base énonciative), la distribution des TDV peut contribuer à l'établissement de contrastes globaux ; dans les narrations par exemple, la stratégie de foregrounding affecte la distribution des deux temps centraux (PS et IMP) sur l'ensemble du discours. Certaines oppositions de TDV peuvent en outre contribuer au marquage de contrastes locaux, c'est-à-dire de contrastes posés entre deux événements ou états verbalisés : temporalité relative ou opposition aspectuelle (cf. Plazaola Giger et Bronckart dans ce numéro).

Les opérations de modélisation enfin consistent en un marquage explicite de la position de l'énonciateur. Définie de manière aussi large, la notion de « modalisa- tion » renvoie à un ensemble de processus complexes (voix, point de vue, perspective, distance, etc.) qui affectent la totalité de l'organisation textuelle. Les décisions de lexicalisation, de choix d'un type discursif, de changement de base énonciative et de rupture temporelle peuvent ainsi être déterminées partiellement par l'attitude générale de l'énonciateur et/ou par sa « mise en abysse ». Nous ne traiterons dans la rubrique des procédés de textualisation que les marquages modalisants qui ne peuvent se confondre avec les décisions précédentes : introduct ion, dans le cadre de la structure d'un énoncé singulier, d'unités ou de groupes d'unités qui explicitent localement la position de l'énonciateur : adverbes (certa inement), propositions (il est probable que...), formes verbales (emploi du conditionn el).

3. Les unités linguistiques et leur valeur

Tout texte concret est constitué d'un ensemble d'unités linguistiques qui peuvent être identifiées et répertoriées, en utilisant les méthodes élaborées par le distributionnalisme. Et l'organisation syntaxique de ces unités peut en outre être mise en évidence par l'application de méthodes issues des démarches structurales ou généra tives. Mais l'interprétation du statut de ces unités (de leur valeur) requiert la prise en compte des opérations langagières qui les sous-tendent. Le cadre théorique que nous venons de résumer tente de hiérarchiser et d'articuler ces différentes opérations ; à l'évidence, il ne peut prétendre à l'exhaustivité et constitue donc d'abord un instrument de travail, à amender et à compléter. Ces limitations étant acceptées, nous soutiendrons cependant fermement que la valeur de chaque unité est déterminée d'abord par le type d'action langagière dont elle émane, ensuite par le type de discours dans lequel elle s'inscrit, et enfin par des procédés dévolus à l'organisation interne des types ou au marquage des trois aspects de la textualisa tion.

La première conséquence générale de cette option est que la valeur d'une unité Linguistique ne peut être appréhendée que dans le cadre de son fonctionnement textuel, et que cette appréhension doit s'effectuer à la fois de manière « descen-

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dante » (de l'action au type discursif, du type à son organisation interne) et

« ascendante » (gestion globale des procédés de textualisation). La seconde est que la valeur de chaque unité est nécessairement le produit d'une pluridétermination ; elle résulte d'effets de synergie ou de compétition entre opérations des différents niveaux ; dans le texte, qui est le seul lieu de fonctionnement d'une langue, la plurifonctionnalité est donc la règle, non l'exception.

Pour l'étude plus spécifique de l'organisation temporelle des textes, cette position implique le rejet de toute conception attribuant a priori (ou sur la base d'une analyse limitée aux seules phrases) une valeur aux différents temps des verbes. Les unités que constituent les occurrences de PS, PR, IMP, PC, etc., doivent être considérées comme des variables, qui se trouvent instanciées par les différentes opérations qui sous-tendent le fonctionnement textuel. Et si elle présente un intérêt, la description de la valeur d'un TDV « en langue » ne peut être établie qu'a posteriori, sous la forme d'un recensement des différents complexes de valeurs observées dans le fonctionnement discursif. Pour autant que l'on accepte la pertinence de notre cadre théorique, on relèvera enfin la dramatique inadéquation de la plupart des descriptions grammaticales du Temps : d'une part les relations temporelles proprement dites (rapport déictique entre moment de renonciation et moment de l'événement) ne sont codées que dans un seul type de texte ; d'autre part les oppositions aspectuelles relèvent de procédés locaux, dont la gestion implique des opérations de choix énonciatif, de mise en contraste, etc., qui ne peuvent être décrites ni en termes de relation temporelle, ni en termes d'aspect.

4. Quelques principes méthodologiques

Conformément aux options qui viennent d'être définies, nos travaux portent sur des textes « authentiques », c'est-à-dire sur des textes tels qu'ils ont été effectivement produits par des locuteurs d'une langue donnée 1. Les techniques d'analyse appliquées à ces textes s'organisent en différents niveaux.

La première démarche consiste à identifier le type d'action langagière à laquelle un texte s'articule. Lorsqu'il s'agit de textes « déjà là » (encyclopédie, roman, rédaction scolaire, etc.), nous tentons d'en reconstituer les « conditions de production », c'est-à-dire d'identifier les paramètres de leur contexte matériel (émetteur, espace-temps d'énonciation) et social (lieu social de production, statut de l'énonciateur, statut du public visé, buts). Si certaines des informations relatives à ce contexte sont directement disponibles (en tenant compte du lieu d'édition, de l'avant-propos de l'auteur, etc.), d'autres peuvent manquer irrémédiablement et cette reconstruction a posteriori n'est évidemment jamais totalement satisfaisante.

C'est la raison pour laquelle une partie de nos recherches sont effectuées en situation expérimentale : nous demandons à des sujets, adultes ou enfants, de

1 . Ces principes méthodologiques ne s'appliquent toutefois que partiellement aux travaux présentés par Bonnette et al., qui s'inscrivent dans la perspective de recherche développée par l'unité de M. Fayol à l'Université de Dijon.

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produire des textes en réponse à une consigne qui définit complètement l'action langagière à effectuer, en explicitant notamment les paramètres de son contexte

social.

La deuxième démarche vise à identifier le (ou les) types de discours effectiv ement produits ; elle présente un aspect à la fois qualitatif et quantitatif. L'examen qualitatif permet un premier classement distinguant les textes homogènes, les textes hétérogènes avec « fusion de types » et les textes hétérogènes avec enchâs sement. Pour ces derniers, il permet également de délimiter les différentes bases énonciatives qui y apparaissent. L'analyse quantitative s'applique soit à la totalité du texte, soit à des segments de texte correspondant à une base énonciative ; elle consiste en un relevé des différentes catégories d'unités linguistiques observables et en un calcul de leurs fréquences relatives. Suite aux travaux présentés dans Le fonctionnement des discours (1985), l'analyse statistique des fréquences d'occurrence s'effectue sur un sous-ensemble de 27 unités dont le caractère potentiellement discriminatif a été démontré. Pour les textes homogènes, elle permet d'une part d'identifier le type discursif choisi, d'autre part de mesurer les écarts éventuels de distribution des unités par rapport à l'architype idéal (écarts qui devront faire l'objet d'analyses ultérieures). Pour les textes apparemment « mixtes », elle permet une première appréciation de l'importance respective des bases énonciatives qui y ont fusionné.

Les démarches ultérieures ont pour but d'analyser les valeurs que prennent des sous-ensembles d'unités linguistiques dans le cadre du texte en général ou dans le cadre de types discursifs clairement délimités. Les études empiriques présentées dans ce numéro s'inscrivent dans un vaste programme de recherche portant sur l'ensemble des unités susceptibles de contribuer à la structuration temporelle des textes : lexemes verbaux, temps des verbes, adverbes et organisateurs temporels.

Articulées à des questions de recherche spécifiques, elles se caractérisent par l'application de diverses méthodes statistiques d'analyse et de traitement des données, qui seront présentées en détail dans chacune des contributions.

5. Présentation des différentes contributions

Les trois premières recherches concernent des genres de textes produits en situation naturelle (textes « déjà là »).

Plazaola Giger & Bronckart (Le temps du polar) centrent leur analyse sur cinq romans policiers dont les segments narratifs sont construits avec une base temporelle PS/IMP et tentent d'identifier les stratégies qui y président à l'établi

ssement des contrastes internes. Ils démontrent que chaque auteur applique une règle globale de mise en contraste, assortie de quelques procédés de mise en contraste locaux. Trois stratégies globales sont mises en évidence : une stratégie de base fondée sur le seul niveau de l'histoire (sur la « dynamique des personnages ») et deux stratégies impliquant une interaction entre ce niveau et celui de l'acte narratif («foregrounding » et « hétérochronie »).

Dans son étude sur Les valeurs du présent dans le discours expositif, Besson analyse un corpus de 20 extraits de manuels. Elle démontre d'abord que dans la 12

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plupart de ces textes peuvent être délimités des segments à caractère « informatif »,

« explicatif », « argumentatif », « injonctif » ou « semi-narratif ». En tenant compte des phénomènes de co-occurrence propres à chacun de ces segments, elle propose ensuite de distinguer trois valeurs du présent : une valeur générale à1 autonomie, déterminée par l'ancrage général de tout texte expositif ; une valeur A"1 implication, résultant de la superposition locale d'une base énonciative de discours interactif sur la base théorique englobante ; une valeur historique enfin découlant de l'adoption locale d'une base narrative.

Dans Bases et ruptures temporelles, Dolz analyse un corpus de 50 biographies, genres textuels oscillant en permanence entre la narration, le récit et le comment aire d'auteur, et dans lesquels l'hétérogénéité temporelle est particulièrement importante. Après avoir introduit et discuté les concepts de base temporelle et de rupture temporelle, l'auteur centre son étude sur ces dernières. Il analyse d'abord leur fréquence et leur portée dans les textes de son corpus, puis il propose une interprétation de leur fonction, mettant en évidence leur rôle dans la planification générale du texte, dans la projection à l'avant-plan de certains événements, ou encore dans le marquage de contrastes idéologiques.

Les deux dernières contributions concernent des textes produits en situation expérimentale, et présentent un caractère comparatif.

L'étude de Bonnette et al. porte sur des adultes francophones, castillanopho- nes et bascophones et elle vise à appréhender le Rôle des types de procès et du co-texte dans l'emploi des formes verbales de la narration. Deux recherches y sont présentées.

La première permet de décrire les représentations effectives que se construisent les sujets des types de procès lexicalisés par les verbes. La seconde recherche, utilisant une technique de completion d'un texte lacunaire, permet de mesurer la détermi nation qu'exercent sur l'emploi des deux temps de base de la narration, les types de procès (tels qu'appréhendés dans la première recherche) d'une part, la position du lexeme verbal dans le plan discursif d'autre part.

Dans L'acquisition des valeurs des temps des verbes, Bronckart & Bourdin présentent une partie des résultats obtenus dans le cadre d'un vaste programme de recherche comparant systématiquement les performances d'élèves (10, 12 et 14 ans) parlant l'allemand, le basque, le catalan, le français et l'italien. Ces élèves (450 au total) ont rédigé chacun quatre textes différents : un conte, un récit de fait divers, une explication et une lettre. Les analyses qui sont relatées confirment les effets du facteur « type de texte » sur les distributions des temps des verbes dans les cinq langues ; elles montrent par contre le peu d'effet du facteur « âge » sur ces mêmes distributions. Elles permettent enfin de formuler diverses hypothèses sur les valeurs prises dans ces genres de textes par les principaux temps des cinq langues étudiées.

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