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Genèse 15,4-6: “ Abram eut foi dans le Seigneur et pour cela le Seigneur le considéra comme juste ”

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Academic year: 2022

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Genèse 15,4-6: “ Abram eut foi dans le Seigneur et pour cela le Seigneur le considéra comme juste ”

MACCHI, Jean-Daniel

Abstract

Analyse d'une prédication de Jean Calvin sur Genèse 15,4-6.

MACCHI, Jean-Daniel. Genèse 15,4-6: “ Abram eut foi dans le Seigneur et pour cela le Seigneur le considéra comme juste ”. Lire et dire , 2017, vol. 113, p. 14-23

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:95184

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Genèse 15,4-6 :

« Abram eut foi dans le Seigneur et pour cela le Seigneur le considéra comme juste »

1. Notes exégétiques

Le texte de Genèse 15,1-20 a récemment été traité dans Lire et Dire (J.-P.

Sternberger, « Genèse 15,1-20. Abram ou la justification de Dieu », L+D 103 [2015], p. 3-13). L’importance de Genèse 15,6 pour la prédication calvinienne nous a cependant conduits à reprendre dans ce numéro cette partie du pas- sage. Après quelques brèves indications exégétiques, le lecteur trouvera des extraits significatifs d’une prédication de Calvin sur Genèse 15,4-6.

a) Un topos de théologie chrétienne

Le texte biblique où Dieu annonce à Abraham qu’il va avoir une grande des- cendance a joué un rôle fondamental pour la théologie chrétienne. En effet, Romains 4,1-5 et Galates 3,6-7, qui reprennent ce passage, sont rapidement devenus des lieux communs de la théologie de la justification du chrétien par la foi plutôt que par les œuvres pour les courants réformateurs. Pour Paul, l’affirmation que « Abraham eut foi en Dieu et que cela lui fut imputé comme justice » (ejpivsteusen de; ∆Abraa;m twÊ` qewÊ` kai; ejlogivsqh aujtw`Ê eij" dikaiosuvnhn - episteusen de Abraam tô theô kai elogistè autô dikaiosunèn, Rm 4,3, texte proche en Ga 3,6) – une citation qu’il tire de la traduction grecque de la LXX de Genèse 15,6 – fait de tout croyant, quelle que soit son origine ethnique, un fils d’Abraham (Ga 3,7) justifié sans condition par Dieu (Rm 4,5). Comme l’illustre la prédication de Calvin, on sait que les réformateurs ont placé au cœur de leur théologie ce motif paulinien.

b) Remarques exégétiques à propos de Genèse 15,4-6

Quelques remarques exégétiques à propos des enjeux originels de ce texte vétérotestamentaire permettront d’éclairer les procédés interprétatifs utilisés par les auteurs chrétiens.

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4Et voici que la parole du SEIGNEUR lui fut adressée : « Ce n’est pas lui qui héritera de toi, mais celui qui sortira de tes entrailles héritera de toi. » 5Il le fit sortir dehors et lui dit : « Contemple donc le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter. » Il lui dit : « Telle sera ta descendance. » 6Abram eut confiance (foi) dans le SEIGNEUR et il lui imputa cela comme justice.

On peut d’abord noter que cette annonce à « Abram » – qui dès Genèse 17,5 est appelé « Abraham » – d’une grande descendance se situe dans le contexte littéraire d’une longue saga qui clarifie l’organisation et la hiérarchie des descendants de ce patriarche. Au début du chapitre 15, alors que Dieu promet à Abram que sa récompense sera grande, celui-ci répond qu’il n’a pas d’enfant et qu’un autre héritera de sa maison (Gn 15,1-3). Il reçoit alors une première promesse de descendance (Gn 15,4-6). Au chapitre 16, il a son premier fils, Ismaël, d’une servante nommée Hagar. Au chapitre 17, Abraham reçoit une nouvelle promesse de descendance pour un fils qui naîtra cette fois de sa femme Sarah. La naissance d’Isaaq est rapportée au chapitre 21.

Selon la saga biblique, tant Ismaël qu’Isaaq bénéficient de la promesse faite à Abraham de sorte qu’ils sont l’un et l’autre à l’origine d’une grande nation.

Ce n’est cependant qu’avec Isaaq que Dieu fait alliance (Gn 17,19) et c’est lui seul qui hérite d’Abraham (Gn 21,10).

Le chapitre 15 fait clairement allusion à l’identité de ceux qui forment la descendance promise à Abram. Il s’agit du peuple d’Israël dont le début de l’histoire nationale est décrit par les livres d’Exode à Josué. Le chapitre est fort bien construit et joue avec le verbe sortir : une descendance nombreuse comme les étoiles (15,5) émergera de celui qui « sortira de tes entrailles » (15,4) et cette descendance « sortira » avec de grands biens d’un pays où elle a été esclave (15,13-14). L’allusion à la sortie d’Égypte apparaît aussi dans la présentation du SEIGNEUR à Abram en Genèse 15,7 : « C’est moi le SEIGNEUR qui t’ai fait sortir d’Our des Chaldéens pour te donner ce pays en possession. » Cette présentation ressemble à celle qui ouvre les dix com- mandements lorsque Dieu se présente aux Israélites après la sortie d’Égypte et avant l’entrée en terre promise : « C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Ex 20,2 et Dt 5,6). Finalement, dans ce passage vétérotestamentaire, Abram reçoit aussi une promesse de possession du pays, promesse qui s’adresse en réalité au peuple d’Israël qui descend de lui (Gn 15,18).

L’utilisation du motif de la comparaison entre les étoiles et les descendants d’Abram (Gn 15,5) par le rédacteur biblique a au moins deux fonctions. Tout d’abord, l’image sert d’hyperbole et permet d’insister sur le très grand nombre

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des futurs descendants d’Abram. Cette image se retrouve à plusieurs reprises lors des promesses adressées aux patriarches (Gn 22,17 ; 26,4 ; Ex 32,12-13), puis elle est présentée comme ayant été accomplie lorsque le peuple d’Israël se prépare à entrer en terre promise (Dt 1,10 ; 10,22). L’image du sable de la mer pour figurer le nombre des descendants d’Abraham est utilisée de manière comparable en Genèse 22,17 ; 32,12 ; 2 Samuel 17,11 ; 1 Rois 4,20.

Cela dit, le motif du ciel étoilé ne sert pas seulement à indiquer l’abondance, mais souligne que le Dieu d’Israël est aussi le créateur de l’univers. Il contrôle non seulement ce qui se passe dans le pays d’Israël, mais également dans tout le cosmos. Certains Psaumes de création insistent, d’ailleurs, sur le contrôle par Dieu des étoiles, il est seul à pouvoir les compter et les nommer (Ps 147,4) et elles chantent ses louanges (Ps 148,2-3).

Finalement, la célèbre phrase « Abram eut confiance dans le SEIGNEUR et il lui imputa cela comme justice » (Gn 15,6) invite à quelques remarques exégétiques.

Nous avons traduit le verbe hébreu Nm) (aman) par « avoir confiance » plutôt que par « croire ». La LXX utilise le verbe grec pivsteuw (pisteuô) qui pourrait aussi être traduit de la sorte. Cette traduction permet d’éviter un contresens.

En effet, l’utilisation de ce verbe hébreu ne vise pas à indiquer qu’Abram croit en l’existence de Dieu ce qui, en réalité, serait assez banal puisque dans l’Antiquité l’existence des dieux n’était que très rarement remise en question.

Ici, il s’agit plutôt d’affirmer qu’Abram a eu confiance en la promesse que Dieu lui a faite, qu’il l’a prise au sérieux et qu’il a adhéré à l’idée que Dieu allait l’accomplir. Cette présentation de l’attitude confiante d’Abram contraste avec celle que lui et Sarah auront lorsqu’ils recevront d’autres promesses de descendance qu’ils ne prendront guère au sérieux (Gn 17,17 ; 18,12).

La figure d’Abram oscillant entre confiance (Gn 15,6) et doute (Gn 17,17) évoque l’attitude du peuple d’Israël lors de la sortie d’Égypte qui, lui aussi, a confiance en Dieu (Ex 4,31 et 14,31) puis n’a plus confiance en lui (Nb 14,11).

La seconde partie du verset 6, « il lui imputa cela comme justice », présente un difficile enjeu interprétatif. Le verbe hébreu b#$x (hashav) peut effectivement être rendu par le français « imputer ». Il exprime le fait que le sujet confère l’attribut de « justice » à celui qui vient d’accomplir l’action décrite précé- demment, c’est-à-dire qu’il le considère comme quelqu’un s’étant comporté conformément à ce qui est juste. Ici la notion de « justice » ne porte pas sur l’ensemble de l’individu concerné, mais sur l’action qu’il vient d’accomplir.

La traduction grecque des LXX traduit le verbe hébreu actif b#$x (hashav)

« il lui imputa cela comme justice » par le passif ejlogivsqh (elogisthè) « cela

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lui fut imputé comme justice ». Ce faisant elle clarifie le sens du passage et présuppose que c’est Dieu qui impute comme justice le fait qu’Abraham a « cru » en lui. Cependant, le texte hébreu est ambigu. En effet, le sujet grammatical du verbe « imputer » n’est pas clair. Il serait tout aussi pos- sible qu’Abram soit le sujet de ce verbe. Dans ce cas, la phrase signifierait qu’Abram considérerait l’action antérieure de Dieu, c’est-à-dire la promesse de descendance qu’il lui a faite, comme un acte de justice. Le fait qu’Abram impute cela à Dieu comme justice témoignerait alors de la confiance qu’il place en Dieu. Au plan grammatical, il n’est pas possible de trancher entre les deux compréhensions du verset. Si la LXX et Paul font de Dieu le sujet de l’action d’imputer justice, Néhémie 9,8 fait référence à cet épisode et comprend que c’est Abram qui applique à Dieu l’attribut de justice : « Tu as accompli tes paroles, car tu es juste ».

c) Synthèse

Les procédés interprétatifs utilisés lors de la réception de Genèse 15 sont intéressants. Lorsque les réformateurs prennent appui sur le texte de Ge- nèse 15 qui visait à l’origine à clarifier les interrelations entre les populations du Levant et à souligner que la nation israélite est l’héritière légitime de la promesse abrahamique, ils en réorientent l’interprétation en le « dégénéa- logisant » et en le « dénationalisant » afin de parler de la vocation et de la piété personnelle du chrétien.

Quant à la façon dont, dans sa prédication, Calvin utilise certains détails du passage, elle est elle aussi intéressante. On observera, en particulier, la manière dont il traite le motif de la comparaison entre les étoiles et le peuple des descendants d’Abraham et comment il comprend la notion de « croire / avoir confiance ». Finalement, on remarquera que Calvin ne se pose pas la question de savoir si c’est Dieu ou Abraham qui impute la justice, mais qu’il reprend sans autre l’interprétation paulinienne de Genèse 15,6.

2. Un sermon de Calvin sur Genèse 15,4-6

Le mardi 5, le mercredi 6 et le jeudi 7 mars 1560, Calvin consacre trois ser- mons successifs, donc environ trois heures de prédication, à cette péricope.

Avec celui de 94 autres sermons portant sur les vingt premiers chapitres de la Genèse, le texte en est conservé à la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford. Il a fait l’objet en 2000 d’une remarquable édition critique par Max Engammare

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(Supplementa Calviniana, t. XI/2, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag, p.

741-777). C’est de cette édition que nous tirons, en les modernisant, quelques extraits significatifs du premier de ces sermons.

Bien évidemment, les lectrices et lecteurs d’aujourd’hui ne s’arrêteront pas aux mentions répétées de Moïse comme auteur de la Genèse : telle est en effet la conviction que Calvin hérite de la tradition et qu’il n’a aucune raison de discuter.

a) Les étoiles, signes de la toute-puissance de Dieu Extrait du sermon 67 (d’après Suppl. Calv. XI/2, p. 743-744).

Récusant à son habitude l’exégèse allégorique, qui voit en l’occurrence dans les étoiles une figure de l’Église, Calvin explique ce passage en lien avec la théologie de la création : Dieu fait voir les étoiles à Abram pour lui faire comprendre que s’il a été capable de peupler le ciel d’étoiles innombrables, il pourra aussi lui donner une descendance. La toute-puissance de Dieu ne s’exprime en effet pas seulement dans l’acte créateur, mais dans la provi- dence par laquelle il maintient chaque jour cette création.

« À propos de ce passage : ‘Dieu a fait sortir Abram hors de son logis et de sa tente et il lui a fait regarder les étoiles du ciel’, il n’est pas besoin de nous amuser à cette subtilité puérile selon laquelle Dieu aurait comparé l’Église aux étoiles parce que nous serions citoyens du Royaume des cieux, que nous habiterions sur terre comme des pèlerins, ne faisant qu’y passer. Ce n’est pas le sens du passage. Comme quand il a été question plus haut à propos de la poussière, il y en a qui spéculent que l’Église est comprise dans l’image et la figure de la poussière, et qu’elle est méprisée du monde. Tout cela, ce ne sont que menus fatras, où il n’y a rien qui tienne. Mais nous voyons pourquoi Dieu a présenté à son serviteur Abram les étoiles du ciel et les lui a fait regarder. C’est pour lui faire contempler sa puissance [litt. vertu], afin qu’il ne recoure pas à ses discours et à sa raison propre pour juger de la vérité de cette promesse, qui était pour lui incroyable à vues humaines [litt. selon l’ordre de nature]. Car jamais la foi ne pourra entrer en nous, tant que ce défaut n’est pas écarté et corrigé : il nous faut nous démettre de notre jugement naturel et nous vider de toute sagesse, afin d’attribuer à Dieu l’honneur qui lui appartient.

Mais regardons quel beau, quel excellent miroir de la toute-puissance de Dieu, que cette multitude d’étoiles que nous voyons au ciel, car elles ont toutes été créées en un instant. Et voilà aussi pourquoi dans le psaume [cf.

Ps 147,4] ce miracle est exalté : c’est Dieu qui compte la multitude des étoiles

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et qui leur donne leur nom, c’est-à-dire qu’il les soumet à son empire. Quand donc nous ouvrons les yeux pour contempler les étoiles, il nous faut venir à la création, car en un instant [litt. en une minute de temps], aussitôt que Dieu a prononcé le mot, voilà le ciel rempli de cette armée [litt. gendarmerie], comme l’Écriture les appelle aussi. Voilà donc les armées célestes qui ont été créées en un instant, et elles sont toujours là pour rendre obéissance à Dieu. Nous voyons que toutes les étoiles cheminent en mesure, et cela malgré qu’il se fasse [dans le ciel] une si grande révolution, comme on le voit de chaque côté, et que les planètes pourraient modifier [litt. remuer] le firmament, et que tout cela pourrait se combattre [litt. mêler ensemble]. Pourtant, nous voyons que l’univers est tellement (bien) dirigé qu’il faut nous en émerveiller.

Puisqu’il en est ainsi, ce n’est pas sans raison que ce miroir est placé devant les yeux d’Abram, car il peut faire la conclusion suivante : si Dieu en un instant a rempli tout le ciel d’étoiles, là où auparavant il en était vide, ne pourra-t-il pas aussi remplir non seulement ma maison, mais tout un pays, voire plusieurs pays, s’il voulait me donner une descendance ? Car sa puissance n’est pas amoindrie ; il n’a pas été une fois seulement créateur du monde, mais après l’avoir créé, il ne cesse pas, jour après jour, de le conserver miraculeusement.

Ainsi, Abram a reçu comme une marque certaine, un gage qui lui était donné.

Et en cela nous voyons que Dieu a reconnu en lui une certaine faiblesse : non qu’il se défie de ce que Dieu avait dit, mais parce que, étant un homme, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander comment il serait possible qu’en sa descendance soient bénies toutes les nations de la terre, puisque sa foi n’était pas sans une certaine faiblesse, comme il a été dit hier. Voilà pourquoi Dieu lui ajoute cette aide. »

b) Pas de foi sans écoute de la parole de Dieu

Extrait du sermon 67 (d’après Suppl. Calv. XI/2, p. 744-746).

La verve de Calvin est ici à la hauteur de l’importance qu’il accorde à ce passage, qu’il lit bien sûr à la lumière de Romains 4,1-5. Les adversaires qu’il dénonce sont dans l’ordre d’une gradation du pire les juifs (à qui on peut accorder des circonstances atténuantes), les papistes et ceux qu’il nomme ailleurs les « libertins », une secte où l’on prétend s’affranchir de toute loi religieuse (cf. Contre la secte fantastique et furieuse des libertins qui se nomment spirituels, 1545). Ses insultes ne sont pas de celles qu’on s’attendrait aujourd’hui à entendre d’un prédicateur : canailles, chiens, es- prits diaboliques, vilains…, mais elles ne détonnent pas dans le contexte polémique du seizième siècle. Inutile d’ailleurs de rappeler le style oral de

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ces propos ! Calvin dénonce ceux qui font du don de la justice de Dieu une simple vertu humaine, comme l’honnêteté, et qui détruisent ainsi l’œuvre même de la justification par la foi.

Mais qu’est-ce donc que la foi ? C’est le cœur du propos du Calvin, qui rap- pelle, dans la ligne de Romains 10,14-18, qu’il n’y a pas de foi sans écoute de la parole de Dieu. Mais l’écoute d’Abram n’est pas du même ordre que celle d’Adam ou de Caïn : ceux-ci ont certes entendu que Dieu leur adres- sait la parole, mais ils ont reçu cette parole dans un esprit de crainte ou de rébellion ; tandis qu’Abram a reçu la parole de Dieu avec la confiance d’un enfant vis-à-vis de son père.

« Or, sur ce, Moïse ajoute qu’Abram a cru à Dieu, et qu’il lui a réputé ceci à justice. Voici un passage qui est assez simple, et de prime abord on ne s’y arrêterait pas beaucoup. Comme aussi les Juifs sont à ce point aveuglés et engourdis [litt. stupides] qu’ils ne savent pas ce que cela veut dire. Et parmi les chrétiens, c’est à peine si on en trouvera un sur cent qui perçoive [litt.

goûte] seulement le contenu de ces mots. Car si ces trois ou quatre mots étaient bien compris, qu’Abram a cru et qu’il lui a été réputé à justice, il est certain que toute la papauté serait abolie. Toutes les superstitions qui sont aujourd’hui en vogue cesseraient ; tous les débats que nous avons à discuter seraient apaisés. Car voici la clé qui pourra donner ouverture à tout ce qui est requis pour notre salut. Voici le moyen de concilier toutes les opinions contradictoires. Voici le fondement de la vraie religion. Bref, voici les cieux qui nous sont ouverts, quand nous aurons compris ce qui est ici prononcé en bref par Moïse.

Il nous faudra d’autant plus détester ces canailles qui sont effrontées au point d’obscurcir une clarté si grande, comme ceux qui disent qu’Abram a été réputé honnête homme [litt. prud’homme], et que cela a été chez lui une vertu que de croire en Dieu. Ces chiens-là doivent nous être bien abominables. Ce sont là les blasphèmes les plus énormes que Satan puisse dégorger.

Quant aux Juifs, on ne doit pas s’en étonner : ils n’ont point de commenta- teur. Il est vrai que la clarté de Dieu brille assez en la face de Moïse, mais ils ont un voile au-devant, comme dit saint Paul. Ils passent donc sur ces mots sans penser ce qu’ils signifient.

Mais ceux qui font profession d’être chrétiens et qui ont l’autorité de saint Paul pour montrer ce que cela veut dire, quand ces gens de surcroît méprisent Dieu ouvertement et qu’ils combattent comme de gros chiens féroces [des chiens mastins] avec toute l’impudence qu’on voit en eux, qu’est-ce que cela

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veut dire ? Je ne parle pas des papistes, mais il y a de ces esprits diaboliques qui se disent chrétiens, et qui même en font profession à pleine bouche, qui cependant ne manquent pas d’être pires que beaucoup de papistes. Car même en la papauté on s’est mis d’accord sur ce point [litt. si en est-on là venu], que les hommes, s’ils sont damnés et maudits devant Dieu, ne peuvent obtenir le salut que par le moyen de la foi. Les papistes le confessent. Et ces canailles abolissent et aplatissent [litt. raclent] tout, comme s’il n’était ici rien dit d’autre que voilà : Abram est devenu un honnête homme, et ç’a été chez lui une grande vertu quand il a cru à Dieu. Eh bien, voilà des vilains qui voudraient être célèbres et s’attribuer un titre de maître et de docteur, mais qui sont enragés et possédés d’une telle rage qu’ils veulent tout renverser.

Il nous faut être d’autant plus attentifs à ce qui est dit ici. D’une part, Moïse dit qu’Abram a cru à Dieu, et d’autre part il ajoute que cette croyance, ou cette foi, lui a été pour justice. En premier lieu, il nous faut définir ce mot de ‘croire’, car sans cela tout s’évanouirait facilement [litt. s’écoulerait aisément]. Et voilà pourquoi les papistes sont tout emmêlés [litt. entortillés] dans leurs erreurs : car même s’ils reconnaissent partiellement que nous sommes justifiés par la foi, ils ne peuvent pour autant admettre ni accepter que ce soit totalement.

Pour quelle raison ? C’est qu’ils ne comprennent pas ce mot de ‘foi’ ou ce mot de ‘croire’. Pour bien le comprendre, il nous faut mettre ensemble la foi et la promesse. On peut bien chanter à une voix, mais nous n’aurons pas d’harmonie parfaite sans mettre ensemble plusieurs voix qui s’accordent bien. Il en va ainsi de la foi : si la parole de Dieu ne précède pas et que la foi ne s’accorde pas avec elle, il n’y a aucune harmonie. Ce sont deux choses inséparables que la parole de Dieu et la foi.

Ainsi, on aurait beau parler de ‘croire’, tout ça ne serait que du haut allemand, comme on dit, ce serait un mot barbare, comme on en trouve chez les pa- pistes, tant que nous n’aurons pas compris qu’il faut que Dieu parle, et que nous n’aurons pas les oreilles ouvertes et prêtes à entendre, pour lui obéir et approuver ce qu’il nous dit. Qu’est-ce donc que croire ? C’est recevoir ce qui nous est donné de la bouche de Dieu avec un tel respect que nous nous y tenions sans le moindre doute.

Mais il nous faut maintenant aller plus loin. Car il arrive que Dieu nous parle sans que nous profitions de l’écoute de sa parole. Nous avons vu précédemment, quand il a parlé à Caïn et lui a demandé où était son frère Abel, que Caïn a bien compris malgré lui [litt. malgré ses dents] qu’il fallait répondre devant son juge, et pourtant il n’a pas arrêté de grogner de façon méprisante en disant :

‘Qui m’a fait le gardien de mon frère ?’ Adam lui-même a bien entendu cette

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voix qui lui disait : ‘Où es-tu ?’, mais il a été saisi de crainte et d’effroi, il s’est caché et il aurait bien voulu trouver je ne sais quel abîme pour fuir la présence de Dieu. Il ne suffit donc pas que nous recevions la parole qui nous est don- née par Dieu avec l’autorité qu’elle mérite, mais il faut que cette parole soit qualifiée, c’est-à-dire qu’il faut que ce soit une parole certaine pour que nous puissions nous approcher de Dieu, pour que nous puissions participer de sa bonté, que nous ne doutions pas qu’il sera pour nous un père et un sauveur.

Et qu’en plus nous ayons la hardiesse de l’invoquer [litt. réclamer] et de nous considérer comme ses enfants et d’avoir en lui notre refuge.

Ainsi donc, nous voyons comment Abram a cru : ce n’est pas qu’il ait été habité d’un fantasme [litt. qu’il ait conçu une opinion fantastique en la tête], car la foi vient de l’écoute, comme dit saint Paul, et l’écoute de la parole de Dieu. Abram a donc entendu et a été enseigné avant de croire. Et puis, ce n’est pas venu d’un homme mortel ou de quelque créature, mais il a compris que c’était Dieu qui l’avait appelé à être du nombre de ses enfants. Or, comme nous l’avons dit, cela ne suffisait pas. Mais Abram a entendu ces mots : ‘Je suis ta solde très ample, je suis ton bouclier, je suis ta défense. Ne crains pas, car je suis le Dieu tout-puissant, qui t’ai tiré hors de Chaldée, d’Ur en Chal- dée.’ [cf. Gn 15,1] Et comme nous allons voir, et comme on en a déjà parlé au chapitre 12, Abram n’a pas cru en Dieu au sens où il aurait entendu je ne sais quoi qui ne le concernerait pas, ou pour entendre telle ou telle sentence, mais il a cru en Dieu quand il a cru qu’il était choisi [litt. retenu] et mis à part pour être héritier du Royaume des cieux. Voilà sa foi. »

c) Dieu est notre Père avant que nous ne soyons ses enfants Extrait du sermon 67 (d’après Suppl. Calv. XI/2, p. 747).

L’interprétation paulinienne autorise Calvin à faire intervenir Jésus Christ en plein sermon sur la Genèse. Mais l’important est ici l’articulation à penser entre promesse de Dieu et réception par les humains. Ce que dans l’Insti- tution il appelle d’une part justification, d’autre part sanctification. Il parle ici de « mélodie » (au sens actuel d’« harmonie », exactement comme il le fait au début du Traité de la vie chrétienne (Institution III, VI à VIII) : « Le but de notre régénération est qu’on aperçoive en notre vie une mélodie et accord entre la justice de Dieu et notre obéissance. »

« Abram donc a cru à Dieu, c’est-à-dire : Abram a reçu la promesse par laquelle Dieu lui avait certifié que Dieu lui était Sauveur. Il a embrassé notre Seigneur Jésus Christ qui lui était offert, par lequel il savait que nous sommes récon-

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ciliés à Dieu, bien que nous méritions d’être ses ennemis et qu’il nous fasse une guerre mortelle, ce d’autant plus que nous sommes pleins de péché et de corruption. Abram donc s’est tenu à notre Seigneur Jésus Christ et a été pleinement persuadé que c’était le vrai lien par lequel nous sommes conjoints et unis à Dieu, au point que nous sommes participants de sa vie et de tous ses biens. Voilà le ‘croire’ d’Abraham, afin que nous ne le prenions pas à la légère [litt. si maigrement] comme le font les papistes.

Or, en somme, nous voyons qu’on ne pourra jamais comprendre ce que veulent dire ces mots de ‘foi’ et de ‘croire’, à moins qu’on vienne à cette mélodie de la promesse et de la réception. Et c’est ce que Dieu dit si sou- vent par ses prophètes : ‘Je vous appellerai mon peuple, et vous direz, tu es notre Dieu.’ Voilà Dieu qui parle le premier, et c’est à lui aussi [de le faire], car quelle témérité serait-ce si je m’ingérais à venir à Dieu et à l’appeler ‘mon Père’, moi qui ne suis non seulement qu’un pauvre ver de terre, mais qui ne suis que péché et corruption, [condamné] à être éternellement damné, moi que Satan possède naturellement, car nous sommes tous sous sa servitude.

Et pourtant, que j’appelle Dieu ‘mon Père’, les anges eux-mêmes n’en sont pas dignes, et pourtant, que j’aille usurper un tel honneur… Mais dès lors qu’il a prononcé ce mot : ‘Je suis ton Père’, eh bien ce n’est plus audace et présomption mauvaise que nous nous considérions comme du nombre de ses enfants, mais c’est une sainte confiance par laquelle nous ratifions sa vérité.

Et c’est le plus grand honneur que nous puissions lui faire, une fois qu’il a dit le mot, que de se tenir là et l’approuver pleinement. Voilà, dis-je, le vrai

‘croire’, tel qu’il nous est ici montré pour exemple et instruction en Abram. » Jean-Daniel MACCHI

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