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L INTELLIGENCE DE SOI ET LE TRAVAIL DU COMEDIEN

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Academic year: 2022

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L’INTELLIGENCE DE SOI ET LE TRAVAIL DU COMEDIEN

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DELPHINE BATTON

« …à quoi leur sert le théâtre ? De même que la lumière leur donne une ombre et que le miroir leur donne un reflet, de même le théâtre leur donne un double, et même plusieurs. Le petit bonhomme qui crie au-dedans « au secours » et toute une foule de sosies bien différents les uns des autres. Cette ombre, ce reflet, ces doubles qui bougent et se modifient sans cesse, fournissent à ces gens des indications précieuses sur leur corps, sur leur situation dans l’espace et dans le temps, sur leur apparence, leurs airs, leurs gestes, leurs pensées secrètes, leurs sentiments cachés. Elles savent ainsi beaucoup mieux où elles sont, qui elles sont, d’où elles viennent et même où elles vont. Elles ont du moins l’impression de le savoir intensément un bref instant. Plus la tempête est grande sur la scène, plus le héros est malmené, plus il sert de phare à tous ces immobiles dans le silence de la salle, très agités à l’intérieur d’eux-mêmes et très désemparés. Le théâtre, ça les apaise, ça les soulage, ça les éclaire dedans. On peut alors penser qu’ils deviennent un peu meilleurs tous ensemble» André Benedetto

Formation au coaching Intelligence de Soi

Osiris Conseil

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SOMMAIRE

SOMMAIRE ... 1

INTRODUCTION ... 2

CE QU'EN PENSENT LES GRANDS MAITRES ... 3

Louis Jouvet, Le Comédien désincarné ... 3

Constantin Stanislawski, La Formation de l’acteur ... 4

TYPES ET COMEDIENS : POURQUOI DEVIENT-ON COMEDIEN ? ... 8

Incarner d'autres que « soi » ... 8

Se découvrir, apprendre à s'apprivoiser, voire s’aimer ... 9

Etre vu, exister, être reconnu ... 9

L’esprit de troupe ... 9

TRAVAIL DE COMEDIEN ET EXPLORATION DES SOUS-PERSONNALITES ... 11

Explorer son pilote automatique ... 11

Explorer son ombre ... 11

Le théâtre classique ou l'exploration des archétypes ... 12

MON PARCOURS AVEC MES PERSONNAGES ... 13

Présentation de mon théâtre intérieur ... 13

Jeannette ou l’exploration d’Artemis ... 18

Lady Chiltern ou la lutte entre la Fémen et l’Epouse ... 20

Hedda Gabler ou la rencontre avec l’archétype d’Athéna ... 21

Béatrice ou le côté obscur de la force ... 24

PISTES POUR UTILISER L’INTELLIGENCE DE SOI DANS LE TRAVAIL DU COMEDIEN ... 25

Le comédien en tant personne exerçant un métier ... 25

L’émergence des sous-personnalités pour mieux exercer son art ... 25

Le comédien et l’approche d’un personnage ... 25

PISTES POUR UTILISER LE TRAVAIL DE PERSONNAGES DE THEATRE DANS L’INTELLIGENCE DE SOI ... 27

Intuition extravertie (Ne) ... 27

Pensée extravertie (Te) ... 28

Sentiment introverti (Fi) ... 29

Pensée introvertie (Ti) ... 31

Intuition introvertie (Ni) ... 31

CONCLUSION ... 32

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INTRODUCTION

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé le théâtre. D'abord, comme spectatrice : au même titre que la lecture, ou le cinéma, le théâtre m'ouvrait des portes vers des mondes, imaginaires ou réels, mais quoi qu'il en soit ailleurs. Le temps de la représentation, je voyageais dans un autre monde, je vivais d'autres vies. Quitter mon enveloppe corporelle, ne plus être ici et maintenant, tout oublier de ma vie, du monde réel, ne même plus sentir le confort ou l'inconfort du fauteuil, mais être avec Cyrano, cachée en dessous du balcon de Roxane, être avec le bourgeois gentilhomme et sa folie des grandeurs, assister aux errements amoureux des deux couples de L'Echange de Claudel... Le théâtre de Chaillot, Antoine Vitez et Jérôme Savary m'auront offert mes premières grandes émotions théâtrales. A ce moment-là, je ne pensais pas qu'un jour j'irais un pas plus loin, pour monter sur la scène à mon tour, et vivre encore plus intensément, en tant que comédienne cette fois, d'autres vies que la mienne.

Aujourd'hui, je me rends compte avec amusement et une certaine tendresse, à quel point mon intuition introvertie (celle que j'appelle Juliette) était en pilotage plein gaz dans ces moments-là. Accompagnée du sentiment extraverti qui, lui, en profitait pour pleurer, rire, se mettre en rage, avoir peur, s'émouvoir, sur toute la palette des émotions humaines...

Cette capacité à s'extraire totalement (tous sens coupés) du monde qui m'entoure pour plonger dans un imaginaire réaliste ou fantastique à un point tel qu'il peut sembler plus réel que la réalité dans ma tête, reste pour moi une des belles facettes de l'intuition introvertie telle que je la vis et la comprends.

De l'autre côté du miroir

Mais ce mémoire n'a pas pour objet le rapport au théâtre en tant que spectateur, mais en tant qu'acteur.

Je compte y explorer deux axes. Dans le travail du comédien ou de la comédienne, comment les différents types se situent ? Quelle(s) facette(s) du métier les a attirés ? Qui en eux leur a fait franchir la porte d'un cours de théâtre ou d'une association ? Par ailleurs, je vais tenter de comprendre dans quelle mesure jouer un rôle permet d'une certaine façon d'explorer ses sous-personnalités, notamment celles de son ombre.

Enfin, je poserai des pistes quant à l'utilisation de l'Intelligence de Soi possible pour le travail de l'acteur ou dans la direction d'acteur.

Pour mener ce travail, j'utiliserai trois approches :

• -la lecture des écrits des grands maîtres sur le travail du comédien ;

• -des entretiens qualitatifs menés avec des comédiens et des professionnels de la direction d'acteurs ;

• -l'analyse de ma propre expérience de comédienne amateure.

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CE QU'EN PENSENT LES GRANDS MAITRES

Louis Jouvet, Le Comédien désincarné

Le dialogue intérieur de Jouvet et les sous-personnalités en jeu

Le livre de Louis Jouvet, « Le Comédien désincarné », est en soi une sorte de dialogue intérieur mené par écrit. En effet, dans « L'Intelligence Soi... et de l'autre », Pierre Cauvin et Geneviève Cailloux décrivent des façons possibles de pratiquer l'intelligence de Soi seul (p.147). Il s'agit de « converser avec le pilote automatique » et de « donner la parole au pôle opposé». Dans son ouvrage, Louis Jouvet ne fait pas intervenir le moi conscient entre chaque intervention du pilote automatique et de l'ombre et ne les identifie pas ainsi aussi clairement : il dialogue avec Jean-Louis, personnage fictif (« Interlocuteur imaginaire dont le prénom a été composé par Louis Jouvet en partant de ses initiales inversées » note de l'éditeur), qui pourrait être son ombre tant il lui apporte souvent la vision de la polarité opposée. Ainsi, Louis Jouvet, dans son introduction sur le sens de son livre, parle du théâtre comme un mystère, et Jean Louis, lui, s'y intéresse comme à une science. Il semble donc qu’on assiste à un dialogue entre le pilote automatique de Louis Jouvet et son ombre, l’un jugeant l’autre (ce qui tend à prouver que le Moi Conscient, lui, est bien absent dans cette affaire, la troisième sous-personnalité qu’il appelle « le secrétaire » cf. ci-dessous étant plus un juge intérieur qui voit chacune des deux autres négativement).

D'ailleurs, cette dualité lui pose question : « Et d'ailleurs qui est le scribe dans cette affaire ? » se demande-t-il. « Je me sens entre eux, à me relire, le secrétaire affolé d'un clinicien qui a le prurit de l'observation ou d'un malade qui a la manie de s'écouter et s’analyser ». Il est pris entre une voix qui est à l'intérieur de la situation, le « malade » qui cherche à comprendre et écouter ce qui se passe en lui et une autre, plus distanciée, en observation, « le clinicien ». La première ressent le mystère, vit le théâtre comme une « chose spirituelle » que j'interprète comme NF et la seconde cherche des « preuves », des démonstrations, un « raisonnement solide, avec une pensée juste et dense », que j'analyse plutôt comme ST.

Dans son introduction, il parle beaucoup d'analyse, de contrôle, d'introspection personnelle, de science de l'acteur. "il y a plus de science aujourd'hui, je veux dire plus d'habileté consciente, connue, surveillée, contrôlée"

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"cette science, si faible soit-elle, est importante"

il met ces termes quasi systématiquement en opposition à une part de mystère, d'énigme autour du travail du comédien et donc de la difficulté à transmettre ce savoir/savoir-faire. "Un acteur n'a rien de stable en aucune façon dans son travail".

Un coté Ti ????, en tout cas dans ce premier "dialogue" on voit ST versus NF ?

Et il semble que dans sa démarche d'écriture autour du métier de comédien il y ait une sous-personnalité en marche qui serait plutôt Ti.

Hypothèse : Jouvet serait INFP, et son livre serait un dialogue avec sa part ESTJ ? Le rôle du Moi Conscient dans le travail du comédien

Louis Jouvet écrit dans son livre à propos des comédiens : « Vivre dans la passion et la lucidité, dans le déchaînement, débridement, libération de soi, et dans la retenue, la conscience de soi, en réfrénant, freinant, organisant ce premier état obligé. C'est équilibre de l'acteur dans le déséquilibre, retenue dans le déchaîné ou le passionné. » Comme si finalement, ce qu’un comédien doit chercher à développer, c’est le Moi Conscient décrit par Pierre Cauvin et Geneviève Cailloux dans L’Intelligence de Soi… et de l’autre : le Moi Conscient « est la capacité à marcher dans la rue et à se regarder à la fenêtre en train de marcher dans la rue ». Jouer un personnage sur scène demanderait de faire appel à son moi conscient comme le coach lors d'une séance de coaching, tenant les polarités, reconnaissant les deux dans leurs qualités, et maintenant « équilibre » et « déséquilibre » ensemble.

« C'est une recherche d'une hiérarchie de soi à soi-même, du Soi et du moi (différentiation à faire), par rapport à un étalon, mesure, patron, modèle : LE PERSONNAGE. » Louis Jouvet

Finalement, le personnage permettrait à travers la confrontation des différentes sous-personnalités du comédien avec cette sorte d'archétype qu'est le personnage de faire émerger le moi conscient grâce à un processus de désidentification.

C’est une des raisons qui me poussent à m’interroger dans les chapitres suivants l’hypothèse selon laquelle le travail d’un personnage, en particulier lorsqu’il se fait sur un personnage proche de son ombre, permet à un comédien de faire émerger son Moi Conscient, pour autant qu’il fasse ce travail de création du personnage avec une forme de prise de recul sur ce qui se joue en lui.

Constantin Stanislawski, La Formation de l’acteur

La recherche de ses sous-personnalités comme travail préalable

Constantin Stanislawski, lui, a choisi de raconter une histoire pour transmettre ses théories, avis, pensées sur le travail du comédien. Le lecteur suit les aventures théâtrales d’un jeune étudiant apprenti-comédien et de son « maître » Torstov. Il s’agit ici de deux facettes de la personnalité de Stanislawski lui-même : le jeune homme en plein développement artistique qui doute, cherche et se questionne et l’acteur et professeur accompli, qui a le recul, sait, voit et guide. D’une certaine manière, ils me font penser à ma bonne élève intérieure et son alter ego la juge intérieure, mais dans un rapport beaucoup plus doux et apaisé (même si grâce au travail mené en coaching et lors des séminaires de formation à l’Intelligence de soi, j’ai pu voir les interactions entre ces deux sous-personnalités évoluer à partir du moment où j’ai pu reconnaître ces deux énergies, m’en désidentifier et me les réapproprier).

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Mais revenons à Stanislawski et aux acteurs. Dans un chapitre intitulé « La Mémoire affective », Stanislawski imagine un échange entre un élève, Gricha, et Torstov. Ce dernier affirme deux choses qui au premier abord peuvent sembler contradictoires. D’une part, il fait répondre par Torstov à Tricha qui se demande comment »posséder tous les sentiments nécessaires pour tous les rôles possibles », « Vous ne serez jamais capable de bien jouer les rôles pour lesquels vous ne possédez pas les sentiments requis. (…) Ils sont à rayer de votre répertoire. On ne classe pas en général les acteurs d’après leur type, mais d’après leur caractère intérieur. » Cela pourrait laisser penser que Stanislawski considère qu’un comédien ne peut jouer que des personnages qui se rapprochent plus ou moins de son pilote automatique, ou de son type (le « caractère intérieur »). Cependant, immédiatement après dans ce dialogue, Stanislawski affine et complète sa vision. Il parle de « possibilités » qui sont là, « car l’homme possède en lui en puissance tous les éléments de toutes les facultés humaines ». On retrouve ici cette notion de l’Intelligence de Soi qui dit que nous avons en nous toutes les fonctions orientées, et que le processus de Moi Conscient nous permet de les reconnaître et de leur faire de l’espace pour qu’elles prennent leur juste place.

Cette exploration de ce qu’il réduit aux multiples sentiments en nous permet ensuite selon lui au comédien de composer à partir de tous ces éléments le personnage qu’il doit incarner.

Le travail du comédien, ou comment mettre ses différentes fonctions au service de son art A la lecture de son livre, je me suis aperçue que Stanislawski incite les comédiens à utiliser toutes les fonctions orientées dans leur approche du théâtre. Ces fonctions apparaissent dans cet ordre dans son ouvrage, mais il n’est pas explicité si cet ordre est voulu (au sens où selon Stanislawski il y aurait une hiérarchie d’importance) ou fortuit.

- La capacité immense à ressentir du Sentiment Introverti (Fi)

Stanislawski décrit de façon détaillée dans le chapitre La Mémoire affective l’importance qu’il accorde à cet aspect dans le travail du comédien. C’est un autre aspect de la personnalité auquel il apporte une grande importance. Là encore, toute l’histoire de La Formation de l’acteur comprend des références à la « vie intérieure » qui selon Constantin-Torstov « doit animer la pièce ». On peut faire une liste et on pourrait compter le nombre de fois (pratiquement à chaque page que l’on tourne, dans chaque paragraphe) des expressions qui font allusion à cet aspect : « activité intérieure », « vie intérieure », « expérience intérieure

», etc. qu’il relie quasi systématiquement aux sentiments.

Torstov explique à ses élèves dans la partie du chapitre consacré au contact qu’il lui arrive fréquemment et qu'il lui est facile « de participer en silence avec mes propres sentiments, sur scène. C’est un état qui m’est familier ».

Par ailleurs, dans les tous premiers chapitres, et c’est le premier apprentissage des élèves de Torstov, Stanislawski fait dire au maître « Vous avez appris, premièrement, que toute action, au théâtre, doit avoir une justification intérieur, être logique, cohérente et vraie. » Il écrira d’ailleurs un chapitre intitulé La foi et le sens du vrai qui amène une réelle notion d’éthique du comédien, qui a pour but selon lui non pas de fabriquer, donner à voir, montrer des sentiments, mais de vivre et revivre de l’intérieur et sincèrement les sentiments demandés par la situation et le personnage.

- La puissance imaginative de l’Intuition Introvertie (Ni)

« Chacun de vos mouvements sur la scène, chacune de vos paroles, dépend de l’expression juste de votre imagination » ou encore « ce qui compte pour nous, c’est l’existence réelle de la vie intérieure d’un être humain dans son sole, et la foi en cette réalité. Nous n’avons pas à nous préoccuper de la réalité matérielle de ce qui nous entoure sur la scène ! »

Tout le livre de Constantin Stanislawski est rempli de ce mot, « imagination ». Le chapitre quatre de son livre est d’ailleurs intitulé L’imagination.

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Mais il parle déjà de l’utilité et du pouvoir de l’imagination dans le chapitre précédent sur l’activité, dans lequel il consacre tout une partie sur la force du mot si : « le mot si agit tel un levier, pour nous faire accéder du monde réel au domaine de l’imagination ».

- L’incroyable mémoire sensorielle de la Sensation Introvertie (Si)

« Si maintenant je vous posais une question très simple : Fait-il froid aujourd’hui ? Avant même de répondre oui ou non ou « je n’ai pas fait attention » vous devrez retourner dans la rue en imagination, et vous rappeler comment vous avez marché en venant ici. Ce n’est qu’après avoir contrôlé vos sensations en vous rappelant les gens que vous avez croisés dans la rue, la façon dont ils étaient vêtus, comment ils remontaient leur col, la neige qui crissait sous les pieds, que vous pourrez répondre à ma question. ».

Même si, il faut le signaler, Stanislawski met la mémoire sensorielle au service de la mémoire affective, qu’il estime plus importante (ce qui laisserait à penser que son pilote automatique serait plutôt N que S…).

- La capacité d’analyse de la Pensée Introvertie (Ti)

« Malheureusement, de nombreux acteurs négligent cette route ; ils sont incapables de disséquer une pièce et de l’analyser. » Il y consacre un chapitre entier de son livre intitulé « Séquences et objectifs. » Torstov invite ses élèves à analyser le personnage qu’ils doivent jouer, à chercher à comprendre la situation dans laquelle il se trouve, son objectif dans une scène, etc. et à faire de même pour la pièce. Malgré le fait que Stanislawski rappelle de ne pas négliger cette fonction, il ne fait que la mentionner et ne lui accorde pas un chapitre entier comme aux autres.

- Le pouvoir d’être en contact, en lien avec le monde extérieur de la Sensation Extravertie (Se)

Dans son chapitre sur le contact, Stanislawski souligne l’importance de cette notion sur scène. Selon lui, « la nature même du théâtre, dont la base repose sur un contact direct des personnages entre eux » et il fait dire à Torstov à l’intention de ses élèves « Je vous recommande particulièrement d’y faire attention, car cette question de « rester en contact » est d’une importance capitale ».

Je relie ce chapitre et ces propos à la Sensation Extravertie, car ce que Constantin Sergueivitch décrit dans ce chapitre m’a beaucoup rappelé les exercices énergétiques faits lors de sessions de formation à Vernou avec Pierre Cauvin. Là aussi il s’agissait d’entrer en contact avec une personne, ou plusieurs, avec l’espace autour de soi et d’établir une sorte de flux continu avec les personnes et les choses à l’extérieur de soi. J’ai toujours identifié cela à la Sensation Extravertie, de la même façon qu’en méditation, se connecter au monde extérieur par tous ses sens, est pour moi une expérience de la Sensation Extravertie.

Stanislawski définit cette notion de contact à plusieurs niveaux. Tout d’abord le contact avec soi-même (qui alors est plutôt Si-Fi), puis le contact avec son ou ses partenaires de scène, ainsi que « le contact avec un objet imaginaire, irréel et inexistant, comme par exemple, une apparition ». Enfin, Torstov-Stanislawski ajoute la notion de contact avec le public : « Le public est notre acoustique spirituelle. Il nous renvoie sous forme d’émotions vivantes ce qu’il a reçu de nous ».

C’est aussi ce qui se passe lorsqu’un comédien joue dans un choeur : grâce à la Sensation Extravertie, chacun se met en lien avec les autres, l’énergie circule et l’on en devient presque une seule et unique entité.

Les troupes de danseurs travaillent énormément cet aspect des choses sur le plateau.

Stanislawski parle de « communion muette », de « courant qui émane » du comédien, « d’ondes invisibles », que j’ai souvent entendu exprimé sous cette forme ou une forme similaire par mes camarades dont la fonction Se est primaire ou secondaire.

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- La facilité à ressentir les émotions des autres et à être touché par les autres (Fe)

« Mais c’est là que la sympathie peut se transformer et devenir le sentiment même qui l’avait provoquée.

(…) Il se peut que l’acteur ressente si profondément la situation du personnage et y réagisse si activement qu’il finisse par se mettre vraiment à sa place et se substituer à lui. Il verra alors l’incident avec les propres yeux de la victime. Ses sentiments seront les siens. Vous voyez donc que nous employons non seulement nos propres sentiments comme moyen de création, mais encore veux que nous avons éprouvés par sympathie pour autrui. »

- La curiosité insatiable de l’Intuition Extravertie (Ne)

Stanislawski introduit dans le chapitre sur la mémoire affective la notion d’ »excitants » qui viennent « éveiller la mémoire affective ». Il conseille aussi à ses élèves d’ajouter constamment de nouveaux éléments

» à leur « trésor ». En cela, il fait appel à l’explorateur, au curieux, au touche à tout : « puisez sans cesse dans vos souvenirs, dans la littérature, l’art, la science, les musées, vos voyages, et surtout dans vos contacts avec les autres. » Il souligne, pour l’acteur, « la nécessité (…) de mener une vie intense, belle, intéressante, variée. (…) L’acteur doit donc être perpétuellement à l’affût ».

- La force d’action et d’entraînement de la Pensée Extravertie (Te)

Je dois avouer qu’après avoir lu et relu “La Formation de l’acteur », je n’ai rien trouvé qui soit en lien avec la pensée extravertie, peut être parce que c’est une fonction plus propre au metteur en scène qu’au comédien ?

Intelligence de Soi et mind building

Même si l’on peut faire beaucoup de rapprochement entre la vision de Constantin Stanislawski du travail du comédien et l’intelligence de Soi, il me semble qu’une différence profonde est à noter. Stanislawski utilise énormément la notion d’entrainement, d’exercice, pour développer de façon volontariste (car nécessaire à faire un bon acteur) les différentes fonctions orientées que nous avons tous en nous plus ou moins présentes plus ou moins fortes, plus ou moins naturelles. L’Intelligence de Soi propose une approche différente, comme le soulignent Pierre Cauvin et Geneviève Cailloux dans L’Intelligence de Soi… et de l’autre. Dans les pages consacrées à l’étape de développement du processus de Moi Conscient, ils expliquent qu’ « une place est libre pour intégrer progressivement le pôle opposé. Il ne s’agit pas de lutter pour développer l’un au détriment de l’autre ; il ne s’agit pas vraiment d’exercer le pôle opposé comme si l’on devait faire du « mind building », similaire à du body building dans le domaine psychique. A l’inverse presque donc de Stanislawski, leur approche pour faire émerger les différentes fonctions orientées est moins volontariste, car aussi moins utilitariste (au sens que chez Stanislawski ce travail n’a qu’un seul but, fabriquer un bon acteur pour avoir un bon résultat sur scène).

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TYPES ET COMEDIENS : POURQUOI DEVIENT-ON COMEDIEN ?

Incarner d'autres que « soi »

Je fais partie de ces personnes qui sont venues au théâtre par ce plaisir de "sortir de soi". Etre quelqu'un d'autre, le temps d'une scène ou d'une prise, sortir de soi, pouvoir faire ce que son pilote automatique ou la société n'autorise pas en temps habituel, s'oublier en étant l'autre, vivre plusieurs vies... mille et une manière d'exprimer ce plaisir ou ce besoin de jouer un personnage qui n'est pas soi. Emmanuelle Chaulet, auteure de « A Balancing Act »,, m'expliquait à quel point la plupart des comédiens qu'elle accompagne sont dans ce désir, et comment pour des raisons d'adaptation au marché actuel du cinéma et de la télévision elle fait un travail avec eux de renoncement à cette envie primaire. Des séances de dialogue intérieur peuvent sans nul doute aider un comédien ou une comédienne à faire émerger une sous-personnalité pragmatique, consciente de ces enjeux du marché qui elle, va comprendre et savoir s’adapter à une vision d’offre et de demande et moins purement artistique, sans pour autant y renoncer.

Enfant, je vivais par procuration dans les livres, et mon premier amour pour le théâtre a été un amour de spectatrice, à la façon dont j'aimais les livres. La première fois que j'ai joué, j'étais en troisième, et notre devoir noté était de monter et de jouer une scène de la pièce médiévale anonyme « La Farce de maître Pathelin ». Comme d'habitude, ma bonne élève (qui est une de mes sous-personnalités bien connues et très présente) s'est mise en marche et les répétitions et apprentissage du texte ont commencé à la maison. Je n'en n'ai que très peu de souvenirs. Ce dont je me souviens très fortement par contre, c'est la

"représentation" de la scène en classe devant ma professeur et mes camarades. J'étais alors totalement

"collée" à mon moi primaire, la bonne élève prenait toute la place à l'école et à la maison pendant les devoirs, relayée par Juliette, la rêveuse enfermée dans sa tour entourée de ses livres et cachées dans les jupes de sa mère. L'Intuition Introvertie dans toute sa splendeur. Dans cette scène, je devais jouer maître Pathelin, qui alors simulait la folie devant son fournisseur afin d'éviter d'avoir à rembourser ses dettes avec la complicité de sa femme : délires, chants, danse, absurde et grotesque, tout y passait. Bref, tout sauf cette partie de moi très présente à laquelle je m'identifiais alors totalement et uniquement. Quel bonheur intense d'oublier pendant quelques minutes la timide, la réservée, la scolaire, la sage Delphine et de pouvoir s'extérioriser dans ce personnage dingo, sautant de chaise en chaise, attrapant un balai pour le transformer en guitare et chantant à tue-tête La Belle de Cadix en liquette. Une énergie totalement extravertie, indifférente au regard des autres, hyper physique et incarnée : la Sensation Extravertie. Je crois bien que ce jour-là a été ma première rencontre avec mon ombre, sans le savoir. Et c'est ce bonheur intense de découvrir "ça" en moi, et de voir dans le regard de ma professeur et de mes camarades tout l'étonnement de découvrir eux aussi qu'en moi pouvait exister cette énergie-là, que j'ai voulu retrouver un jour.

Nordine Lahlou, metteur en scène, scénographe et directeur d'acteurs confirme : "On est tous des "moi"

divisés." Il me dit qu'Antoine Vitez, qui a été son professeur, disait « On peut tout jouer même une femme qui accouche parce qu'on l'a aussi en nous. »

« On n’est pas seul, on n'est jamais seul. On est nombreux à l’intérieur » Nordine Lahlou

J’ai trouvé dans les interviews que j’ai menées de nombreuses références dans ce sens :

« Tout de suite ça m’a énormément plu parce que j’avais l’impression d’être une autre personne. J’avais perdu une certaine identité ou quelque chose et le fait de jouer d’autres personnages me permettait de

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revivre autrement d’être quelqu’un, un comédien de Goldoni, etc etc. une autre vie avec une autre personnalité. » « camper un personnage, faire une interprétation, faire quelque chose où je puisse surprendre par rapport à ce que je suis. »

C’est un point commun quel que soit le type des comédiens que j’ai interrogé. Mon hypothèse est le plaisir qu’une personne peut avoir à sortir de son pilote automatique de temps à autre. Pierre Cauvin et Géneviève Cailloux dans leurs formations font régulièrement référence à ce plaisir de sortie de sa zone de confort, d’aller dans son ombre. J’y reviendrai de façon approfondie dans la partie sur le rapport entre un comédien et le personnage qu’il incarne.

Se découvrir, apprendre à s'apprivoiser, voire s’aimer

Par ailleurs, l'envie d'être comédien peut presque à l'opposé venir de la possibilité qu'offre à des types non admis ou mal vus dans la société de s'exprimer et d'exister, permettant alors au moi primaire d'avoir droit de cité sur la scène, alors que le reste du temps, c'est un pilote automatique totalement adapté aux exigences du monde qui est aux commandes. Louis Jouvet écrit dans Le Comédien désincarné « On fait du théâtre parce qu'on a l'impression de n'avoir jamais été soi-même, de ne pas pouvoir être soi-même et qu'enfin on va pouvoir l’être. »

L’ENFJ que j’ai interviewé me disait en conclusion « Je me suis davantage assumé en tant que personne, en tant que tel. Soi toi-même et puis basta. Les autres tu n’en n’as rien à faire. » tandis que l’INFP parlait de « paix intérieure ». Là aussi, c’est un aspect commun quel que soit le type des personnes que j’ai rencontrées, avec des façons différentes de l’exprimer.

Etre vu, exister, être reconnu

Philippe Caubère dans "Les Carnets d'un jeune homme" écrit : « Dès l'âge de huit ans venait se loger dans ma cervelle, dans l'une de ses multiples entrelacs, cette pitchoune névrose, cette idée bizarre et fixe : me montrer. Sous mon jour le plus beau ou le plus laid, le plus aimable ou le plus effroyable, en tout cas le plus séduisant. »

Lors d’une interview avec un comédien amateur, il m’a dit « bien sûr une reconnaissance parce que tu es sous les feux des projecteurs, parce qu’on t’applaudit. » Ou un autre : « Ce qui me plaisait c’était montrer ma gueule un peu. (…)le fait de jouer sur scène devant plein de monde, une salle archi bondée c’était vraiment génial. »

L’esprit de troupe

« Très tôt l’idée de troupe, l’idée de groupe m’a beaucoup plu aussi. De se retrouver régulièrement, qu’il y ait une ambiance, quelque chose, une appartenance à quelque chose. Et ça c’était génial. » Un comédien ENFJ m’a fait cette réflexion lors de notre entretien. Si l’on peut supposer de façon intuitive que les personnes de type extraverti cherchent particulièrement cette relation aux autres dans le théâtre, j’ai pu constater que chez les personnes de type introverti ce plaisir de la troupe revenait aussi. En effet, voici ce que m’a confié un INFP, « J’aime la vie de troupe. Après avoir joué, il y a une vraie communion avec les autres, un vrai lien d’amitié avec les gens. En tous cas t’as des gens avec qui t’a fait quelque chose de fort et être avec eux c’est presqu’aussi fort que ce qu’on ressent après l’amour. Tu as les autres qui t’ont donné, tu as donné et tu as reçu. ». Personnellement, j’ai trouvé dans ma troupe de théâtre comme une seconde famille, des liens qui se créent dans la durée et profondément.

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J’ai cependant l’impression sans en avoir la certitude au vu du nombre extrêmement limité d’entretiens que j'ai pu mener, que les extravertis ont tendance à être membre de plus de compagnies que les introvertis.

En tous cas, parmi les comédiens que j’ai interrogés, l’ENFJ joue systématiquement avec 2/3 troupes en parallèle et en change régulièrement alors que l’INFP et l’ISFP que j’ai rencontrés sont dans la même troupe depuis longtemps.

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TRAVAIL DE COMEDIEN ET EXPLORATION DES SOUS-PERSONNALITES

« En sortant de soi, on fait l'épreuve de ce qu'on est, de son moi. »

Louis Jouvet

Explorer son pilote automatique

C'est au théâtre le phénomène des emplois. Un comédien ou une comédienne dégage une énergie évidente, celle de son moi primaire, et c'est cela que certains metteurs en scène ou réalisateurs exploitent pour les besoins de leur pièce ou film. C'est Romy Schneider jeune dans ses rôles de Christine ou encore Sissi. C'est Pierre Richard, l'éternel maladroit attendrissant du Grand Blond et de ses variantes.

Emmanuelle Chaulet me confie qu'à l'heure actuelle c'est ce que recherchent les directeurs de castings, et donc c'est un des premiers travaux qu'elle mène avec les comédiens qu'elle accompagne : identifier grâce au Dialogue Intérieur leur moi primaire afin de pouvoir le mettre en valeur et le "traduire" en une typologie de rôles qui pourront être vus comme évidents par ces directeurs de casting. Oubliée la composition. Il faut "être soi" au sens de sa primaire (en tout cas c’est ce que dit une partie pragmatique consciente des attentes des directeurs de castings et du fonctionnement de ce monde du travail particulier qu’est le monde de la télévision et du cinéma actuel).

Pour certains comédiens qui ont un manque d’estime de soi au départ et qui ont une vision qui n’est pas totalement positive de leur pilote automatique, l’explorer à travers un personnage et en avoir des retours positifs des spectateurs peut s’avérer très bénéfique. Ainsi, un comédien avec le Sentiment extraverti en dominante m’a confié ceci : « Je faisais toujours des rôles de papa, de valet, des personnages qu’on aime beaucoup parce qu’ils sont un peu ours, ils sont vachement bons, ils sont tendres. Tout ça, ça me ressemble.

» Quand il a commencé à se sentir mieux dans sa peau, il a eu envie d’explorer d’autres facettes, un peu comme dans le travail en Intelligence de Soi, le fait de laisser s’exprimer le pilote automatique et de l’accueillir avec bienveillance permet de laisser émerger d’autres sous-personnalités.

Explorer son ombre

Vincent Lacoste, acteur de cinéma et interprète dans le film Lolo dit à propos de son personnage « Je ne sais pas quel charme on peut lui trouver car c’est quelqu’un de foncièrement méchant. Non seulement il est en slip, mais il s’installe et dit des choses dégueulasses. Au final, ça met mal à l’aise. » Il explique d'ailleurs qu'"il n'est pas du tout Lolo". On constate ici une projection hyper négative du comédien sur le personnage.

Ce qui peut faire penser qu'il s'agit ici d'une partie reniée (car la réalisatrice Julie Delpy ne parle pas du tout de ce personnage sous un angle aussi négatif).

De la même manière, les premiers rôles que j'ai rencontrés au théâtre correspondaient sans que je le sache à mon ombre. Que ce soit maître Pathelin, ou bien Jeannette la sauvageonne rebelle, amoureuse de la forêt, amante, n'ayant peur de rien sauf du politiquement correct et du fade et du gris, ou Roméo et Jeannette d'Anouilh, ou encore Crystal, la journaliste charismatique qui rejoint les rebelles au mépris du qu'en dira-t-on, de Starmania, mes premiers personnages avaient une dominante très clairement Se, voir ESTP.

Explorer son ombre à travers un personnage, peut même s’avérer douloureux, lorsque cette ombre s’exprime de façon très extrême et est très à l’opposé à la fois de son pilote automatique et de son éducation. Un ENFJ qui se décrit lui-même comme quelqu’un de très tendre et très émotif, m’a dit « quand

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j’ai joué Monserrat à Paris, le rôle d’un despote, j’ai fait des cauchemar pendant 5 mois, des cauchemars et des insomnies. Parce que on a tous et toutes une part sombre en nous et que je suis allé puiser en moi des choses que je n’imaginais pas. (…) Et ça m’a même fait peur tu vois. Parce que je suis pas quelqu’un de violent, j’ai jamais frappé personne de ma vie, je ne me suis jamais battu. (…) Mais ça fait parfois peur parce que tu dis d’un seul coup, peut être que… c’est passer de l’autre côté de la barrière. (…) Je suis allé chercher très très loin dans mes tripes et ce que j’avais en moi et c’était très dur. » Ici, on peut supposer une opposition Fe/Te très forte.

On voit ici dans ces différents exemples que l’exploration de l’ombre peut se vivre de deux façons, selon le travail qui est fait de la part du comédien ou de la comédienne et la façon dont il ou elle est accompagné(e) : la personne peut rester sur sa projection négative ou entrer en empathie et en compréhension du personnage et de la sous-personnalité qu’il incarne, et en cela entrer dans une démarche d’intégration de son ombre

Le théâtre classique ou l'exploration des archétypes

A la différence d’une sous-personnalité, qui est propre à la psyché de chacun (même on peut rattacher une sous-personnalité à telle ou telle famille de fonctions comme les sous-personnalités Se ou encore les sous- personnalités INFP…) un archétype porte en lui notre histoire, notre culture, bref, incarne ce que Jung appelle notre inconscient collectif. Un archétype très courant par exemple, est le Patriarche intérieur, qui porte l’image de ce que devrait être une femme et comment elle devrait se comporter (bonne mère et bonne épouse entre autres).

Dans le théâtre classique, que ce soit les comédies de Molière ou les tragédies grecques ou encore celles de Racine, les personnages mis en scène sont souvent des archétypes. Soit qu’ils le soient déjà car issus des traditions orales ou des Dieux de l’Olympe, soit qu’ils le soient devenus par la suite (tel Harpagon, qui est devenu l’archétype de l’avare amoureux fou de son argent).

« L'expérience archétypique est une expérience intense et bouleversante. Il nous est facile de parler aussi tranquillement des archétypes, mais se trouver réellement confronté à eux est une toute autre affaire. La différence est la même qu'entre le fait de parler d'un lion et celui de devoir l'affronter. Affronter un lion constitue une expérience intense et effrayante, qui peut marquer durablement la personnalité. »

Carl Gustav Jung

Au cours d’une vie, ou lors d’une séance d’Intelligence de Soi, il peut arriver qu’un archétype se manifeste.

La particularité alors est que la sous-personnalité qui apparaît dégage une énergie particulièrement forte et a une capacité de « prise de pouvoir » assez importante sur la personne : il peut générer des peurs et des angoisses non vécues à titre personnel mais portées par l’histoire d’un peuple, ou comme le Patriarche intérieur pousser une jeune mère à culpabiliser voir à renoncer à une vie de femme active à la naissance d’un enfant.

Les personnages du théâtre classique qui sont des figures archétypales peuvent permettre de sentir cette puissance de l’intérieur. De façon détournée, lorsque j’ai joué Mrs Chiltern dans « Un Mari idéal, » personnage complètement sous l’emprise du Patriarche intérieur, j’ai pu expérimenter sa puissance. Mais certaines pièces et certains personnages permettent de faire l’expérience d’un archétype (comme Harpagon, le malade imaginaire ou Iphigénie) de façon forte et directe.

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MON PARCOURS AVEC MES PERSONNAGES

Présentation de mon théâtre intérieur

J’ai mis environ trois ans à valider mon type. Je peux maintenant affirmer que mon type est INFJ, et qu’un archétype très présent en moi est celui de Perséphone, élevée par une mère sans doute INTP (fortement aux prises avec une Athéna très présente) et un père ISFJ.

Julie (Ni-Fe)

C’est mon enfant intérieur, la sous-personnalité qui était prépondérante dans mon enfance. Julie est rêveuse, elle se sent bien dans son monde peuplé de personnes imaginaires qu’elle rencontre dans les livres qu’elle dévore. Elle vit par procuration à travers tous ces personnages. Il lui suffit pour être heureuse d’une chambre avec un grand lit et plein de livres, avec éventuellement une fenêtre pour rêver en regardant au-dehors.

Elle m’apparait également sous la forme d’une licorne (en particulier la licorne du film d’animation « The Last Of The Unicorns ».

Lorsqu’elle est présente, je me retrouve capable de ne rien entendre autour de moi tant je suis captivée par un roman, ou encore de pleurer à l’écoute du générique d’Elephant Man à l’orgue de barbarie tant les premières notes m’évoquent immédiatement ce personnage et ses souffrances.

Dans La Boîte en coquillages, une pièce de Philippe Beheydt dans laquelle j’interprétais le rôle de Marie la sœur cadette, j’ai largement laissé cette partie de moi s’exprimer.

Je pense que Julie correspond à Koré, la version adolescente de Perséphone dans

la mythologie grecque : vulnérable, innocente et fragile. Elle a été présente aussi dans certaines de mes premières relations amoureuses, avec une certaine forme de soumission à un homme fort qui s’impose.

Julie m’aide à entrer en synchronisation avec les mondes intérieurs des coachés.

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Galadriel (Ti)

Galadriel dans Le Seigneur des anneaux a plusieurs aspects. C’est une des elfes les plus puissantes, elle est à la fois admirée et crainte. Je l’associe pour beaucoup avec Athéna et sa version plus inquiétante de Méduse.

Selon les moments, ma Galadriel intérieure prend son regard lumineux, elle conseille, elle m’aide à me positionner en « méta ». Elle est en recul par rapport au monde et à son agitation et se montre forte et objective.

Parfois, je la vis comme un juge intérieur intransigeant et jamais satisfait.

Pendant longtemps, j’ai fait une forte projection sur ma mère dans cet aspect terrible de Galadriel/Méduse qui demande toujours plus et m’oblige à me remettre inlassablement en question et à toujours douter de tout ce que je fais. C’est bien évidemment aussi un formidable moteur pour avoir envie de progresser et de se développer.

Dans Le Seigneur des anneaux, Galadriel a un geste très fort lorsque Frodon lui propose de prendre l’anneau de pouvoir.

Elle le refuse car elle sait qu’elle est tellement puissante que posséder cet anneau pourrait être très dangereux. Lors d’une session à Vernou, j’ai fortement ressenti le parallèle entre cette scène du film et le fait que ma Galadriel intérieure acceptait de ne plus être assise sur le siège central et de laisser le processus du Moi Conscient se mettre en place.

Dans la posture de coach, Galadriel est une sorte de vigie, qui observe, prend des notes, analyse ce qui se joue dans la séance.

La bonne élève (INFJ)

La bonne élève est très présente dans ma vie depuis fort longtemps. Je suis fille d’enseignants et l’école a une place prépondérante dans la culture familiale. Il est donc important de plaire à ses professeurs (dont mes parents qui ont aussi été mes professeurs). La bonne élève doute en permanence, elle n’est pas sûre d’elle, se demande toujours si elle a bien fait, si elle ne pourrait mieux faire. C’est un moteur qui la fait avancer. Elle une soif d’apprendre inextinguible et veut toujours s’améliorer et découvrir de nouvelles choses. Elle est appliquée et sérieuse.

La bonne élève et Galadriel font souvent un couple de sous-personnalités très fort. Galadriel jaugeant et évaluant et prodiguant ses conseils et la bonne élève cherchant à lui plaire, à bien faire.

Ma bonne élève est souvent présente lorsque je coach. Elle est celle qui me donne le souci de bien faire, qui repasse la méthode et le processus en tête et s’applique à le comprendre et à le suivre.

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« Le petit vélo » (Ni)

Avant même de commencer ma formation chez Osiris, j’utilisais déjà cette expression de « petit vélo ». Je l’utilisais alors plutôt dans un sens négatif. Car lorsque je suis sous stress, mon petit vélo tourne en noir. Il voit tout en noir et imagine alors tous les scénarios négatifs possibles.

Je visualise comme un cerveau volant, à l’image du professeur Simon Wright (dans le manga capitaine Flam).

Lorsque tout va bien, mon petit vélo imagine des scénarios très positifs, il trouve des solutions et des chemins de traverse pour m’aider à arriver à mes fins. Il fait des liens, rebondi, imagine, cherche et trouve !

Le petit vélo est très actif en séance, il fait des liens avec la typologie, émet des hypothèses, cherche des pistes et solutions pour avancer dans une séance et me donne la capacité à rebondir et changer d’optique quand le besoin s’en fait sentir.

Sara, la danseuse, l’artiste (Se)

Sara est une artiste libre et touche à tout. Elle danse, elle dessine, elle fait des collages. Elle aime les couleurs, les textures, avoir les doigts recouverts de couleurs. Elle adore avoir des tas de craies, feutres, crayons, pastels, peintures. Elle a son corps qui la démange dès qu’elle entend la moindre musique. Elle se moque d’être semblable ou différente, ce qui lui importe c’est le plaisir de créer, de jouer. Sara, c’est la danse, le théâtre, la musique, le dessin, la peinture, le chant, la sculpture. Sara ose, Sara explore, Sara teste.

Sara a fait quelques tentatives d’apparition lorsque j’étais enfant. Notamment lorsque je me suis inscrite au club poésie, ou encore lorsque j’ai fait ma première expérience de théâtre en classe de troisième. Elle avait sa place dans mes cours de danse, mais était encore peu présente car

alors je vivais la danse plus en Ni qui oublie le monde autour d’elle et aime se faire mal pour sentir son corps.

Je l’ai réellement rencontrée lorsque j’ai rencontré le monde la créativité. Cette rencontre a été un tournant de ma vie à la fois professionnel et personnel. J’ai encore le souvenir très fort de ma première participation à CREA conférence et de la peinture d’une femme papillon qui était sortie de sa chrysalide. A cette époque j’ai renoué avec la danse, mais sous une forme plus en accord avec le Se, une danse libre, d’improvisation, de sensation pure avec la musique et le corps.

J’ai encore à explorer ce qu’elle peut m’apporter dans ma pratique de coach, car pour l’instant elle n’est pas forcément très présente : peut être dans une forme de capacité à inviter à incarner sous des formes diverses (dessin, sculpture, etc.) les sous-personnalités explorées dans une séance ?

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Sam, la femme sensuelle (Se-Fe)

Sam aime séduire, elle aime plaire (en particulier aux hommes qui lui plaisent). Elle est apparue pour la première fois réellement à mon adolescence, de façon furtive, puis jeune adulte avec mon petit ami de classe préparatoire. Elle a surtout pris sa place après ma séparation avec mon ex-mari (qu’elle effrayait plutôt qu’autre chose). C’est elle qui s’est amusée à séduire sur Meetic et continue à entretenir la flamme de la séduction dans mon couple. Elle aime être la plus naturelle possible, elle entretient un rapport assez animal, direct et joyeux avec la séduction. Elle aime les bijoux, les parfums, les huiles essentielles, les beaux tissus fluides et chatoyants pour de belles robes. Elle se sent bien dans son corps, aime en prendre soin et aime qu’il soit aimé et désiré.

Là encore, je n’ai pas encore senti la présence de Sam en séance. La connaître me permet a minima de pouvoir entrer en synchronisation avec des sous- personnalité qui sont comme elle.

Mima (Fe)

Mima, c’est un gros paquet d’amour. A l’image d’Amma, Mima comprend tout, elle est toujours là pour soutenir, accompagner, réconforter. Elle est un puits sans fin de compréhension des autres. Elle pense toujours aux autres avant elle et aime s’occuper des siens et qu’ils soient heureux. Elle n’aime pas les conflits et s’efforce de faire que tous et toutes se comprennent et soient en

empathie les uns avec les autres.

Mima, c’est le nom que mes filles me donnent et il n’est pas innocent que j’ai nommé cette partie de moi ainsi. En effet, Mima est pratiquement née avec elles.

Dans la posture de coach, Mima peut avoir une tendance à jouer les sauveuses. Par ailleurs, elle me permet d’être dans l’acceptation inconditionnelle de chacune des sous-personnalités qui apparaissent, quelles qu’elles soient.

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La Fémen (Se-Ti)

La Fémen est un « soldier of freedom ». Son poème préféré est "Liberté, j’écris ton nom". Elle ose dire tout haut ce que les autres pensent tout bas.

Chacun est libre ensuite de penser ce qu’il veut, ce qui est important c’est qu’elle, elle puisse exprimer sa position et son point de vue et la défendre.

Elle a un coté syndicaliste, militante, sauf qu’elle milite aussi pour elle et ne s’oublie jamais dans les causes qu’elle défend (qui sont de simples questions d’équité, de justice, de bon sens). Elle est très pragmatique et pratico- pratique dans son approche de la résolution de conflit.

C’est une partie de moi que je n’ai découvert que très récemment. Elle est aussi le taureau de feu puissant et libre qui sait me défendre et affirmer de façon assertive ce que je veux, mes désaccords, mes envies. Et qui sait aussi les obtenir.

Dans la posture de coach, ma fémen apporte l’équilibre avec la Mima- sauveuse. Elle m’aide aussi dans l’élaboration de la proposition d’accompagnement en y apportant concret et objectivité.

La pudique (Fi)

Je découvre à peine cet aspect de moi-même. La pudique a besoin que certains aspects de sa vie soient à l’abri de son jardin secret. Elle n’aime pas que tout soit mis à jour, sur la place publique, auprès de tout le monde et n’importe qui. Elle ne parle pas de tout et n’importe quoi avec n’importe qui.

Grâce à elle j’accepte la pudeur de certaines sous-personnalités et je comprends la difficulté que certaines personnes peuvent avoir à se dévoiler.

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Jeannette ou l’exploration d’Artemis

A l’âge de 21 ans, j’ai joué dans ma première pièce de théâtre. J’ai eu la chance de commencer par un premier très beau rôle, d’un auteur que j’affectionne particulièrement. La pièce s’appelle Roméo et Jeannette et l’auteur Jean Anouilh.

Dans cette pièce, Julia, qui a fui sa famille revient dans la maison de son enfance accompagnée de son fiancé et de sa future belle-mère pour les présenter à sa famille (son père, son frère et sa sœur). Julia, c’est la belle-fille idéale. Gentille, soumise, propre, ordonnée, correspondant en tous point à l’idéal du Patriarche Intérieur (“C’est qu’il me semble que j’ai toujours quelque chose à mettre en ordre, quelque chose à nettoyer pour eux.”).

Jeannette, elle est une sauvageonne, elle court la campagne, à l’instar d’Artémis. Elle est libre, protège les animaux (tuer son poulet la met dans une rage terrible). Elle se moque du regard que peut porter sur elle la société et refuse de rentrer dans le moule dans lequel sa sœur est enfermée.

« Jeannette – Je n’aime pas la patience. Je n’aime pas me résigner ni accepter. »

J’ai interprété le rôle de Jeannette.

Ce rôle est arrivé à un moment de ma vie (formidable cas de synchronisation) où je commençais à sentir la possibilité de m’émanciper moi-même des injonctions familiales et de ma bonne élève qui était à l’époque omniprésente. Je me souviens encore du plaisir intense que j’avais à me mettre en colère, à me comporter de cette façon libre et ouverte, à clamer cette rébellion face aux codes établis.

Je trouve en Jeannette les caractéristiques de mon ESTP, ma fémen : libre, revendicatrice de son indépendance, de ses choix (y compris dans une forme de liberté vis-à-vis de l’amour et de la sexualité).

Elle se décrit elle-même comme « un cheval qui sait qu’il ne bronchera plus » lorsqu’elle est amoureuse. Et parfois, son ombre s’exprime (« Vous croyez que c’est ce la qu’ils appellent la tendresse ? »). Jusqu’à d’ailleurs finir par un acte extrême, le suicide, lorsqu’elle se rend compte qu’elle ne peut pas concilier son esprit indépendant, atypique et son envie d’amour.

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Scénario positif

Scénario négatif

Ce n’est que depuis très récemment que j’arrive à sentir cette énergie en moi d’une manière plus fluide, plus légère, moins “utilitariste” ou “en vrac”, en un mot, plus intégrée grâce au travail d’Intelligence de Soi.

Je pense que le fait d’avoir interprété Jeannette m’a permis de sentir et de vivre de l’intérieur la joie et le bien être que pouvait procurer cette forme de liberté, d’indépendance, et « d’aplomb ».

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Lady Chiltern ou la lutte entre la Fémen et l’Epouse

J’ai interprété Lady Chiltern lorsque j’ai eu mon premier enfant.

Lady Chiltern est la femme de Lord Chiltern, le mari idéal (titre éponyme de la pièce d’Oscar Wilde).

C’est une femme de la bourgeoisie politique britannique très classique. Comme toute bonne épouse, elle s’occupe de tenir la maison, de jouer les first lady pour soutenir la carrière politique de son mari. Même dans son engagement dans les cercles de femme on sent une façon de soutenir la campagne de son mari.

Son mari parle d’elle en ces termes : « Oui, ma femme est aussi parfaite que ça. »

Je fais l’hypothèse que Lady Chiltern est de type ESFJ. En effet, elle met l’amour tout en haut de ses valeurs. Et au nom de l’amour, elle est prête à tout faire et tout pardonner. Elle est aussi très protectrice vis-à-vis de son mari, comme une mère envers son enfant.

« Lady Chiltern – I forgive. That is what women help the world. »

Compte tenu de mon éducation féministe, j’ai tout d’abord eu du mal à comprendre ce personnage.

D’ailleurs, mes partenaires de jeu prenaient un malin plaisir à me faire répéter à l’envie quelques tirades clés comme « La vie d’un homme a plus de valeur que celle d’une femme. Elle vise des buts plus justes, elle a des ambitions plus élevées. La vie d’une femme se meurt dans une orbite d’émotion. ». Cette tirade est d’ailleurs dans un premier temps dite par l’ami du couple Chiltern, Lord Goring, qui étonnemment dans la pièce joue un instant le rôle du Patriarche, qui rappelle à Lady Chiltern son rôle d’épouse (qu’elle reprend immédiatement à son compte sans hésiter).

J’ai puisé dans ma fonction auxiliaire Fe pour arriver à interpréter ce personnage et oublier le temps de la représentation les valeurs féministes ancrées fortement en moi.

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Scenario positif

Scénario négatif

C’était d’autant plus intéressant, qu’en tant que future mère, je me sentais tiraillée entre la montée de Mima, la mère prête à s’oublier et se sacrifier pour l’amour de sa famille, et à la fois la féministe mais aussi Julie et Sam, ayant toutes besoin d’espace pour elles, que ce soit l’une dans ses rêves et ses livres, et l’autre dans le théâtre et son expression artistique.

Hedda Gabler ou la rencontre avec l’archétype d’Athéna

J’ai commencé à travailler Hedda Gabler en 2007 alors que je venais de me séparer de mon conjoint, père de mes enfants. Nous vivions encore en alternance dans l’appartement familial et j’étais en plein de crise avec ma mère, qui n’acceptait pas du tout cette séparation et m’en voulait beaucoup. C’est le moment de ma vie où j’ai réellement affronté ma mère et l’archétype qu’elle incarnait pour moi : Athéna. Je me souviens tout à fait que dans mon esprit, Hedda Gabler avait beaucoup de traits communs avec la figure maternelle, et en travaillant ce mémoire j’ai réalisé à quel point ce personnage subit la terrible force d’Athéna.

Travailler ce personnage m’a donné l’impression d’entrer dans la peau de ma mère et de pouvoir arriver à la comprendre. Je réalise aujourd’hui que cela m’a aussi sans doute aidée à plus intégrer Athéna en moi et donc arriver à changer le scénario relationnel qui était établi entre ma mère et moi : en intégrant l’Athéna en moi, j’ai sorti ma mère de ce rôle dans lequel finalement je l’avais enfermée, et j’ai découvert par la suite des aspects Déméter chez elle qui m’ont à la fois surprise et touchée.

Comme Athéna, et comme ma mère, Hedda Gabler a eu une relation très forte avec son père et a un animus extrêmement puissant. Je les relie au tempérament NT car Athéna est née du cerveau de son père, et Hedda comme ma mère ont un pilote automatique extrêmement cérébral et ne valorisant dans les relations que la partie intellectuelle. Elles sont aussi plus à l’aise en compagnie des hommes.

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« Hedda - Oui, quand il y a eu danger imminent que notre intimité ne prît une forme trop réelle. Honte à vous, Eilert Loevborg, d’avoir commis cet attentat contre votre…

hardie camarade. »

Comme Athéna, Hedda refuse l’aspect charnel et physique des relations : lorsqu’Eilert Loevborg cherche à amener leur collaboration intellectuelle en relation physique, elle l’abandonne ; elle refuse de mettre au monde un enfant avec son mari (ce que tous autour d’elle attendent) ; son suicide est déclenché par le fait que le juge Brach finit par obtenir tout pouvoir sur elle et qu’elle sent qu’elle va être acculée à être son amante. Tout ceci me fait penser à nouveau à Athéna qui a toujours défendu sa virginité et ainsi aussi son indépendance face aux hommes.

Avoir comme archétype actif celui d’Athéna dans une société et une époque comme celle d’Hedda Gabler est extrêmement difficile, d’autant qu’elle se retrouve mariée avec un homme qu’elle mésestime d’un point de vue intellectuel. C’est la clé qui m’a permis d’aller à sa rencontre et de l’apprivoiser, et j’ai fini par la défendre auprès des spectateurs et de mes partenaires de scènes qui me disaient qu’ils trouvaient qu’Hedda était un monstre froid.

Scénario positif

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Scénario négatif

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Béatrice ou le côté obscur de la force

La dernière pièce dans laquelle j’ai joué a été écrite par mon compagnon. J’y interprétais Béatrice, une sauveuse qui sous l’influence d’un mauvais génie, Arnold, se transforme en tueuse furieuse. En préparant ce mémoire, j’ai été frappée par les similitudes avec le parcours de Darth Vador : Anakin Skywalker a l’âme d’un sauveur, comme Béatrice, et c’est après avoir perdu sa mère et sous la noire influence de l’empereur qu’il devient Darth Vador et tombe du côté obscur de la force et se transforme en tueur fou.

Béatrice me semblait totalement étrangère quand j’ai commencé à aborder le travail. Je n’arrivais pas à comprendre comment il était possible de basculer ainsi du dévouement le plus total à la furie meurtrière.

Peut-être que l’archétype de Darth Vador qui s’empare totalement d’elle me faisait trop peur et était trop éloigné de la douce et réservée Julie et de Mima la mère chaleureuse et attentionnée. Pour la première fois de ma vie de comédienne, j’ai dû lâcher prise sur le fait de comprendre le personnage que je devais incarner : j’ai simplement plongé dans le côté obscur de la force.

Je pense que lorsqu’un comédien ou une comédienne doit aborder un personnage « pris » par un archétype dans sa pleine puissance destructrice, la seule solution peut être de couper avec une certaine forme de rationalité et se « donner » entièrement à cette force.

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PISTES POUR UTILISER L’INTELLIGENCE DE SOI DANS LE TRAVAIL DU COMEDIEN

Le comédien en tant personne exerçant un métier

L’apport de l’Intelligence de Soi pour un comédien sur la partie purement professionnelle de son métier (choix de ce métier, difficultés à en vivre certains, aspects, rapports avec les metteurs en scènes, agents, partenaires, etc.) est le même que pour n’importe quel professionnel.

L’émergence des sous-personnalités pour mieux exercer son art

Que ce soit dans les écrits de Stanislawski (cf. paragraphes sur les différentes fonctions orientées et le travail du comédien plus haut) ou de Jouvet, les témoignages recueillis ou encore par ma propre expérience, on peut constater qu’un comédien a besoin de toutes ses sous-personnalités pour faire son travail. Il a besoin d’imagination, de sentir son corps, d’être capable d’empathie, d’analyser un texte en profondeur, etc.

Le comédien et la comédienne ont donc besoin l’aller à la rencontre de toutes ces différentes énergies, de connaître celles qui sont bien présentes et quelles sont leurs « forces » naturelles (est-ce la capacité d’imagination, ou bien celle de maintenir une distance par rapport aux rôles, ou bien la mémoire sensorielle, etc.). Ce travail peut bien évidemment se faire grâce à des séances d’Intelligence de Soi.

Un de mes professeurs de théâtre m’avait un jour dit que le « graal » pour un comédien, était d’avoir à la fois la capacité d’être totalement plongé dans son personnage et l’instant présent du jeu, tout en étant en relation avec ses partenaires, conscient de sa position dans l’espace et par rapport aux spectateurs, dans l’anticipation de la suite, à l’écoute des réactions du public, en recul critique par rapport à ce qui se passe afin de pouvoir rectifier au besoin… Ce processus me fait penser à celui du coach, qui, tout en étant dans la relation empathique avec le coaché, doit pouvoir aussi être en capacité d’analyse et de prise de recul à la fois vis-à-vis du coaché mais aussi vis-à-vis de lui-même, ou encore être capable d’envisager des pistes possibles d’avancées dans une séance.

J’imagine qu’il serait tout à fait intéressant d’intégrer dans les routines préparatoires des comédiens avant d’entre en scène celle qui consiste avant de démarrer un coaching à se poser la question de « Qui est là pour coacher ? ». « Qui est là pour jouer ? » Est-ce celui qui a besoin de l’amour des spectateurs (et qui s’il est seul aux commandes peut finir par en faire trop) ? Est-ce celle qui adore se plonger dans de fortes émotions (et qui sans l’équilibre de la polarité opposée plus distanciée et objective peut se perdre et ne plus tenir le fil de la mise en scène) ?

Le comédien et l’approche d’un personnage

… selon que ce personnage est dans le registre de son pilote automatique ou de son ombre.

Emmanuelle Chaulet dans son ouvrage « A Balancing Act », ainsi que dans sa pratique, a énormément développé cet aspect des choses. Elle consacre deux chapitres à cet effet : Travail du personnage du dehors au-dedans, laisser le personnage guider, et Travail du personnage du dedans au dehors, se connecter aux facettes intérieures du comédien. A travers ces deux chapitres, Emmanuelle Chaulet réconcilie deux grandes tendances chez les comédiens, l’une consistant à utiliser son imagination pour

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« fabriquer » un personnage, l’autre consistant à utiliser son expérience personnelle au service d’un personnage. Ce qui en soit peut être compris comme la réconciliation de deux opposés.

Dans la partie du dehors au-dedans, Emmanuelle Chaulet invite les comédiens, comme un coach le ferait en séance avec chacune des sous-personnalités qui apparaît, à découvrir avec une totale ouverture et bienveillance, sans préjugés, le personnage qu’il ou elle devra incarner. Elle parle aussi de cordes lumineuses qui se créent entre le comédien et le personnage. Cela me fait penser au travail que Pierre Cauvin nous a fait pratiquer lors de notre formation, en utilisant la visualisation créatrice pour visualiser les fils (chacun de forme, couleur, taille, vibration… différentes) qui nous relient à telle ou telle sous- personnalité. « Linking with these luminous cords by intentionally calling forth the character is essential to the process. They help reestablish the character every time at each performance and rehearsal, in a systematic way. They give direct access to the vibrational frequency of the character. »

Dans la partie du dedans au dehors, Emmanuelle Chaulet s’exprime ainsi : « Yet, one very important aspect of the inside-out approach is that it recognizes that we hold in our psyche a flock of different traits and experiences, which can be tapped into ans used for actin performance. […] one should only work with the energy of each aspect of our psyche. » Elle parle du Best Inner Vessel (le vaisseau intérieur ideal) pour parler de la sous-personnalité du comédien qui sera la plus à même d’incarner le personnage. Ainsi, une fois identifié le pilote automatique d’un personnage, il suffit au comédien ou à la comédienne, grâce au dialogue intérieur, d’aller à la rencontre de la sous-personnalité en lui ou en elle qui est de « la même famille » que le pilote automatique du personnage. On comprend à quel point il est plus facile d’aborder un personnage qui aurait le même pilote automatique de soi et à l’inverse le travail mais aussi l’apport d’aborder un personnage qui a pour pilote automatique son ombre.

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PISTES POUR UTILISER LE TRAVAIL DE PERSONNAGES DE THEATRE DANS L’INTELLIGENCE DE SOI

Lors de séances de travail individuel, l’intelligence de soi permet aux personnes de développer le processus de Moi Conscient grâce aux déplacements effectués pour « incarner/laisser parler » une ou plusieurs de leurs sous-personnalité et à la vision lucide qui permet d’observer ces sous-personnalités à l’œuvre pour mieux s’en détacher et mieux les comprendre.

Une piste d’intégration du travail d’approche d’un personnage dans l’aide au développement du Moi Conscient que je vois serait d’utiliser des rôles et des textes afin d’incarner, de vivre, de ressentir, d’énergiser une sous-personnalité difficile à appréhender. Si ce travail est suivi d’une forme de vision lucide et d’un travail (soit via les scénarios relationnels, soit via le tableau de Jaime Ona Pangaïa, cela pourrait permettre à mon sens d’effectuer le travail d’intégration ce cette sous-personnalité (il faut alors choisir des rôles et des textes qui permettent de contacter cette énergie dans son aspect positif).

En fait, travailler un personnage de théâtre, qu’il soit proche de son pilote automatique (intéressant au début du processus de développement du Moi Conscient lors de la phase de désidentification avec son pilote automatique) ou proche de son ombre (plus tard, lorsque commence à émerger une intégration de son opposé), reviendrait un peu au travail de projection. Le personnage, comme une personne réelle, peut être le porte-manteau de nos propres projections, et à ce titre peut nous aider, en l’incarnant, à développer notre Moi Conscient.

J’ai tenté de trouver des tirades ou monologues qui permettent d’illustrer chacune des 8 fonctions orientées, en version féminine et en version masculine. Les voici :

Intuition extravertie (Ne)

Figaro dans « Le Mariage de Figaro de Beaumarchais »

« Est-il rien de plus bizarre que la destinée ! fils de je ne sais pas qui; volé par des bandits! élevé dans leurs moeurs, je m'en dégoûte et veux courir une carrière honnête; et partout je suis repoussé! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie; et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre; me fussé-je mis une pierre au cou! Je broche une comédie dans les moeurs du sérail; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet, sans scrupule: à l'instant, un envoyé... de je ne sais où se plaint que j'offense, dans mes vers, la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute l'Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc: et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant: "chiens de chrétiens"! Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant. Mes joues creusaient; mon terme était échu; je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée dans sa perruque; en frémissant je m'évertue. Il s'élève une question sur la nature des richesses, et comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses, pour en raisonner, n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de l'argent, et sur son produit net; sitôt je vois, du fond d'un fiacre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil! je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours;

que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume, et demande à

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