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LE CATHOLICISME EN PERSPECTIVE

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Academic year: 2022

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Blandine Chelini-Pont

LE CATHOLICISME EN PERSPECTIVE

L

1 I e catholicisme est en devenir depuis l'Antiquité. Cherchant

à travers les époques la réalisation parfaite de sa fidélité au , I Christ et à son enseignement, le catholicisme a connu plu- sieurs révolutions, justifiées à chaque époque comme signe de l'Esprit à son Eglise. La dernière vient d'avoir lieu, hier à peine, c'est-à-dire depuis un siècle, dans le renoncement à l'inflexibilité dans la foi et au gouvernement universel, ce fameux dominium mundi des grands papes médiévaux. Et pourtant, malgré ou à cause de ce revirement libérateur, son avenir peut paraître incertain et menacé d'éclatement.

Le peuple de Dieu est défini dans le catholicisme comme l'espace réalisé de sa présence vivante. Vaste programme qui a subor- donné l'Ecriture et son étude au témoignage de cette présence parmi les premiers chrétiens. L'Eglise indivise, celle des temps lointains où

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Orient et Occident parlaient le même langage, puisait toute sa légiti- mité dans la « transmission apostolique », expérience vivante, trans- mise de vivants à vivants, avant puis à côté des Evangiles écrits, qui légitime l'Eglise institutionnelle, dépositaire et médiatrice de la parole du Christ. C'est la Tradition, telle que l'entendent les chrétiens.

Pourtant, cette assurance de l'Eglise indivise d'être éternelle- ment dans la vie de l'Esprit, donnée par le Christ depuis la Pentecôte, s'est toujours accompagnée d'interrogations sur le contenu de la foi et de drames sur l'ultime autorité qui a le droit de l'expliciter. L'esprit de Dieu vivifie son peuple, « pierre par pierre » certes, mais ces pierres, il a fallu les construire, avec des conciles œcuméniques, provinciaux, nationaux, des décisions synodales, des décrétales et autres textes épiscopaux et pontificaux, élaborés à travers les âges pour formaliser une cohérence spirituelle et verbaliser la vérité du message évangé- lique au prix de séparations et d'anathèmes.

Magistère et doctrine catholique sont les outils actuels de cette cohérence, qui permettent d'encadrer les évolutions, vécues non comme des changements mais toujours comme des approfondissements de la Tradition, confrontée aux difficultés ou enjeux immédiatement contemporains. Ce que défend le catholicisme est moins l'immutabilité de la foi chrétienne que les moyens de la conserver vivante à chaque génération, afin d'être fidèle à l'enseignement du Christ.

Cependant, cette attitude spirituelle dynamique reste étrangère à nos mémoires, qui ont tant de liens constitutifs et consécutivement d'espaces d'affrontements avec la foi catholique. De sa longue histoire, le catholicisme a aussi hérité une accumulation de défauts dans sa dif- fusion. Ces défauts ont à voir avec la naissance même du christianisme, rapidement construit contre le judaïsme. Est-ce un héritage du mépris des Juifs pour les religions païennes ? Est-ce un tournant originel qui ne doit son existence qu'aux premiers apôtres, mal reçus des commu- nautés juives de Méditerranée? Chaque Révélation s'est enfermée dans la méfiance de l'autre « concurrente » et l'état d'esprit s'est trans- mis à l'islam de la minoritation et du mépris de l'altérité spirituelle.

Bien plus, certains théologiens considèrent que le christianisme a pris dans cette cassure originelle l'habitude de résoudre l'interrogation réelle de l'altérité religieuse en la gommant par tous les moyens.

Le christianisme, tel qu'il s'est développé en Occident, s'est confondu pleinement avec la catholicité romaine jusqu'à l'époque

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moderne. Il s'est axé sur l'accomplissement de la cité de Dieu sur la terre, rendant la papauté responsable de sa projection idéale, et les souverains d'Europe responsables de son exécution.

La violence, mal nécessaire au bien

Charlemagne, le premier, a incarné dans sa totalité la grande figure du « défenseur de la foi ». Il a utilisé la contrainte pour convertir les peuples païens qu'il a vaincus - pensons aux Saxons baptisés ou décapités - et répandre l'orthodoxie religieuse dans son empire.

Pourquoi ? La rupture d'avec le judaïsme et les incessantes querelles théologiques des premiers siècles, résolues par des conciles, n'expli- quent pas tout. Le profond déséquilibre entre Orient et Occident et la formidable régression de la romanité occidentale au contact des peuples barbares sont responsables de la radicalisation des réactions.

Loin de la Méditerranée et de ses sources, l'Europe naît du mélange de peuples sans culture écrite mais puissants d'un vrai respect de la force et d'une institution survivante d'un monde à l'agonie. Et cette Eglise catholique, s'idéalisant de sa latinité, a construit un visage propre : elle suit saint Augustin, le dernier rhéteur classique, spécialiste des combats de l'âme contre la tentation et visionnaire d'un royaume de Dieu réellement réalisé par les hommes. Le mélange donne un résultat mitigé : une foi, à laquelle les souverains consentent pour ce qu'elle transporte du mythe impérial et à laquelle ils obligent dominés présents et à venir à se soumettre, en bonne logique barbare. Le christianisme a digéré la violence comme régulateur ultime de sa pérennisation, à côté de l'évangélisation missionnaire et bientôt à sa place.

Cette digestion apparemment facile de la violence au service de la foi trouve une expression nouvelle au temps des croisades.

Celles-ci ont laissé dans l'Orient orthodoxe et musulman un souvenir d'épouvante vivace. Elles ont également produit la synthèse « sympto- matique » des ordres religieux militaires. Pensons aux chevaliers Teutoniques, armée de moines-soldats partie au XIIIe siècle évangé- liser et germaniser par les armes les terres de l'Est encore païennes, depuis la Prusse jusqu'à l'Estonie. Que dire du traitement infligé aux

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vaudois et cathares, contre lesquels fut prêchée par le pape Innocent III une croisade locale puis inventé le tribunal spécial de l'Inquisition?

Que dire du sort fait aux Juifs d'Europe à partir des croisades, et parti- culièrement aux Juifs d'Espagne ?

Comment ne pas voir que les solutions radicales comme moyen de régulation spirituelle ont contribué à la transmission d'une très épaisse culture de la violence en Occident ? Comment ne pas voir que les chevaliers Teutoniques sont les ancêtres de ces soldats alle- mands repartis accomplir le Drang nach Osten glorieux de jadis ? Comment ne pas comprendre que les guerres de religion qui ont ensanglanté l'Europe aux XVIe et XVIIe siècles ont été motivées de part et d'autre par ce désir d'en finir avec ce qui menaçait « la volonté de Dieu », et que les protestants ne se sont pas montrés meilleurs juges en copiant l'attitude de déni qu'il convient d'avoir quand on est un « bon croyant » ?

Il a fallu que le christianisme agonise pour que certaines consciences sortent enfin de l'aveuglement général. Car il s'agit bien d'une agonie prévisible que la profonde césure de l'époque moderne où l'humanisme des meilleurs esprits cherche à s'affranchir d'une foi qui emprisonne les âmes dans la crainte du châtiment et n'hésite pas à répandre le sang quand elle se sent en danger, même si, là aussi, l'affranchissement s'est vite transformé en anathème antireligieux. Il s'agit bien encore d'une agonie quand le pouvoir politique devient à ce point l'objet de tant de passions absolues qu'aucune solution rai- sonnable n'est envisageable hormis la tabula rasa révolutionnaire.

L'Occident, infecté de violence et sûr, malgré la profusion de ses dif- férences, de l'unicité de sa vérité, a pu donner toute sa (dé)mesure quand, riche des dividendes accumulés de ses révolutions indus- trielles, il a fièrement aligné armes et hommes dans les conflagrations inégalées de notre siècle. Il nous est resté assez d'héritage pour inventer de nouvelles cités de Dieu, sans Dieu, mais avec toutes les contraintes qu'elles ont établies, et avec une totale bonne conscience, au point de permettre à un esprit aussi éminent que Jean-Paul Sartre de fulminer, comme un pape sa bulle, « tout anticommuniste est un chien » ! Luther n'avait pas fait mieux contre les anabaptistes de Munster. Le marxisme dans cette perspective est bien le dernier avatar du système universel-unique inventé par l'Occident, sur le modèle du catholicisme médiéval. Ce n'est pas par hasard que la France, pays

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très catholique, a été la plus absolutiste, la plus révolutionnaire, la plus marxiste et maintenant la plus relativiste tout en restant la plus universaliste. L'inflexibilité et le désir d'uniformité sont les travers catholiques de la recherche légitime d'unité et ces travers se sont mieux transmis comme habitus culturel que le contenu même de la foi. De la sorte, les Etats-Unis, Occident de l'Occident, qui n'ont pas vécu sur leur sol les guerres mondiales, conservent vivaces bonne conscience et universalisme inflexible.

Fin du « dominium mundi »

C'est cette logique de la rupture irréversible et violente, stigmate du catholicisme médiéval et par lui de l'Occident moderne, qui a été brisée dans le catholicisme contemporain. Au siècle même où l'expression de cette logique a été la plus terrible, la religion catho- lique s'est arrachée à son passé.

Le dégagement du catholicisme de sa propre culture de l'ingé- rence politique en a été le premier vecteur. Le pape Léon XIII (1870- 1901) va lui donner les moyens doctrinaux d'évoluer sans se renier. Il put entreprendre « l'approfondissement » de la doctrine politique du catholicisme grâce à deux faits concordants : l'élaboration de l'ency- clique Rerum novarum, qui inventa la doctrine sociale de l'Eglise, et sa découverte parallèle de l'Eglise catholique américaine, à cette époque déjà très remuante, où les évêques étaient viscéralement attachés au régime démocratique de leur pays. La direction de la première ency- clique sociale combinée à cette expérience américaine l'amena à publier très rapidement, en 1892, une grande encyclique politique, Inter sollicitudines.

Rerum novarum, publiée en 1891, reprenait le long travail intel- lectuel et la lutte des catholiques sociaux contre la misère ouvrière, commencée dans les années 1820 en Europe et notamment en France avec Ozanam. Elle renouait avec une notion longtemps délaissée de la foi catholique et commune à celle-ci et au judaïsme, la justice. Tout au long de son développement sur le salaire juste de l'ouvrier, la juste répartition des bénéfices, le juste système de subsidiarité, la juste représentativité syndicale, Léon XIII donnait corps à une phraséologie

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nouvelle, ne s'énonçant pas comme vérité révélée obligatoire, mais définissant concrètement l'injustice en rapport avec la conception que le catholicisme pouvait avoir de l'être humain.

Désormais, la doctrine romaine ne va plus se détacher de ce nouvel angle de vue, mesurant son énonciation à l'aune de sa propre anthropologie, qui reste ce qu'elle a de meilleur. Dans Inter sollicitu- dines, la justice est prise comme seule mesure politique, à travers le concept de bien commun, finalité unique du pouvoir politique, pou- voir-autorité qui vient de Dieu pour le service de tous. Plus d'apolo- gie de l'ordre contre les désordres de la nature humaine, de cité de Dieu à construire avec le pape à sa tête. Léon XIII cessait au nom de l'Eglise catholique de rêver une cité idéale, afin d'exiger des cités réelles l'établissement légal et jamais achevé du respect des personnes.

Après Léon XIII, après l'expérience d'une guerre sans merci sous Benoît XV qui amorça l'approfondissement de la doctrine catho- lique de la paix, ce fut le travail des papes Pie XI et Pie XII de placer le catholicisme dans la défense de la démocratie et des droits de l'homme. L'expérience de ces deux papes, l'analyse précoce des sys- tèmes totalitaires communiste, fasciste et nazi qu'ils purent en tirer, le travail corollaire des philosophes politiques comme Emmanuel Mounier, Jacques Maritain et les prises de position publiques d'écri- vains aussi célèbres que Georges Bernanos ou François Mauriac ont été décisifs : le virage « magistral », éloigné des préoccupations tradi- tionnelles de l'Eglise sur l'ordre et l'obéissance comme valeurs poli- tiques chrétiennes, transparaît dans l'attention immédiate à la personne et au moyen de préserver respect et dignité de cette personne.

La conformation de la personne à un modèle que l'on ne cesse d'affiner au nom de Dieu est abandonnée comme objectif premier.

La position traditionnelle de l'Eglise catholique face à l'altérité religieuse, une non-position en fait, va disparaître dans le même temps, par l'expérience du totalitarisme et de sa violence inouïe.

Amorcée dans l'entre-deux-guerres, dans une encyclique comme Mortalium animos de 1928 sur le devoir religieux du catholique à prier pour l'unité des chrétiens, continuée par le cri isolé de Pie XI en septembre 1938, peu avant les accords de Munich : « Nous sommes spirituellement des sémites », l'ouverture à l'autre comme axe fonda- teur du magistère catholique devient officielle avec Jean XXIII et

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après la Shoah. Le propre cheminement de Pie XII comme secrétaire d'Etat avant la Seconde Guerre mondiale, puis pendant cette guerre, y fut aussi pour beaucoup. Il fut le premier à avoir conçu que l'Eglise n'arriverait pas à convertir tous les hommes et que les justes pour- raient être sauvés dans leur propre foi. C'était renoncer à l'espérance médiévale d'une progressive conversion de l'humanité, couronnée par la conversion d'Israël qui devait précéder le retour du Christ et la parousie.

Le début de la foi proposée

L'un des premiers gestes de son successeur, Jean XXIII, fut de créer un Secrétariat pour l'unité des chrétiens et de retirer de la liturgie du vendredi saint l'expression « Juifs perfides ». Il prit l'initiative inat- tendue du concile Vatican II et il tint à y inviter des observateurs non catholiques. Tous les textes magistériels de ce concile restaurent la foi catholique dans une révélation à proposer et renouent avec un opti- misme oublié. Partant du postulat que le salut des hommes est déjà réalisé par la résurrection du Christ, ces textes placent le catholique dans une attitude de confiance spirituelle et d'acceptation de l'altérité au nom même du respect religieux que le chrétien a de la création et de toute l'humanité. Œcuménisme, ouverture aux religions non chré- tiennes, liberté religieuse non plus seulement juridique mais aussi intérieure et condition d'une vraie démarche spirituelle, conforme à l'enseignement du Christ, sont les acquis de ce concile.

De tels bouleversements, qui se sont produits à une génération, n'ont été rendus possibles que par des tragédies répétées. Ils ne sont pas encore terminés. Rome et désormais les conférences épiscopales nationales publient depuis quelque temps, dans la perspective du grand jubilé de l'an 2000, de nouveaux documents de « nettoyage » spirituel. Ceux de mars 1998 sur la Shoah insistent sur la nécessaire

« repentance » du catholicisme considéré dans la totalité de son histoire à l'égard des Juifs. En novembre 1998 a eu lieu à Rome un grand col- loque sur l'Inquisition qui va déboucher là encore sur un document autocritique. Dans le même temps, le dialogue avec l'islam est pré- senté dans tous les réseaux catholiques comme une priorité et un témoignage de confiance à l'heure des tentations massives de rejet.

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Quelles sont alors les conséquences potentiellement positives du décentrement de l'Eglise catholique accompli depuis une quaran- taine d'années ? La chance du christianisme est d'être fondé sur l'assu- rance d'une libération. Reprenant au compte de l'humanité la libération par Moïse des Hébreux esclaves en Egypte, le message évangélique promet salut et bonheur à qui est capable d'en vivre.

Souvent dans l'histoire, la densité libératoire du christianisme s'est éteinte dans les oppositions binaires. Désormais il ne lui reste plus que la voie pacifique pour se faire entendre, et c'est pourquoi une possibilité s'ouvre à lui d'être un facteur pacifiant aux niveaux per- sonnel, familial, social et international. C'est ce que l'actuel secrétaire d'Etat auprès du Saint-Siège, le cardinal Sodano, appelle, en langage romain, « la persuasion ».

Tout d'abord l'avance et la place prépondérante de cette Eglise comme structure et du catholicisme comme « comportement spiri- tuel », dans le dialogue interreligieux, sont une vraie chance pour son avenir. L'Eglise catholique est suffisamment universelle et irriguée pour être initiatrice et exemple, à la fois du dialogue et de la possibi- lité de vivre dans la « relativité » spirituelle. Ironie de l'histoire, ce sont les catholiques, si fiers de leur universalité, qui se retrouvent à prôner le respect de la différence religieuse, après trois siècles de prédomi- nance pontificale et d'uniformisation liturgique ! Mais est-ce vraiment de l'ironie ? N'est-ce pas cohérent d'affirmer que l'unité des hommes en Dieu ne veut pas dire uniformité ? N'est-ce pas justement le propre du christianisme d'être « ouvert », si la Révélation chrétienne est toute tendue à la transformation de son regard intérieur envers les autres ? Voilà donc le catholique au début d'un combat, qu'il ne réalise pas lui-même, de refus de la mondialisation des comportements et des attitudes, véhiculés par les efficaces réseaux des sociétés marchandes.

Le voici détenteur d'une contre-culture de l'acceptation de l'autre, qui n'a rien à voir avec la surf-culture à la mode d'une totale tolérance, en réalité totale uniformité consumériste.

Les réseaux catholiques se sont mobilisés pour faire du dia- logue islamo-chrétien un véritable témoignage de foi. La France est d'ailleurs au cœur de cette démarche, car y coexiste une variété assez exceptionnelle de pratiquants et d'indifférents, chrétiens, musul- mans et juifs, sans parler des autres, dans un pays encore marqué par la tradition chrétienne, mais détaché d'elle par son histoire récente. La

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France reste pour le catholicisme un pays laboratoire, d'autant que l'Eglise catholique y expérimente, dans l'humilité désormais, la « parti- cipation », avec d'autres « partenaires » religieux. Quoique discret, le dialogue islamo-chrétien est une réalité vivante en Europe et au Proche-Orient. Parallèlement aux Européens qui investissent beau- coup sur le modèle d'Averroès, le pari de ce dialogue est idéalement de former les musulmans à Faltérité spirituelle sans peur de l'agres- sion ni de la mutilation. Nouvelle ironie de l'histoire : c'est par le tru- chement catholique que l'islam est positivement médiatisé en Occident. Il n'est qu'à voir la place qui lui est accordée dans un jour- nal confessionnel comme la Croix ou lire le dernier rapport de la conférence épiscopale française sur le dialogue islamo-chrétien. Une sainte alliance commence à se profiler entre les musulmans « de bonne volonté » et les chrétiens pratiquants.

Par ailleurs, l'Eglise catholique paraît être une bonne passerelle entre le monde arabo-musulman et Israël. Elle seule a des intérêts assez partagés, une représentativité assez importante et une théologie de l'ouverture assez solide, notamment dans sa familiarité plus impor- tante du judaïsme, pour faire le lien par ailleurs impossible entre les Juifs d'Israël et leurs voisins. Le passé permet d'établir un dialogue en terrain de « connaissance ». Cela explique que, malgré l'affaire du car- mel d'Auschwitz, malgré la canonisation d'Edith Stein, l'Etat d'Israël ait négocié des relations diplomatiques avec le Saint-Siège et qu'il l'écoute, plus que d'autres dans sa défense feutrée des intérêts palestiniens.

Une renaissance culturelle

En deuxième perspective, parions sur une renaissance culturelle irriguée par le christianisme de l'ouverture. Cette hypothèse est, en tout cas, un objectif clairement avoué du pontificat actuel pour le siècle suivant, et le cardinal archevêque de Paris Mgr Lustiger en est un porte-parole averti. Le catholicisme paraît dégagé durablement de la tentation de régence politique qui a été, avec les places respectives de la volonté et de la grâce dans l'accomplissement du salut personnel, son trait le plus caractéristique. La dernière encyclique « philoso- phique », Fides et Ratio, a reçu un bon écho. Ironie de l'histoire encore

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que cette prévisible alliance entre les héritiers de l'humanisme des Lumières et le pape romain contre notre désorientation culturelle.

Peut-être, là aussi, s'agit-il de vieilles ornières, mais elles résonnent différemment après les postmodernités de toute sorte que nous ne cessons de vivre depuis la Seconde Guerre mondiale. Des terrains de convergence interreligieuse se dessinent encore sur ce vocabulaire neuf alliant exigence spirituelle et esprit critique. Contre le consumé- risme ou la négligence entre les personnes renaît la demande perti- nente d'une éducation à la responsabilité et au respect vécu. En écho, contre ces mêmes consumérisme ou négligence dans l'usage de notre environnement, répond la redécouverte de l'écologie comme lieu de morale et de foi. Dans les deux cas le résultat à escompter ne peut être que positif parce que les intérêts sont communs et la concurrence nulle.

Toutes ces belles perspectives doivent être néanmoins rame- nées à leurs proportions raisonnables. Une religion aussi ancienne que le catholicisme ne peut effacer en une génération ce qu'elle conserve comme réflexe culturel ni empêcher la méfiance, accumulée ou naturelle.

Une religion cathodique ?

Le plus profond de ses héritages est à la fois celui qui est le plus visible et celui qui fait le plus obstacle à la crédibilité de sa ré- orientation. Il s'agit de la surdimension médiatique du pape dans l'Eglise catholique. Malgré Vatican II et ses constitutions, malgré la reconnaissance de l'importance fondamentale des diocèses comme Eglises complètes, ceux-ci restent canoniquement chapeautés par l'évêque de Rome devenu ultra-charismatique par la grâce des médias.

A lui seul, il permet d'identifier et d'uniformiser, à l'heure de la com- munication planétaire, la foi catholique au détriment des autres confessions chrétiennes, qui crient à la récupération ou à l'hégémonie persistante. De même, les Eglises locales, avec leurs propres traditions et leur culture risquent-elles de subir ce qu'a subi l'Eglise gallicane de France, c'est-à-dire la destruction de leur particularité et de leur pléni- tude, dans l'alignement sur le modèle romain, répandu sans partage

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par les missions du XIXe siècle. Il est vrai que, pour l'Eglise de France, cet alignement l'a sauvée de la disparition, après 1905.

La surmédiatisation pontificale a également le grave défaut d'être acceptée ou entretenue par l'Eglise catholique elle-même, qui en joue pour conserver ou amplifier sa notoriété. L'« Eglise » continue à influencer le cours du monde par le biais de son réseau diploma- tique, de ses prises de parole et de ses représentations officielles dans les grandes institutions et conférences internationales. Les voyages pontificaux sont l'occasion de vastes démonstrations d'influence auprès des autorités civiles et des médias. Une telle attitude est très loin de disparaître et se justifie du côté catholique par la « mission » de l'Eglise, comme par sa longue expérience de la nature des hommes, qui ne tiennent pour important que ce qu'ils connaissent, même mal. Mais, en ricochet, le catholicisme du XXIe siècle, surmé- diatisé et sous-expliqué, jonglera sur le Net, sur les écrans de télévi- sion et les retransmissions de messes-spectacles gigantesques où le nombre de millions de spectateurs servira de mesure d'Audimat. Nul besoin d'être prophète pour mesurer combien cette absence de dis- crétion au temps de la tyrannie médiatique, cette tranquille hégémo- nie sont dangereuses. Que prévoir de pire pour le catholicisme que d'être la religion cathodique par excellence, à l'américaine, avec cette assurance d'être dans le vrai sans travail de distanciation et cette bonne conscience inébranlable d'accueillir tout le monde dans ce vrai ?

Religion désorientée ?

Cette surmédiatisation met en danger le contenu même de la foi catholique et sa transmission réelle. L'intériorisation d'une religion demande un travail d'éducation long et ingrat et le pari de l'humanisme universaliste comme visage du catholicisme détourne le monde pressé de la profondeur de son univers spirituel. La méconnaissance souvent très grande de la spiritualité catholique risque d'augmenter par voie de conséquence. C'est une des raisons, au-delà du réflexe anticlérical de la culture française, qui explique le développement du bouddhisme dans notre pays : le bouddhisme redonne au Français les grandes vertus de sa culture, en l'extériorisant de ses défauts. La pacification

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des passions par une ascèse spécifique devient la forme la plus adap- tée de l'expression religieuse de son milieu éclairé, à l'image de la mode stoïcienne antique. L'introspection, penchant augustinien, est sauve et chacun se berne sur sa •< distance critique ».

Il reste un dernier dérapage possible pour le catholicisme du XXIe siècle, et c'est paradoxalement sa désoccidentalisation avancée et sa spectaculaire progression dans les pays africains et asiatiques.

Elle peut le conduire à se muer en religion de la revendication tiers- mondiste contre la richesse et l'indifférence des grandes puissances.

L'option préférentielle pour les pauvres en serait la revendication. De plus, les encadrements locaux, loin de l'esprit critique salvateur de la vieille Europe, oublieraient facilement les appels au dépassement confessionnel et retourneraient à la certitude conquérante.

Que dire en conclusion ? On ne peut se réjouir de la perte de substance et de crédibilité intellectuelles de la religion catholique, parce que celle-ci tient aussi son originalité à travers le temps de son aspect raisonneur et spéculatif. On ne peut non plus se réjouir de la méconnaissance grandissante de cette religion en Occident au moment où son patrimoine spirituel est le plus largement disponible.

Selon que la volonté romaine s'oriente vers la renaissance intellectuelle ou la critique sociale, le poids du catholicisme peut également diffé- rer en Europe. Il peut également se perdre dans l'ouverture. Après l'inflexibilité, vient le temps d'une autre contradiction : comment cette religion révélée, c'est-à-dire énonçant une vérité éternelle et univer- selle, peut-elle survivre dans le paradigme de la liberté religieuse sans se dissoudre ni éclater, par réaction, en familles intransigeantes ou particularistes ? Restons optimistes : n'est-ce pas la vocation du christianisme d'être un ferment de contradictions, celles qui ont enfanté le visage singulier de l'Occident, en quête éternelle de libéra- tion, et qui désormais secouent le reste du monde ?

Blandine Chelini-Pont

Références

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A BBRUZZESE Salvatore, Comunione e liberazione : identité catholique et disqualification du monde, Paris, Cerf, 1989, (Sciences humaines et religions).. B AFFOY Thierry, D ELESTRE

Joindre à la fiche un règlement par chèque bancaire à l’ordre d’A.F.P.I.C.L.- I.S.F. Pour les personnes en formation professionnelle continue

Olivier SERVAIS, Professeur d’anthropologie à l’Université catholique de Louvain, Institut de recherche Religions, spiritualités, cultures, sociétés (RSCS). Deirdre

Olivier Landron (Université Catholique d’Angers), Le chant et la musique : marqueurs du catholicisme identitaire (1965-2000). Vendredi 28

[r]

Bernadette Angleraud (Antenne Sociale de Lyon), Valérie Aubourg (UCLy - GSRL), Olivier Chatelan (Larhra), Bruno Dumons (CNRS - Larhra), Jean- Dominique Durand (Lyon 3 - Larhra),

Dans l ’ articulation de ces deux systèmes d’investigation , chaque mode d’approche conserve sa spécificité mais valide l’ autre (Winter, 1984, p.19) : le

La médecine devient alors progressivement un objet légitime pour les historiens professionnels (Nicoud, 2015), d’abord dans une perspective encyclopédiste (des médecins,