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LA QUESTION DE L ÉTAT/NATION EN AFRIQUE ENJEUX THEORIQUES ET PARADOXES SOCIOLOGIQUES

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RÉSUMÉ

Du point de vue des sciences sociales les concepts d’Etat et de Nations renvoient à des entités comme système ou organisation. Mais ces deux systèmes sont deux choses différentes. Il ne s’agit pas d’une différence de degré, mais une différence de nature. L’Etat est un système qui est de l’ordre juridique donc du domaine de la science normative alors que la Nation est système qui est de l’ordre du sociologique donc du domaine des sciences un sociales nomothétiques.

L’Etat comme système normatif est un produit de la culture alors que la Nation comme système sociologique est un produit de la nature. Derrière le système sociologique qu’est la nation, se cache une propriété émergente qui est la puissance ou l’effi cacité. En Occident l’État et la Nation se superposent comme une entité intégrée au point où on pourrait même les confondre.

En Afrique, la réalité est différente. L’Etat et la Nation sont deux réalités qui se chevauchent. En Côte d’Ivoire nous avons un l’État ivoirien (entité ou système juridique avec une assise géographique) et mais pas une Nation ivoirienne (entité sociologique ou société globale). En lieu et place de la nation comme système sociologique ou société globale comme dans le cas de la Côte d’Ivoire, nous avons une agrégation d’ethnies, un pluralisme ethnique, situation hétérogène qui reste à transformer en système national.

De telle sorte que l’État système juridique ne repose pas sur un système national mais une diversité de micro-nations dont les frontières culturelles transcendent les frontières géographiques de l’Etat.

La stratégie de la balkanisation et de la création des nouveaux Etats en Afrique a consisté à briser les entités nationales précoloniales ui ont fragilisé ces systèmes sociologiques. Les migrations transfrontalières le sont du point de vue étatique et non du point de vue sociologique dans la mesure où ces dites migrations se font à l’intérieur de la même nation (aire

Enseignant-chercheur

Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD), Université Félix Houphouët-Boigny Abidjan-Cocody

agnissane@yahoo.fr

Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, n° 10 - 2010

LA QUESTION DE L’ÉTAT/NATION EN AFRIQUE ENJEUX THEORIQUES ET PARADOXES SOCIOLOGIQUES

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Dès lors les questions des enjeux des identités se posent : une identité étatique (juridique) s’oppose où se superpose à une identité nationale (sociologique). Comment alors passer de l’Etat comme agrégation ethnique ou micro-nations à l’Etat comme pluralisme cohérent ou système ? Tel se présente la question de l’enjeu Etat-Nation. Le vecteur sociologique qui fonde cette transition est l’ethnicité, conditionnalité sociologique sans laquelle même les Etats les mieux juridiquement organisés manquent d’assise solide. C’est cette catégorie sociologique à savoir l’ethnicité, qui forge la culture organisationnelle, trame de fonds de la Nation. Sans cette structure sociologique, toute politique de gestion ou de planifi cation stratégique bref de pilotage au sens véritable de la rationalité managériale du micro-organisme qu’est l’Etat, est illusoire.

Mots-clés : Etat, Nation, Ethnohistoire, Socio-anthropologie, Pluralisme ethnique

ABSTRACT

From the perspective of social science concepts of state and nations refer to entities such as system or organization. But these two systems are two different things. It is not a difference of degree but a difference in kind. The state is a system that is therefore the legal science of normative while the nation is the system that is about the sociological therefore the nomothetic social sciences.

Therefore the state as a normative system is a product of culture while the nation as a sociological system is a product of nature. Behind the sociological system is the nation, lies an emergent property which is the power or effectiveness.

In the West the state and the nation are superimposed as an integrated entity to the point where it could even be confused. In Africa, the reality is different. The State and the Nation are two realities that overlap. Côte d’Ivoire we have the Ivorian government (legal entity or system with a geographic basis) and not an Ivorian nation (or society as a whole sociological entity). In place of the nation as a system or society as a whole sociological structure or in the case of Côte d’Ivoire, we have an aggregation of ethnic groups, ethnic pluralism, in a heterogeneous yet to be turned into national system. So that the state legal system is not based on a national but a diversity of micro-nations whose cultural boundaries transcend geographic borders of the state.

The strategy of balkanization and the creation of new states in Africa has been to break the pre-colonial national entities to weaken these sociological systems. Cross-border migration are from the perspective of state and non- sociological point of view since these are so-called migration within the same nation (area sociocultural).

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Therefore issues of identity issues arise: a state identity (legal) confl icts which coincides with a national identity (sociological). How, then go from aggregation as micro or ethnic nation-state system as consistent or pluralism?

As this is the question of nation-state issue. The vector sociological bases this transition is ethnicity, which even without conditionality sociological state best legally organized lack of solid foundation is this sociological category namely ethnicity, culture organization that forges frame Nation funds. Without this sociological structure, any management policy or strategic planning brief control in the true sense of managerial rationality of the microorganism that is the state is illusory

Key words : State, Nation, Ethnohistory, Socio-anthropology, ethnic pluralism

INTRODUCTION

Les multiples confl its en Afriques et leurs récurrences sonnent le glas de la question d’État-Nation en Afrique au regard de ses ramifi cations ethnoculturelles aussi bien internes qu’externes (transfrontalières).

Ces confl its souvent militaro-politiques comme au Libéria, au Niger ou en Côte d’Ivoire, font l’objet de nombreuses spéculations et réflexions d’experts d’horizons divers au plan national et international. Les migrations transfrontaliers avec pour corollaires, l’exclusion, la xénophobie, la crise identitaire, intégrisme religieux qui souvent ont été evoqués comme les causes sous-jantes de ces confl its sociopolitiques. Le processus de crise dite « militaro-politique»

dans laquelle la Côte d’Ivoire semble s’enliser, constitue pour nous un prétexte de porter un regard historico-critique sur ces confl its et leurs implications théoriques et épistémologiques dans le procès de construction des État-Nation en Afrique. Cette lecture historico- critique nous semble nécessaire pour appréhender au-delà de manifestations factuelles de la crise, les véritables enjeux structurels et symboliques dans les perspectives d’une sortie de crise durable.

Pour les observateurs de tous bords, une thérapie aux crises militaro-politique passe par un maitre-mot : réconciliation. Cette ambition de réconciliation parait tout à fait légitime, mais éphémère, si l’on s’en tient aux racines socio-anthropologiques même des crises des sociétés africaines actuelles et leurs antécédents structurels, révélateurs de paradoxes ou antinomies dans le processus de construction des États- Nations en Afrique :

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Toute réconciliation suppose un préalable: la rupture d’une précédente conciliation (système ou synergie État-Nation) comme état initial normal dont la perturbation appellerait la quête d’un nouvel état initial ou« réconciliation » à savoir un nouvel équilibre systémique État-Nation.

Le passage de l’antinomie État/Nation, sources potentielles de crises, au système État-Nation se révèle être le défi théorique majeur à relever. Ceci participe selon Essane Séraphin d’une exigence «globaliste» ou universelle de la culture de la modernité, la rationalisation historique dont la Sociologie wébérienne a aiguisé les concepts opératoires du paradigme de la Rationalité comme

« systématicité» (ou cohérence) et «pertinence» (ou adéquation) (ESSANE, S. 1998 : 80-86).

Dans un tel schéma dialectique, penser la « sortie de crise » ou

« réconciliation » dans ses fondements anthropologiques (système État-Nation), c’est analyser les paradoxes structurels de la « crise » elle- même, en terme de dénouements de nœuds (passage de l’antinomie au système) sans lesquels tout processus de « réconciliation » même le plus diplomatiquement mené ne peut avoir d’assise solide.

Comment passer du pluralisme dichotomique État-Nation au pluralisme cohérent ou système Etat-Nation ?

Il s’agit ici d’une question d’ajustement structurel entre Nation (entité sociologique) et État (entité juridico-administrative). Cela suppose que nous réfléchissons au-delà des manifestations sociales, politiques, économiques des crises, pour appréhender la défaillance de leurs structures sociologiques : antinomie État-Nation.

Ce lieu de défaillance structurelle nous aide à mesurer les véritables enjeux des crises en Afrique et leirs conditionnalités sociologiques avec comme défi ou hypothèse de travail : la quête d’un pluralisme cohérent entre une organisation juridique (l’État) et une organisation sociologique (la Nation).

DE L’ETHNO-HISTOIRE CLASSIQUE DE L’ÉTAT-NATION EN AFRIQUE ET IMPLICATIONS SOCIOLOGIQUES

Une certaine tradition classique de l’histoire des peuples a pendant longtemps nié à l’Afrique, l’existence de sociétés organisées

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en État comme on en trouve dans les « grandes civilisations » des Europes grecques et romaines

Tradition savante classique de l’histoire de l’État-Nation en Afrique

De nombreux récits d’ethnologues, d’historiens qui pullulent encore dans les rayons des bibliothèques d’Afrique et d’Europe, ont distingué et classifi é l’évolution des peuples en trois étapes : sauvagerie, barbarie et civilisation (LEVY, B.L 1992).

Dans ce schéma de lecture évolutionniste, les peuples ou cultures négro-africains incarneraient l’étape de la sauvagerie, au mieux des cas, celle de la barbarie présentée comme une antinomie de la pensée

« civilisée ou moderne » en vigueur dans les sociétés occidentales. Tout ce passe comme si les sociétés humaines aux conditions climatiques, écologiques et historiques différentes étaient déterminées par un schéma progressiste unilinéaire qui impose à tous les peuples une seule référence : la culture occidentale. De là découlent alors les mythes préfabriqués de l’antériorité et de la supériorité congénitale de la « race » blanche sur les autres « races » noire et jaune.

Pour donner une légitimité scientifi que aux thèses européocentriques sur l’Afrique, les penseurs de l’époque coloniale avaient d’ailleurs érigé une discipline, l’ethnologie avec pour seul objet l’étude des peuples primitifs. L’origine du concept « ethnologie » renvoie au mot grec

« ethnos » qui signifi e les païens, les gens de conditions inférieures.

Pendant que la sociologie s’était réservée l’étude et la promotion des sociétés « civilisées », « historiques », incarnées par les sociétés occidentales, l’ethnologie son équivalent disciplinaire opposé s’était réservé « à identifi er l’Afrique aux faits bizarres : circoncision des hommes, excisions des femmes, scarifi cation et tatouages et nombres de pratiques qui dénotent d’une volonté de s’enfermer dans un exotisme de pacotille » (BONAMBELA, P.D.-A. 1966 : 356). Dans la mesure où les peuples africains sont catalogués par une ethnologie coloniale, comme peuples archaïques, sans écriture, sans machinisme, doués d’une « mentalité prélogique», on dénie à ces derniers toute capacité de représentation abstraite (conceptualisation et théorisation de la réalité), à même de leur permettre de transcender le monde mystique et magico-religieux où « les nègres passent leur temps à vouloir faire descendre les dieux du ciel sur terre pour assurer la promotion sociale, et a exhumer les mânes d’ancêtres pour les gouverner » (BONAMBELA, P.D.-A. 1966 : 357).

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Et Alf Schwarz de souligner « Persuader de l’immobilisme et de l’équilibre stationnaire à la base de l’organisation sociale et politiques des peuples étudiés, plus un anthropologue de l’ère coloniale se mit à comparer avec nostalgie l’ordre harmonieux des sociétés tribales aux suites confl ictuelles des progrès de sa propre société. Cette comparaison, quoique bienveillante au départ […] fi nit ainsi souvent à aboutir à la condamnation des sociétés africaines par le jeu des dichotomies simplistes et manichéennes du type société tribale fi gée dans son équilibre statique versus société occidentale en effervescence constante. Ce type de dichotomie justifi ait à souhait l’interventionnisme du pouvoir colonial ».

L’impérialisme et la colonisation présentés comme une mission

« civilisatrice » et un « devoir humanitaire» trouvent une base de légitimité idéologique et scientifi que pour soumettre les peuples non occidentaux. Pour un savant « moderne » imbu de la culture

« hautement évoluée » de la rationalité occidentale, il est impossible de prétendre découvrir chez les peuples négro-africaines, quelque chose de rationnel, comparable à une « organisation étatique », propre aux sociétés historiques « modernes » ou civilisées.

Mais est-ce vraiment en ce sens réducteur et euro-centrique qu’il faut appréhender la question de l’État/Nation en Afrique d’hier et d’aujourd’hui ? La réponse à cette question impose quelques clarifi cations conceptuelles.

L’État–Nation en Afrique, ces signifi cations conceptuelles et ses implications sociologiques.

Au vrai, le type d’État-Nation, qui s’est généralisé dans l’Afrique coloniale et post-indépendante n’est pas issu d’un processus historique naturel des cultures africaines ; mais décrété en Etat, suite à une balkanisation par l’Europe impérialiste et colonisatrice. Cela est source de déstructuration socio-politique, économique, culturelle. Mais qu’est ce que l’État ? Qu’est ce que la Nation ? Qu’est ce que État-Nation ? .

La lecture socio-anthropologique des concepts d’État et de Nation montre que ces deux termes sont si voisins que l’on a souvent tendance à les prendre pour synonymes, Tous les deux désignent des organisations sociales déterminées dans l’espace et le temps.

Mais il y a des nuances qui d’un point de vue anthropologique sont très signifi catives au regard des principes de l’unité et de la diversité

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humaines aux plans biologique et culturel.

L’État est une organisation politico-administrative dotée d’un pouvoir central, d’un territoire, d’une armée et jouissant plus ou moins d’une autonomie juridique et économique (souveraineté). De ce point de vue, l’État relève plus du domaine normative qu’historique.

Il a pour mission principale, assurer la défense du territoire, la sécurité des biens et des personnes vivants sur son sol et garantir leur épanouissement social, économique et culturel. C’est en ce sens que l’État peut être décrété sans aucune « assise historique » c’est-à-dire sociologique comme le sont la plupart des États africains hérités de la colonisation.

La Nation, par contre renvoie à une réalité historique ou sociologique mise en exergue par Bonambela Prince Dika-Akwa nya pour qui la nation se défi nie comme : « une large société constituée de grands ensembles d’êtres humains qui vivent plus en résidentiels ou en protonations unis par une culture commune, solidaire sur un territoire déterminé, et entre lesquels, il y a une identité de race ,un sens propre de leur propre histoire marquée par la gestion d’un empire ou d’un inter-empire, une identité de religion et de langue qui inclus plusieurs parlers et dialectes drivées de celles-ci » (BONAMBELA, P.D.-A. 1966).

Cette définition bien que longue est révélatrice de trois caractéristiques de la nation que l’on retrouve par ailleurs chez Edgar Morin (1984 : 130) à savoir :

- le « sentiment national » qui renvoie à la nature affective du phénomène « nation »

- la « conscience nationale » qui fait allusion à la nature psychologique du phénomène « nation »

- l’ « identité nationale » qui fait appel à la nature anthropo- sociologique du phénomène « nation ».

Les dimensions affectives, psychologiques et anthropo-sociologiques sont des processus historiques interdépendants qui ne peuvent, contrairement à l’État, se décréter. La religion, la langue, les écoles initiatiques, l’appartenance ethnique, l’unité territoriale et culturelle sont les vecteurs de cristallisation nationale qui transcendent le

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cadre de la tribu, du clan, de la peuplade. Ce processus historique de cristallisation nationale peut devenir si profond qu’il apparaît selon Morin comme un « sentiment d’unité de sang » qui à la limite suscite une mythologie raciale (Chamberlain, Rosenberg). La Nation devient alors pour les individus qui lui sont rattachés et reçoivent d’elle protection et sécurité affectives, gloire et respect, ce Grand Être Historique sacré et immortel qui transcende le temps cosmique. La valeur conférée à la Nation ici est d’ordre liturgique (objet de culte), en ce sens qu’elle s’impose aux individus ou groupes et exige d’eux allégeance et obéissance inconditionnelle à ses décrets impératifs, ses tabous, ses cérémonies, ses rites, ses héros et grands mythes, ses symboles (drapeaux, hymnes, commémorations).

Ces défi nitions non exhaustive de l’État et de la Nation laissent transparaitre un lien dialectique entre ces deux notions intelligemment illustré par Morin quand il affi rme que « la nation est en effet bisexuée : elle est maternelle –féminine en tant que mère partie que les fi ls doivent chérir et protéger. Elle est parternelle-virile en tant qu’autorité toujours justifi ée, impérative, qui appelle toujours aux armes et aux devoirs.

La fusion du maternel et du paternel se manifeste […] dans l’étrange association de la formule sacramentelle «mère-patrie» ».

Pour nous, ce que Morin désigne par « Nation paternelle virile » n’est rien d’autre l’État par opposition à la « Nation maternelle » ou Nation à proprement parler. Dès lors l’État-Nation exprime un mariage normal entre un masculin (Etat) et un féminin (Nation) comme on en trouve parmi les êtres biologiques.

Lorsque l’État (entité juridique) précède la Nation (entité sociologique) comme ce fut le cas de l’Europe médiévale et grecque, et comme l’est encore pour l’Afrique postcoloniale, le pouvoir étatique centrale joue un rôle déterminant dans le processus de formation des nations. Dans ce processus dialectique, il arrive que la nation cesse de dépendre de l’État qui l’a crée et exige que l’État dépende elle, lorsqu’une fois celle-ci atteint un niveau de maturité élevé. Ce fut le cas de la révolution française au cours de laquelle la nation (peuple) s’est dressée contre l’État (administration) pour le détruire et reconstruire un nouvel État qui soit désormais l’émanation de la nation qui selon Morin consacre son «authenticité ontologique». Les rapports entre l’État et la Nation ne sont pas seulement de nature

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dialectique, mais aussi complémentaire, avec une prédominance de l’un sur l’autre selon les niveaux d’évolution ou de révolution historiques, de contingences idéologico-théoriques internes ou externes. Mais dans ce processus d’évolution des civilisations, la nation (processus naturelle) fi nit par devenir le socle sociologique (base nourricière) sur lequel repose l’État (processus normatif), sa stabilité et sa pérennité. Dès lors les différents types de nationalismes contesteront l’État chaque fois qu’ils auront le sentiment que ce dernier a trahi la nation. Ce qui engendre les coups d’États et autres révolutions ou crise politique.

Par contre lorsque la nation précède l’État dont il est émanation comme ce fut le cas pour la plupart des civilisations l’Afrique précoloniale et comme c’est le cas des pays de l’Europe moderne, où la stabilité socio-politique est un peu plus garantie. Qu’en est-il de l’Afrique actuel dans son projet de construction d’État-Nation et les implications sociologiques d’une telle construction ?

La négation de l’État–Nation en Afrique les implications sociologiques.

Si les État africains et bien d’autres ont joué jadis un rôle important dans le rayonnement du monde civilisé de leur époque, c’est bien parce qu’ils s’inscrivent dans une « exigence globaliste ou universelle » de culture de la modernité, la rationalisation historique qui sur deux exigences :

La première est « systématicité » (ou cohérence) renvoie dans ce cadre analyse à l’État dans son aspect purement formel jouissant d’un statut juridique et d’une cohérence politico-administrative.

Cette première exigence, si elle est nécessaire dans le processus de construction d’un État, elle n’est pas suffi sante pour sa consolidation.

C’est alors qu’une deuxième exigence devient indispensable à savoir la « pertinence » (ou l’adéquation).

Cette seconde exigence revoie cette fois à une entité ou organisation non plus du point de vue de sa cohérence formelle ou juridique (État) mais de son adéquation sociologique ou socio- culturelle avec le milieu historique. Elle nous situe dans la matrice socio-culturelle de l’État pour en faire un Etat-Nation. Et c’est cette

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pertinence sociologique (Nation) qui confère à l’État au-delà de son caractère légale ou cohérence juridique, une certaine légitimité ou assise sociologique dont elle tire vigueur, stabilité et effi cacité. C’est une telle rationalisation historique qui repose sur la cohérence et la pertinence, source potentielle d’effi cacité et de résistance que le colonisateur a cherché à briser à dessein en introduisant en Afrique un nouveau découpage territorial qui n’a pas tenu compte des entités nationales ou sociologiques précoloniales.

Dès lors s’opère en Afrique une rupture historique traduite par le passage de l’ère de complémentarité des État-Nation comme

« système pertinent » à l’ère de contradiction des État-Nation comme

« antinomie socio-juridique ».

L’intrusion du modèle occidental de l’État/Nation constitue dans l’histoire des peuples d’Afrique, une rupture profonde sans coupure totale (acculturation et contre-articulation). Elle est à interpréter comme une agression sociologique qui implique des bouleversements, des restructurations des modes de vie précoloniaux au plan culturel, social et politique ; juridique. L’État africain d’aujourd’hui, qui prétend être souverain et indépendant n’est qu’une continuité de ce type d’organisation politique mise en place par l’ancienne métropole.

Tout ceci traduit fort bien une lacune sociologique, expression des rapports ambigües entre les sociétés (micro-nations) à l’intérieur d’un

’État qui jouie plus d’une légalité mais souffre d’une légitimité.

Qu’est ce que cela un État légalement constitué (organisme juridique), mais appauvrie de ses matrices culturelles (organisme sociologique) ?

Cette situation d’antinomie État/Nation fragilise politiquement, économiquement, culturellement, spirituellement les sociétés africaines modernes condamnées à trouver leur propre voie dans l’angoisse, les absurdités et les aberrances syncrétiques héritées de la colonisation dans lesquelles elles se sont pendant longtemps abreuvées comme vérité absolue

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DE L’HISTOIRE ACTUELLE DE L’ÉTAT-NATION EN AFRIQUE PRÉCOLONIALE

La modernité avec son idéologie rationaliste partout triomphant dans ses utopies sociales donne selon Essane Séraphin, aux scientifi ques africains un droit particulier comme celui de rompre avec la tradition classique et d’éclairer la société africaine en modernisation sur la part de vérités et d’illusions que véhicule l’héritage culturel des États-Nations de l’Afrique depuis la période précoloniale jusqu’ a nos jours .

Suite à l’accession des pays africains au statut d’État légal on a pensé que l’ère coloniale s’en est allé, entrainant elle avec son cortège de discours ethnocentriques d’une ethnologie infériorisant. On a aussi cru qu’avec le temps et nouvelles découvertes scientifi ques en anthropologie biologique et en archéologie, la conception grossière des sociétés africaines avait disparu avec les progrès des civilisations et des sciences humaines. Mais force est de constater que de vagues vestiges de cette mentalité européocentriste dogmatique subsistent encore dans des cerveaux modernes. C’est une lecture dogmatique qui obscurcie d’avance toute faillite théorique des thèses évolutionniste et fonctionnaliste classiques et leurs implications sociologiques actuelles.

De l’actualité théorique et épistémologique des États- Nations en Afrique

C’est un constat que l’histoire objective des sociétés africaines ne confi rme pas les thèses évolutionnistes comparatistes qui ont nié l’existence de l’État/Nation en Afrique précoloniale. La lecture comparatiste dogmatique Europe/Afrique a évolué dans le sens d’une rupture épistémologique avec l’interprétation dichotomique tant du côté des sciences humaines (sauvage/civilisé ; archaïque/

moderne) que des sciences biochimiques (race noire/race blanche).

Cette rupture épistémologique marque une ouverture à la rationalité scientifi que au pluriel et interpelle chercheurs africains et africanistes de tout horizon disciplinaire à une rectifi cation (démenti scientifi que) de la typologie positiviste réductrice de la problématique de l’État/

Nation de l’Afrique coloniale.

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L’histoire et le progrès de la Science aujourd’hui exigent donc un dépassement dialectique des clichés idéologico-théorique de l’État- Nation en Afrique précoloniale. Cela en appelle une nouvelle approche théorique et méthodologique, en rupture avec l’ethnohistoire coloniale et ses schémas hypothético-déductifs évolutionnistes qui, pendant longtemps, a réduit les cultures négro-africaines à un « ensemble de survivances » et « d’archaïsmes ». L’effet théorique d’une telle rupture est la démonstration faite par l’Histoire des Sciences et l’Épistémologie contemporaine de l’existence la rationalité scientifi que au pluriel.

L’ignorance de cette rationalité au pluriel réduits les travaux de recherche sur les États-Nations en Afrique à une rhétorique scientifi que à l’intérieur du paradigme positiviste et ses avatars évolutionniste et fonctionnaliste. Des thèses et des découvertes archéologiques et anthropologiques au dessus de tout soupçon scientifi que démontrent le contraire à la lumière de l’actualité épistémologique.

Regard historico-critique de l’État-Nation en Afrique.

La démonstration est, depuis quelques temps, faite par de nouvelles races d’historiens des sciences, d’anthropologues ou d’archéologues que ce processus de complémentarité dialectique entre l’État et la Nation est un processus universel observable aussi bien dans l’histoire des peuples occidentaux et non occidentaux en dépit des variations bioclimatiques et culturelles. Les travaux de ces derniers témoignent éloquemment de l’existence de civilisations et d’État-Nation en Afrique précoloniale comme ce fut le cas en Europe.

Parmi ces auteurs, nous pouvons citer Cheick Anta Diop (1955), Robert Cornevin (1963), Joseph Ki-Zebo (1972), Prince Dika- Akwa nya Bonambela et bien d’autres. Les travaux de ces derniers s’appuient sur faits historiques et consolident deux thèses qui font autorité dans les hautes instances des académies de la Science.

La première thèse est d’ordre paléoanthropologique : elle repose sur le fait que l’Afrique est le berceau de l’Humanité, donc la partie de la terre la plus anciennement habitée au regard de l’histoire scientifi que des civilisations.

La seconde thèse est d’ordre épistémologique : elle témoigne que l’Afrique est une terre de civilisation à travers l’histoire de l’Égypte antique comme vivier de savoirs et de savoir-faire inouïs dans multiples

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domaines - mathématique, astronomie, médecine, botanique, agronomie, architecture, etc. Ce vivier des savoirs scientifi ques a servi de bréviaire aux civilisations européennes, notamment grecques et romaines et a contribué à leur rayonnement. Il serait alors paradoxal au regard de ces thèses que cette Afrique qui a produit cette somme de connaissances antiques soit dénuée de « civilisation » ou d’État- Nation durant cette période historique antique.

Quand les premiers colons (marins et commerçants) portugais, français, hollandais, anglais avaient décidé d’installer des comptoirs sur la côte occidentale de l’Afrique, « l’organisation politique des États africains était égale à celle de leurs propres États respectifs » (CHEICK, A.D. 1955 : 31). Le processus historique d’émergence de l’État-Nation comme réalité complexe (juridique, psycho-sociologiques, mythologiques) demeure le même dans toutes les civilisations humaines. Et les faits historiques attestent que ces États précoloniaux n’étaient pas des simples entités juridiques (organisation normative) regroupant dans un territoire géographique des populations d’horizons culturelles diverses. Mais ils reposaient sur une entité symbolique comme fondement sociologique (processus naturel) dont ils tirent toute une légitimité ou assise socio-culturelle.

Les travaux de Prince Bonambela (1966 : 132) sur « les problèmes de l’Anthropologie et l’Histoire africaine » révèlent que les États africains précoloniaux, connus sous forme de royaumes ou d’empires, n’ont pas été des institutions décrétées (simple entités juridiques), mais plutôt des organisations construites sur la base de systèmes à la fois juridiques (légalité) et idéologico-culturels (légitimité). Ces derniers que l’auteur désigne par l’expression de « mouvements » ne sont pas à proprement parler des migrations de type classique, mais de vaste mouvements de reformes politiques, sociales et religieuses… » Ce sont ces mouvements (processus historique) qui ont engendré les empires, les royaumes ou États-Nation africains précoloniaux

Ainsi en Afrique occidentale, le mouvement Torodo a-t-il produit les républiques théocratiques du Fouta-toro et de Fouta Djallon puis les empires Sokoto avec ses deux royaumes : Adamaoua et Jamoa.

Le mouvement Ngondo en Afrique centrale a donné naissance à l’inter-empire commercial d’Ambou, une communauté républicaine.

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Du côté de l’Afrique australe, le mouvement Mpondo a permis à Chaka de bâtir le puissant Etat du Zoulou.

En Afrique occidentale, le mouvement Ambou a donné naissance à de nombreux Etats comme l’empire de Djolof (XIIè – XIVè siècle) devenu confédération étatique, l’empire Sosso (XIIe XIIIe siècle) fondé par une résistante confrérie de métallurgistes qui s’est mué en empire Songhay (XVIe – XVIII siècle). De là émergeront plus tard les empires bambara du Massassi et de Ségou (XVIIIe siècle), les empires Mossi-Ouagadougou, Yatenga (XIIè siècle).

Sur la côte ivoirienne et ghanéenne s’est construit l’empire Akan (XVIè – XVIIIè siècle). Les confréries ont joué un important rôle d’interface capital entre le système politique, le système religieux (la congrégation) et le système économique (castes professionnelles). Ce qui a permis que ces États-nations puissent de conserver leurs armées, leurs administrations, leurs sacerdoces ou patrimoines culturels.

CONLUSION : QUETE D’UN DEFI DE COHERENCE ÉTAT-NATION EN AFRIQUE MODERNE

Que conclure, sinon dire que l’enjeu sociologique de la réconciliation repose sur est un double défi : la complémentarité dialectique Etat/Nation.

Ce défi d’ajustement sociologique Etat/Nation impose une rectifi cation de la défaillance structurelle du pluralisme de « Etat agrégat d’ethnies» pour aboutir à un « Etat système » ou Nation.

La réconciliation se présente ici comme un processus d’ajustement des deux dimensions d’un pays : géo-juridique, ethniciste ou idéologique.

Ce processus d’ajustement implique un défi de cohérence épistémologique «Science et Culture» : avec ses deux exigences Systématicité /Pertinence, sans laquelle la science, vecteur de consolidation des Etats/nations, est stérile parce que épistémologiquement myope.

Nous allons terminer en reprenant Essane Séraphin pour dire : qu’est-ce que cela un Etat techniquement et théoriquement valable du point vu de sa cohérence ou systématicité (Etat juridique), mais

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appauvrie de ses matrices culturelles spécifi ques (Etat sociologique ou nation) de son ethnoscience du point de vue de sa pertinence ? Qu’est qu’une société peut-elle bien attendre d’une telle myopie scientifi que ? Rien fondamentalement. Pire encore, cette défaillance sociologique d’un Etat sans nation malade des incohérences de son noyau épistémique, fragilise les Etats africains postcoloniaux en quête d’assise nationale. Une antinomie Etat/Nation qui infecte et gangrène tous les secteurs de la réalité – politique, économie, santé, éducation, environnent, religion, histoire : véritable poison pour la réconciliation et le développement qui en appelle à une décolonisation politique, économique, avec un préalable : la décolonisation scientifi que.

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