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LA PAIX BLANCHE,,, ;.1

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LA PAIX BLANCHE

, , , ; .1

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DU MÊME AUTEUR La Mort Sara Plon, coll. " Terre humaine "

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ROBERT JAULIN

LA PAIX BLANCHE

INTRODUCTION A L'ETHNOCIDE

ÉDITIONS DU SEUIL

27, rue Jacob, Paris VIe

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< Éditions du Srllil. 1970.

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INTRODUCTION

Des deux côtés de la frontière colombo-vénézuélienne, au nord de l'Amazone, sont les Indiens Bari. L'année 1964 marqua pour ces Indiens, après des siècles de guerre, le temps de paix.

Des groupes étaient déjà entrés en contact avec les capucins espagnols du côté vénézuélien ; des missionnaires jésuites et des bonnes soeurs s'établissaient ailleurs ; le service colombien des affaires indigènes, allié aux pétroliers américains, essayait de tenir une troisième région ; plus loin, quelques centaines d'Indiens demeuraient hostiles.

Nous restâmes, les premiers mois, parmi une maisonnée ins- tallée à l'écart, loin des Blancs. Je vivais en pagne, les Indiens ne modifièrent en aucune façon leurs coutumes malgré l'extrême intérêt qu'ils portaient à mes particularités culturelles ; ils contrôlaient mes bagages, me questionnaient, m'observaient sans cesse et discrètement, bien plus encore que je ne faisais vis-à-vis d'eux.

En juin, la rumeur de la paix parcourut le pays et les Indiens n'attendirent pas la montée des Blancs pour aller faire du tourisme parmi eux, s'assurer de 1'« ouverture » du monde.

Les missionnaires, les pétroliers, soucieux de les regrouper, de les contrôler, voire de les utiliser, tentèrent souvent, avec succès, de les fixer auprès d'eux et de les « civiliser ».

n était assez aisé d'en prévoir les conséquences : désorgani- sation des groupes et des activités productrices, épidémies, modi- fications aberrantes de l'habitat, du vêtement, de l'équilibre alimentaire, des activités de chasse, de pêche, de la parure, du jeu des alliances, de la coiffure — bref l'hébétude, le désarroi, et, au mieux, les fanfaronnades momentanées de quelques-uns utilisés comme intermédiaires.

Je proposai un plan relativement simple pour éviter en grande partie qu >on en arrivât là ; de tous côtés on me reçut fort mal

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et j ' e n fus étonné. E n septembre 1964, quelques groupes rega- gnèrent l'intérieur des terres, choisirent l'éloignement : quatre ans plus tard, je les retrouvai h e u r e u x et tous bien en vie. De 1964 à 1968, des Indiens mêlés aux Blancs, il en m o u r u t près de la moitié ( h u i t cents sur deux mille) et le t a b l e a u qu'offrent les survivants est pitoyable. Quelques mesures élémentaires et u n modeste service sanitaire i t i n é r a n t (ces mesures et ce service étant strictement fonction de la prise de possession du pays p a r les Blancs), auraient suffi à protéger l'existence et la civilisation bari, chacune étant fonction de l'autre. F i n décembre 1964, je regagnai la France.

Je sus, r a p i d e m e n t , que ce p r o b l è m e se posait à des échelles diverses, en b i e n d'autres lieux. J ' a m e u t a i et ne rencontrai que de petits sourires amusés o u u n e opposition tantôt franche, t a n t ô t sournoise.

Les gens de science, mes « collègues », les organisations mis- sionnaires, les services des affaires indigènes, les puissances

« politiques », administratives, internationales, tous eurent les m ê m e s réactions : on m e r é p o n d i t « le progrès », « l'intégration d u sauvage », la « paix de la recherche et sa sauvegarde »...

Je ne gardai pas m o n dégoût p o u r moi et commençai à m ' i n t e r r o g e r sur m o n métier, sur les « fondements » de l'ethno- logie, et de sa complice, la sociologie. J'en avais d é j à eu l'occa- sion à propos de l'emploi des langages formels ; ayant u n e tendance à cet emploi, j'avais souvent été indigné p a r l'usage

« publicitaire » ou ridicule q u ' o n en faisait ; de même, la procé- d u r e « folklorisante » m'avait p a r u malhonnête. Mais tout cela n'était que critiques faites « d u dedans », je restais encore de connivence avec les gens d u métier.

T é m o i n de l'activité missionnaire, je pus constater le cynisme, le désarroi, ou b i e n la solitude des « pères » de toutes sortes.

Je rencontrai p a r m i eux des gens tout aussi « à l'écart » que je l'étais moi-même de m a profession, et j'essayai de r e p r e n d r e et d ' é t u d i e r la longue aventure de l'évangélisation, et l'histoire de ses concepts-clés, telle l'idée de Dieu. Cette idée a l'avantage de correspondre à une suite d'images relatives aux divers m o m e n t s significatifs de notre totalité culturelle.

Enfin, je mis nécessairement en cause l'ensemble d u r a p p o r t de n o t r e civilisation à ces autres civilisations, et, p a r voie de conséquence, le r a p p o r t de notre civilisation à elle-même. J'ose p r é t e n d r e que tout cela n'est pas resté au seul niveau des inten- tions solitaires, malgré le peu qu'il nous ait été donné de faire.

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Cet ouvrage s'inscrit parmi d'autres actes qu'il vient ébruiter.

Cependant, rien de tout cela n'était à mon programme, bien au contraire je crois.

Face à un certain réel, j'ai réagi. Peu à peu, mes réactions s'enchaînèrent sans que je susse bien si ma tête suivait ou précédait.

Au départ, tout me vint d'alentour, d'un ailleurs immédiat, rien n'avait été de mon souhait, et les conséquences, les projets et menées de cette foulée restèrent longtemps en marge de mes spéculations ; mais ils me collaient, ils me collent à la peau comme l'air, ils sont là, ils se rappellent, je suis de conni- vence avec eux ; les ruptures qu'ils impliquent me sont secondaires.

Et pourtant, ce livre n'est pas un véritable essai car il faudra revenir à ces autres intentions, ces autres objectifs, plus prosaï- ques, plus froids, plus théoriques ; mais là, je sais être dans l'illusion ; la « science », sous son visage d'étrangère, ne pourra limiter mon comportement ; que j'en aie ou non du regret est

dénué d'importance, ou de sens. »

-Ce travail est hasardeux ou incompréhensible au regard des exigences professionnelles ; mon souci n'est pas là. J'aurais voulu développer beaucoup plus certaines parties, et je le ferai peut- être ; ces pages ne sont que le premier moment d'une recherche.

Le thème en est notre totalité culturelle, considérée dans son rapport aux autres et à « l'au-delà ». L'usage est d'assimiler la compréhension de la totalité à la somme des compréhensions de chaque partie ; je n'ai pas suivi cet usage, je le crois très mauvais. La compréhension d'une partie me paraît plutôt relever de celle de la totalité (laquelle est dynamique, non figée, « his- torique », certes) et l'idée de « somme des compréhensions des parties » est imprécise et sans pertinence.

Il est malaisé d'émettre des jugements sur la totalité, ils sont nécessairement « théoriques » ou « subjectifs ». Je prêterai le flanc aux critiques ; je souhaiterais seulement, et pour varier de l'ordinaire, qu'elles ne soient pas hypocrites.

Le temps, derrière nous, est long, c'est-à-dire qu'il est dense, que l'histoire de notre civilisation judéo-chrétienne a sept mille ans de péripéties, d'événements, d'accidents systématiques. Tout cela nous rend le recul difficile, la paix nous manque et nous manquera encore longtemps pour y arriver ; aussi nous faut-il r« ailleurs », la comparaison, des termes étrangers de référence.

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Les autres civilisations seront ces termes, elle pennettront de nous connaître, si nous ne les achevons pas trop tôt. Or, la contradiction est précisément qu'en les approchant, en les connaissant, nous les achevons.

Le langage par lequel les raisonnements différentiels seront menés devra s'abstraire ; on comprendra plus aisément ce que fut notre passé et pourrait être notre futur si nous les ramenons à des « images » théoriques que la saisie d'autres cultures nous permettra d'élaborer. Lorsque nous raisonnons en termes différentiels, ce sont des totalités que nous devons comparer.

Faute d'une théorie relative à ces totalités (laquelle implique la comparaison de totalités culturelles), la mise en sac de « mor- ceaux » (l'économique, le mythique, etc.) ainsi nommés arbitrai- rement par nous et relevant de civilisations distinctes, est absurde et coloniale.

La paix nous manquera pour saisir ce que nous sommes — nous, une civilisation — car la guerre en tout genre, cette négation de l'autre, est notre règle d'or. La criminalité cultu- relle, l'ethnocide est une conséquence de l'extension de nous- mêmes, laquelle refère à l'aspect marqué, contradictoire, des relations que nous ordonnons, qui nous ordonnent et que nous sommes ; lors même que l'échec de cette criminalité culturelle, c'est-à-dire le mariage malgré tout des civilisations (ne point confondre avec le métissage des individus), a fait la grandeur blanche, l'accumulation des biens de toutes sortes et l'opposition réfléchie des parties instaurent le drame, nous masquent à nous-mêmes, nous font tricher et mentir à propos d'autrui.

Autrui, ces autres humanisations, ces autres civilisations.

Je voulais dire un peu ce que contenait ce livre, et puis tout se mélange immédiatement ; on me dira : « la totalité » est ce mélange. Les chapitres, comme les chemins poursuivis, s'entrecroisent ; plutôt que d'aller d'un point à un autre, j'ai oscillé et les paragraphes ne correspondent qu'à des accentua- tions orientées de ces oscillations. Nous sommes partis des Indiens Bari, de leur histoire récente, nos généralisations concer- naient la civilisation de ces petits groupes amazoniens à l'inté- rieur de territoires non encore inclus au champ d'extension économique et démographique du monde blanc. Ces sociétés sont principalement installées dans des terres chaudes, des forêts ; la présence blanche est très limitée, marginale, artificielle. Par là, nous entendons qu'il s'agit de pointes avancées de la « civi- lisation » dont l'efficacité est, pour l'une et l'autre des collec-

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tivités, discutable. La mise en valeur, au profit du monde blanc, des territoires ainsi occupés par des indigènes, ne se pose pas encore, mais se posera.

Ce laps de temps, ce dernier répit, autorise une réflexion : l'implantation, soit d'aventuriers sans scrupule, soucieux de spé- culer sur les terres, les mines et la naïveté indienne1, soit de groupes religieux exagérément imbus des valeurs occidentales, cette implantation n'est pas irréversible, puisqu elle est limitée, témoigne « en potentiel » du caractère collectif de l'entreprise coloniale ; il devrait être possible de la contrôler, de la diriger, parfois de l'interdire, de l'annuler.

De telles implantations abusives ont en général été tolérées, voire aidées par les pouvoirs publics. L'analyse de leurs consé- quences montre le mal qui en est résulté dans la presque totalité des cas ; ce mal se mesure par opposition à la vie de ces petites communautés lorsqu'elles eurent le bonheur d'évi- ter la présence blanche ou lorsque prévalut une politique ferme et intelligente, telle celle qui fut menée auprès de Kamayuras par Orleando Villaboas, avec peu à peu l'appui du gouverne- ment, dans le Mato Grosso brésilien.

Les sociétés indiennes de l'Amazone constituent des témoi- gnages, hélas probants, de l'inanité d'un souci d'intégration à tout prix : ce souci concerne généralement les apparences les plus vaines de notre culture et les efforts des uns ou des autres (colons, missionnaires, services des Affaires que l'on doit malheureusement nommer coloniales et non indigènes) qui ne firent que paralyser, détruire ou prolétariser.

Il y a une civilisation de la forêt amazonienne, comme il y a une seule et même histoire du contact et de la destruction.

« L'intégration » est un droit de vie accordé à autrui sous condition qu'il devienne ce que nous sommes. Mais la contra- diction ou la carambouille de ce système est précisément que cet autre privé de lui-même, en meurt d'abord.

L'individu, pris isolément, n'est concerné par ces mots que de façon indirecte. Ce qui fait problème, pour lui, ce qui s inscrit dans son comportement, son corps et ses troubles, relève d'abord des orientations, des modifications, des blessures, des révoltes profondes de la collectivité dans laquelle il s'inscrit : je le redis, « autrui » est d'abord, ici, une collectivité abstraite

1. La forêt amazonienne se vend, pourvu qu'elle soit inhabitée ; on massacre donc ses habitants pour la vendre.

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(une civilisation) et secondairement, par implication, un indi- vidu concret. La courbe de vie ou de mort d'autrui, évoquée avec les conséquences de l'intégration, concerne la liberté et l'invention de vivre de ces civilisations ; cette liberté et cette invention sont les conditions fondamentales de l'existence.

On prétend souvent qu'une différence totale existerait entre les politiques d'intégration et d'assimilation ; l'intégration revien- drait à accorder aux habitants d'un Etat les mêmes droits — la liberté culturelle étant reconnue à chaque sous-groupe — alors que l'assimilation mettrait en cause cette liberté, réduirait tout un chacun au même moule commun.

Cette distinction revient simplement à mettre l'accent sur le pouvoir central et juridique ; elle aboutit à une fausse libération des « esclaves » comme elle conduit aujourd'hui à une fausse reconnaissance de la liberté culturelle ; cette liberté et le cultu- rel revêtent ici un sens si restreint que l'on oublie leur coordon- née majeure : la référence à la totalité.

Les droits accordés à un groupe ou à un homme mis en cage — cette cage qu'est devenue la civilisation blanche pour toute humanité —sont nécessairement illusoires, éventuellement équivoques. Seule la petite histoire peut distinguer l'intégration, qui est toujours au territoire national (cf. colonial), de l'assimi- lation culturelle.

L'intégration est donc une procédure de justification ou

« d'authentification » de l'Etat colonial, lequel réfère le plus souvent à des frontières écologiques et culturelles artificielles, se constitue à partir d'une minorité étrangère accaparant le pouvoir, lors même que cette minorité « disparaisse » appa- remment au profit des « métis » ou nationaux qui lui succèdent et la perpétuent. L'assimilation ne met pas « en avant » l'espace colonial, mais la « civilisation » coloniale. Or, l'espace conquis se déduit de ce caractère « d'être en extension » de la civili- sation occidentale, laquelle est ici nettement définie comme la civilisation blanche. L'opposition entre ces termes est assuré- ment intéressante, mais elle ne distingue que les procédures ou les mots associés à la négation d'autrui.

Toute tentative ethnocidaire est odieuse, que nous ayons affaire à de vastes ou à de petites communautés ; la mesure de ces communautés va cependant rendre variables ces tentatives.

Les Amériques centrale et andine rassemblent chacune de dix à vingt millions d'Indiens, plus métissés au Mexique qu'en pays andin, encore que nous devions faire des réserves sur

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l'opposition Indien/non-Indien. Cette majorité est née en contexte colonial puisqu'il ne restait guère plus d'un million d'individus, tant au Mexique qu'au Pérou et en Bolivie, cin- quante ans après la conquête ; il y en avait, à son début, vingt- cinq à trente millions au Mexique, et de quinze à vingt millions dans l'Empire inca.

Cette montée démographique s'est faite dans le cadre de référence, l'étreinte coloniale, et non dans celui de la civilisation indienne. Cette restriction est très importante puisqu'elle traduit l'expansion dans cette étreinte et non l'épanouissement de l'india- nité. Mais ce phénomène est moins une expansion de cet univers colonial qu'une reprise de vie, de souffle, ou une domination nouvelle de l'indianité à l'intérieur de cet univers ; cette india- nité n'est nullement significative de retrouvailles éventuelles avec des civilisations perdues, l'aztèque ou l'inca, mais l'annonce, sous une forme démographique, de potentialités et d'inventions nouvelles, en gestation 1.

Les mythes politiques classiques de l'indianité, et qui étaient des mythes nationaux, forgés par les blancs ou les métis, face aux européens, sont d'une toute autre sorte. M. Roger Bastide a justement souligné l'indifférence de l'Indien pour ces mythes ;

« Il ne désire qu'une chose : qu'on le laisse tranquille. Or, pour réaliser un mariage, il faut être deux 2. »

L'indianité « fausse » de ces mythes blancs réfère au fol- klore, aux nations coloniales et à des prises de pouvoir. L'india- nité « vraie » des civilisations sud-américaines à venir s'inven- tera, se découvrira au futur et non au passé, et, par là même, puisera le gros de ses forces aux racines les moins touchées par « l'époque blanche ».

Si donc les procédures d'intégration sont, à très long terme, vouées à l'échec lorsque la communauté est assez importante, le mal qu'elles ont pu faire à court et moyen termes suffit

pour les condamner.

A fortiori sommes-nous consternés lorsque sont nulles les chan- ces de survie, de renaissance, d'invention nouvelle d'une civili- sation, d'une part, et que de l'autre sa destruction n'est d'aucun

« profit » pour notre propre monde. Il en va ainsi pour les

1. Non que l'expansion démographique soit en tous les cas expressive de potentialités culturelles à venir, mais simplement que nous puissions en faire, dans le contexte considéré, l'hypothèse.

2. Roger Bastide, « Les mythes politiques nationaux de l'Amérique latine », Cahiers internationaux de sociologie, vol. X X X I I I , 1962.

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petites communautés amazoniennes, et bien que leur totalité constitue (constituait) un ensemble culturel d'importance. Ces Indiens sont situés hors du champ d'extension économique de notre société et leur intégration devrait donc sembler vaine, et « absolument » criminelle. Un tel raisonnement oublie que l'extension blanche est un rapport à la totalité, qu'elle est, de ce fait, tout autant d'ordre symbolique que matériel. L'attitude intégrationiste du monde blanc à l'égard du monde indien est équivalente de celle de l'entrepreneur face à un concurrent qu'il détruit, lors même qu'il n'en tire aucun avantage matériel : le bénéfice est en l'occurrence relatif et symbolique, prend sa signification dans une référence intentionnelle à la totalité.

La généralité de ces propos permet la précision, et situe à leur niveau les solutions « de nécessité », solutions à court terme ou de compromis momentané. On ne saurait confondre des interventions attentives, rendues utiles par le gâchis colo- nial, et la politique d'intégration. Les civilisations indiennes sont séculairement adaptées à un milieu et en ont tiré un savant parti. Et si l'on voulait à tout prix détruire des civili- sations que notre ignorance et notre vanité tiendraient pour indignes de la condition humaine — la volonté intégration- niste suppose, à certains moments, ce mépris imbécile — on ne le pourrait brutalement, à moins de provoquer la mort des hommes auxquels ces civilisations assurent l'existence ; et il est vrai que l'ethnocide tue aussi, physiquement. Quel que soit l'objectif de l'ingérence blanche, et si elle se donne pour condi- tion de ne pas être meurtrière, elle doit respecter la personna- lité indigène, être progressive, partielle, ne point confondre une désaffection totale de l'Indien vis-à-vis de sa culture avec une adaptation à notre monde ; celle-ci est le plus souvent fausse et ne constitue qu'une copie de nos attitudes. Une ingérence blanche d'autant plus souhaitable qu'elle est requise par les maladies et la désorganisation que nous avons introduites, est, auprès de ces groupes amazoniens, celle de services sanitaires itinérants. Hormis cela, nos efforts doivent être tournés vers la non-intervention ; rien : il y a là un programme difficile.

En quelques années, la « paix blanche » a fait huit cents morts, du côté bari ; si la période des grosses épidémies s'achève, la procédure de cette réduction demeure car ces épidémies se greffèrent sur une modification systématique de l'ordre et des modes d'existence indiens.

Aussi, et n'y aurait-il pas eu ces morts, je protesterais quand

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même, car je sais la qualité humaine de cet autre monde, je sais l'a priori et l'insanité des jugements blancs, je sais cette fermeture en extension sur nous-mêmes, j'en sais l'odieux, pour tous, nous autres y compris.

La rencontre de deux pôles — les Indiens Bari et les Blancs

— est la trame de ce livre ; nos arrêts, d'un côté ou de l'autre, ont eu cette rencontre pour raison. Et, en somme, si nous généralisions la récente histoire des Bari, nous admettrions que cette rencontre exprime une façon d'Histoire de notre monde.

Du moins, et en fin de ce premier voyage, avons-nous lié la négation de l'autre à l'extension de soi, et fait de celle-ci le caractère ou la « contrainte d'être » majeure de notre civilisa- tion. Notre civilisation : cet « objet » fondé sur le contradic- toire, et dont la permanence du bruit, des drames, des modifi- cations, des conquêtes, est le trait intime et la constante histoire.

La paix, la discrétion, la maîtrise de soi indiennes contrastent avec ce drame « occidental » d'être.

Les Bari occupent une zone forestière — la Sierra de Perija

— des deux côtés de la frontière colombo-vénézuelienne. Ils vivent par groupes de cinquante à cent cinquante dans des maisons collectives. Ces maisons ont des durées variables — cinq à dix ans — et les groupes changent lors de chaque maisonnée nouvelle.

Deux relations prévalent : l'une de non-mariage, l'autre de mariage ; ces relations se déterminent à l'aide d'un grand nom- bre de critères parmi lesquels il faut compter, malgré sa faible importance, le critère généalogique.

A l'intérieur de chacune de ces maisons collectives, lesquelles constituent à tous égards l'unité de vie fondamentale, une famille est toujours entourée de deux familles alliées. L'homme a tou- jours pour voisins des alliés, et sa femme des alliées, alors que voisins (ou voisines) sont classificatoirement parents.

La règle joue, que l'on raisonne à partir des hommes ou des femmes. Le privilège de l'homme générateur de l'échange ou de la communication entre groupes, auquel les théories classi- ques nous ont fâcheusement accoutumés, n'a pas de sens ici.

Cette maison collective est comparable à un grand nombre des unités de résidence de tribus amazoniennes ; elle a pour loi de formation, le regroupement et la distribution ordonnée des alliés, et non, comme on l'a souvent cru de façon ethnocentrique, des « parents » — patri, matri, etc., lignage. La loi de « l'autre » est le caractère essentiel de cette unité de vie et va régler le

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comportement et l'organisation des actes (unités de production, consommation, déplacements, etc.). La discrétion, la compati- bilité, le souci, pour chacun de ces actes — de ces groupes d'actes puisqu'il s'agit d'actes organisés — de pouvoir se combiner à d'autres actes, d'autres groupes d'actes, sans les modi- fier, seront majeurs. Tout élément fonctionnel paraît assumer le rôle d'unité à l'intérieur du groupe « fonctionnel » en cause.

Cette recherche de la neutralité, avec pour implications le souci et le respect de la définition ou de la mesure de « l'autre », a pour effet une non-extension de soi, dans le « temps » ou

« l'espace » ; le temps réfère soit à l'usage discret ou à des fins d'alliance, des morts, soit à la faible durée des groupements, etc. ; l'espace réfère à la mobilité, au semi-nomadisme, et, plus encore, à la non-identification ou appropriation, par un groupe quelconque de « parents », d'un espace « total » — habitat et lieu de production (chasse, etc.) donné.

La relation à l'univers, en un tel système, ne peut être de conquête ; la lune où vont les morts, et d'où venaient les pre- miers hommes qui s'allièrent, sur terre, à d'autres, lesquels étaient enfermés dans le « modèle » d'une maison collective (l'ananas), la lune, donc, est pour la production et l'organisation des activités humaines un terme complémentaire : tous les morts y sont. La lune est la « mort vivante », la longue durée, le rapport à soi, cette relation de fermeture faute de laquelle la relation à l'autre, l'alliance, ne se peut définir. Cette relation lunaire, la fermeture, la copulation stérile, l'amour fait avec le charognard, la femme au ventre maigre, aux règles renou- velées, tel un enfant sans cesse avorté, cette vie impossible est morne et serait dangereuse si elle n'était pour la société bari que son préalable, une partie abstraite de sa définition ; le jeu de la mort annonce la vie, la poursuit, mais ne l'enserre pas.

Ce jeu est discret, les morts sont lunaires, cohabitent en ce lieu de la relation à soi-même, ils sont une solitude de nuit tenue à l'écart. Ils n'opposeront et n'identifieront pas les vivants en lignage, propriétés... ces cimetières, comme il en est parmi nous ; la mort indienne est de paix, elle n'appartient qu'à la mort, non à la vie — à la différence de l'occidentale, boulimique, criminelle, car nous en avons recouvert notre existence, avons fait de son éternité notre prétention à l'universalité, l'avons rendue utile à nos conquêtes, à nos abus.

Les Indiens n'ont pas plus découpé la terre que l'univers en parties conquérantes, chacune ayant prétention à la totalité.

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Historiquement, la totalité blanche est un cadavre car nous y avons associé le rapport à nous-même et non à l'autre. Ce rapport à soi, les Bari l'ont installé dans la lune. Le reste de l'univers est lié au rapport à l'autre, et la vie humaine, expri- mée par la maison collective, se fonde par et dans le rapport à l'autre.

La lune est le seul cimetière, le même lieu de référence pour la mort de tous les hommes ; à l'inverse des blancs qui enterrent leurs morts comme on s'approprie un champ, et ces champs, ces nations les opposent...

L'espace (l'univers) bari est un allié ouvert, ni contraint ni contraignant, et il faut associer à cette proposition le caractère de la maison collective : une ville se suffisant à elle-même. Cette ville a pour spécificité d'être :

1. sans complémentarité à un monde sis ailleurs (paysan, etc) ;

2. soucieuse, avant tout, d'entrecroiser les classes alliées — le problème étant le jeu de cette relation à l'autre, et non la constitution, jamais exprimée, de classe ;

3. non figée ni fermée sur elle-même, par le simple fait de sa précarité et de la tendance aux mariages uxorilocaux (un homme va épouser une femme d'une autre maison) ;

4. incluse de manière -fonctionnelle en un territoire où la collectivité est maîtresse et « l'éternité » discrète, associée à l'espace, aux oiseaux : toucans1 dont les plumes firent la lumière, charognards avec lesquels les hommes, jadis, sur la lune, faisaient improductivement l'amour, et qui, aujourd'hui, mangent les morts et les ramènent là-haut.

Sans doute existe-t-il une « indianité blanche », si ce n'est explicite, du moins potentielle. Les aspects indiens de notre civilisation sont impliqués par une double révolution :

1. scientifique : d'abord physique ;

2. sociale : le fait de la ville, son autonomie nouvelle, l'entre- croisement des alliés à l'intérieur des unités de résidence, im- meubles, etc., comme à l'intérieur des unités de production (usines...), voire de consommation (restaurants, cantines, etc.), toutes unités liées à cette ville. L'entrecroisement de ces diverses unités entre elles : regroupement, en une unité de travail, de personnes appartenant à diverses unités résidentielles ou confes- sionnelles, etc. Bref, la non-réflexivité, entre les éléments d'une

1. Traduction approximative du terme akiragdo.

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unité donnée, de la majeure partie des relations essentielles par lesquelles les éléments vont, un à un, être définis.

Ces modifications ont engendré des rapports à l'univers tota- lement différents de ce qu'il en était jusqu'alors. Face à notre lointain passé dans lequel nous (les ethnologues en tête) relé- guons sous le nom de « sauvages » les autres civilisations, face à une « nature » abusée et définie au XIXe siècle, notre suffisance, parfois, fait un peu place à un certain relativisme, une non-violence poussée jusqu'à l'absurde, des révoltes expli- cites d'un dégoût pour les pouvoirs de toutes sortes.

L'indianité bari, et une « indianité blanche » aussi lointaine qu'une espérance, peuvent être tenues pour des applications hypothétiques d'une logique humaine du compatible.

Toute civilisation est alliance avec l'univers. L'univers n'est jamais un ensemble immuable et donné ; il est ce que l'homme fait de lui par cet acte d'alliance ; cet acte est doué d'une liberté « relative », l'homme ne « fait » pas l'univers à sa seule guise, l'au-delà ou l'en deçà de l'homme, qui sont des contraintes où l'être et le milieu se retrouvent, conditionnent l'intelligence et l'aménagement humain du monde. De cette intelligence, de cet aménagement, et non point d'une nature qui existerait « en soi », il résulte un terme « historique » et donc variable, le « monde » ; ce « monde » que « l'histoire humaine de la nature » — pour reprendre un titre de S. Moscovici — nous enseigne, est ce terme forgé, avec lequel l'homme s'allie, et qui constitue un facteur essentiel de la défi- nition de la nature humaine. Dans ce mot « nature humaine » nous incluons comme une de ses parties ce que l'on appelle aussi la culture (l'opposition des termes n'est pas pertinente).

Si nous simplifions abusivement, nous dirions que cet acte « na- turel » d'alliance avec le monde va répondre à deux attitudes possibles et contradictoires, et, partant, déterminer deux « lo- giques » du cosmos. Chacune de ces cosmologies est l'unité humaine maximum que toute civilisation définit, bâtit ou subit, et il lui correspondra nécessairement toute une série d'unités restreintes, relatives aux divers actes de l'existence — unité de résidence, de consommation, de production, de mariage, etc. — lesquelles obéiront à une « logique » semblable à celle par laquelle le monde se trouve construit, appréhendé, ou à sa

« complémentaire », ce dernier mot étant pris ici dans le sens « littéraire », de façon imprécise.

Ces « logiques » sont respectivement celle du « marqué »

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et celle du « compatible ». Nous venons d'évoquer la dernière, le compatible, revenons sur le contradictoire, le marqué.

Si l'une et l'autre de ces « logiques » ont pour objet l'alliance avec l'univers humanisé, celle du marqué a pour conséquence une extension du « soi » d'une civilisation à l'univers : celui-ci est défini et manipulé en vue de son appropriation ; la société va inclure le monde à elle, et, au mieux, ses « dieux » repré- senteront son inclusion symbolique dans le monde : puisque la nature du monde est nécessairement humaine, cette double inclusion n'est pas une égalité (l'égalité de deux termes se définit par l'inclusion de l'un en l'autre ), elle répond à une conquête de l'un par l'autre.

Si l'on emploie le langage de la parenté, et que nous défi- nissons un parent par la fonction de non-mariage, nous dirons qu'un individu se connaît d'abord comme son propre parent, en cela qu'il ne s'épouse pas lui-même, et qu'il tiendra pour parent tout individu appréhendé positivement et qu'il n'épou- sera pas : l'ensemble des parents se constituant ainsi de manière réflexive.

Appliquons ce raisonnement à la définition « conquérante » du monde : une alliance « marquée » avec l'univers (toujours et nécessairement humanisé) sera « endogamique », celui-ci devenant le parent approprié, possédé, d'une civilisation, dans la mesure où elle va construire et appréhender l'univers de façon réflexive : son rapport à elle-même définira non seule- ment la relation essentielle (mais non unique) de ses parties (les unités « restreintes ») entre elles, mais aussi sa relation à l'univers. Et la fermeture sur soi impliquée par cette réflexi- vité, comme le jeu — ce jeu est peut-être une constante humaine — d'une alliance maximum avec le monde, feront de celui-ci un terme aussi vaste que possible, vers lequel une civilisation « du fermé » s'étendra ou s'opposera : cette oppo- sition correspondant à la conquête, l'extension du « soi », ou bien à une fermeture des frontières expressives de la négation du « voisin ». Ces « frontières » et ce « voisin » pouvant être de nombreuses sortes, et non seulement ou simplement géographiques et humains : « l'écologie volontaire », à laquelle il faut là se référer, prenant en toutes choses ses coordonnées.

Bien entendu, une telle civilisation sera systématiquement peu soucieuse de l'autre, quelle que soit la « mesure » de cet autre : un individu, une unité lignagère, ou de production, de résidence, de terroir, politique, ethnique, régionale, conti-

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nentale, ou encore, à un niveau plus large, une collectivité abstraite ; enfin, à un niveau maximum, une définition et appré- hension de l'univers, la « nature ». Cette civilisation serait d'essence criminelle si elle ne se proposait une « sagesse » complémentaire à cette logique du contradictoire, ou bien sera criminelle lorsque, dans la foulée de ses drames et « contra- dictions », elle perdra de cette « sagesse ».

Notre civilisation a continuellement oscillé entre ces deux solu- tions, au point, Dieu merci, qu'elle en éclate et doive se modifier radicalement.

Ainsi, malgré l'amertume, ai-je essayé d'être optimiste puisque à l'exemple bari d'une civilisation du compatible, j'ai ajouté une « indianité blanche », un monde à venir. Mais cette « india- nité » sortira tout autant de nous-mêmes qu'elle nous sera imposée et inventée par le tiers monde.

Notre « modernité », pour deuxième application d'une logique humaine du compatible, ne peut être prise ici comme exemple d'une civilisation mise en cause par une autre dont la présence démesurée résulterait de ce « far west » impliqué par une

« logique » sans contrôle du marqué ; en effet, cette « moder- nité » et le « far west » appartiennent au même monde, mais le premier terme fait espérer, pour les Indiens comme pour nous-mêmes, alors que le second inquiète.

Bien entendu, une réflexion sur notre propre civilisation pour- rait faire craindre l'asphyxie de la « modernité » par les

« cow-boys », mais l'on peut supposer, malgré le nationalisme, les drapeaux idiots, ou les mots de conquête liés aux expéditions dans l'espace, qu'il résultera de la production scientifique des modifications positives de notre civilisation.

Quoi qu'il en soit de ce « pari », il est ici question du sort que nous réservons aux autres civilisations ; bien que ce sort soit lié à notre propre devenir, nous les avons déjà tant mises à mal, le temps dont nous pourrions disposer pour une éven- tuelle et petite marche arrière est si court, que force nous est de constater que ce « devenir bénéfique » est trop lointain : les pratiques ethnocidaires battent leur plein et les civilisations indiennes mourront ; mais elles ressusciteront peut-être, non telles quelles, assurément, mais par référence aux modèles dont elles procédaient et qui pourront être réinventés — pas nécessai-

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rement par les seuls descendants de ces mondes indiens, esqui- maux, etc.

Nous sommes reconduits à des points de départ, à des problè- mes « simples » : quelles « obligations » nous mènent ailleurs, à quelles fonctions propres répondent nos relations aux « au- tres » :

a) sans doute le souci d'aller au-delà de nous-mêmes, comme une « quête » de règles, principes, etc., dont nous serions les effets mais non le lieu : à l'image de ce Dieu « au-delà », judéo-chrétien, qui fut un portrait, aux faces « historiques » diverses, de notre civilisation et dont le Talmud dit qu'il était le lieu du monde alors que le monde n'était pas son lieu ; et là, au terme de ces quelques premiers millénaires d'histoire, il nous faudrait peut-être mettre en parallèle une nouvelle vision de l'espace, relativiste (Einstein insistait beaucoup sur la nécessité, pour les ministres de la religion, d'avoir la hauteur de vue d'abandonner l'idée de Dieu), et la relativité culturelle, le souci vrai de ces « autres » rapports à l'univers, les histoires humaines et vivantes de la nature.

Pour subjective à la propre foulée culturelle de « l'occident », cette liaison possible entre la relativité culturelle et la relativité de, et à l'univers, peut être jugée positive, lourde de paix, de dialogue et de profit pour toute humanité. Ici, elle n'est qu'une image, ne prétend pas à la précision.

b) ce goût pour « l'ailleurs » a aussi de plus certaines et fâcheuses raisons : la maladie de conquête, la résolution de nos problèmes par la fuite vers un autre que l'on nie, une fringale d'objets et de biens de toutes sortes (terres v compris) telle que la jouissance certaine d'un minimum s'en trouve compromise, l'impérialisme, la criminalité, la suffisance, lors même que nous nous « sacrifions » en son nom, etc.

Imaginer que la « science », voire l'apostolat missionnaire, administratif, technique, etc., seraient des catégories à part et ne relèveraient point, elles aussi, de telles coordonnées, serait évidemment un leurre. Bien entendu, il faut aussi, et éventuelle- ment, rattacher toutes ces catégories à la foulée « relativiste » mentionnée précédemment.

Entre ces « registres » a et b — l'au-delà de paix et l'au- delà de guerre — il existe une relation « historique », de

« parenté » ; ils procèdent de la même structure culturelle, de la même nécessité continuelle de dépassement de cette structure, car celle-ci est fondée sur la contradiction, implique sans cesse

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l'au-delà d'elle-même, son éclatement. Ces deux courants de résolution des problèmes propres à notre civilisation se sont trouvés face à face et incompatibles entre eux, malgré cette commune et mouvante problématique dont ils constituaient des réponses.

Si le caractère essentiel de la révolution actuelle est d'être scientifique et culturelle, alors qu'elle était industrielle au XIXe siècle 1 — et même si la première a pris sa source près de la seconde — nous en devons déduire la rupture totale entre deux « chemins » de résolution : le chemin « relativiste » et le chemin « conquérant ». Leur incompatibilité ressort d'une modification radicale de l'énoncé du problème auquel ils répon- daient initialement : ce problème serait dédoublé, la solution

« conquérante », criminelle, « cow-boy », répondrait encore à la vieille structure du « marqué » de notre civilisation, alors que la solution relativiste correspondrait enfin à une équation culturelle fondée sur le compatible, l'autre, qu'il soit homme, civilisation, univers ; un autre qui vous affirme dans la définition que, de lui et avec lui, l'on élabore ; un autre qui n'est plus fondé dans le drame, le contradictoire, les mariages « doulou- reux » (esclave et maître, « Hébreu et Pharaon »), la dépen- dance, la fuite et la négation.

1. S. Moscovici, Histoire humaine de la nature ; Rodavan Richta, La Civi- lisation au carrefour, éd. Anthropos • Pierre Bernard, L'Homme et la Société, n° 6, n° 13.

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1

LE CONTACT

I. LE PROBLÈME DU CONTACT

Au premier contact, tout homme blanc pénétrant parmi les Motilones, et particulièrement s'il vit avec eux, n'est pas seule- ment appréhendé comme un individu mais aussi comme un représentant de son groupe. L'Indien aura tendance à juger non une personne, à travers la relation qu'il entretient avec elle, mais la société à laquelle appartient cette personne, société qu'il croit homogène à l'image de la sienne. Il est ainsi extrê- mement difficile de lui faire comprendre qu'il pourrait y avoir de bons et de mauvais Blancs. Et cette attitude est d'ailleurs symétrique ; c'est l'histoire de l'Anglais roux débarquant au Havre, dont il résultait pour les Français que tous les Anglais étaient roux. Mais évidemment, dans un sens comme dans l'autre, alors que le temps passe, que déboires et bonheurs se succèdent et se mélangent, sont distingués les comportements ou les indi- vidus qui, dans l'autre société, sont bénéfiques ou maléfiques ; comme il se crée, au sein de l'une quelconque des sociétés, des clans s'opposant éventuellement entre eux, au nom de pré- férences ou de choix incompatibles vis-à-vis de l'extérieur. De plus, l'homogénéité d'une culture repliée sur elle-même n'em- pêche pas l'hétérogénéité éventuelle des comportements- dans des situations nouvelles, non institutionalisées, telles, pour les Moti- lones, les relations avec l'étranger. Les jeunes Indiens poussaient, depuis des années, vers la paix et l'ouverture avec le monde blanc ; cette curiosité, cet optimisme étaient irréalistes, mais légitimes ; la sagesse des vieux fut contrainte. Bref, cette ten- dance à voir en un aspect ou individu d'un autre monde l'image de ce monde, est si forte que nous-mêmes continuons à affirmer que la société motilone est infiniment plus homogène que la nôtre.

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Ce sentiment, nous le fondons sur les aspects collectif et heureux, paisible et discret de cette société, car ces aspects sont évidents, alors que des tensions sourdes et moins visibles conditionnent peut-être aussi les comportements ; nous n ' e n nions ni la possibilité, ni l'existence, mais nous n'avons p u ni les saisir ni, jusqu'alors, c o m p r e n d r e a priori quelles en seraient les bases.

Revenons au contact. La dimension « collective » de l'indi- v i d u est assurément saisie plus f o r t e m e n t par u n groupe qui lui est étranger, et lors des premières intrusions. Le m a l qui en résulte est à la mesure de la curiosité : l'engouement des indigènes naît d'une b o n n e volonté et d ' u n intérêt porté à

« l'autre » et de cela les Blancs se jouent. Les objets, les manies, les besoins que l'étranger apporte avec lui deviennent, à u n titre plus o u moins fort, des modèles auxquels l ' I n d i e n s'inté- resse et veut s'adapter. Le linguiste, l'anthropologue, l ' h o m m e de b o n n e volonté... risquent, de ce fait, d'être p o u r eux u n exemple dangereux. Il est difficile d'expliquer à l ' I n d i e n qu'il ne doit pas céder à la m o d e d u pantalon, alors que l'on en porte u n ; etc.

L'intimité d u c h e r c h e u r ou de cet h o m m e de b o n n e volonté avec la société indienne conduira ses m e m b r e s à croire en la gentillesse et au désintéressement de tous les blancs. Ils ne les suspecteront pas de vouloir les exploiter, et, d u moins pen- dant q u e l q u e temps, se laisseront progressivement asservir p a r quelques colons, voire p a r des personnes dont la gentillesse n'était q u ' u n m a s q u e cachant d'autres fins. Ou bien l'Indien croira les propos q u ' u n h o m m e , p a r ailleurs généreux, lui tien- dra, propos dont le résultat le plus certain sera la destruction progressive de la civilisation.

II. L'HISTOIRE DU CONTACT

Dès le xvie siècle, très peu de temps après les premiers débarquements dans la baie de Maracaïbo, il y eut échange de coups entre les Bari et les colons.

Au XVIIIe siècle, les capucins s'établirent dans les terres basses, y fondèrent des missions où ils regroupèrent environ un millier d'Indiens. La population totale était alors estimée

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à environ deux mille personnes. Mais cette estimation n'avait qu'une valeur relative puisque les terres hautes étaient incon- nues.

La victoire de Bolivar, au début du XIXe siècle, chassa les Espagnols et, avec eux, les capucins. Les missions disparurent, la forêt fut de nouveau indienne, les escarmouches reprirent.

Peu à peu on confondit les Motilones (Bari) avec les Yuko, et on leur fit une légende de férocité.

La commission colombo-vénézuélienne de délimitation des frontières traversa le pays motilone en 1935-36 : les seuls ennuis survenus furent dus à des rapts de nourriture, et les Indiens ne fléchèrent que les coupables. En 1945, le professeur Reichel Dolmatoff se rendit à la porte d'une maison collective ; les Indiens ne s'y opposèrent pas. Peu après, un géologue, dit-on, traversa le pays.

En 1949, le père Banarès fut chargé de retrouver des Indiens accusés d'avoir attaqué une hacienda sur le rio Tucuy ; l'expé- dition traversa le nord du pays bari, eut des contacts absolument pacifiques avec les Bari rencontrés, et ramena quelques informa- tions. Il est évident que l'agressivité motilone s'exerça toujours contre les colons ou les pétroliers qui les avaient préalablement attaqués, ou leur avaient volé manioc, bananes, ou les avaient chassés de leurs terres.

En juin 1960, Roberto Lizanalde, alors fonctionnaire du service vénézuélien des Affaires indigènes, survola en hélicoptère plu- sieurs bohios 1 ; les Indiens avaient une attitude manifestement pacifique et ouverte. Le 19 juillet 1960, Roberto Lizanalde atter- rit près de l'une des sources du rio Ariguaisa, au bohio Baridoa.

Le 22 juillet 1960, le père Adolfo de Yillamafia se rend à pied, en compagnie d'un Colombien et d'un Yuko, au bohio Ogbadia, situé à trois heures de marche de Baridoa. Ce même jour, le père Romualdo de Rennedo, et deux autres pères, atterrissent en hélicoptère au bohio Karibakdakaira, sur le haut Ariguaisa. Tous ces bohios avaient été survolés précédemment, étaient proches les uns des autres, et l'arrivée dans l'un d'eux était significative d'une pénétration auprès de tous. Il est évident que M. Lizaralde fit le premier ce nouveau contact. Mais il ne s'agissait cependant que d'une zone, et les relations avec le reste du pays motilone demeuraient hostiles ou méfiantes.

1. Bohio : terme espagnol employé dans certaines régions de Colombie pour désigner les grandes maisons collectives indiennes.

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De ces bohios du haut Ariguaisa, les pères capucins, Roberto Lizanalde et d'autres, gagnèrent peu à peu d'autres bohios, parcourant ainsi toute la partie vénézuélienne du territoire moti- lone.

Cependant, les Indiens de cette région avaient eu maille à partir avec les colons au cours des années précédentes ; des bohios avaient été attaqués, incendiés, femmes et enfants tués.

Les Indiens se défendaient, avaient abattu un certain nombre de Blancs. Seul le groupe Orobia, alors installé près d'Arajtokba, avait hésité à tuer le Père de VillamaÎÍa lors de son débarque- ment chez eux en hélicoptère.

En 1961, le Dr Baumgarter, Frank Malchior, des Yuko et des Motilones, se rendirent presque à l'embouchure du Rio del Norte et rencontrèrent des Indiens du groupe Otay.

Les capucins suivirent ce mouvement et commencèrent à éta- blir leur mission. Ils eurent de fréquents contacts avec tous ces groupes, dont Otay.

En 1962 ou 1963, un jeune homme, alors nommé José Gonza- lez, rejoint un groupe motilone du côté vénézuélien, et demeure avec eux. L'histoire de ce jeune homme paraît être la suivante : son père, M. Landino, avait une grande ferme et entretenait avec ses ouvriers de mauvaises relations. Certains de ceux-ci, pour se venger, enlevèrent l'enfant, lequel devint employé de ferme dans les Llanos, puis s'intégra à des groupes d'Indiens dans la Guajira. Il se rendit ensuite dans la Sierra Perija, en compagnie d'un Indien Guajiro. C'est alors qu'il rencontra un groupe motilone et resta avec eux. Au début de 1963, il se rend, accompagné de quelques Indiens, au camp pétrolier de la Shell, au Rosario. C'est le premier contact pacifique entre les gens de cette compagnie et les Indiens. Une route se fait à travers la forêt ; José Landino (il a, par la suite, su son histoire et repris son nom véritable), est garant de la paix entre Blancs et Indiens. Ensuite il erre un peu. Les gens de la Shell entrent en contact avec leurs homologues colombiens, le camp de la Colpet du Rio de Oro, et leur apprend qu'ils entretiennent, par José Landino, des contacts pacifiques avec les Motilones ; or, depuis plusieurs dizaines d'années, tous les pétroliers étaient en guerre contre l'Indien ; la paix était pour eux un mythe après lequel ils avaient bien mal couru. En février 1963, l'hélicoptère de la Shell emmena plusieurs person- nes de la Colpet ainsi qu'un dominicain au boliio où résidait Landino. En mars, José Landino arriva avec cinq Indiens au

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camp du Rio de Oro. Le chef du camp de Tibu et le Dr Landinez vinrent les voir. On examina les Indiens, on leur offrit des vêtements, puis ils repartirent, José Landino déclarant qu'il ne reviendrait plus.

Peu de temps après, un colon — Israël Molina — fut fléché sur le haut Rio de Oro (très certainement par les Indiens du groupe Aytrabana) ; un de ses compagnons fut tué 1. Une commission partit, remonta le fleuve avec des colons ; des Indiens furent tués. Des Motilones allèrent se plaindre à José Landino, lequel vint s'en prendre, furieux, aux gens de la compagnie pétrolière du Rio de Oro. Après diverses menaces, commissions, etc., un accord intervint entre les Indiens, dont José Landino jouait bien le rôle de porte-parole, et les Blancs — colons, Colpet et une délégation de l'armée : il fut décidé, un mercredi de la Semaine Sainte 1963, que les Blancs ne remonteraient pas le Rio de Oro au-delà d'une certaine limite

(batterie 8).

En mai 1963, un jeune Américain, B. Oison, vint et revint au camp pétrolier du Rio de Oro. José Landino remmena un jour au Rosario, il y connut divers Indiens avec lesquels il se rendit quelques mois plus tard au bohio Otay, en compagnie de deux colons. Les Indiens sont volontiers voyageurs, ils ne demandent pas mieux que de faire une virée, en radeau, parmi les Blancs. Alors que R. Lizaralde et d'autres s'étaient gardés de les déplacer ainsi, B. Oison, bien qu'il ne fût jamais resté plus de trois ou quatre jours près d'eux, emmena le groupe Otay au camp pétrolier du Rio de Oro ; c'était en fin 1963. Peu après, il entra en contact avec le groupe Orobia, également connu des pères capucins, car une partie de ce groupe avait été emmené en 1960 à la mission de Tuccuco, où un bon nombre étaient morts. B. Oison répéta avec les Indiens d'Orobia l'inutile promenade au camp pétrolier. En octobre 63, il emmena Arabradoika à Bogota. Dès 1960, les capucins avaient déjà exhibé à Caracas, Maracaïbo et Bogota, des Indiens Motilones.

Les Indiens du haut Catatumbo restaient hostiles. En compa- gnie de plusieurs Indiens et d'un colon, M. Roque, José Landino se rendit en décembre 1963 au bohio Sabourum, sur le cano

1. Le père de Villamafian avait alors déjà établi contact avec le groupe Bag- duibi lorsque les Indiens s'en furent flécher des colons, et il pense qu'il s'agit de cette histoire. La chose est surprenante, car elle se passa non loin du bohio Aytrabana.

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Brandy. Peu après, il emmena le père Garcia-Herreros et des colons auprès de ces Indiens, lesquels, peu auparavant, avaient attaqué plusieurs fermes. Un seul groupe refusa le contact et s'enfuit dans les terres hautes ; les trois autres groupes du Catatumbo jouèrent le jeu : il en est mort à peu près 50 % et les survivants ont, il y a quelques mois, abandonné cette région.

En février 1964, nous voulûmes louer un hélicoptère afin de nous rendre chez les Motilones ; nous ne savions absolument pas que des contacts avaient déjà eu lieu. La compagnie Avianca nous introduisit auprès de la compagnie pétrolière dont le gérant nous proposa fort aimablement, non seulement l'usage de leurs avions, mais encore l'aide de B. Oison. Nous nous rendîmes donc ainsi jusqu'au camp de la Colpet, et, de là, B. Oison nous emmena en canoë au premier bohio du groupe Otay, situé en bordure du Rio de Oro, avant d'arriver à la Confluencia. Nous y demeurâmes une semaine, puis montâmes au bohio Orobia, situé au Vénézuela, dans la région du Rio Intermedio. Nous y passâmes la plus grande partie de l'année 1964. Nous croyions alors que, réellement, B. Oison parlait correctement le motilone, qu'il avait vécu des années avec eux, qu'il avait fait les premiers contacts, etc. Notre attitude à son égard en fut fonction, et les choses allèrent d'autant mieux qu'il est d'un commerce facile et qu'il n'y eut jamais entre nous, pour des raisons personnelles, la moindre histoire. Nos relations durèrent peu de temps ainsi, nous fûmes vite obligé d'admettre qu'il était non seulement mythomane (ses mensonges continuels, à tout propos, étaient presque risibles), mais avait, vis-à-vis des Indiens, des intentions peu louables ; l'homme était un charlatan utilisant cyniquement les Indiens, la crédulité publique et le souci des pétroliers américains de contrôler, par son inter- médiaire, le pays. Nous essayâmes de modifier discrètement ses objectifs et son comportement : ce fut peine perdue.

Au cours de l'année 1964, M. Morgan, missionnaire nord- américain de l'Institut linguistique d'été, et B. Oison établirent des relations beaucoup plus suivies avec les groupes Abratatu et Aybrabana. Nous les connûmes aussi ; ces groupes, localisés dans la région du Rio de Oro, étaient déjà connus de José Landino. Le groupe Abratatu se joignit au groupe Bagdiubi, alors installé près d'un CallO du Rio del Norte (Dai Bogi) et, en juillet-août 64, ils descendirent le Rio de Oro et firent un nouveau bohio commun le long du fleuve, près du camp de

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la Colpet, en pleine zone « coloniale ». Une partie du groupe Orobia en fit autant, s'installa dans un petit ranchito près du terrain d'aviation du camp de la Colpet. Ils tombèrent assez vite malades ; ce premier contact, non avec des individus, mais avec la collectivité blanche, allait être pour eux mortel. Nous les soignâmes, nous essayâmes de créer un service sanitaire itinérant, nous fîmes un rapport dans ce dessein, déterminâ- mes l'itinéraire, l'action de ce service, nous mîmes à la dispo- sition de qui voudrait un canot, un moteur, un piroguier, éven- tuellement des médicaments. Nous demandâmes, en même temps, qu'on nous aidât à convaincre les Indiens de regagner leur forêt. Rien ne servit. En octobre, nous dûmes regagner pour quinze jours la France ; avant de partir, nous avions mis en garde, nous nous attendions à des épidémies. Lorsque nous revînmes, c'était la débandade. Une épidémie de bronchite, de rougeole avait eu lieu. Des dizaines d'Indiens mouraient. Nous décidâmes de nous passer des facilités de transport fournies par la compagnie pétrolière. Les médecins de Tibu furent appe- lés et soignèrent des Indiens au Rio de Oro ; nous montâmes sur le Catatumbo pour soigner le groupe Sabourun, qui était à la mission de la Madre Laura, en fort mauvais état. Trois semaines plus tard, nous regagnâmes le Rio de Oro et conti- nuâmes à soigner les Indiens, lesquels avaient regagné soit le bohio Otay, soit la Confluencia. Plusieurs moururent de dysen- terie provoquée par les antibiotiques administrés sans protecteur de la flore intestinale au cours des semaines précédentes.

Nous préciserons des points de cette histoire du contact lors de la description des groupes et des maisons actuelles.

III. DES MANIÈRES D E CONTACT

La notion de premier contact n'a pas grande signification ; elle se réfère à une maison collective donnée et non à la totalité des maisons. La société motilone comprenait une ving- taine de groupes, répartis en au moins trois zones distantes de plusieurs journées de marche, quasi-indépendantes. Et, même à l'intérieur d'une de ces zones, les réactions d'un groupe pou- vaient être différentes de celles d'un autre face à l'intrusion blanche. Cela dit, n'oublions pas que les Indiens, gens de paix,

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eurent toujours u n « préjugé » en faveur de « l'Autre 2>, et fléchèrent essentiellement les auteurs de mauvais procédés commis à leur égard. Ainsi purent-ils, lors des premiers contacts (1960-63 d u côté vénézuélien, 1963-64 des deux côtés de la frontière et sur le Catatumbo, 1967-68 à l'intérieur de la Colom- bie), tout à la fois entretenir des relations pacifiques ou mé- fiantes o u hostiles, selon les Blancs et selon les lieux où ils se déplaçaient.

D u r a n t les premières semaines de notre séjour à Orobia, nous les crûmes taciturnes et silencieux ; en fait, ils se tenaient sur leur garde à tel point qu'ils faillirent p r e n d r e pour des fusils

« cachés » des piquets de tente en aluminium. E n 1963, plusieurs groupes indiens déjà familiers de la mission Tuccuco fléchèrent, lorsqu'ils y revinrent, des colons le long d u Rio de Oro.

Le Bari n'est pas rancunier, il a fort bonne m é m o i r e et se méfie, mais ne songe point à t i r e r vengeance, u n e fois la paix déclarée, des cruautés imbéciles du passé. Ainsi, d u côté de l'Ariguaïsa, nous connûmes, vivant en bonne intelligence, u n I n d i e n et u n colon, le p r e m i e r portant encore les cicatrices d ' u n coup de fusil tiré p a r le second. De même, le groupe d'Akaïragdo n'hésite-t-il pas à aller travailler d u r a n t des jours et pour d'insignes profits dans u n e grosse ferme (chez le frère d u Dr Rincon) d o n t les dirigeants et le personnel leur m e n a d u r a n t des années u n e m é c h a n t e guerre. E t p o u r t a n t personne ne peut assurer que ces Indiens ne seraient pas de nouveau capables de r e p r e n d r e soudain le c h e m i n des hostilités ; face à la duplicité blanche et au « m e u r t r e culturel », a u t r e m e n t plus dangereux que la politique armée, nous pourrions souhaiter que les choses évoluent ainsi ; mais il ne faut pas se faire grande illusion. Ce n'est point t a n t l'absence d'unité culturelle — bien au contraire, celle-ci est forte — qui permet de r e n d r e compte des variations d'attitude des groupes face au m o n d e blanc, mais les caractères mêmes, autant que les histoires momentanées de cette civilisation.

Le génie motilone est de n'avoir point conçu u n pouvoir central ou u n quelconque système contraignant les individus ou les groupes à se plier à de semblables directives. Cette politique de « non-ingérence » est u n trait profond de l'ordre intérieur bari ; il implique que les variations de contexte et d'événements, comme les « paris » ou choix divers faits par les Indiens, conditionnent essentiellement les actes élaborés à partir des « fondements » communs et profonds. A court tonne,

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les choses varient de-ci, delà, à long terme elles se ressemblent.

sans pourtant être ordonnées ni procéder d'un « pouvoir ».

Les attitudes adoptées lors d'une première relation entre un ou plusieurs Blancs et un ou plusieurs Indiens, sont donc évi- demment fonction de l'histoire des uns et des autres, et le comportement du ou des Blancs ne joue que partiellement.

Il est évident que l'équivoque, la peur provoquées par une arme ou tout objet insolite, sont de nature à rendre les choses difficiles. L'on doit poser ce problème de la non-agressivité des gestes et des objets, lors de la rencontre, non seulement au regard de l'histoire proche, mais encore à celui de la culture indienne.

Nous ne pouvons dire là et longuement les formes tradition- nelles de l'accueil entre Indiens, sinon son caractère essen- tiellement réservé, discret.

Tant entre individus d'un même groupe qu'entre groupes, la règle est toujours d'être léger à autrui. Le souci de compa- tibilité, la crainte des ingérences abusives — et la rage froide auxquelles ces ingérences peuvent conduire — sont des traits spécifiques aux gens de l'Amazone.

Lorsqu'un ou plusieurs Baris arrivent en une maison collective étrangère, ils restent au pas de la porte, debout, en file, la tête basse, durant un bon moment, parfois plusieurs heures.

Puis ils entrent et sont directement reçus par les quelques familles. Bien que l'émotion soit souvent extrême, on affecte de ne pas voir ou de tenir peu compte de ces étrangers. On leur parle à peine, à voix basse ; peu à peu la situation deviendra normale, tout un chacun se conduira là comme chez lui.

Munis des meilleures intentions et avec une consternante naïveté, bien des missionnaires ou des « pionniers » ont eu maille à partir avec des tribus indiennes pour avoir manqué à la discrétion et s'être montrés agressifs, abusifs dans les gestes de la sympathie — fidèles ainsi à cette culture occidentale, en tous points agressive et abusive face à l'Autre, que cet Autre lui soit « interne », familles ou groupes distincts entre eux, ou qu'il s'agisse d'autres ethnies, a fortiori d'autres civili-

sations.

Il y a quelques années, en Equateur, des protestants améri- cains firent le contact avec des Indiens hostiles ; l'un d'entre eux ouvrit les bras, leur déclara bien fort (et en anglais) qu'ils étaient ses frères en Jésus-Christ, et se précipita hardiment vers eux. On le tua sur-le-champ.

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