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L’alternance codique est-elle un système linguistique autonome ?

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L’ALTERNANCE CODIQUE EST-ELLE UN SYSTEME LINGUISTIQUE AUTONOME ?

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IS CODE SWITCHING AN AUTONOMOUS LINGUISTIC SYSTEM?

Lahcen KADDOURI

Université Sultan Moulay Slimane, Maroc Lahcenkaddouri1@yahoo.fr

Résumé :

Cet article a pour objet l’étude de la littérature de l’alternance codique. L’examen de cette littérature a dévoilé que l’alternance des langues est un champ d’étude autonome. La linguistique et les disciplines connexes s’intéressent au code-swiching. Les linguistes traitent ce produit du contact des langues comme une langue naturelle en suivant la démarche de la linguistique descriptive. Ils partent des corpus des paires des langues en contact pour décrire les règles de son fonctionnement.

Toutefois, l’examen de ces études démontre que l’alternance codique est loin d’être un système linguistique autonome puisqu’on se contente de la combinaison des règles des langues en contact.

L’alternance codique ne dispose pas encore des règles arbitraires et stables qui lui sont propres à l’instar des langues naturelles.

Mots clés : linguistique, l’alternance codique, système linguistique, linguistique descriptive, paire des langues en contact.

Abstract:

The purpose of this article is to study the code-switching literature. A review of this literature has revealed that code switching is an independent field of study. Linguistic and related disciplines are interested in code-swiching. Linguists treat this product of contact with languages as a natural language by following the approach of descriptive linguistics. They start from the corpus of the pairs of languages in contact to describe the rules of its operation. However, the review of these studies shows that code-swiching is far from being an autonomous linguistic system since we are content with the combination of the rules of the languages in contact. Code-swiching does not yet have its own arbitrary and stable rules like natural languages.

Keywords: linguistic, code switching, linguistic system, descriptive linguistics, pair of languages in contact

Introduction

Jean Louis CALVET avance qu’« il y a à la surface du globe entre 4 et 5000 langues différentes et environ 150 pays » (1993 :23). Ceci signifie qu’il y aurait une moyenne de trente langues par pays. Ce qui démontre que le plurilinguisme est dominant et le monolinguisme est l’exception. D’ailleurs, la majorité des locuteurs dans le monde parlent plus d’une langue.

D’un autre côté, le monde devient aujourd’hui comme un petit village vu l’influence des nouveaux moyens de communication. Ceci a un impact sur le métissage des langues. Ce qui engendre plusieurs phénomènes du contact des langues, dont l’alternance codique.

Nous accordons à l’alternance codique un sens générique renvoyant à tous les autres phénomènes du contact des langues. L’alternance codique (ou le code switching) tend à être un objet d’étude autonome. En effet, plusieurs linguistes la considèrent comme un système linguistique propre aux locuteurs multilingues. Par exemple, HAMERS et BLANC considèrent le code swiching ou le code mixing comme un code propre aux bilingues (1983 :197). Des études se multiplient (depuis Weinreich 1953) pour expliquer son fonctionnement. Ces études s’inscrivent

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dans des sous disciplines linguistiques (phonétique, sémantique, morphosyntaxe, etc.), mais également elles s’inspirent des autres domaines de recherches (psychologie, sociologie, didactique des langues, communication, etc.). L’objectif est de comprendre les règles qui régissent l’alternance codique.

L’étude que nous proposons vise la revue de littérature de l’alternance codique. Nous développerons une réflexion sur les différentes approches linguistiques qui ont abordé l’alternance codique. Il s’agit plus précisément de la linguistique descriptive de l’alternance codique qui part des corpus du contact des langues pour expliquer son fonctionnement. Notre attention portera également sur les disciplines non linguistiques qui ont enrichi ces études. Notre objectif est de dévoiler que ce phénomène du contact des langues tend à être un champ d’étude autonome de la linguistique.

1. Définitions

Il nous parait judicieux de présenter d’abord la définition de quelques concepts clés de notre étude, à savoir l’alternance codique, la linguistique descriptive et le système linguistique.

1.1. L’alternance codique

L’un des premiers problèmes rencontrés lors de l’étude de l’alternance codique est la détermination d’une définition de ce phénomène résultant du contact des langues. D’une part, l’alternance codique est souvent utilisée comme hyperonyme englobant tous les phénomènes du contact des langues. A ce propos Mohamed Zakaria Ali BENCHERIF avance qu’ « à la différence de l’emprunt lexical, l’alternance codique apparaît comme un phénomène englobant tous les autres phénomènes qui découlent du plurilinguisme» (2009 : 45). D’autre part, nous assistons à un foisonnement définitoire de l’alternance codique car chaque étude présente sa définition à partir des données qu’elle traite. B. ZONGO (2004 : 19) répartit l’ensemble des définitions de l’alternance en deux catégories : la première concerne les définitions linguistiques (description du produit linguistique), et la deuxième développe les définitions fonctionnelles (facteurs et fonctions de l’alternance codique). Ceci rend encore le choix plus difficile quand l’étude porte à la fois sur le volet linguistique et le volet pragmatique et fonctionnel.

Voulant éviter ce foisonnement définitoire, nous proposons les définitions de J. GUMPERZ, HAMERS et BLANC, CAUSA et celles avancées par Sophie ALBY.

• « L’alternance codique dans la conversation peut se définir comme la juxtaposition à l’intérieur d’un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents.» (J. GUMPERZ, 1989 : 57).

• « Stratégie de communication utilisée par des locuteurs bilingues entre eux, cette stratégie consiste à faire alterner des unités de longueur variable de deux ou plusieurs codes à l’intérieur d’une même interaction verbale. » (HAMERS et BLANC, 1983 : 445).

• « Les passages dynamiques d’une langue à l’autre dans la même interaction verbale, ces passage pouvant se produire à la fois au niveau inter phrastique ou au niveau intra phrastique. » (CAUSA, 2002 : 2).

• En plus de la définition de Gumperz et Sophie ALBY avance que :

« « les définitions qui servent le plus souvent de référence dans la littérature sont (…) celle de Heller (1988 :1) : « l’utilisation de plus d’une langue dans le cours d’un même épisode communicatif » ». Auer (1984 : 1) propose de la définir comme « l’utilisation alternative de plus d’une langue », Myers-Scotton (1993a, p. vii) comme « l’utilisation de deux langues ou plus dans une même conversation

» et Milroy et Muysken (1995, p. 7) comme « l’utilisation alternée par des

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bilingues de deux langues ou plus au sein d’une même conversation ». » (2013 : 45).

De ces définitions, nous déduisons que l’alternance codique représente les caractéristiques suivantes :

• D’abord, l’alternance codique est une stratégie de communication propre aux locuteurs bilingues et multilingues. Ceci signifie que l’action d’alterner s’effectue par ces locuteurs d’une manière consciente et volontaire dans le but d’atteindre les objectifs de la communication.

• Le niveau de l’interprétation de l’alternance codique est l’interaction et l’échange verbal. Ainsi, pour étudier l’alternance codique il faut voir ce phénomène du contact des langues au niveau de la conversation toute entière.

• L’alternance codique peut s’effectuer entre deux langues différentes ou deux variétés d’une même langue.

• Les éléments alternés sont de longueur variable et peuvent être un mot, un segment, une proposition, une phrase voire plusieurs phrases

En résumé, nous accordons à l’alternance codique un sens générique référant à tous les autres phénomènes du contact des langues. Notre objectif est l’examen de la littérature linguistique de l’alternance codique pour dévoiler que le code switching tend à être un objet d’étude autonome de la linguistique.

1.2. La linguistique descriptive

Traditionnellement, on divise la recherche linguistique en deux grandes branches : la linguistique générale et la linguistique descriptive. La première a pour objet l’étude des langues et de la manière de leur évolution indépendamment de telle ou telle langue particulière. Quant à la linguistique descriptive (linguistique des langues), elle s’intéresse à l’étude des langues particulières (le français, l’arabe, l’amazighe, etc.) ou des groupes des langues (langues romanes, germaniques, langues amérindiennes, etc.).

L’alternance codique devient alors l’objet d’étude de la linguistique descriptive comme une langue particulière. Des linguistes partent des corpus des paires des langues en contact pour décrire de manière objective le fonctionnement du code-switching.

1.3. Le système linguistique

Nous désignons par système linguistique ici une langue comme objet d’étude de la linguistique. SAUSSURE (1972) définit la langue comme « un système de signes » qui ne sont déterminés par rien d’autres que par leurs relations mutuelles.

La langue en tant que système de signes se compose de sous systèmes linguistiques, à savoir la phonologie, la morphologie, la syntaxe, la lexicologie, etc. Le linguiste s’intéresse à l’étude des règles du fonctionnement de chacun des sous systèmes linguistiques. Nous adopterons la même démarche en présentant quelques études qui ont abordé la morphosyntaxe, la phonétique, la phonologie, la lexicologie, etc. de l’alternance codique.

2. De la littérature de l’alternance codique

Nous présenterons dans ce qui suit les différentes branches de la linguistique et des disciplines connexes qui ont abordé l’alternance codique, à savoir la morphosyntaxe, la phonologie, la lexicologie, la sociolinguistique, la didactique des langues et la psychosociologie.

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2.1. La morphosyntaxe de l’alternance codique

Les études qui s’inscrivent dans cette approche considèrent l’alternance codique comme un système autonome ayant ses propres règles de fonctionnement. En d’autres termes, ces études cherchent la constitution des grammaires du code-swiching. Elles s’intéressent principalement à l’identification des aspects structuraux de l’alternance codique et la description formelle des niveaux et des modes de son insertion (les types de l’alternance codique).

Nous commençons par esquisser succinctement les différents modèles linguistiques qui ont développé la grammaire de l’alternance codique. Soulignons que la description des différents modèles linguistiques ayant abordé la structure de l’alternance codique est loin d’être une tâche facile.

Les études morphosyntaxiques de l’alternance codique se fondent sur deux présupposés méthodologiques incontournables pour les linguistes, à savoir l’ordre et la structure. Les études qui octroient la priorité à l’ordre se regroupent dans ce qui est communément connu par ‘‘le modèle linéaire’’, et celles qui se basent sur la structure s’inscrivent dans ce qu’on appelle ‘‘le modèle du gouvernement’’ et ‘‘les approches insertionnelles’’.

L’approche linéaire se fonde sur les contraintes syntaxiques imposées par l’ordre des constituants. Il s’agit de dégager les lois qui régissent les formes qui sont permises et celles qui sont inhibées. L’approche linéaire repose principalement sur l’idée de l’équivalence syntaxique des codes en contact.

Les contraintes de L. TIMM (1975) et de Shanna POPLACK (1980) s’inscrivent dans le modèle linéaire. TIMM avance que le code swiching ne peut pas être permis entre :

• Le pronom et son verbe ;

• Le verbe et son complément infinitif ;

• Le verbe et son auxiliaire ;

• Le verbe et sa négation ;

• Les noms et les adjectifs.

Quant à Shanna POPLACK, elle a développé deux contraintes syntaxiques : la contrainte d’équivalence et la contrainte du morphème libre. La première avance que la juxtaposition des constituants alternés n’est possible que si elle ne viole pas les règles des deux langues. La deuxième interdit l’alternance des codes après un morphème lié.

Le modèle linéaire a essayé de présenter, à travers les contraintes qu’il propose, une syntaxe de l’alternance codique. Toutefois, les contre-exemples qui appariassent dans diverses paires de langues en contact démontrent son incapacité de rendre compte de l’ordre de toutes les langues en contact. Par exemple, l’alternance codique ne se soumet pas à la contrainte d’équivalence et une seule phrase impose sa structure morphosyntaxique.

Le modèle du gouvernement vient pour dépasser l’impasse du modèle linéaire. Il regroupe un ensemble de chercheurs comme P. MUYSKEN (1995), A. DI SCIULLO (1986), H.

HALMARI (1993) et d’autres. Il avance que l’acceptabilité grammaticale des segments alternés ne dépend pas uniquement de l’ordre des constituants, mais également de leur structure en insistant sur la relation de dépendance qu’ils entretiennent. Ce modèle s’inspire surtout de la théorie syntaxique de N. CHOMSKY, notamment la théorie de X’ (X barre). Il avance que les éléments X et Y doivent appartenir à la même langue quand X gouverne Y.

Cependant, le modèle du gouvernement ne peut pas lui-même rendre compte de tous les phénomènes qui régissent l’alternance codique. Des contre exemples ont démontré les limites de ce modèle. C. MYERS SCOTTON (1993a) le juge comme un modèle purement syntaxique et ses contraintes se limitent à la structure de surface alors qu’il faut les interroger au niveau abstrait.

D’où l’apparition des modèles dits insertionnels.

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Les modèles insertionnels ne respectent pas l’équivalence syntaxique des séquences analysées. Ils considèrent l’alternance codique comme l’insertion des éléments d’une langue dans le cadre morphosyntaxique d’une autre langue.

Nous nous contentons ici de développer succinctement l’un des modèles insertionnels les plus reconnus, à savoir le MLF (Matrix Language Frame) ou le modèle de la langue matrice. Ce modèle attribue les procédés de construction du cadre grammatical à des opérations qui précèdent les règles syntaxiques de surface. Ainsi, la production d’un énoncé bilingue passe par trois niveaux : le niveau conceptuel, le niveau fonctionnel et le niveau positionnel. Autrement dit, le MLF est un modèle abstrait dans la mesure où il cherche à expliquer les corrélations entre les intentions du locuteur et les formes de structure de surface.

Le MLF établit une différence dans le niveau et le degré d’activation des deux codes en contact. Le code dominant (la langue matrice) fournit le cadre morphosyntaxique du syntagme complémenteur1 et le code dominé (la langue enchâssée) s’y insère. Ceci signifie que la langue enchâssée se soumet à l’ordre et à la structure de la langue matrice. En outre, la langue matrice est celle qui fournit les morphèmes du système. Quant à la langue enchâssée, elle se contente de la génération des morphèmes du contenu.

Nous distinguons trois types de structures ou de constituants générés par la participation de la langue matrice et de la langue enchâssée dans le même syntagme complémenteur :

• Les constituants mixtes : c’est une structure où l’on trouve à la fois des morphèmes de la langue matrice et de la langue encastrée.

• Les îlots en langue matrice : c’est une structure qui est entièrement formée en langue matrice. Elle se soumet à l’ordre et à la grammaire de cette langue.

• Les îlots en langue enchâssée : c’est une structure entièrement projetée en langue enchâssée.

Cependant, elle se soumet à l’ordre et à la grammaire de la langue matrice. C. Myers-Scotton distingue deux types d’îlots encastrés : les îlots en langue enchâssée et les îlots internes. Ces derniers sont des constituants qui sont actualisés selon l’ordre et la grammaire de la langue matrice, mais on y trouve aussi une partie qui est projetée selon les règles de la langue enchâssée.

Le principe qui régit la production de ces structures mixtes est celui de la congruence entre la langue matrice et la langue enchâssée. La congruence désigne ici la compatibilité entre les systèmes de la langue matrice et de la langue encastrée au niveau de la structure mixte. La projection des constituants mixtes a lieu quand la congruence est suffisante entre les deux langues.

Par contre il y a la production des îlots enchâssés quand la congruence est insuffisante entre les deux systèmes linguistiques.

De ce qui précède, nous déduisons que chaque modèle linguistique essaie de développer les règles du fonctionnement de l’alternance codique. Toutefois, nous constatons que tous les modèles précités recourent aux règles de chacun des systèmes des langues en contact. Les linguistes du code swiching essaient d’expliquer les modalités de la combinaison des règles des langues en contact en exploitant les outils de chacun des systèmes en contact. Ceci signifie au niveau morphosyntaxique que l’alternance des codes n’est pas un système linguistique autonome dans la mesure où son fonctionnement est régi par les règles des langues en contact et qu’il ne dispose pas des règles arbitraires qui lui sont propres.

1- Le MLF ne considère pas la phrase comme unité d’analyse de l’alternance codique car elle peut contenir deux propositions monolingues et indépendantes. Pour ce faire, il propose le syntagme complémenteur comme nouvelle unité d’analyse. C’est une unité syntaxique moins ambigüe que la phrase. Le syntagme complémenteur exprime le rapport du prédicat à ses arguments dans une proposition.

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Les études qui ont abordé la typologie d’alternance codique se basent surtout sur les modes et les procédés d’insertion des langues dans une situation de communication plurilingue. Il existe plusieurs modèles des catégories d’alternance codique, mais la quasi-totalité de ces catégories se basent sur des critères non morphosyntaxiques. Nous nous contentons de la présentation de la catégorisation de Shana POPLACK (1980) car elle vise la structure syntaxique.

Shana POPLACK distingue trois types d’alternance codique :

• Alternance codique inter-phrastique : des segments longs de phrases ou de discours appartenant à des langues différentes alternent dans les productions langagières d’un même locuteur ou des prises de parole entre interlocuteurs.

• Alternance codique intra-phrastique : elle renvoie au cas de l’existence de deux structures syntaxiques de deux langues différentes à l’intérieur d’une même phrase.

• Alternance codique extra phrastique renvoie à l’insertion dans le discours des expressions figées (tags, expression idiomatiques, etc.).

Les catégories de l’alternance codique sont loin d’être des catégories grammaticales du code swiching. Autrement dit, les catégories grammaticales élaborées par les linguistes de l’alternance codique ne sont pas combinées pour former un discours de l’alternance codique. Ces linguistes continuent à exploiter les catégories grammaticales des langues en contact (nom, verbe, adjectif, adverbe, etc.) pour décrire la grammaire de l’alternance codique.

2.2. La phonologie de l’alternance codique

La phonologie est une branche de la linguistique qui s’intéresse à l’étude des phonèmes d’une langue (la phonématique) et ses faits suprasegmentaux (la prosodie). Les études relatives à la dimension phonologique de l’alternance codique sont rares. ‘‘ Les linguistes qui l’ont abordée ont puisé leurs arguments de la sociolinguistique variationniste de Labov, cadre qui confère « aux changements phonétiques » des motivations sociales relatives, entre autres, à la situation de communication ou même aux représentations identitaires’’ (K. ZIAMARI, 2008 : 303). Ceci signifie que la majorité des études de la dimension phonologique de l’alternance codique trouvent leurs explications dans le contexte social et non pas dans les règles purement phonologiques du code swiching.

Au Maroc, nous avons trouvé trois études qui ont abordé la phonologie de l’alternance codique. Il s’agit de deux articles (EL MINAOUI, 2001 et BARILLOT, 2001) et d’une thèse (Karima ZIAMARI, 2008).

L’étude de Laïla EL MINAOUI porte sur l’analyse des conversations d’une famille d’origine amazighe installée dans la région parisienne. L’étude dévoile que les parents transposent de manière permanente les intonations des langues maternelles sur le français et cela, qu’ils codeswichent ou non. L’auteur explique cette transposition par le facteur extralinguistique en considérant cette transposition comme un marqueur identitaire. Les marqueurs identitaires de ces immigrés sont le roulement de [r], le glissement de [n] vers [l] (et vice-versa), les voyelles orales du français (a,e,i,o,u,y) sont réduites au triangle vocaliques des langues maternelles ([a], [i], [u]) et la dénasalisation des voyelles nasales du français.

L’étude de Naïma BARILLOT a pour objet le codeswiching dans les conversations spontanées des étudiants marocains arrivés en France il y avait huit ans. L’étude s’intéresse aux aspects prosodiques de l’alternance codique. Elle déduit les réalisations suivantes : intonation donnée par la langue matrice, intonation en langue enchâssée et intonation double de l’énoncé (intonation composée). L’auteur appelle à démontrer s’il existe ou non une réalisation intonatoire propre aux codeswicheurs où le patron intonatif ne correspond ni à la langue matrice, ni à la langue enchâssée.

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Karima ZIAMARI a appliqué les principes du MLF au codeswiching de l’arabe marocain et du français chez les étudiants de l’ENSAM au Maroc. Cette étude a démontré que l’arabe marocain (la langue matrice) impose ses règles phonologiques à la langue enchâssée (le français) dans l’examen de trois cas, à savoir le roulement du R, l’assimilation de l’article défini et l’allongement vocalique du français au contact de l’arabe marocain.

A l’instar du volet morphosyntaxique, nous constatons que l’unique étude phonologique de l’alternance codique (l’étude de ZIAMARI) de l’arabe marocain et du français ne développe pas des règles phonologiques propres à la phonologie du codeswiching. Autrement dit, l’étude continue à adopter les règles phonologiques de la langue matrice pour expliquer la phonologie de l’alternance codique. Quant à l’étude de Naïma BARILLOT, elle se contente d’une description superficielle de l’intonation de l’alternance codique en déduisant les différentes réalisations intonatives dont la source est la langue matrice, la langue enchâssée ou les deux à la fois. Cette étude ne développe pas des règles qui expliquent la génération de telle ou telle intonation.

L’auteur, lui-même, s’interroge sur l’existence d’une intonation de l’alternance codique où l’on ne trouve ni l’intonation de la langue matrice, ni celle de la langue enchâssée.

2.3. La lexicologie de l’alternance codique

La lexicologie est une branche de la linguistique qui étudie le lexique des langues. En ce qui concerne la lexicologie de l’alternance codique, nous avons trouvé une seule étude qui aborde le lexique des langues auxquelles nous nous intéressons. Il s’agit de celle de Naïma BARILLOT (2001). Cette étude s’intéresse uniquement à l’insertion des catégories grammaticales dans les matrices des langues en contact. L’étude dévoile que si l’arabe marocain est la langue matrice, les mots français insérés sont nombreux et englobent les noms, les adjectifs, les verbes, les adverbes, les prépositions et les conjonctions. Par contre, les mots de l’arabe marocain insérés dans la matrice du français sont rares et souvent ils sont des mots grammaticaux (les mots de liaison).

Nous pensons que l’absence des études qui portent sur la lexicologie de l’alternance codique, notamment l’intégration des mots d’une langue dans le lexique d’une autre langue par les procédés de la dérivation et de la composition, pourrait s’expliquer par le choix du terme qui décrit ce contact des langues. En effet, les études qui s’intéressent à l’intégration des mots d’une langue dans le lexique d’une autre langue s’inscrivent dans l’emprunt linguistique. Ainsi, ces études établissent la distinction entre l’alternance codique et l’emprunt linguistique sur le critère d’intégration morphosyntaxique. Rappelons que le modèle insertionnel de C.M. SCOTTON juge ce critère impertinent dans la mesure où même en alternance codique la langue matrice impose toujours son cadre morphosyntaxique à la langue encastrée.

2.4. La sociolinguistique de l’alternance codique

La sociolinguistique s’intéresse à l’étude des rapports entre la langue et la société. Le contact des langues, dont l’alternance codique fait partie, est un axe principal de cette discipline. Les études sociolinguistiques du code swiching s’intéressent généralement aux facteurs et aux fonctions du changement des langues dans une conversation. Nous soulignons qu’il est difficile de développer dans cet article toutes les études qui ont abordé les facteurs et les fonctions de l’alternance codique. Pour ce faire, nous présenterons seulement dans ce qui suit comme exemples l’étude de Penelope GARDNER-CHLOROS et John GUMPERZ.

Penelope GARDNER-CHLOROS (1985 : 224-234) a cité un paradigme de facteurs pour le choix des langues et de l’alternance codique. Ces facteurs sont :

• La compétence du locuteur : ce facteur est primordial dans toute interaction car un locuteur n’opte que pour les langues qu’il maîtrise.

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• La perception de l’interlocuteur par le locuteur : la connaissance des caractéristiques de la personne à qui on s’adresse est nécessaire pour le choix de la langue de communication.

• Les aspects sémantiques du discours : parfois on change de langue pour exprimer son identité, mieux communiquer, simplifier l’idée, etc.

• Les caractéristiques du langage parlé : certaines propriétés sont spécifiques à la parole comme la répétition d’un mot, d’une proposition ou d’une phrase dans une langue différente.

John GUMPERZ (1989) fait la distinction entre l’alternance codique situationnelle (changement de code selon des facteurs contextuels) et l’alternance codique conversationnelle ou métaphorique (changement de code dans le but de communiquer une information sur la manière dont on veut qu’elle soit comprise). A partir de ces deux cas, John GUMERZ déduit que l’alternance codique est une stratégie de communication à travers laquelle le locuteur vise une signification précise. Ainsi, il a dégagé six fonctions de l’alternance codique, à savoir :

• La citation : dans ce cas le passage à une autre langue a pour objectif de rapporter un discours tel qu’il est produit dans cette langue.

• Désignation d’un interlocuteur : le choix de langue vise à adresser un message à un interlocuteur en prenant la parole dans sa langue.

• Interjection : marquer une interjection ou un élément phatique.

• Réitération : le message est répété dans une seconde langue, littéralement ou en le reformulant. Ces répétitions visent la clarification d’un message ou tout simplement une insistance sur le message.

• Modalisation d’un message : le choix d’une autre langue sert dans ce cas à modaliser le message véhiculé.

• Personnalisation versus objectivisation d’un message : dans cette fonction, nous distinguons entre le degré d’implication d’un locuteur dans un message ou lui est étranger. Ainsi, un locuteur choisit sa langue (code nous) pour exprimer son implication et pour octroyer un caractère personnel à son message. Par contre, il opte pour un autre code (code eux) pour exprimer son détachement et son objectivisation.

2.5. La didactique de l’alternance codique

L’alternance codique est également l’objet d’étude de la didactique. Les études didactiques du code swiching s’intéressent à l’exploitation des langues antérieurement acquises dans les opérations d’enseignement et d’apprentissage, notamment dans les classes des langues secondes et étrangères. Deux points de vue caractérisent cette perspective. L’un interdit l’alternance codique en classe et l’autre la considère comme un potentiel acquisitionnel.

Ceux qui interdisent le code swiching en classe appellent à la création des mêmes conditions d’apprentissage d’un locuteur natif. L’objectif de cette tendance est la création des conditions naturelles d’apprentissage en sollicitant l’apprenant à s’exprimer uniquement en langue cible.

Autrement dit, ceux qui défendent ce point de vue (WEINREICH, 1953) jugent l’alternance codique comme un obstacle d’apprentissage et d’acquisition, et un indice d’incompétence de l’apprenant.

Certains chercheurs (LÜDI et PY, 2003 ; MOORE, 1996) considèrent l’alternance codique comme une ressource spécifique au locuteur multilingue qu’il faut bien exploiter dans les opérations d’apprentissage et d’acquisition d’une deuxième langue. L’argument des partisans de cette thèse est que le répertoire linguistique d’un multilingue n’est pas une addition de monolinguismes, mais toutes les langues acquises contribuent à la construction de la compétence communicative de ce locuteur (l’approche plurilingue). D’où l’importance de l’exploitation de ces langues dans les opérations d’enseignement et d’apprentissage.

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2.5. La psychologie sociale de l’alternance codique

La théorie de l’accommodation est une théorie de la psychologie sociale de la communication qui s’intéresse à l’étude des comportements langagiers lors d’une interaction verbale en prenant en compte à la fois les facteurs sociaux et les facteurs psychologiques. C’est une théorie qui a été élaborée à partir des années 70 du siècle dernier par Howard GILES.

HAMERS et BLANC ont repris cette théorie (1983) et l’ont appelée « La théorie de l’adaptation de la parole ». Ils ont signalé qu’elle fait appel à certains concepts généraux en psychologie sociale, à savoir l’attraction par la similarité, les mécanismes d’échanges sociaux, l’attribution causale et le processus de différenciation psychologique intergroupe. Il s’agit des mécanismes socio-psychologiques sous jacents aux comportements langagiers et dont l’individu n’est pas conscient. Pour l’attraction par la similarité, le locuteur est attiré par l’autre qui lui ressemble. Et par conséquent, il cherche à atténuer les différences linguistiques dans le but d’augmenter l’attraction sociale pour être perçu comme plus similaire. Le comportement langagier qui en résulte s’appelle une adaptation convergente. Ce comportement est aussi le résultat d’un autre processus socio-psychologique : le processus d’échange social. En effet, avant de choisir sa langue, l’individu évalue les coûts et les gains impliqués dans ce comportement langagier.

L’adaptation s’effectue jusqu’au point où le coût devient plus élevé que le gain qu’il peut tirer de l’attraction sociale. Par exemple, un locuteur peut choisir la langue de son interlocuteur jusqu’à ce qu’il se sente que le code choisi représente une menace à son identité. De son côté, l’interlocuteur évalue le comportement langagier du locuteur en vérifiant les motifs et les intentions qui le poussent à choisir un tel comportement. Donc une adaptation de la parole est perçue comme étant due à une cause (l’attribution causale). Le locuteur sera perçu plus favorablement par l’interlocuteur si son adaptation convergente provient d’un effort personnel en vue d’un rapprochement social que si elle la perçoit comme résultant d’une autre contrainte de la situation de communication. L’autre concept socio-psycholinguistique de la théorie de l’adaptation de la parole dans un univers plurilingue est la différentiation intergroupe. C’est un concept emprunté à la théorie de l’identité sociale de TAJFEL (1976). Si la langue est un marqueur identitaire saillant dans le cas où des groupes différents sont en contact, les membres de chaque groupe optent pour leur langue pour marquer leur identité linguistique. Dans ce cas où un locuteur utilise une langue différente de celle de son interlocuteur, on parle plutôt d’adaptation divergente.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons présenté succinctement la littérature de l’alternance codique.

Cette littérature a dévoilé que le code-swiching est devenu un domaine de recherche indépendant.

Plusieurs linguistes, sociolinguistes et des chercheurs des domaines connexes s’intéressent à ce produit du contact des langues.

Au niveau linguistique, nous avons constaté que l’alternance codique tend à être un champ d’étude des linguistes. Ces derniers la traitent comme un système linguistique. En effet, les études se multiplient pour décrire sa morphologie, sa syntaxe, sa phonologie, etc. Ces études suivent la démarche de la linguistique descriptive pour l’analyser. Elles partent d’un corpus de paires des langues en contact pour dégager les règles de son fonctionnement. Toutefois, ces études recourent à la combinaison des règles des langues en contact pour décrire le fonctionnement du code- swiching, notamment aux niveaux morphosyntaxique et phonologique. Ceci signifie que l’alternance codique ne dispose pas des règles arbitraires qui lui sont propres et qui valent de manière permanente à des paires des langues en contact. Ce qui indique que l’alternance codique ne pourrait pas être considérée comme un système linguistique autonome à l’instar des langues naturelles. Ceci pourrait s’expliquer par le changement continu des paires des langues en contact.

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Viendra-t-il un jour où la situation des langues en contact deviendra stable ? Les créoles n’étaient- ils pas au début une paire des langues en contact ?

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Références

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