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Du TAPS Project au virage ambulatoire. Comment retrouver le chemin de la désinstitutionalisation ?

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L’Information psychiatrique 2019 ; 95 (7) : 503-8

Du TAPS Project au virage ambulatoire.

Comment retrouver le chemin de la désinstitutionalisation ?

Guillaume Fonsegrive

1,2

Marine Plantevin

1,3

1Centre Santé Mentale Angevin Cesame, 27, route Bouchemaine

49130 Sainte-Gemmes-sur-Loire, France

2Psychiatre

3Directeur d’hôpital

Résumé.En France, les pouvoirs publics appellent de leurs vœux un«virage ambu- latoire». Pensé comme une politique de santé non spécifique à la psychiatrie, quels en sont les enjeux pour cette discipline dont l’organisation est déjà largement ter- ritorialisée et ambulatoire au regard des autres champs de la santé en France ? À l’appui de cette expérience franc¸aise, les auteurs s’interrogent sur ce que recouvre le terme de «désinstitutionalisation», partout employé mais finalement incarné par des réalités très hétérogènes. L’absence de modélisation constatée apparaît comme un frein et conduit à affirmer l’impératif de critères, communs pour garantir les progrès de la désinstitutionalisation.

Mots clés :soin ambulatoire, psychiatrie, psychiatrie communautaire, réhabilita- tion psychosociale, désinstitutionnalisation

Abstract. From theTAPS Projectto the outpatient shift: Finding a path towards deinstitutionalization.Authorities in France are calling for an “outpa- tient shift” in healthcare. While this is not conceived as a policy specific to psychiatry, what are the issues for the discipline, which is already organized in a more terri- torialized, outpatient-focused way than many other areas of healthcare in France?

Beginning from the French case, the authors ask what the term “deinstitutionali- zation” involves—while the term is widely used, it ultimately covers very diverse situations. The absence of a shared modelization is a hindrance, and underlines the importance of shared criteria for guaranteeing the progress of deinstitutionalization.

Key words:outpatient care, psychiatry, community psychiatry, psychosocial reha- bilitation, deinstitutionalization

Resumen. Del TAPS Project al giro ambulatorio. ¿ Cómo encontrar el camino de la desinstitucionalización ?.En Francia, las autoridades públicas hacen votos por un«giro ambulatorio». ¿ Pensado como una política de salud no específica de la psiquiatría, sea lo que sea lo que se juega en esta disciplina cuya organización ya está ampliamente territorializada y ambulatoria en comparación con otras áreas de la salud en Francia ? Como apoyo a esta experiencia francesa, los autores se interrogan sobre lo que abarca el término de«desinstitucionaliza- ción, empleado por todas partes pero al fin y al cabo encarnado en unas realidades muy heterogéneas. La ausencia de modernización constatada aparece como un freno y conduce a afirmar el imperativo de criterios, comunes para garantizar los progresos de la desinstitucionalización.

Palabras claves:cuidado ambulatorio, psiquiatría, psiquiatría comunitaria, reha- bilitación psicosocial, desinstitucionalización

Prenant le prétexte de questionner le sens pour la psychiatrie du«virage ambulatoire»appelé des vœux des politiques publiques franc¸aises, une revue de lit- térature sur la désinstitutionalisation en Europe et en Amérique du Nord est l’occasion de s’interroger sur ce que recouvre ce terme partout employé mais fina- lement incarné par des réalités très hétérogènes dans les différents modèles observés. Elle conduit également à affirmer l’impératif d’une définition claire et partagée pour garantir la poursuite des progrès de la désinstitu- tionalisation.

Le TAPS Project, exemple très

documenté de la désinstitutionalisation en Grande-Bretagne

Comment aborder la dynamique de désinstitutio- nalisation en Grande-Bretagne en quelques lignes ? Comment résumer un processus long, progressif, coloré par les évolutions sociales et politiques et les avancées de la médecine. Peut-être en évoquant en premier lieu la situation concrète du Friern Hospital, un des deux hôpi- taux de la banlieue londonienne dont la fermeture est à l’origine duTAPS Project.

Cet hôpital psychiatrique a été construit entre 1849 et 1850 à proximité d’un petit hameau près de Londres,

doi:10.1684/ipe.2019.1988

Corrspondance :M. Plantevin

<marine.plantevin@ch-cesame-angers.fr>

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Colney Hatch, et portait ainsi initialement le nom du Colney Hatch Lunatic Asylum (soit littéralement l’asile de fous de Colney Hatch). Entre 1857 et 1879, plusieurs aménagements architecturaux ont permis d’augmenter le nombre de«résidents»jusqu’à 2500, dans des condi- tions de vie parfois critiques. L’hôpital a par ailleurs vu son nom changer à plusieurs reprises, de Colney Hatch Mental Hospital en 1930, au Friern Mental Hos- pital en 1937 (en référence au quartier«Friern Barnet»).

Et finalement en 1959, avec le«Mental Health Act»et la suppression du mot Mental des noms d’hôpitaux, le Friern Mental Hospital devint le Friern Hospital.

En 1965, Lord Stabolgi, parlant au nom de la Chambre des lords, critiqua le nombre de patients hospitalisés uniquement du fait qu’ils étaient âgés, et requit donc une enquête. Le rapport conclut que sur les 708 patients de plus de 60 ans hospitalisés, 253 étaient considérés par les psychiatres comme ne relevant plus de soins psychiatriques. Ce qui apparut alors était le manque d’alternative pour ces personnes vieillissantes, pour qui le seul lieu de vie était l’hôpital psychiatrique. Une dyna- mique de déshospitalisation s’est alors initiée, avec en 1973 une réduction du nombre de patients à 1500, puis 1023 patients en 1979. La fermeture programmée de l’hôpital a alors été décidée en 1989, et effective en 1993.

On voit, au travers de l’histoire du Friern, quelques- uns des enjeux qui sous-tendent les processus de désinstitutionalisation : développement des thérapeu- tiques dans la seconde moitié duXXesiècle permettant une sortie des patients vers la cité,«critiques»du sys- tème psychiatrique exprimées par la société, mais aussi impulsions sociétales pouvant associer à divers niveaux souhait de déstigmatisation (changements de noms par exemple), évolution de la psychiatrie comme une disci- pline médicale«comme les autres», et rationalisation des dépenses avec l’idée du juste investissement pour le juste soin, au juste endroit. On perc¸oit en tout cas que la désinstitutionalisation est une dynamique toujours en mouvement.

C’est ainsi l’objectif du TAPS Project (Team for the Assessment of Psychiatric Services) que d’évaluer ce processus de désinstitutionalisation, en suivant les patients hospitalisés au long cours dans certains hôpi- taux psychiatriques en Angleterre et amenés à quitter l’hôpital pour intégrer des lieux de vie communautaires dans la cité. Le TAPS Project regroupe ainsi de nom- breuses études (ou«projets») menées depuis 1985.

La plupart des études menées offrent ainsi des conclusions en faveur de ce processus de désinsti- tutionalisation : absence de décompensation clinique en termes de symptômes psychiatriques ou de pro- blèmes de comportement dans la société [1], un vécu concernant les lieux de vie communautaires marqué par un moindre sentiment d’enfermement par rapport à l’hôpital psychiatrique, un plus grand développement de liens sociaux, que cela soit avec des amis ou de simples voisins, et une absence de majoration des probléma-

tiques de vagabondage et de criminalité chez les patients longs cours sortis d’hospitalisation [2].

Certaines limites sont néanmoins évoquées, telle que la situation des patients encore hospitalisés et n’ayant pas bénéficié d’un accompagnement vers un lieu de vie communautaire, présentant des problèmes de comportement social plus important, faisant évo- quer une dynamique de réinsertion plus complexe, ou encore un biais de sélection des patients qui ont ini- tié cette dynamique de désinstitutionalisation, patients décrits comme plus jeunes, hospitalisés depuis moins longtemps, avec une moindre occurrence du diagnostic de schizophrénie, avec un réseau social initial plus étendu et avec un souhait plus important de quitter l’hôpital [3].

À l’épreuve d’autres expériences de désinstitutionalisation en Europe et Amérique du Nord, peut-on dégager un modèle abouti de désinstitutionalisation ?

Si l’on peut décrire de grandes tendances identiques de l’état de la prise en charge hospitalière avant la Seconde Guerre mondiale et une tendance générale à la désinstitutionalisation dans les années 70, cela ne doit pas masquer de fortes disparités entre France, Grande- Bretagne, Allemagne et Italie [4] ainsi qu’avec le Québec ou les États-Unis, qu’il s’agisse de la temporalité ou des modalités de mise en œuvre. Le mouvement qui aboutit au rapprochement des hôpitaux psychiatriques des hôpi- taux généraux dès le début du siècle est en construction dès 1855 aux États-Unis [5] ; en Grande-Bretagne les pre- miers services ambulatoires sont créés entre les deux guerres ; et c’est la surmortalité des patients dans les hôpitaux psychiatriques lors de la Seconde Guerre mon- diale, chiffrée à 45 000 dans «l’hécatombe des fous » [6], qui jouera un«rôle d’accélérateur de la réforme des soins»en France [7]. Que cela soit du fait des réalités sociopolitiques – politique carcérale et retard dans la prise en charge médicale en psychiatrie en Italie, effets de la Seconde Guerre mondiale puis de la réunifica- tion en Allemagne –, du fait de la discordance entre acteurs médicaux et politiques au Québec [8], certains pays s’engagent finalement relativement tardivement dans la désinstitutionalisation.

Les dates marquantes de la désinstitutionalisation dans ces pays s’échelonnent entre après-guerre et 1970 : États-Unis (1955), France (1960), Grande-Bretagne (1962, Hospital Plan), Québec (1962, rapport Bédart), Italie (1968, loi Mariotti), Allemagne (1970, rapport sur la qua- lité des soins en santé mentale), mais c’est finalement principalement après 1970 que les textes s’inscrivent dans les faits : par rapport aux injonctions théoriques et légales, la déshospitalisation est tardive en Europe comme en Amérique du Nord [9].

En plus des différences de temporalités, les approches divergent. Sur le plan des affirmations réglementaires,

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on peut en distinguer des postures plus ou moins

«radicales»: en Grande-Bretagne, dont le National Plan engage en 1971 la fermeture de la moitié des lits de psychiatrie et l’abolition des hôpitaux psychiatriques par leur intégration dans les services généraux [10] ; en Ita- lie, la loi 180 de 1978 pose l’interdiction de toute nouvelle admission dans hôpitaux psychiatriques, leur fermeture progressive et la création de petites unités en hôpitaux généraux ; dans ces deux pays, la création concomitante de structures d’hébergement non hospitalières accom- pagne ce mouvement ; aux États-Unis, l’idéologie de soins ainsi que les modalités de financements favorisent

«drastiquement»les soins ambulatoires de courte durée [5]. Des approches plus intermédiaires sont à constater en France et Allemagne, où les politiques publiques pré- fèreront la voie de la réduction et de la restructuration des services hospitaliers entraînant peu de fermetures de centres hospitaliers spécialisés mais plutôt la réduc- tion de nombre de lits et le développement de lits spécialisés en hôpital général.

D’autres variables rentrent par ailleurs en ligne de compte et creusent les différences : le rapport inégal entre offre publique et offre privée dont la proportion est comparativement faible en Allemagne et en France au regard de la Grande-Bretagne et de l’Italie où elle est majoritaire, sociétés demanaged careaux États-Unis intégrant complètement l’offre de soins, y compris psy- chiatrique, aux mains de régimes assurantiels privés.

Autre variable notable, celle d’approches communau- taires des soins inégales : préoccupation coordonnée avec le mouvement de déshospitalisation, relancé for- tement en 1990, en Grande-Bretagne avec notamment l’affirmation de normes détaillées pour le suivi dans la communauté, ou la création d’équipes de santé mentales communautaires. Au Québec, ce mouvement, précocement inscrit dans politiques publiques, subira les aléas des politiques de rationalisation. En Italie, le développement de services de proximité est significa- tif mais d’une grande variabilité régionale. À nouveau, le rapprochement en France et Allemagne opère sur le sujet de l’approche communautaire des soins où elle est moins aboutie : on y observe bien le développement de structures alternatives de proximité ainsi que différents modèles intégrant acteurs sociaux et médicosociaux mais l’hospitalisation demeure un modèle dominant.

Aux États-Unis, l’absence d’alternative communautaire suffisamment développée conduit à un « déplace- ment (des patients) non planifié vers un ailleurs non précisé ». En effet, Medicare et Medicaid « ont préci- pité l’augmentation dramatique des externements», la logique de profit dumanaged careportant par sa cons- truction même, la question de la continuité des soins [5].

Enfin, même lorsqu’ils sont développés, les soins dans la communauté, font l’objet d’expériences diverses, qui ne sont pas aisément comparables [4].

Ainsi, le regard porté sur chacun des chemins emprun- tés par les pays observés ne permet pas de dégager

un modèle exemplaire, une méthodologie à suivre pour« réussir sa désinstitutionalisation». En fonction des éléments de contexte et des modalités retenues, une même intentionnalité affichée par les politiques publiques aboutit à des résultats difficiles à comparer que cela soit en termes d’offre de soins ou en termes d’efficacité dans l’atteinte de l’objectif fixé.

Le « virage ambulatoire », nouvel avatar de l’hospitalo-centrisme à la franc¸aise ?

Cette difficulté à faire le lien entre objectifs affi- chés et choix organisationnels peut être illustrée par la situation franc¸aise. En effet, malgré le postulat de la circulaire de 1960 – grâce au secteur séparer le moins possible le malade de son milieu et dévelop- per les soins dans la communauté –, la réforme de la psychiatrie en France n’aura pas relevé d’une«désinsti- tutionalisation», terme utilisé dans les pays anglosaxons pour décrire la politique de fermeture des asiles [11], mais plutôt d’une « déshospitalisation » [4]. La poli- tique de secteur ne s’est en effet pas prononcée contre l’hospitalisation à temps plein en psychiatrie mais pour son«dépassement»[12], l’institution ne se limitant plus à l’établissement mais s’étendant à des secteurs terri- toriaux [11] ; l’hospitalisation et ses alternatives faisant partie d’un système de prise en charge unifié, le soin est souvent resté très hospitalocentré, le secteur ayant une vision«totalisante»de ses missions [4]. Enfin, si le secteur a permis une augmentation progressive des consultations, celle de la pratique communautaire est restée plus modeste. Cette«promesse»non tenue du secteur [11] du fait des «impensés » administratifs et juridiques de cette réforme sera-t-elle relancée par le

«virage ambulatoire»?

Répondre à cette question n’est possible qu’en cher- chant d’abord à caractériser le virage ambulatoire. Son intitulé même renvoie bien à une terminologie de la déshospitalisation ; ses arguments – réduction du nombre de lits au bénéfice d’une concentration autour de plateaux techniques et sur les pratiques spécialisées, services ambulatoires«vitrines de l’hôpital»– renvoient également à cet objectif. Réduction du nombre de lits, évitement des hospitalisations non nécessaires et soins en proximité demeurent effectivement une des étapes de la désinstitutionalisation. Toute nécessaire qu’elle soit, elle n’en suffit cependant pas à constituer le seul moteur de la désinstitutionalisation. Elle souffre par ailleurs, de servir plusieurs objectifs à la fois : le«virage ambula- toire»permet, en se passant des murs, de répondre à un double objectif«dégager des marges de manœuvre financières et améliorer la qualité des soins»[12]. Or, le passage au premier plan dans les politiques publiques du souci de bonne gestion de l’offre de soins en santé mentale s’est traduit par une«tendance à la réduction du mandat psychiatrique à une activité de soins ordinaire»

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[11], tendance qui va clairement à l’encontre des enjeux du développement des approches communautaires.

Parler de«virage ambulatoire»pour la psychiatrie, c’est également user d’une terminologie despécifiée : si

«la HAS estime en 2012 que les acteurs hospitaliers et de la santé y voient«une révolution culturelle dans les établissements qui implique qu’ils pensent leur institu- tion autrement», le virage ambulatoire est-il si novateur pour la psychiatrie ? Si on lui confronte«l’avance histo- rique»prise par le secteur [13], la réponse est négative et fait courir le risque de limiter les ambitions de la psy- chiatrie (le virage aurait été déjà pris !). Pourtant,«l’effet masse » recherché par les penseurs du virage ambu- latoire, bien que largement engagé en psychiatrie au regard des autres disciplines, n’est pas atteint partout si l’on s’attache, par exemple, au ratio d’effectifs affectés à l’ambulatoire en psychiatrie. Il reste beaucoup à faire et, à elle seule, l’expression«virage ambulatoire»s’adapte mal aux réalités et aux enjeux de la santé mentale.

Le dispositif législatif vient cependant compléter l’incantation du«virage ambulatoire»et permettre de cocher d’autres cases de la désinstitutionalisation. On peut voir, par exemple, avec un peu de provocation, dans la constitution des groupements hospitaliers de territoire une forme de réponse franc¸aise à l’objectif d’une plus forte intégration de lits de psychiatrie à l’hôpital général.

Et, malgré le risque de voir cette intégration au champ sanitaire se faire au détriment du lien communautaire, on peut formuler l’hypothèse d’une vertu pédagogique de ce décloisonnement attendu entre établissements sanitaires qui pourrait être étendu aux relations entre psychiatrie et acteurs du social et du médico-social.

Plus évidente encore est la contribution de l’obligation faite d’élaborer des projets territoriaux en santé mentale, qui devrait permettre d’éviter la limitation au «virage ambulatoire»en psychiatrie et de contribuer de fait à faire coopérer les acteurs de la santé mentale dans une approche décloisonnée.

Définitions et indicateurs au secours de la désinstitutionalisation . . .

Les progrès de la désinstitutionalisation sont incon- testables : le nombre de lits a diminué de 50 à 80 % (100 lits pour 100 000 habitants en moyenne) depuis 1950 [14], les taux de recours à l’hospitalisation baissent (en Grande-Bretagne il est de 300 pour 1 million d’habitants) [15], au Québec, les tentatives de création de réseau communautaire sont relancées à partir de 1997. Cepen- dant, le constat est celui d’une désinstitutionalisation partout inachevée, certains auteurs s’interrogeant même sur sa nature«mythique»[9].

Si la comparaison des organisations de soins ne permet pas de décrire une voie à suivre, comment relancer plus efficacement des politiques soumises à des contraintes politico-économiques contradictoires ?

Même sans permettre de faire émerger un modèle, l’étude des différents systèmes de santé observés permet de dégager les leviers et les freins de la dés- institutionalisation. Les préciser est une première étape nécessaire.

Le premier d’entre eux est qu’il doit s’agir d’une politique inscrite dans une pensée ou une éthique du soin. Le terme de désinstitutionalisation est sous-tendu par le combat contre un système d’emprise et de stig- matisation ; des porteurs issus de la psychiatrie sont indispensables à l’émergence et à la construction d’une telle politique, à l’instar de la politique de secteur en France, issue d’une coopération entre décideurs poli- tiques et quelques psychiatres [4].

Nécessaire sans être suffisante, la déshospitalisation n’équivaut pas à une politique de santé publique car on pourrait alors légitimement y voir une simple poli- tique de recherche d’économie de court terme. Elle est néanmoins un des leviers de la désinstitutionalisation, une étape dans le nécessaire rééquilibrage du rapport de force entre soins et intégration dans la vie sociale.

Troisième et indispensable invariant, cette politique doit être complétée d’un objectif d’accompagnement dans la communauté : au virage ambulatoire doit être associé un «virage communautaire de la psychiatrie» [14].

Impossible par ailleurs de ne pas prendre en compte l’environnement social et culturel du pays pour engager, construire ou poursuivre une politique de désinstitutio- nalisation. Le retard pris par l’Allemagne est intimement lié à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et à l’impossibilité d’aborder sereinement les soins psychia- triques [16] qu’elle a engendrée ; de même, la manière dont un pays envisage le rapport entre psychiatrie et poli- tiques sécuritaires, ou organise les pratiques des soins sans consentement sont déterminants.

Autre levier, celui de l’accompagnement, de l’impulsion des dispositifs politique et juridique.

L’exemple québécois des aléas liés aux pratiques psychiatriques et aux groupes au pouvoir, souligne en creux la nécessité d’une volonté convergente des cliniciens de modifier leurs pratiques et des techno- crates de les soutenir [8]. Le contre-exemple franc¸ais de l’inachèvement du secteur, faute d’un outillage juridique et d’un modèle de financement servant les ambitions, en témoigne également.

Enfin, il ne faut pas mésestimer l’interférence éco- nomique dans les politiques de désinstitutionalisation : c’est l’exemple de la crise économique des années 80 qui a pu freiner les ambitions de certaines politiques occidentales ; ou encore celui de politiques d’économies des dépenses de santé qui peuvent vider de leur sens les politiques menées, comme les orientations dumanaged careaux États-Unis ont pu le laisser craindre.

Pour aller plus loin, on peut affirmer que la diffi- culté à faire progresser la désinstitutionalisation vient de sa dynamique complexe, du jeu d’interaction entre

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les freins et leviers décrits plus hauts. Pour échapper au discours sur la complexité qui empêche de décrire et d’agir au bénéfice d’un objectif donné, il est néces- saire d’essayer de se doter d’outils de mesure de la désinstitutionalisation. Des outils permettant à chaque pays, au regard de son environnement culturel, social et économique, de partager une vision systémique de la désinstitutionalisation. En France, le constat a pu être fait qu’«une représentation en miettes»dans les sys- tèmes d’information a pu freiner le développement de l’activité ambulatoire [17]. C’est, pour notre sujet, le pos- tulat du projet de recherche MENDit : « sans mesure pas d’orientation claire ni d’évaluation pertinente des politiques publiques ». L’objectif du développement d’indicateurs de mesure de la désinstitutionalisation (MENDit) est donc de permettre de soutenir, au plan international, les démarches de désinstitutionalisation [18]. Une mesure liée, par sa construction même, au contexte des pays tant le sujet de la désinstitutiona- lisation « requiert la collaboration et l’intégration de nombreux acteurs incluant les usagers, les offreurs de soins et services sociaux, la police et le législa- teur». Ainsi, l’échelle MENDit définit un cadre statistique permettant l’élaboration de scores par critères. Ces cinq critères : fermeture d’hôpitaux spécialisés, soins psychiatriques en premier recours, logement adapté, budgets de la santé mentale, professionnels de santé mentale pour 100 000 habitants, sont eux-mêmes cons- titués de manière composite, visant à rendre compte le plus justement possible de réalités complexes. Même en constatant des biais, les auteurs y voient un dispositif qui permet de mesurer, sur la base de critères identifiés et identiques, les progrès variables de la désinstitutionali- sation.

Comment poursuivre en France et les voies actuelles

de la désinstitutionalisation

Pour aller plus loin qu’un simple virage ambulatoire, plusieurs points nous semblent importants à souligner dans la poursuite de la réforme de l’hôpital.

Tout d’abord le développement de la politique de rétablissement. Le paradigme du rétablissement est à présent bien connu : le but n’est plus l’élimination des symptômes de la maladie, mais pour la personne d’être capable de vivre une vie accomplie dans la société. Le rétablissement se fonde sur une dyna- mique d’autonomie, d’empowermentet de connexions sociales. Cette politique situe alors l’hospitalisation complète comme un moyen de résoudre une crise psy- chique, mais tout en étant vigilant à ne pas créer de rupture. L’hospitalisation doit ainsi être réfléchie en fonc- tion de ce qui se passe avant et après le séjour, autant que ce qui se passe pendant. Cela implique aussi de

travailler à des alternatives à l’hospitalisation [19], néces- sairement proposées au sein de la communauté.

Réformer l’hôpital psychiatrique, c’est aussi se ques- tionner sur le profil des patients hospitalisés au long cours. On l’a vu avec le TAPS Project, certains profils de patients laissent présager des difficultés particu- lières d’insertion dans la communauté. Les hôpitaux psychiatriques sont ainsi confrontés à diverses problé- matiques, telles que celle des patients polyhandicapés, certains ayant longtemps vécu à l’hôpital du fait de troubles du comportement et de difficultés de main- tien sur le lieu de vie, et pour lesquels la psychiatrie a su créer des liens étroits avec des partenaires du médicosocial pour leur trouver des solutions adap- tées. Et depuis quelques années, ces hôpitaux sont confrontés à un recours aux soins de plus en plus fréquent d’usagers présentant des troubles de la per- sonnalité (principalement des troubles narcissiques), regroupant en fait des personnes avec un fonctionne- ment psychique problématique, tant pour eux du fait d’une souffrance psychique, que pour la société qui les repère alors comme«inadaptés»ou«déséquilibrés».

Et le recours aux soins en hospitalisation complète est ici sans commune mesure avec l’épidémiologie de ces troubles [20], conduisant souvent à des hospitalisations longues, répétées, pour lesquelles le système de soins franc¸ais est peu adapté. Ceci implique un question- nement permanent sur l’organisation de nos soins en fonction des évolutions de la société, et l’intégration dans ces réflexions de nos partenaires du médicosocial et du social, dont les besoins et le bon fonctionnement impactent directement le parcours de vie de nos usagers.

La désinstitutionalisation, dans sa dynamique de fer- meture de lits et de développement de l’ambulatoire, implique aussi un changement de pratique pour les professionnels. Les changements qui traversent nos institutions mettent à mal le «narcissisme »des pro- fessionnels [21]. Tous sont concernés, des gestionnaires aux soignants. Pour les premiers, il est impératif de passer de la perception de l’établissement autonome à celui d’une «composante élémentaire d’un réseau de santé » [22]. Du côté de l’accompagnement soignant, alors que l’ensemble des soins se réfléchissaient depuis l’intrahospitalier, où se questionnait la clinique bien sûr, mais aussi la situation sociale du patient, les liens familiaux, le travail, et où les réponses étaient souvent cherchées entre professionnels de la santé, la désinstitu- tionalisation nous amène à réfléchir à nos places au sein d’une psychiatrie communautaire. Cela implique que le psychiatre n’est plus dans une maîtrise du projet du patient, et que les équipes ne sont plus dans un accom- pagnement constant qui, même s’il est bienveillant, peut être générateur de dépendance [23]. La prise en charge est alors d’emblée tournée vers l’extérieur, le projet de vie co-construit, intégrant des partenaires de la communauté à même d’endosser certaines de nos missions historiques. L’enjeu de la communication est

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alors primordial, pour favoriser l’interconnaissance et le repérage des missions et permettre, aux soignants, de recouvrir une nouvelle identité, choisie et non subie.

Les enjeux des soignants se situent aussi du côté de la formation, tant en ce qui concerne la formation ini- tiale des équipes paramédicales, souvent insuffisante et alors assurée par les hôpitaux dans les premières années d’exercice, que dans l’acquisition de nouvelles compé- tences, en ce qui concerne les soins en eux-mêmes bien sûr, mais aussi pour les responsables de service en termes de management d’équipe, d’approche éco- nomique et organisationnelle et de gestion des flux en hospitalisation. Et enfin, au-delà de nouvelles compéten- ces, se pose la question pour les acteurs de la nécessaire émergence de nouveaux métiers comme lescase mana- gersou les pairs aidants.

Liens d’intérêt les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article

Références

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