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Le parrèsiaste chez Foucault

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Academic year: 2021

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Philippe G. Hébert

Le parrèsiaste chez Foucault

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en philosophie

pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)

FACULTE DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2011

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Résumé

Le but de la présente recherche était de vérifier si tous les éléments qui caractérisent le parrèsiaste chez Foucault sont présents dans la définition proposée par Gros ou si certains éléments de sa définition sont manquants. Nous avons procédé de deux façons. Nous avons en premier lieu choisi de présenter en détail ce qu'il entendait par la parrhêsia. Pendant les trois années que Foucault s'est intéressé à la parrêsia, il a fait référence à trois approches négatives et à quatre types de parrhêsia pour définir ce qu'est la parrêsia et pour déterminer les éléments de cette définition qui caractérisent celui qui fait preuve de franc-parler, c'est-à-dire le parrèsiaste. Puis, nous avons choisi de présenter un dialogue original en trois actes pour mettre en évidence les différents éléments de sa définition positive. Nous en sommes venus à la conclusion que tous les éléments de la définition qui caractérisent le parrèsiaste étaient présents. Par contre, nous avons constaté que la formulation des deux derniers éléments était incomplète. En opposant entre autres les discours de Périclès à Platon et Dion et les discours de Cultus à Dignitas, nous croyons que les deux derniers éléments de la définition auraient dû tenir compte de l'importance d'agir avec tact pour quiconque pratique la parrêsia.

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Quelques remerciements :

Je veux remercier trois professeurs exceptionnels de la Faculté de philosophie de l'Université Laval, Messieurs Luc Bégin, Jean-Marc Narbonne et Thomas DeKoninck qui m'ont imposé aucune contrainte à ma démarche dans le cadre de ma maîtrise en philosophie. Je les remercie de m'avoir fait confiance. Je les remercie de leur générosité. À leur trois, ils m'ont permis, en deux mots : d'être libre.

Je remercie Madame Lucille Gendron de la Faculté de philosophie pour sa disponibilité et sa délicatesse. Je remercie également Monsieur André Mineau, professeur à l'Université du Québec à Rimouski, qui a généreusement accepté d'être l'un des examinateurs de mon mémoire.

Je remercie Luc Marsolais, o.s.m., de m'avoir laissé envahir son bureau et son ordinateur pendant la durée de mes études de maîtrise. À toi le lecteur ou la lectrice, si tu as ouvert ce mémoire, c'est que tu as choisi la co-naissance. Socrate serait fier de toi.

Je dédie ce mémoire à mes proches amis : Andy-Dimitri Veilleux, Yves-Éric Montreuil, Jacques Beaulieu et Jacinthe Leclerc.

Deviens ce que tu es. Nietzsche

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Résumé ii Remerciements iii Tables des matières iv 1- Introduction 1

1.1 Le moment socratico-platonicien 2 1.2 Le moment hellénistique et romain 5

1.3 Le moment chrétien 13 1.1.4 Hypothèse 19 2- La parrhêsia chez Foucault 20

2.1 Premières tentatives de définition 20 2.2 Les trois approches négatives de la parrhêsia 24

2.2.1 Aveu et parrhêsia 24 2.2.2 Flatterie et parrhêsia 28 2.2.3 Rhétorique et parrhêsia 31 2.2.4 Trois modalités du dire-vrai et la modalité de la parrhêsia 33

2.3 Les quatre types de parrhêsia 38 2.3.1 La parrhêsia hellénistique 38 2.3.2 La parrhêsia politique 41

2.3.2.1 Le moment périclien de la parrêsia 45 2.3.2.2 Le moment socratico-platonicien de la. parrêsia 53

2.3.3 La parrhêsia socratique 67 2.3.4 La parrhêsia cynique 74 2.4 Les éléments de la définition positive de la parrhêsia chez Foucault 83

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Prologue 87 Premier acte 87 Deuxième acte 129 Troisième acte 159 Épilogue 172

4- Les éléments caractérisant le parrèsiaste chez Foucault 175

4.1. Les deux premiers éléments : Une prise de parole publique

ordonnée à l'exigence de vérité 176

4.1.1 Foucault 176 4.1.2 Réus-Roi 180 4.2. Les deux derniers éléments : Une prise de parole exprimant,

d'une part, la conviction personnelle de celui qui la soutient et entraînant, d'autre part, pour lui un risque, le danger d'une

réaction violente du destinataire 181

4.2.1 Foucault 181 4.2.2 Réus-Roi 190 4.3 La formulation incomplète des deux éléments de la définition :

agir avec tact et assumer pleinement le risque 203

4.3.1 Foucault 204 4.3.2 Réus-Roi 211

5-Conclusion : 217

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1- Introduction :

La parrhêsia a été l'objet privilégié de Foucault de 1981 jusqu'à sa mort en 1984. Dans L'herméneutique du sujet, Foucault se donne comme point de départ théorique : le souci de soi. Socrate représente celui qui articule l'exigence de la parrhêsia à travers le souci de soi et la technique d'existence. Socrate devient l'homme du souci de soi. Foucault cite l'Apologie de Socrate, comme texte fondamental à l'appui, dans lequel Socrate s'est donné le métier « d'inciter les autres à s'occuper d'eux-mêmes »'. Socrate joue également « le rôle de celui qui éveille »2. Dans sa défense devant ses accusateurs et ses juges, Socrate insiste pour leur

mentionner qu'il ne cessera pas de philosopher. Il leur dit clairement : « Quant à ta raison, quant à la vérité et quant à ton âme, qu'il s'agirait d'améliorer sans cesse, tu ne t'en soucies pas, tu n'y songes même pas »3. Cette notion de souci de soi s'est élargie entre la période

antique et la période chrétienne. Elle signifie entre autres : « une attitude à l'égard de soi, à l'égard des autres, à l'égard du monde; [elle] implique une certaine manière de veiller à ce qu'on pense et à ce qui se passe dans la pensée; [elle] désigne aussi toujours un certain nombre d'actions, actions que l'on exerce de soi sur soi, actions par lesquelles on se prend en charge, par lesquelles on se modifie, par lesquelles on se purifie et par lesquelles on se transforme et on se transfigure »4.

Foucault se réfère alors au moment cartésien qui a disqualifié « le souci de soi ». Chez Descartes, c'est le principe du « connais-toi toi-même » qui a été valorisé5. Dans la période

antique, « le thème de la philosophie (comment avoir accès à la vérité?) et la question de la

1 M. FOUCAULT, L'herméneutique du sujet, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2001, p. 7. Voir également : Apologie de Socrate, 28a-32d, in PLATON, Apologie de Socrate ; Criton, traduit par L. Brisson, Paris, Flammarion,

1997, p. 105-113. 1 Ibid, p. 9. 3 Ibid, p. 7. 4Ibid, p. 12-13. 5 Ibid, p. 15.

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spiritualité (quelles sont les transformations dans l'être même du sujet qui sont nécessaires pour avoir accès à la vérité?) » n'ont jamais été séparés. Dans la période moderne, il en est autrement : « les conditions selon lesquelles le sujet peut avoir accès à la vérité, c'est la connaissance, et la connaissance seulement »*. Foucault croit alors que « la vérité n'est pas capable de sauver le sujet »7. Foucault souligne également que la philosophie du XIXe siècle

avec Hegel, Nietzsche, Heidegger et Husserl a été « disqualifiée, dévalorisée, critiquement envisagée ou au contraire exaltée comme chez Hegel, de toute façon la connaissance - l'acte de connaissance - demeure liée aux exigences de la spiritualité »8. Foucault décide alors

d'isoler trois moments historiques pour articuler l'exigence de la parrhêsia à travers le souci de soi.

1.1 Le moment socratico-platonicien

Foucault s'attarde en premier au moment socratico-platonicien avec l'apparition du souci de soi dans la réflexion philosophique. C'est à partir du texte de YAlcibiade qu'il cherche à démontrer que le souci de soi a commencé à émerger dans la réflexion philosophique avec Socrate. Il précise d'emblée que l'impératif « s'occuper de soi » n'a « pas été, dès l'origine et tout au long de la culture grecque, une consigne pour philosophes »'. Ce principe « s'occuper de soi » était plutôt une vieille sentence lacédémonienne10. Il part du

texte de Plutarque dans lequel ce dernier s'adresse à Alexandride pour comprendre les raisons pour lesquelles les Spartiates ne cultivaient pas eux-mêmes les terres qu'ils possédaient en abondance. Alexandride lui répond : « tout simplement pour pouvoir nous occuper de

nous-6 Ibid, p. 19. À l'exception d'Aristote pour qui la spiritualité a été moins importante. 1 Ibid, p. 20.

*Ibid, p. 29. 9 Ibid, p. 32. 10 Ibid

(8)

mêmes »u. Foucault précise qu'il ne s'agit pas de philosophie, mais bien d'« un privilège, en

l'occurrence ici un privilège politique, économique et social »12.

Dans le texte de YAlcibiade, Foucault identifie le moment où la question du souci prend naissance. C'est le moment où Socrate réalise qu'Alcibiade est maintenant prêt pour aller au-delà de sa beauté qui est en train de passer et qu'il cherche à se tourner vers le gouvernement des autres. Socrate constate qu'Alcibiade « veut prendre en main le destin de la cité, il veut gouverner les autres. Bref, [il] est celui qui veut transformer son statut privilégié, sa primauté statutaire en action politique, en gouvernement effectif de lui-même sur les autres »". Socrate cherche à lui faire comprendre que le souci de soi-même est la condition pour passer à l'action politique. C'est alors qu'il amène Alcibiade à découvrir son infériorité par rapport à ceux qu'il veut affronter. En plus de ne pas avoir la même richesse que les jeunes aristocrates et la même éducation que ses rivaux, Socrate insiste pour lui dire : « [Il faut] que tu réfléchisses à toi-même, il faut que tu te connaisses toi-même »M.

À partir d'une longue suite d'interrogations15, Socrate lui démontre, par son

intervention, qu'il vit dans l'ignorance et que cette « nécessité de se soucier de soi-même est liée à l'insuffisance de l'éducation d'Alcibiade »'*. Foucault constate que l'enjeu du dialogue est le suivant : « quel est ce soi dont je dois m'occuper pour pouvoir m'occuper comme il faut

" Ibid, p. 33. aIbUL 13 Ibid, p. 34.

14 Ibid., p. 36. Voir également : PLATON, Alcibiade, 119a-124b, traduit par J. Cazeaux, Paris, Librairie générale, française, 1998, p. 75-88.

15 Ibid., p. 37. Socrate lui pose les questions suivantes : « Qu'est-ce que c'est que bien gouverner la cité ; en quoi consiste le bon gouvernement de la cité ; à quoi est-ce qu'on le reconnaît? » Alcibiade lui répond : « La cité est bien gouvernée lorsque la concorde règne entre ses citoyens ». Socrate poursuit avec la question suivante : Qu'est-ce que c'est que cette concorde, en quoi est-ce qu'elle consiste? » Alcibiade n'arrive pas à répondre. Il répond alors : « Je ne sais plus moi-même ce que je dis ».

" Ibid, p. 38. Voir la page 421. Voir également : PLATON, Alcibiade, 124c-133d, traduit par J. Cazeaux, Paris, Librairie générale, française, 1998, p. 89-111.

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des autres que je dois gouverner? »" Il mentionne d'abord que ce soi-même doit donner accès au savoir nécessaire. Il doit ensuite conduire Alcibiade à « connaître la tekhnê dont il a besoin pour gouverner les autres »18. Foucault soutient que ce soi peut être lié à la question du fait

d'« être gouverné »" dans la mesure où Alcibiade ne l'aurait pas été suffisamment. Il mentionne également que l'ignorance d'Alcibiade est « à la fois ignorance des choses qu'il faudrait savoir, et ignorance de soi-même en tant qu'on ne sait même pas que l'on ignore ces choses »M. C'est ce que Foucault appelle la culture de soi afin de démontrer l'importance

« d'une technologie de soi pour avoir accès à la vérité »21. Foucault précise que l'expression

« se soucier de soi-même » signifie « s'occuper de son âme afin qu'elle devienne la meilleure possible »22. Ce souci de soi doit être « tel qu'il délivre, en même temps, l'art (la tekhnê, le

savoir-faire) qui me permettra de bien gouverner les autres »23. Foucault souligne que le texte

de l'Alcibiade pourrait être l'inverse du texte de La République dans lequel, pour « savoir ce qu'est la justice dans l'âme de l'individu, il faut voir ce qu'elle est dans la cité »M. Dans

l'Alcibiade, c'est « l'âme comme sujet, et non pas du tout comme substance »25. Foucault

donne l'exemple du médecin qui s'examine et, par conséquent, qui s'occupe de son corps, pas de même. Comme Socrate se soucie de la manière dont Alcibiade doit se soucier de lui-même, il insiste sur le rôle du maître, c'est-à-dire de « celui qui se soucie du souci que le sujet

11 Ibid, p. 40.

Ibid. Voir également la page 429. 19 Ibid, p. H .

20 Ibid, p. 45.

21 Ibid., p. 46. À la page 49, Foucault donne quelques exemples de nombreuses traces de ces techniques. Dans le Phédon, il souligne l'exemple de « L'immobilité de l'âme et l'immobilité du corps ; du corps qui résiste, de l'âme qui ne bouge pas, qui est en quelque sorte fixe sur elle-même, sur son propre axe, et que rien ne peut détourner d'elle-même ». Dans Le Banquet, il souligne l'exemple de « l'image de Socrate allongé à côté d'Alcibiade et arrivant à maîtriser son désir ».

11 Ibid, p. 53. 23 Ibid, p. 51.

24 Ibid., p. 53. Voir également : PLATON, La république, livre II, 368a-369d, traduit par G. Leroux, Paris, GF-Flammarion, 2002, p. 135-138.

25 Ibid., p. 57. Voir également : PLATON, Alcibiade, 124c-133d, traduit par J. Cazeaux, Paris, Librairie générale, française, 1998, p. 89-111.

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a de lui-même »2*. Le maître devient ainsi le modèle du souci qu'Alcibiade doit avoir de

lui-même en tant que sujet.

Donc, en plus des deux conditions que Foucault vient de présenter sur le souci de soi, c'est-à-dire que l'on doit s'occuper de soi-même et que l'objectif de s'occuper de soi-même consiste à exercer vertueusement le pouvoir qui pourrait nous être destiné, la troisième condition qu'il découvre, dans l'Alcibiade, quant au fait de s'occuper de soi, « c'est tout simplement : se connaître soi-même »27. Foucault associe alors la connaissance de soi à la

connaissance en tant qu'élément divin, « par lequel nous nous connaissons nous-mêmes, dans le grand souci que nous avons de nous-mêmes, [qui] va permettre à l'âme d'atteindre la sagesse »M. C'est alors que l'âme sert à distinguer le bien et le mal pour se conduire comme il

faut afin de gouverner la cité. Dans la promesse faite par Alcibiade à Socrate, à savoir qu'il va se préoccuper de la justice, Foucault découvre que « s'occuper de soi-même, c'est s'occuper de la justice »29. Le platonisme va donc jouer ce double jeu : « à la fois reposer sans cesse les

conditions de spiritualité qui sont nécessaires pour avoir accès à la vérité et résorber la spiritualité dans le seul mouvement de la connaissance, connaissance de soi, du divin, des essences »3*.

1.2 Le moment hellénistique et romain

Le deuxième moment historique fait référence à la culture néo-classique de l'épanouissement de l'âge d'or impérial où l'on se soucie de soi avec comme fin soi-même.

26 Ibid, p. 58.

27 Ibid, p. 65. Voir également les pages 442-444. * Ibid, p. 69.

19 Ibid, p. 71.

30 Ibid., p. 76. À la page 400-401, Foucault écrit : « [CJ'est l'impératif « connais-toi toi-même » qui recouvre entièrement et occupe toute la place dégagée par l'impératif « soucie-toi de même ». « Souci-toi de toi-même » voudra dire finalement : « connais-toi toi-toi-même ». Connais-toi, connais la nature de ton âme, fais que ton âme se contemple elle-même dans ce nous [la partie de l'âme la plus élevée] et se reconnaisse dans sa divinité essentielle. C'était ce qu'on trouvait dans Y Alcibiade ».

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Les trois conditions posées pour la période socratico-platonicienne ont finalement disparu. Premièrement, le souci de soi devient un principe qui « s'impose à tous, tout le temps et sans condition de salut »31. Deuxièmement, le souci de soi n'a plus pour « fin dernière cet objet

particulier et privilégié qu'est la cité, mais si on s'occupe de soi maintenant, c'est pour soi-même et avec comme fin soi-soi-même »32. Dans le moment socratico-platonicien, le souci de soi

se déterminait dans la seule forme de la connaissance de soi. Dans la culture néo-classique, la connaissance de soi, sans toutefois disparaître, s'atténue et «s'intègre à l'intérieur d'un ensemble beaucoup plus vaste d'expressions »M. Tout en renvoyant à des actes de

connaissance, elle se rapporte à la perception qu'on a de soi-même telle que : « faire attention à soi » et « s'examiner soi-même »M. Elle se réfère à l'attitude à l'égard de soi-même telle que

« se recueillir en soi » ou « s'installer en soi »35. Elle se rapporte à des conduites à l'égard de

soi telles que « se soigner » et « se guérir »M. Elle se réfère également à des activités de type

juridique à l'égard de soi-même telles que « se revendiquer soi-même » ou de type religieux telles que « s'honorer soi-même » et « se respecter soi-même »37. Elle désigne aussi un

rapport permanent à soi tel que « être maître de soi » et « éprouver de lajoie à soi-même »M.

Ce processus de généralisation s'est fait selon deux axes. La première dimension fait référence au souci de soi qui devient coextensif à la vie individuelle et à l'art de vivre, et qui doit durer toute la vie. À partir de la Lettre à Ménécée d'Épicure, Foucault cherche à démontrer l'assimilation entre « philosopher à tous âges » et « prendre soin de son âme »39.

31 Ibid, p. 80. 31 Ibid. 33Ibid, p.81. 34 Ibid, p. 83-84.

"Ibid.

39 Ibid., p. 85. Voir également : Lettre à Ménécée, 122-135, in EPICURE, L'art de vivre : les stoïciens et Epicure, traduit par J. Auberger et G. Leroux, Anjou (Qc), CEC, 1998, p. 171-177.

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C'est donc, écrit-il, « d'atteindre un bonheur »40. Ce n'est plus l'ambition déjeunes à vouloir

exercer le pouvoir comme chez Alcibiade, mais c'est plutôt ceux qui s'exercent à la pratique de soi. Foucault en donne plusieurs exemples41. Le premier fait référence à Serenus qui

demande à Sénèque de porter un diagnostic sur son état d'âme. Le deuxième fait référence à Lycinus qui, à quarante ans, dit à Hermotime : « [Je suis] dans l'âge de commencer à me former moi-même »42. Il l'invite d'ailleurs à lui servir de guide. À la différence de VAlcibiade

où l'enseignement n'avait un rôle critique que pour amener l'individu à réaliser l'état d'ignorance dans lequel il se trouvait, dans la période hellénistique et romaine, Foucault constate que « la pratique de soi n'aura de rôle que critique »43, et qu'elle est liée à la

préparation de l'individu comme un rôle formateur. Foucault se réfère à la lettre 50 de Sénèque, qui écrit à Lucilius, pour démontrer que dans cette pratique de soi-même, il faut « travailler pour expulser, maîtriser, s'affranchir et se délivrer de ce mal qui nous est intérieur »**. Foucault souligne l'importance qu'on attribue à la correction dans la jeunesse et, pour les endurcis, au fait qu'il existe des moyens « pour que l'on puisse redevenir ce qu'on aurait dû être, mais que l'on n'a jamais été »4S. Foucault la compare à la formule des cyniques

pour qui « apprendre les vertus, c'est désapprendre les vices »4*.

La deuxième dimension fait plutôt référence au souci de soi qui doit s'étendre à tous les individus. Contrairement à la période socratico-platonicienne où s'occuper de soi était « une recommandation réservée à certains individus et subordonnée à une fin déterminée »47,

à l'époque hellénistique et romaine, on dit désormais : « occupe-toi de toi-même, un point

40 Ibid 41 Ibid, p. 86. 42 Ibid, p. 90. 43 Ibid.

44 Ibid, p. 91. Voir également : SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, t. II, livre V, lettre 50, 1-9, traduit par H. Noblot, Paris, Belles Lettres, 1947, p. 33-36.

45 Ibid, p. 92.

46 Ibid, p. 91. Pour ce qui est de X&parrhêsia politique, voir la section 2.1.3.4. 47 Ibid, p. 108.

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c'est tout w4*. Mais Foucault n'est pas prêt à affirmer que le souci de soi constitue une loi

universelle valant pour tous. Il donne différents exemples dont celui de Sénèque et Serenus pour qui l'amitié a permis à l'un d'avoir des conseils de l'autre. Même s'ils étaient liés à un ensemble de services et d'obligations, l'amitié en société romaine, fortement hiérarchisée, était surtout, écrit Foucault, « un ensemble où chaque individu n'avait pas, par rapport aux autres, exactement la même position »**. Par contre, Foucault semble admettre qu'il « n'y a pas de disqualification a priori de tel individu pour cause de naissance ou de statut w50. Puis, il

soutient que « si tous sont capables en principe d'accéder à la pratique de soi, c'est un fait absolument général que bien peu sont en effet capables de s'occuper de soi »S1. Foucault

cherche également à démontrer que le rôle du maître a changé. Contrairement à la période socratico-platonicienne où le maître est celui qui transmet au dirigé le savoir qu'il ignore, à l'époque hellénistique et romaine, le maître devient plutôt « le médiateur dans le rapport de l'individu à sa constitution de sujet w52.

En se référant à la lettre 32 de Sénèque, Foucault soutient qu'il faut « faire tendre sa vie le plus vite possible vers son objectif qui est l'accomplissement de soi dans la vieillesse »53. Ceci amène Foucault à démontrer l'importance du rôle du maître ou d'une autre

personne pour aider l'individu qui refuse de vouloir librement le soi. C'est ce qu'il appelle le stultus, c'est-à-dire celui qui n'a pas souci de lui- même, celui qui ne pense pas à sa vieillesse, voire celui qui est incapable de faire le partage des représentations qu'il a laissé entrer dans son esprit et qui se sont mêlées à l'intérieur de lui. C'est surtout celui qui ne veut pas le soi54.

*Ibid,p. 111.

10 Ibid, p. 115. " I b i d 52 Ibid, p. 125.

53 Ibid, p. 127. Voir également : SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, 1.1, livre IV, lettre 32, 1-4, traduit par H. Noblot, Paris, Belles Lettres, 1967, p. 141-143.

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Foucault précise que cette autre personne n'est pas « un éducateur au sens traditionnel du terme, qui va enseigner des vérités, des données et des principes. Il est évident aussi que ce n'est pas un maître de mémoire »ss. Il croit plutôt, à l'instar d'Épicure, que le philosophe est le

seul capable de diriger les autres. Le philosophe est donc celui « qui est nécessaire à la constitution du sujet par lui-même w5*. Foucault se réfère à la pensée de Dion de Pruse qui

soutient : « c'est auprès des philosophes qu'on trouve tout conseil sur ce qu'il convient de faire »57. La philosophie ne concerne pas seulement le rapport à soi, écrit Foucault, mais elle

concerne aussi « l'existence tout entière des individus »*. La philosophie représente donc « l'ensemble des principes et des pratiques qu'on peut avoir à sa disposition, ou mettre à la disposition des autres, pour prendre soin comme il faut de soi-même ou soin des autres »59.

Foucault fait alors référence à deux grandes formes institutionnelles : la forme de type hellénique et la forme de style romain. Dans la première, c'est la skholê, l'école qui « peut avoir un caractère fermé, impliquant une existence communautaire des individus »*°. C'est le cas des écoles épicuriennes dans lesquelles la pratique de la direction de la conscience est présente. Foucault s'appuie alors sur le texte de Philodème, La Parrhêsia, pour démontrer la nécessité que chacun ait « un hêgemôn, un guide, un directeur qui assur[e] sa direction individuelle »*'. Toujours d'après le texte de Philodème, Foucault précise que la direction individuelle doit obéir à deux principes. Le premier fait état d'un rapport affectif intense entre le directeur et le dirigé. Le deuxième fait référence à une certaine éthique de la parole'2.

Foucault propose alors une première définition de la parrhêsia : « c'est comme l'ouverture du

55 Ibid, p. 129. 56 Ibid, p. 130. " I b i d ''Ibid 59 Ibid, p. 131. 60 Ibid.

Ibid., p. 132. Il nous a été impossible de consulter : PHILODÊMOS, Peri parrhêsias, A. Olivieri, Leipzig, Teubner, 1914.

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cœur, c'est la nécessité pour les deux partenaires de ne rien cacher l'un à l'autre de ce qu'ils pensent et de se parler franchement »*3.

À partir des textes d'Épictète, rapportés par Arrien, Foucault constate que la pratique de la direction de conscience chez les stoïciens implique davantage une forme d'internat chez les élèves pour compléter leur formation avant d'entrer dans la vie politique. C'est alors que Foucault nous amène sur le terrain de la parrhêsia en opposant la flatterie à la sincérité. Il cite les propos d'Épictète qui « évoque aussi le moment où ils auront à exercer des charges, où ils se présenteront à l'Empereur, où ils auront à choisir entre la flatterie ou la sincérité, où ils auront à affronter les condamnations aussi »M. Pour Epictète, les élèves qui sont appelés à

devenir philosophes doivent « être capables d'examiner ainsi les représentations, il faut devenir skholastikos (c'est-à-dire : il faut passer à l'école) »**.

Dans la forme de type romain, c'est le conseiller de type privé qui domine. C'est une sorte de dépendance semi-contractuelle qui implique « deux individus ayant un statut social toujours inégal »". Foucault constate que cette forme d'institution est l'inverse de l'école qui joue un rôle important chez les épicuriens et les stoïciens. Il donne l'exemple de Demetrius, le conseiller d'existence, qui est demeuré à côté de Thrasea Paetus et qui l'a accompagné dans la mort. Foucault constate également que le rôle du philosophe dans la pratique de soi perd de sa fonction singulière et « s'intègre dans les conseils, les avis »'\ ce qui va mener, au Ie et 11e

siècle, à une forme de relation sociale entre individus. Ce rapport de soi à l'Autre, au lieu d'un

63 Ibid.

64 Ibid, p. 134. Voir également : EPICTETE , Entretiens : livres l à IV, livre II, XX, traduit par J. Souilhé et A. Jagu. Paris, Gallimard, 1993, p.158-171. Voir également : EPICTÈTE , Entretiens : livres l à IV, livre III, XXII, traduit par J. Souilhé et A. Jagu, Paris, Gallimard, 1993, p. 240-250.

65 Ibid, p. 136. Voir : EPICTÈTE, Entretiens ; Manuel, traduit par J. Souilhé et A. Jagu, Paris, Belles Lettres, 1950, p. 265-282.

66 Ibid, p. 137. "Ibid, p. 138.

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rapport de soi à soi, amène Foucault à se questionner sur ce rôle de conseiller par Sénèque et Plutarque. Il soutient alors qu'on « ne peut tout de même pas le comparer à un professeur de philosophie au sens où l'était Epictète »**. À ces directeurs de la pratique de soi, Foucault oppose le texte de correspondance entre Fronton, le maître de rhétorique, et Marc Aurèle, le dirigé, afin de nous ramener sur le terrain de la parrhêsia. Marc Aurèle écrit : « À Fronton, moi je dois d'avoir compris combien l'exercice du pouvoir entraînait d'hypocrisie, et d'avoir compris aussi combien, dans l'aristocratie de chez nous, on est « incapable d'affection ». Ces deux éléments montrent en Fronton un être de la franchise - par opposition à l'hypocrisie, la flatterie, etc. »". Il constate, dans l'amour que Marc Aurèle porte envers son maître Fronton, que cette expérience « n'est pas à placer à l'intérieur d'une relation professionnelle et technique sur la direction de conscience. En réalité, ce qui lui sert de support c'est l'amitié, l'affection, la tendresse qui, vous le voyez, jouent un rôle majeur »70.

Contrairement à VAlcibiade où le souci de soi n'était pas le souci du corps, des biens et de l'amour, mais de l'âme, Foucault constate, chez Marc Aurèle, que ces trois domaines sont réintégrés comme surface de réflexion. Il écrit : « [C'est 1'] occasion en quelque sorte pour le moi de s'éprouver, de s'exercer, de développer la pratique de soi-même qui est sa règle d'existence et qui est son objectif »71. Fronton devient l'ami qui est cher, celui que Marc

Aurèle prend comme directeur de conscience. Foucault précise qu'il « il est tout normal de le prendre comme directeur en dehors même de sa qualification de philosophe »72. Même s'ils ne

sont pas dans un rapport de maître de philosophie à élève, Foucault voit, à travers cette pratique de soi qui est devenue une sorte de relation sociale, une nouvelle éthique en train de

a Ibid, p. 150.

" I b i d , p. 152. Foucault écrit : « c'est sur cette notion de parrhêsia sur laquelle je reviendrai ». Voir également MARC AURÈLE, Pensées, Livres 1-VI, I, traduit par E. Bréhier, Paris, Gallimard, 1962, p. 11-23.

70 Ibid, p. 153. 71 Ibid, p. 156. ™ Ibid, p. 158.

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se développer, « non pas tellement du langage ou du discours en général, mais du rapport verbal avec l'Autre »". Ceci amène Foucault à proposer une autre définition de la parrhêsia en employant le mot « franchise ». Il écrit : « par franchise, c'est une règle du jeu, c'est un principe de comportement verbal que l'on doit avoir avec l'autre dans la pratique de la direction de la conscience »74. Dans cette pratique de soi ou dans la technologie du sujet,

Foucault ajoute à sa définition de la parrhêsia qu'elle est également une « ouverture de la pensée »75.

Dans le moment socratico-platonicien, le souci de soi permettait à travers l'acte de mémoire, qu'est la réminiscence, de remonter jusqu'à la contemplation des vérités afin de s'occuper des autres et de sauver la cité, voire de se sauver soi-même. À partir de l'époque du Ie et 2lème siècle, il en est autrement. Le soi et les techniques de soi se dégagent « peu à peu

comme une fin qui se suffit à elle-même, sans que le souci des autres constitue une fin ultime »7'. Le soi est donc le but unique du souci de soi. Foucault constate qu'à partir de la

période hellénistique et romaine, nous assistons à un véritable développement de la culture de soi qui se présente comme un « champ de valeurs organisé, avec ses exigences de comportements et son champ technique et théorique associé »77. Dans cette culture de soi, le

salut, dit Foucault, est « une activité permanente du sujet sur lui-même qui trouve sa récompense dans un certain rapport du sujet à lui-même »78. Malgré ce que l'on pourrait

penser par rapport au Prince qui doit s'occuper des autres avant de lui-même, Foucault

13 Ibid 14 ibid.

75 Ibid, p. 163. Il avait mentionné plus haut qu'elle était comme une franchise et une ouverture de cœur. 16 Ibid, p. 170.

77 Ibid, p. 174. Voir également les pages 170-174 où Foucault précise : « le soi a effectivement organisé ou réorganisé le champ des valeurs traditionnelles du monde hellénique classique [...] ; se présente comme une valeur universelle, mais qui n'est de fait accessible qu'à quelques-uns [...] ; ce soi ne peut être effectivement atteint comme valeur qu'à la condition d'un certain nombre de conduites réglées, exigeantes et sacrificielles [...] ; cet accès à soi est associé à un certain nombre de techniques, de pratiques relativement bien constituées, relativement bien réfléchies [...] associées à un domaine théorique, à un ensemble de concepts et de notions qui l'intègrent réellement à un mode de savoir ».

78 Ibid, p. 178.

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s'appuie sur les textes de Marc Aurèle pour démontrer que « c'est dans ce rapport de soi à soi comme rapport d'effort de soi vers soi-même, que l'empereur va faire non seulement son propre bien, mais le bien des autres, C'est en se souciant de soi qu'il aura forcément souci des autres »79. Il est donc lui-même le fondement de son action. C'est donc se convertir à soi.

1.3 Le moment chrétien

Le troisième moment historique fait référence à l'ascétisme chrétien. À l'époque socratico-platonicienne, l'axe d'opposition entre ce monde-ci et l'autre monde était prééminent. Dans la période hellénistique et romaine, le retour sur soi se faisait « en quelque sorte dans l'immanence même du monde »80. Dans la culture chrétienne, c'est le rôle de la

conversion qui prédomine. Il ne peut « y avoir conversion que dans la mesure où il y a, à l'intérieur du sujet, une rupture »81. Contrairement à l'époque socratico-platonicienne où le

connaître dans la forme même de la réminiscence est l'élément fondamental de la conversion et à la période hellénistique et romaine où l'adéquation de soi à soi est le lieu de la conversion, dans la culture chrétienne, le « soi qui se convertit est un soi qui a renoncé à lui-même »82. En plus d'une mutation soudaine à partir d'un événement qui a transformé d'un

coup le mode d'être du sujet, ainsi que d'un passage de mode d'être à l'autre comme de la mortalité à l'immortalité, la conversion chrétienne exige un troisième élément. Ce dernier « est au point de croisement des deux autres, à savoir qu'il ne peut y avoir conversion que dans la mesure où il y a, à l'intérieur même du sujet, une rupture »83.

19 Ibid, p. 194. Voir également : MARC AURÈLE, Pensées, Livres Vil-XII, VIII, traduit par E. Bréhier, Paris, Gallimard, 1962, p. 31-51.

" Ibid, p. 201.

81 Ibid, p. 203.

82 Ibid. Foucault écrit : « Renoncer à soi-même, mourir à soi, renaître dans un autre soi et sous une forme nouvelle, qui n'a en quelque sorte plus rien à voir, ni dans son être, ni dans son mode d'être, ni dans ses habitudes, ni dans son éthos, avec celui qui a précédé, c'est cela qui constitue un des éléments fondamentaux de la conversion chrétienne ».

83 Ibid.

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Foucault établit d'autres comparaisons entre les différentes époques pour démontrer l'importance de la conversion dans la culture chrétienne. Il porte un intérêt particulier aux époques hellénistique et chrétienne. Dans la période hellénistique, Foucault constate que la rupture ne se produit pas à l'intérieur de soi, mais qu'elle se « fait [plutôt] par rapport à ce qui entoure le soi »M pour que le soi ne soit pas dépendant et contraint. Foucault précise que la

rupture pour le soi est une « rupture au profit du soi, mais non pas rupture dans le soi »85,

comme elle l'est dans la conversion chrétienne. En revenant sur l'exemple de Marc Aurèle avec son « regarde-toi », Foucault soutient que dans la conversion hellénistique et romaine, il faut avoir le soi en vue8*. Il faut donc aller vers soi, ce qui en fait une autre distinction, parce

que c'est « en même temps un retour à soi »87. Foucault croit qu'il y a « là quelque chose qui

nous approche de très près de l'impératif: connais-toi toi-même w88. Par contre, il précise

qu'il ne faut pas lui donner le même sens que le « connais-toi toi-même platonicien et du examine-toi toi-même de la spiritualité monastique »8*. Il s'agirait de se détourner des autres

pour mieux les porter vers soi et « concentrer sa pensée sur sa propre action »90. Ceci amène

Foucault à se poser la question : « comment dire-vrai et gouverner (soi-même et les autres) se lient et s'articulent l'un avec l'autre? »"

C'est à partir du texte de Demetrius et des textes épicuriens que Foucault cherche à voir comment le problème se pose. Demetrius reconnaît deux formes de connaissances : les connaissances utiles et les connaissances inutiles. Les premières s'établissent à partir des « relations du sujet à tout ce qui l'entoure »w. Foucault souligne que la manière dont il faut

" Ibid, p. 204. uIbid.

86 Ibid. L'exemple de Sénèque avec son « observe-toi toi-même » mérite également d'être souligné. 87 Ibid, p. 205.

88 Ibid, p. 209. " Ibid, p. 210. mIbid, p. 213. 91 Ibid, p. 220.

92 Ibid, p. 226. Voir : SÉNÈQUE, Des bienfaits, 1.1, traduit par F. Préchac, Paris, Belles Lettres, 1961, p. 11-24.

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connaître, selon Demetrius, fait référence à « un mode qui est tel que ce qui est donné comme vérité se lise aussitôt et immédiatement comme précepte »w. Ces connaissances, dès qu'on les

possède, sont telles que « le mode d'être du sujet se trouve transformé, puisque c'est grâce à cela que l'on va devenir meilleur, dit-il »**. Les deuxièmes, qui sont rejetées par Demetrius, se définissent par « des connaissances qui ne peuvent pas se transformer en prescriptions »** et qui n'ont pas d'effet sur le mode d'être du sujet. Foucault souligne que nous sommes en présence de deux modalités du savoir : « l'une ornementale, caractéristique de la culture d'un homme cultivé et qui n'a plus rien d'autre à faire ; et puis le mode de connaissance nécessaire encore à celui qui a à cultiver son propre moi, qui se le donne comme objectif de sa vie »".

À l'analyse de Demetrius, Foucault introduit la notion de phusiologia que l'on retrouve chez les épicuriens. Dans le texte des Sentences Vaticanes, la phusiologia est définie comme « la modalité du savoir de la nature en tant qu'elle est philosophiquement pertinente pour la pratique du soi »*7. Foucault fait alors référence à la Sentence 76 du texte des

Sentences Vaticanes dans laquelle Epicure dit : « il faut philosopher pour soi et pas pour l'Hellade »**. Foucault ajoute que les propos d'Épicure se réfèrent « à cette activité de la véritable pratique de soi qui n'a d'autre but que soi-même. Et il l'oppose à ceux qui font semblant d'avoir cette pratique de soi, mais qui en réalité ne. pensent qu'à une chose [...] de se faire admirer par l'Hellade »".

93 Ibid 94 Ibid.

95 Ibid, p. 227. 96 Ibid, p. 227.

97 Ibid., p. 228-229. Epicure écrit ceci : « Ce ne sont pas des fanfarons, ni des artistes du verbe, ni des gens qui font étalage de la culture jugée enviable par la foule, que forme l'étude de la nature (phusiologia), mais des hommes fiers et indépendants, et s'enorgueillissant de leurs biens propres, non de ceux qui viennent des circonstances ».

98 Ibid, p. 229. "Ibid.

(21)

Foucault constate qu'Épicure attache beaucoup d'importance à la phusiologia pour les trois raisons suivantes. Premièrement, la phusiologia, elle paraskeuê, c'est-à-dire qu'elle prépare. Elle est « cette préparation du sujet et de l'âme qui fait qu'ils seront armés comme il faut, de manière nécessaire et suffisante, pour toutes les circonstances possibles de la vie que l'on peut rencontrer »"*. C'est également ce qui permet « à la fois d'atteindre son but et de rester stable, fixé sur ce but, sans se laisser dévier par rien »101. La phusiologia, qui donne à

l'individu hardiesse et courage, a donc « pour fonction de paraskeuein, de donner à l'âme l'équipement nécessaire pour son combat, pour son objectif et pour sa victoire »102.

Deuxièmement, cette phusiologia permet aux individus de devenir autarkeis, c'est-à-dire « qu'ils ne seront plus dépendants que d'eux-mêmes »m. Par conséquent, ils seront satisfaits

d'eux-mêmes. Troisièmement, elle permet également « aux individus de s'enorgueillir de leurs biens propres et non de ceux qui viennent des circonstances »104. Foucault constate aussi

que, dans le texte d'Épicure, la phusiologia n'apparaît pas comme un secteur du savoir qui s'oppose aux autres. Il apparaît plutôt comme la connaissance de la nature, « de \aphusis en tant que cette connaissance est susceptible de servir de principe à la conduite humaine et de critère pour faire jouer la liberté ; en tant aussi qu'elle est susceptible de transformer le sujet [...] en un sujet libre, qui va trouver en lui-même la possibilité et la ressource de sa volupté inaltérable et parfaitement tranquille »105.

En se référant à la Sentence 29 du texte Sentences Vaticanes, Foucault souligne que l'on trouve la même définition de la phusiologia lorsque Epicure dit : « Pour ma part, je préférerais, usant de la liberté de parole de celui qui étudie la nature, dire prophétiquement les

100 Ibid., p. 230. À la page 229, Epicure rejette \apaideia qu'il définit comme une culture de fanfarons par des gens qui veulent se faire admirer par l'Hellade et qui font semblant d'avoir cette pratique de soi.

102 Ibid. ltt3Ibid, p. 231. 104 Ibid. 10SIbid

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choses utiles à tous les hommes, même si personne ne devait me comprendre, plutôt que, en donnant mon assentiment aux opinions reçues, récolter la louange qui tombe en abondance, venant des nombreux »10*. Foucault insiste sur les mots suivants d'Épicure : « pour ma part,

usant de la liberté de parole ». Il les associe au mot grec : parrhêsia. Il désigne « non pas la franchise, non pas la liberté de parole, mais la technique [...] qui permet au maître d'utiliser comme il faut, dans les choses vraies qu'il connaît, ce qui est utile, ce qui est efficace pour le travail de transformation de son disciple »107. Il existe donc, entre le maître et le disciple,

« cette liberté de jeu, si vous voulez, qui fait que dans le champ des connaissances vraies on va pouvoir utiliser celle qui est pertinente pour la transformation, la modification, l'amélioration du sujet »108. Epicure, dit Foucault, aime mieux « dire prophétiquement les

choses utiles à tous les hommes que donner [s]on assentiment aux opinions reçues »109.

Foucault insiste également sur l'importance donnée par Epicure au verbe grec khrêsmôdein qui désigne : « Dire prophétiquement les choses utiles »no. Epicure ajoute : « dans ma liberté

de physiologue, en usant donc par la parrhêsia de la physiologie, eh bien, je préfère encore me rapprocher de cette formulation oraculaire qui dit, même obscurément, le vrai, mais qui prescrit en même temps, plutôt que de me réduire à suivre l'opinion courante [...], mais qui en fait ne change en rien -justement puisqu'elle est admise par tout le monde - l'être même du sujet »Ui. Foucault précise que le savoir qui est requis doit avoir pour fonction de modifier

l'être du sujet. Il faut, écrit Foucault, « que cette vérité affecte le sujet. Il n'est pas question que le sujet devienne objet d'un discours vrai »U2.

106 Ibid 107 Ibid, p. 232. 108 Ibid. 109 Ibid. 110 Ibid. 111 Ibid.

112 Ibid, p. 233. « C'est un savoir qui porte sur les choses, qui porte sur le monde, qui porte sur les dieux et sur les hommes, mais qui a pour effet et qui a pour fonction de modifier l'être du sujet ».

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À travers ces trois moments historiques que nous avons présentés en introduction, Foucault a cherché à démontrer que le souci de soi, tel qu'il est apparu dans V Alcibiade, a pris la forme aboutie de la conversion à soi dans le moment hellénistique, et qu'elle a été par la suite rapatriée par le christianisme pour en faire la morale chrétienne. Il précise que « déplacement, trajectoire, effort, mouvement : tout ceci doit être retenu dans cette idée de conversion de soi », u. Cette dernière doit également inclure : « déplacement et retour

-déplacement du sujet vers lui-même et retour de soi sur soi »114. Foucault compare alors le

modèle hellénistique aux deux autres modèles dans un rapport de conversion à soi et de connaissance de soi. Par rapport au modèle platonicien, il soutient « que la réminiscence est exactement au point de jonction entre souci de soi et connaissance de soi. C'est en se rappelant ce qu'elle a vu que l'âme découvre ce qu'elle est. Et c'est en se rappelant ce qu'elle est qu'elle retrouve accès à ce qu'elle a vu. On peut dire que, dans la réminiscence platonicienne se trouvent, réunis et bloqués en un seul mouvement de l'âme, connaissance de soi et connaissance du vrai, souci de soi et retour à l'être »115. Par rapport au modèle chrétien,

il précise que « la connaissance de soi est liée d'une façon complexe à la connaissance de la vérité telle qu'elle est donnée dans le Texte et par la Révélation »116. Ce modèle hellénistique,

écrit Foucault, n'a « pour forme ni la réminiscence ni l'exégèse »117. À la différence du

modèle platonicien, le modèle hellénistique « tend à accentuer et à privilégier le souci de soi, à lui garder au moins son autonomie par rapport à une connaissance de soi [...] limitée et restreinte »118. Et, contrairement au modèle chrétien, le modèle hellénistique « ne tend pas du

113 Ibid, p. 238.

114 Ibid. Voir les pages 238-240 dans lesquelles Foucault a recours à la métaphore de la navigation pour faire la démonstration de ce déplacement vers un certain but qui implique, « pour être menée à bien et pour parvenir jusqu'à son objectif, un savoir, une technique, un art ». Par rapport à l'idée de pilotage, Foucault fait référence à trois types de techniques : la médecine, le gouvernement politique, la direction et le gouvernement des autres. Il les associe à trois activités : « guérir, diriger les autres, se gouverner soi-même ».

115 Ibid, p. 244. 116 Ibid, p. 245. l" Ibid, p. 245.

118 Ibid., p. 247. Voir également la leçon du 17 février 1982 dans laquelle Foucault, à partir des textes de Sénèque (p. 260-273) et de Marc Aurèle (p. 278-297), aborde les effets de se convertir à soi dans l'ordre de la

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tout à l'exégèse de soi ni à la renonciation à soi, mais il tend au contraire à constituer le soi comme objectif à atteindre »"'. En faisant référence à ces trois grands modèles de pratiques de soi qui, historiquement, se succèdent les uns aux autres, Foucault en arrive à la conclusion que le modèle hellénistique représente le modèle du milieu qui tourne autour de l'auto-finalisation du rapport à soi. Il écrit : « Mais ce modèle du milieu, ce modèle hellénistique, centré autour de l'auto-finalisation du rapport à soi, de la conversion à soi, a tout de même été le lieu de formation d'une morale que le christianisme a reçue, dont le christianisme a hérité, que le christianisme a rapatriée et a élaborée pour en faire quelque chose que nous appelons maintenant, à tort, la morale chrétienne »"*.

1.1.4 Hypothèse

Nous avons exposé, en introduction, le cadre théorique qu'a parcouru Foucault pour arriver à parler de la parrhêsia. Dans le premier chapitre, nous allons présenter en détail ce qu'il entend par ce mot grec parrhêsia, quelles sont les trois approches négatives de la parrhêsia, quels sont les quatre types de parrhêsia auxquels il se réfère, quelle définition celui-ci finit par donner à la parrhêsia et quels sont les éléments de cette définition qui caractérisent celui qui fait preuve de franc-parler, c'est-à-dire le parrèsiaste. Dans le deuxième chapitre, nous allons, à partir d'un dialogue de notre cru, mettre en évidence les différents éléments de sa définition positive du parrèsiaste. Dans le dernier chapitre, nous allons chercher, dans les leçons de Foucault et du dialogue, à démontrer la pertinence de chacun des éléments de sa définition. Nous allons surtout vérifier si la définition que propose Foucault du parrèsiaste est exacte et complète ou si certains éléments de sa définition caractérisant le parrèsiaste sont manquants.

connaissance. À la page 315, il précise « qu'il ne fallait pas chercher ces effets du côté de ce qui serait la constitution de soi-même comme objet et domaine de connaissance, mais plutôt du côté de l'instauration de certaines formes de savoir spirituel ».

119 Ibid. 120 Ibid.

(25)

2. La parrhêsia chez Foucault

2.1 Premières tentatives de définition

Nous avons présenté, en introduction, les trois moments historiques qu'a traversé Foucault à partir de la notion du souci de soi pour articuler l'exigence de la parrhêsia. Dans L'herméneutique du sujet, il définit d'abord la parrhêsia «comme l'ouverture du cœur, comme la nécessité pour les deux partenaires de ne rien cacher l'un à l'autre de ce qu'ils pensent et de se parler franchement »m. Et, lorsqu'il oppose la franchise à l'hypocrisie et la

flatterie, il écrit : « La parrhêsia, que l'on traduit en général par franchise, c'est une règle du jeu, c'est un principe de comportement verbal que l'on doit avoir avec l'autre dans la pratique de la direction de la conscience »122. Puis, lorsqu'il affirme que cette notion de parrhêsia est

fort importante dans la pratique de soi, il ajoute qu'elle est également une « ouverture de la pensée »123. Mais c'est à partir des mots prononcés par Epicure qui dit : « pour ma part, usant

de la liberté de parole »m, que Foucault précise qu'il s'agit du mot grec parrhêsia, « qui est

essentiellement, non pas la franchise, non pas la liberté de parole, mais la technique [...] qui permet au maître d'utiliser comme il faut, dans les choses vraies qu'il connaît, ce qui est utile, ce qui est efficace pour le travail de transformation de son disciple »125.

Dans Le gouvernement de soi et des autres, c'est en posant la question du gouvernement de soi et des autres que Foucault cherche à voir comment « l'obligation et la possibilité de dire-vrai dans les procédures de gouvernement peuvent montrer comment l'individu se constitue comme sujet dans le rapport à soi et dans le rapport aux autres »12*.

121 Ibid. p. 132. 122 Ibid, p. 158.

123 Ibid, p. 163. Voir également les pages 348-368.

124 Ibid., p. 231. Ces mots ont été prononcés par Epicure dans la Sentence 29 du texte des Sentences Vaticanes. 125 Ibid, p. 232.

126 M. FOUCAULT, Le gouvernement de soi et des autres, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2009, p. 42.

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Foucault poursuit sa réflexion pour trouver une définition précise à la notion de parrhêsia. Il la traduit en premier lieu par le tout-dire, le dire-vrai, le franc-parler, le courage de la vérité et la liberté de parole127. Puis, il la désigne comme une « vertu, [un] devoir et [une] technique

que l'on doit rencontrer chez celui qui dirige la conscience des autres et les aide à constituer leur rapport à soi »128. Il précise ensuite que le souci de soi nécessite un rapport à l'autre dont

le rôle est « de dire le vrai, de dire tout le vrai, ou de dire en tout cas tout le vrai qui est nécessaire, et de le dire dans une certaine forme qui est précisément la parrhêsia »12*.

C'est en se référant au texte de Galien, le Traité des passions, que Foucault cherche à démontrer l'importance du rôle de l'Autre. Là-dessus, il cite Galien : « Ceux qui veulent se passer du jugement des autres dans l'opinion qu'ils se forment d'eux-mêmes, ceux-là, dit Galien, tombent souvent »I3°. Il ajoute que, pour Galien, il faut « bien entendu s'adresser à

quelqu'un pour s'aider soi-même dans cette constitution de l'opinion qu'on a de soi-même et dans l'établissement d'un rapport adéquat à soi »131. Et c'est pour cela, écrit Foucault, qu'il

faut s'adresser à un « homme d'âge, un homme de bonne réputation et un homme de parrhêsia »U2.

Chez Foucault, la parrhêsia englobe au point de départ plusieurs notions telles que : « souci de soi, connaissance de soi, art et exercice de soi-même, rapport à l'autre,

iVIbid, pp. 42-43. Voir également : F. GROS, Foucault : Le courage de la vérité, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 7. Voir également : J. REVEL, Le vocabulaire de Foucault, Paris, Éditions Ellipses, 2008, p.

102-103. Voir également : F. P. ADORNO, Le style du philosophe : Foucault et le dire-vrai, Paris, Éditions Kimé, 1996, p. 131-138.

128 Ibid, p. 43. Il la désigne comme une qualité en disant qu'il « y a des gens qui ont \z.parrhêsia et d'autres qui n'ont pas de parrhêsia ». Il la désigne aussi comme un procédé en disant qu'il « y a des gens qui savent se servir de \nparrhêsia et d'autres qui ne savent pas se servir de iaparrhêsia ».

129 Ibid. Foucault souligne qu'on « ne peut pas s'occuper de soi-même sans se connaître soi-même ».

130 Ibid., p. 44. Il ajoute que, à la différence de Y Alcibiade de Platon, « lorsqu'on s'occupe de soi-même, on ne peut le faire que d'une façon continue et permanente [et non seulement lorsqu'on veut entrer dans la vie publique] ».

131 Ibid.

132 Ibid. Foucault precise que ce sont les trois critères, « nécessaires et suffisants, pour constituer et pour caractériser celui dont on a besoin pour avoir rapport à soi ».

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gouvernement par l'autre et dire-vrai, obligation de dire vrai de la part de cet autre »133.

Foucault découvre qu'un seul texte, le traité de Philodème, est consacré à la parrhêsia. Il soutient alors que la parrhêsia est un « thème qui court d'un système à l'autre, d'une doctrine à l'autre, de telle sorte qu'il est assez difficile d'en définir très exactement le sens et d'en repérer l'économie exacte »134.

Dans Le courage de la vérité : Le gouvernement de soi et des autres II, Foucault revient sur l'importance du rôle de l'autre. Il écrit que cet autre, indispensable pour le dire-vrai de soi-même, doit avoir une certaine qualification, « une certaine pratique, une certaine manière de dire qui est précisément appelée la parrhêsia (le franc parler) »135. Il ajoute qu'il

est celui « qui est justement qualifié comme pouvant et devant user de ce franc-parler pour que l'individu puisse, à son tour, dire la vérité sur lui-même et se constituer comme sujet disant la vérité sur lui-même »"*. La notion de parrhêsia a d'abord été enracinée « dans la pratique politique et dans la problématisation de la démocratie, puis dérivée ensuite vers la sphère de l'éthique personnelle et de la constitution du sujet moral »137. La parrhêsia consiste

à tout dire tandis que le parrèsiaste, « c'est celui qui dit tout »138. Foucault donne l'exemple

du discours de Démosthène pour qui « il est nécessaire de parler avec parrhêsia, sans reculer devant rien, sans rien cacher »13'. Ceci l'amène à présenter les deux usages de la parrhêsia.

133 Ibid 134 Ibid, p. 45.

135 M. FOUCAULT, Le courage de la vérité : Le gouvernement de soi et des autres II, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2009, p. 8.

136 Ibid., p. 9. Voir les trois textes (Philodème, Plutarque et Galien) auxquels Foucault fait référence aux pages 8-9.

137 Ibid, p. 10. Par rapport à cette parrhêsia politique que nous présenterons à la section 2.1.3.2 et à laquelle Foucault consacre la presque totalité de ses leçons en 1983, il précise que, dans la. parrhêsia politique, c'est « la possibilité de poser la question du sujet et de la vérité du point de vue de la pratique de ce qu'on peut appeler le gouvernement de soi et des autres ». Dans ce jeu entre le sujet et la vérité se trouve des relations de pouvoir. Il écrit également qu'il y a un triple déplacement : « du thème de la connaissance vers celui de la véridiction, du thème de la domination vers celui de la gouvemementalité, du thème de l'individu vers celui des pratiques de soi ».

131 Ibid, p. 11.

139 Ibid. Démosthène dit également : « Je vais vous exposer ma pensée sans me dissimuler ». Voir également : Première Philippique, in DÉMOSTHÈNE , Sept philippiques, olynthiennes et discours sur la chersonèse, Paris, Yi

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Dans l'usage péjoratif, le parrèsiaste dit tout, mais il dit n'importe quoi. C'est celui « qui ne sait pas se retenir ou, en tout cas, celui qui n'est pas capable d'indexer son discours à un principe de rationalité et un principe de vérité »14*. Dans l'usage positif, la parrhêsia consiste

à dire la vérité, « sans dissimulation ni réserve ni clause de style ni ornement rhétorique qui pourrait la chiffrer ou la masquer »141. À la différence des mauvais parrèsiastes, Démosthène

ne « veut pas parler sans raison, il ne veut pas en venir aux injures »142. Démosthène a choisi

de dire les choses vraies en disant toute la vérité.

D'après Foucault, deux autres conditions doivent être réunies pour qu'on puisse parler de parrhêsia. Il faut d'abord que cette vérité constitue non seulement « l'opinion personnelle de celui qui parle, mais il faut qu'il la dise comme étant ce qu'il pense, et pas du bout des lèvres, et c'est en cela qu'il sera un parrèsiaste »143. Puis, comme deuxième condition, il faut

que le sujet, en disant « cette vérité qu'il marque comme étant son opinion, sa pensée, sa croyance, prenne un certain risque, risque qui concerne la relation même avec celui auquel il s'adresse »144. Ce jeu parrèsiastique est donc une espèce de pacte, soutient Foucault, « entre

celui qui prend le risque de dire la vérité et celui qui accepte de l'entendre »14S. La parrêsia est

Baron et Colin Éditeurs, 1894, p. 91-95. Voir également : Troisième Philippique, in DÉMOSTHÈNE , Sept philippiques, olynthiennes et discours sur la chersonèse, Paris, Baron et Colin Éditeurs, 1894, p. 318-322.

Ibid. Foucault donne deux exemples : celui d'Isocrate, dans Busiris, où il écrit : « il ne faut pas tout dire au sujet des dieux, à la différence des poètes qui leur ont prêté absolument n'importe quoi, n'importe quels qualités ou défauts » ; et celui de Platon, dans La République au livre VIII, où il écrit : « Cette mauvaise cité démocratique pratique la parrhêsia : chacun peut dire n'importe quoi ». Voir : Busiris, XI, 1-50, in ISOCRATE, Discours, traduit par G. Mathieu et E. Brémond, Paris, Belles Lettres, 1928, p. 187-200. Voir : Sur la paix, VIII,

11-23, in ISOCRATE, Discours, traduit par G. Mathieu et E. Brémond, Paris, Belles Lettres, 1960, p. 11-51. 141 Ibid.

142 Ibid, p. 12. Démosthène ajoute : « Ne rien cacher, dire les choses vraies, c'est pratiquer la parrhêsia ». Voir également : Seconde Philippique, in DÉMOSTHÈNE , Sept philippiques, olynthiennes et discours sur la chersonèse, Paris, Baron et Colin Éditeurs, 1894, p. 231-235. Voir également : Troisième Olynthienne, in DÉMOSTHÈNE , Sept philippiques, olynthiennes et discours sur la chersonèse, Paris, Baron et Colin Éditeurs,

1894, p. 194-199. 143 Ibid.

144 Ibid À la page 13, Foucault donne l'exemple de Démosthène qui dit : « Je sais bien que, en usant de cette franchise, j'ignore ce qui suivra pour moi de ces choses que je viens de dire ».

145 Ibid., p. 14. Foucault écrit que le vrai jeu de la parrhêsia s'établit à partir de ce pacte « qui fait que si le parrèsiaste montre son courage en disant la vérité envers et contre tout, celui auquel cette parrhêsia est adressée

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enfin, écrit Foucault, « une attitude, une manière d'être qui s'apparente à la vertu, une manière de faire »14*.

2.2 Les trois approches négatives de la parrhêsia

Foucault cherche à trouver une définition claire et positive du mot grec parrhêsia. Dans L'herméneutique du sujet, il présente les trois approches négatives de la parrhêsia. Dans Le courage de la vérité : Le gouvernement de soi et des autres II, il propose les trois modalités du dire-vrai qu'il oppose à la modalité de la parrhêsia.

2.2.1 Aveu et parrhêsia

La première approche oppose aveu et parrhêsia. À partir de la relation maître-dirigé, Foucault s'attarde à l'époque chrétienne qu'il compare à l'époque grecque, hellénistique et romaine. Premièrement, il souligne que la fonction du maître, à travers la parole de la Révélation et l'écriture du Texte, est d'enseigner la vérité et d'agir comme directeur de conscience ou comme confesseur147 tandis que le rôle du dirigé dans la spiritualité chrétienne,

c'est-à-dire de celui qui doit être conduit à la vérité, qu'il « a tout de même quelque chose à dire. [...]. C'est la vérité de lui-même »148. Deuxièmement, il souligne que « ce principe

fondamental qu'il faut pouvoir dire-vrai sur soi-même pour pouvoir établir à la vérité en général un rapport qui soit, tel qu'on puisse y trouver son salut, eh bien, c'est quelque chose qui n'existe en aucune manière dans l'Antiquité grecque, hellénistique ou romaine »14*.

Foucault écrit : « Celui qui est conduit à la vérité par le discours du maître, celui-là, il n'a pas à dire la vérité sur lui-même. Il faut et il suffit qu'il se taise. Celui qui est dirigé et celui qui

146 Ibid, p. 15. Foucault précise que « ce n'est pas un métier, c'est quelque chose de plus difficile à cemer ». 147 F. FOUCAULT, L'herméneutique du sujet, op.cit., p. 345-346.

148 Ibid., p. 346. À la page 347, Foucault précise : « Celui qui est dirigé et celui qui est conduit ne prendra, dans l'histoire de l'Occident, le droit de parler qu'à l'intérieur de cette obligation de dire-vrai sur lui-même, c'est-à-dire dans l'obligation de l'aveu ».

149 Ibid, p. 346-347.

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est conduit ne prendra, dans l'histoire de l'Occident, le droit de parler qu'à l'intérieur de cette obligation de dire-vrai sur lui-même, c'est-à-dire dans l'obligation de l'aveu »150. Dans

l'interrogation socratique, tout comme chez les stoïciens, ce dialogue, précise Foucault, ne vise pas à « obtenir que le sujet dise la vérité sur lui-même »151. Il s'agit plutôt « de l'éprouver

dans sa fonction de sujet disant la vérité, pour le forcer à prendre conscience du point où il en est dans cette subjectivation du discours vrai, dans sa capacité à dire-vrai »W2. Foucault

affirme qu'il ne voit pas de problème au discours de celui qui est dirigé parce qu'il « n'y a pas d'autonomie de son propre discours, il n'y a pas de fonction propre au discours du dirigé »153.

Fondamentalement, dit-il, « son rôle est de silence »154. Mais qu'en est-il du discours du

maître chez les grecs?

Pour répondre à cette question, Foucault nous amène sur le terrain de la parrhêsia. Il écrit : « Tout comme le disciple doit se taire pour opérer la subjectivation de son discours, le maître, lui, doit tenir un discours qui obéit au principe de parrhêsia s'il veut que ce qu'il dise de vrai devienne enfin, au terme de son action et de sa direction, le discours vrai subjective du disciple »155. Foucault définit alors la parrhêsia par « le fait de tout dire (franchise, ouverture

du coeur, ouverture de parole, ouverture de langage, liberté de parole) »15*. Il ajoute que la

parrhêsia « est l'ouverture qui fait qu'on dit, qu'on dit ce qu'on a à dire, qu'on dit ce qu'on a envie de dire, qu'on dit ce qu'on pense devoir dire parce que c'est nécessaire, parce que c'est utile, parce que c'est vrai »157. Chez les Latins, la parrhêsia se traduit par la Ubertas. Pour

Foucault, la parrhêsia ou la Ubertas représente « une qualité morale que l'on demande au

lS0Ibid, p. 347. 151 Ibid, p. 348. lS2Ibid. 1S3Ibid. lS4Ibid l s sIbid 156 Ibid ltr,Ibid. YA

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fond à tout sujet parlant »158. Il ajoute ceci : « dès lors que parler implique que l'on dise vrai,

comment pourrait-on ne pas imposer comme sorte de pacte fondamental à tout sujet qui prend la parole de dire le vrai parce qu'il le croit vrai? »m.

Foucault affirme alors que le « sens moral du mot parrhêsia prend dans la philosophie, dans l'art de soi-même, dans la pratique de soi dont je vous parle, une signification technique fort précise »'**. Foucault donne l'exemple du texte écrit par Arrien. Dans la préface des Entretiens d'Épictète, Arrien insiste sur l'importance d'écouter ; puis d'écrire"1. Après avoir

écouté les propos d'Épictète, Arrien les retranscrit pour essayer de les conserver. Foucault précise que les notes (hupomnêmata) qu'il a prises, il les constitue pour lui-même en vue de l'avenir, « c'est-à-dire en vue précisément de constituer une paraskeuê (un équipement) qui lui permettra d'utiliser tout cela lui-même lorsque l'occasion s'en présentera : événements, divers, dangers, malheurs, etc. »w2. En les publiant, Arrien restitue « le contenu de la pensée

donc qui était celui d'Épictète dans ses entretiens ; et puis parrhêsia, sa liberté de parole »li3.

Pour Foucault, la parrhêsia est « cette espèce de rhétorique propre ou de rhétorique non rhétorique qui doit être celle du philosophe »1<4. Il fait référence au conflit qui s'est développé

au IIe siècle entre la philosophie et la rhétorique. Il définit alors la parrhêsia comme « cette

forme nécessaire au discours philosophique puisque - comme le mentionne Epictète - il faut bien, puisqu'on utilise le logos, qu'il y ait une lexis (une manière de dire les choses) et puis qu'il y ait un certain nombre de mots qui soient choisis les uns plutôt que les autres »1SS.

158 Ibid, p. 349. 159 Ibid mIbid.

161 Ibid. Voir également : EPICTÈTE , Entretiens : livres I à IV, livre I, XXIII, traduit par J. Souilhé et A. Jagu, Paris, Gallimard, 1993, p. 71-72.

162 Ibid. 163 Ibid, p. 350. 164 Ibid.

165 Ibid. Foucault ajoute qu'il « ne peut y avoir de logos philosophique sans cette espèce de corps de langage, corps de langage qui a ses qualités propres, sa plastique propre, et qui a ses effets, effets pathétiques nécessaires ». Lire également les pages 319 à 324 concernant le logos et la lexis.

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Foucault ajoute que « [ce] qui doit être nécessaire, la manière de régler ces éléments (éléments verbaux, éléments qui ont pour fonction d'agir directement sur l'âme), ce ne doit pas être, quand on est philosophe, cet art, cette tekhnê qui est celle de la rhétorique »'**. Il précise : « [ce] doit être cette autre chose qui est à la fois une technique et une éthique, qui est à la fois un art et une morale, et que l'on appelle la parrhêsia »ltT.

Si le maître tient à ce que le silence du disciple soit un silence fécond1*8, son discours

doit, soutient Foucault, être « un discours tel que la subjectivité du disciple puisse se l'approprier et que le disciple, en se l'appropriant, puisse parvenir jusqu'à l'objectif qui est le sien, à savoir lui-même »1W. Il y a donc un certain nombre de règles, souligne Foucault, qui

« portent encore une fois sur, non pas la vérité du discours, mais la manière même dont ce discours de vérité [de la part du maître] va être formulé. Et ces règles de formulation du discours de vérité, c'est la parrhêsia, c'est la Ubertas »170. Dans la parrhêsia, le disciple doit

donc se taire, car la parole du maître doit faire valoir la vérité de ce qu'il avance afin de défendre sa propre conduite171. Par contre, Foucault précise que dans l'aveu chrétien, c'est la

parole du dirigé, contrairement à la parole du maître dans la parrhêsia, qui doit produire un discours vrai sur lui-même, adressé à son directeur de conscience.

166 Ibid 147 Ibid.

168 Ibid. Il faut que, dans le fond de ce silence, « se déposent comme il faut les paroles de vérité qui sont celles du maître, et pour que le disciple puisse de ces paroles faire cette chose sienne qui l'habilitera un jour à devenir sujet lui-même de la véridiction ».

169 Ibid. Il précise qu'il faut que le discours du maître « ne soit pas un discours artificiel, feint, un discours qui obéisse aux lois de la rhétorique et qui ne vise dans l'âme du disciple que les effets pathétiques. Il faut que ce ne soit pas un discours de séduction ».

mI b i d , p. 350-351.

mIbid., p. 345-350. Dans l'aveu chrétien, Foucault écrit à la page 391 : « en demandant à l'âme qui est psychagogisée, l'âme qui est conduite, de dire une vérité ; vérité que seule elle peut dire, que seule elle détient et qui est non pas le seul, mais un des éléments fondamentaux de cette opération par laquelle son mode d'être va être changé. Et c'est en cela que consistera l'aveu chrétien ». Voir également : F. GROS, Foucault : Le courage de la vérité, op.cit., p. 156-157 : Il écrit que dans l'aveu, c'est la parole du dirigé, contrairement à la parole du maître dans la parrhêsia, qui doit « produire un discours vrai sur lui-même, adressé à un Autre (son directeur de conscience) ». Il ajoute que, dans la parrhêsia, le disciple doit se taire car la parole du maître doit faire valoir, « pour authentifier la vérité de ce qu'il défend, sa propre conduite : la vérité de ce que j'avance, elle éclate dans mes actes ».

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2.2.2 Flatterie et parrhêsia

La deuxième approche oppose flatterie et parrhêsia. Comme nous l'avons mentionné dans la relation maître-disciple, Foucault revient sur le rôle du maître, de celui qui doit délivrer la parole vraie. En faisant référence à la parrhêsia, il écrit : « que dire, comment dire, selon quelles règles, selon quelles procédures techniques et selon quels principes éthiques »172.

Il l'associe à « la qualité morale, à l'attitude morale, à Y éthos si vous voulez, d'une part, et puis à la procédure technique, à la tekhnê, qui sont nécessaires, indispensables pour transmettre le discours vrai à celui qui en a besoin pour la constitution de lui-même comme sujet de souveraineté sur lui-même et sujet de véridiction de lui-même »173. Il faut donc,

soutient Foucault, que le disciple reçoive comme il faut, dans les conditions qu'il faut, le discours vrai, qui doit être prononcé par le maître dans la forme de la parrhêsia, c'est-à-dire : « la franchise, la liberté, l'ouverture, qui font qu'on dit ce qu'on a à dire, comme on a envie de le dire, quand on a envie de le dire et dans la forme où l'on croit qu'il est nécessaire de le dire »174. Foucault ajoute que cette notion de parrhêsia est « tellement liée à ce qui est le

choix, la décision, l'attitude de celui qui parle, que justement les Latins ont traduit parrhêsia par le mot Ubertas »"s. Le tout-dire de la parrhêsia, écrit Foucault, « est rendu par la Ubertas :

la liberté de celui qui parle »17'.

Foucault oppose la flatterie au franc-parler. Il souligne que la flatterie, « c'est l'adversaire moral du franc-parler »177 dont il faut se débarrasser. Il compare d'abord colère et

flatterie pour démontrer le problème moral. Dans la colère, c'est « l'abus du pouvoir chez le

172 Ibid, p. 356. mI b i d 174 Ibid. mIbid.

176 Ibid. Foucault ajoute : « Et beaucoup de traducteurs français utilisent pour traduire parrhêsia - ou traduire Ubertas en ce sens - l'expression franc-parler, et cette traduction me paraît la plus juste ».

XT1 Ibid, p. 357.

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supérieur à l'égard de l'inférieur »178 qui se manifeste, c'est-à-dire de celui qui est incapable

de se contrôler soi-même à l'égard de l'autre. Dans la flatterie, c'est le cas inverse. C'est « une manière [de la part de l'inférieur] de se concilier ce plus de pouvoir qui se rencontre chez le supérieur, de se concilier ses faveurs, sa bienveillance, etc. »17*. C'est donc par le

logos, la parole, soutient Foucault, que le flatteur arrive à obtenir du supérieur ce qu'il veut. C'est par cette technique qu'il « obtient ce qu'il veut du supérieur en faisant croire au supérieur qu'il est le plus beau, le plus riche, le plus puissant, etc. Plus riche, plus beau, plus puissant en tout cas qu'il n'est »180. C'est donc par le logos que le flatteur « peut arriver à

détourner le pouvoir du supérieur en s'adressant au supérieur, en lui adressant un discours mensonger, dans lequel le supérieur se verra plus de qualités, de force, de pouvoir qu'il n'en a »181. En agissant de cette façon, le flatteur, affirme Foucault, « empêche qu'on se

connaissance soi-même comme on est »182. Il ajoute que le flatteur « empêche [aussi] le

supérieur de s'occuper de lui-même comme il faut »183.

Foucault parle même d'une dialectique du flatteur et du flatté. Il écrit que « le flatteur, se trouvant par définition dans une position inférieure, va se trouver par rapport au supérieur dans une situation telle que le supérieur se trouvera comme impuissant par rapport à lui »184. Il

précise que « c'est dans la flatterie du flatteur que le supérieur va trouver une image de lui qui est abusive, qui est fausse, qui le trompera, et qui par conséquent le mettra dans une situation de faiblesse par rapport au flatteur, et par rapport d'ailleurs aux autres, et finalement par

178 Ibid., p. 359. À la page 358, Foucault précise que « cette question se place exactement au point d'articulation de la maîtrise de soi et de la maîtrise sur les autres, du gouvernement de soi-même et du gouvernement des autres ».

179 Ibid

180 Ibid. Foucault précise que le flatteur, « en se servant ainsi de la supériorité du supérieur, il la renforce », et ce, dans le sens qu'on vient de le mentionner.

181 Ibid. mIbid. 183 Ibid 184 Ibid, p. 360.

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