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Platon, le monde des Idées et des représentations mentales, à l'ère de l'imagerie cérébrale.

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Texte intégral

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Michel Freiss Article 2017 Neurosciences et linguistiques cognitives MCF Linguistique et Didactique de l'anglais.

Laboratoire CRILLASH

Platon, le monde des Idées et des représentations mentales, à l'ère de l'imagerie cérébrale.

Abstract

Les grands penseurs et théoriciens du langage de Platon à Pinker, en passant par Saussure, Wittgenstein, ou Chomsky, se sont interrogés sur le rapport entre langage, pensée, et la réalité mentale de la relation qui semble les unir. Le langage reflète-t-il une image du monde symbolique de nos pensées, ou est-il une simple approximation, ''une entité floue'' laissant le champ libre aux théories développées par les sophistes, par exemple ? Quel rapport les représentations langagières entretiennent-elles avec le monde réel ? En ce sens, les neurosciences cognitives soutenues par l'imagerie cérébrale (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) devraient pouvoir éclairer d'un jour nouveau les différentes théories sur le langage, à commencer par une des théories initiales et initiatrices, à savoir le monde des Idées de Platon. Qu'en est-il donc de ces efforts de modélisation de l'activité langagière, avant et après l'apparition de l'IRMf ? Quid du débat entre les partisans d'un point de vue mentaliste chomskyen, et ce, comme Wittgenstein pour qui le langage est avant tout un des moyens dont dispose notre espèce d'Homo faber à Homo sapiens, pour agir sur le réel ?

Mots clés : Platon, Chomsky, Wittgenstein, représentations, imagerie mentale, imagerie cérébrale, origine du langage.

Sommaire

1 - Platon et les Idées : quel rapport le langage a-t-il avec le réel ? 2 - L'hypothèse mentaliste du langage

3 – Le concept de représentation mentale

4 – Imagerie mentale et pensée symbolique à l'ère de l'IRMf 5 – L'imagerie mentale à la source de la pensée symbolique 6 – Le film intérieur

7 - Conclusion

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1 - Platon et les Idées : quel rapport le langage a-t-il avec le réel ?

Au tout début du IVe siècle avant J.C, Platon (-428/-348) élève de Socrate, ouvre à Athènes une école de philosophie qui perdurera plus de huit siècles. Vers -390, il met la dernière main à l'un de ses fameux dialogues, lequel a pour objet de décider si le langage est pure convention entre les hommes d'une société donnée qu'ils partagent, ou bien s'il a un rapport direct avec le monde qui nous entoure (1). En d'autres termes, Platon pose la question fondamentale du rapport du langage avec le monde réel, problématique toujours à l'ordre du jour en ce début de troisième millénaire qui voit le retour du populisme tant en Europe qu'aux États Unis.

Pour ce faire, Platon développe dans sa thèse une solution alternative consistant à interpréter le monde réel dans la variété de ses contextes et de ses pratiques.

Quand l'esprit nomme, il procède par catégories. En effet, personne ne donne un nom particulier à chaque objet. Une pomme est une pomme ''universelle''. Accessoirement, elle peut appartenir à une variété particulière, mais son nom reste lié à la catégorie prototypique pomme. En effet, l'esprit abstrait des propriétés et les rassemble sous un concept prototype (2) en procédant par déductions successives. Dans ce cas, le mot ne désigne pas la chose sensible mais ''son idée'' (3). Le mot pomme va donc permettre à des individus d'une société donnée de communiquer sur le goût, la couleur, l'origine, l'achat, l'entretien, la culture,… de pommes sans avoir obligatoirement l'objet sous les yeux ou en main. Cette thèse typiquement idéaliste s'oppose à celle d'Hermogène (4) qui considère le langage comme une simple convention humaine.

Or pour Platon, si c'est l'homme seulement qui donne valeur aux choses, il y a alors ni vérité ni erreur; il n'y a rien que l'on puisse dénommer ou qualifier avec justesse et objectivité. Ainsi, ce qui sera proclamé grand par quelqu'un pourra paraître petit et insignifiant à un autre. Tout ce qui pourra être avancé sera également vrai ou également faux, ce qui apparaît véritablement contraire à la logique du réel observable (5). En effet, une proposition notée P est égale à elle-même (P = P), mais dans ce cas, logiquement on ne peut établir l'égalité P = - P si dans le même temps P = P. Toute chose étant différente de son contraire, Platon critique la thèse sophiste, école affirmant que la rhétorique (6) du grec ancien rhêtorikê, technique, art oratoire, lui-même dérivé de rhêtor, orateur n'a que faire de la ''vérité'' qui reste un concept non défini. L'objet de l'acte langagier est de persuader, quitte à déformer la vérité, en faisant passer pour vrai ce qui ne l'est pas. Par exemple, Platon reproche à Polos (7) de défendre une moralité de façade excusant les plus terribles injustices sociales. De même, Calliclès (8) représente pour Platon, la figure emblématique du ''populisme'', lequel rejette tout esprit de justice et de vérité pour flatter le peuple de façon

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mensongère par des propos fallacieux afin de mieux le contrôler. Platon, démocrate convaincu, montre que trop souvent le langage est utilisé pour faire adhérer le peuple aux valeurs du pouvoir en place, ce qui rend l'approche platonicienne d'autant plus prégnante aujourd'hui.

2 - L'hypothèse mentaliste du langage

''Si le langage est la maison de la pensée'' comme le soutenait Heidegger (9), plus de deux millénaires après Platon, qui voyait déjà le langage comme un ''habillage de la pensée'' (10), ce dernier structure l'idée mentale sous-jacente en éléments acoustiques et articulatoires palpables, bien que très souvent réducteurs. Le langage apparaîtrait donc comme une incarnation de la pensée, ''le verbe incarné'' pour la religion chrétienne qui partagera avec Platon le souci de la vérité transcendante.

Ce point de vue mentaliste (11) sera repris par Chomsky dans la deuxième moitié du vingtième siècle, lequel défend dans sa thèse datant de 1953 l'hypothèse de l'existence du ''mentalese''. En d'autres termes, le langage de la pensée pure, le ''mentalais'' dans les connexions neuronales, ne s'exprime pas dans une langue spécifique, mais bien dans son langage propre et inné, à la fois biologique, chimique, électrique, et ce à différents niveaux, du simple réseau de neurones aux aires cérébrales plus complexes, comme l'aire de Broca ou de Wernicke identifiées depuis la fin du XIXe siècle.

Platon avait forgé dans les pas de Socrate, le concept du ''monde des Idées'' : tout homme sait tout en puissance. Qu’est-ce alors qu’apprendre à parler ? Selon la représentation courante, apprendre une langue et notamment une langue étrangère, c’est accueillir quelque chose d’étranger dans sa conscience; apprendre c’est donc remplir un espace vide par des choses qui sont étrangères à cet espace même. Selon Platon, il y a certes des représentations de choses qui viennent de l’extérieur, mais ce sont des représentations de choses singulières, passagères, des impressions sensibles (12). Or, le véritable savoir est le savoir de l’universel, de l’Idée et ce qui est universel, ce qui est Idéel, et dont l'origine n’est pas dans les choses mais bien dans l’esprit. Apprendre c’est retrouver en soi-même la connaissance des Idées, c’est actualiser ce que l’on sait en puissance sur la langue, par exemple, en extrayant des données du monde réel pour les confronter à des idées préacquises, c'est-à-dire innées.

Descartes avant Chomsky, qui se présente d'ailleurs comme largement influencé par la pensée de Descartes (13) parlera en ce sens de ''sujet pensant''. L'approche par les neurosciences cognitives et l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, dénote en effet l'existence matérielle des pensées. Suivant l'activité cérébrale, différentes aires sont sollicitées et visualisées par l'imagerie cérébrale.

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Platon aurait-il vu juste ? Le cerveau est-il le lieu où s'accomplit ce monde des Idées directement observable par l'IRMf ?

3 – Le concept de représentation mentale Depuis le tournant du XXe le concept du monde des Idées a largement évolué en concept de ''représentation mentale''. La capacité du cerveau (Platon parlait ''d'esprit'', et le cerveau était pour les Grecs une masse spongieuse et inutile, puisque les pensées naissaient dans le cœur), à produire et à utiliser des représentations mentales se substituant à l'objet réel, caractérise en effet, l'émergence de la pensée symbolique depuis au moins un million d'années chez Homo erectus et Homo faber (14).

Les techniques d’imagerie cérébrale ont suffisamment montré que toute activité mentale va de pair avec une activité interne du cerveau : activité biochimique, activité électrique et activité sanguine, ancrant définitivement le ''symbolique'' dans le ''biologique''. Cependant, les représentations ne sont néanmoins pas directement observables par une telle imagerie. Elles ne peuvent qu’être inférées à partir de comportements, ou de résultats de comportements. Ce que les techniques d’imagerie par résonance magnétique mettent en évidence, ce sont les régions du cerveau qui sont impliquées dans telle ou telle opération mentale. D’autres techniques (tomographie par émission de position, mesure du débit sanguin), nous fournissent des informations sur le type d’activité engagée. Grâce à ces techniques, nous pouvons savoir ce que le sujet fait : par exemple, un traitement d’information visuelle ou acoustique, une mémorisation d'un concept linguistique dans la langue vivante 2…

Néanmoins, si l'IRMf a récemment permis de visualiser des activités neurologiques en relation avec le langage, les neurosciences cognitives sont loin aujourd’hui de pouvoir visualiser le concept ''arbre'', par exemple, ou même de dire seulement comment il est encodé dans les systèmes neuronaux. De plus, l'identification des processus cognitifs à l'oeuvre dans cette fonction de représentation symbolique que l'on pourrait qualifier d'encodage mental, constitue pour la psychologie cognitive, branche non négligeable des neurosciences, un champ d'investigation particulièrement pertinent (15).

4 – Imagerie mentale et pensée symbolique à l'ère de l'IRMf

Faut-il alors faire fi du concept de représentation mentale qui initialement a été forgé par la psychologie du début du XXè siècle ? Tout d'abord, notons que si l'observation directe d'une représentation mentale au niveau des aires visuelles associatives interagissant avec les régions cérébrales, d'autres grandes activités cognitives comme le langage ou la mémoire fait

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encore défaut, indubitablement, le concept nous donne un outil de recherche pour problématiser la question cruciale de la pensée symbolique.

Il possède aussi, dans certains dispositifs expérimentaux, une valeur de prédictibilité qui est un critère de scientificité. L'évolution parallèle des sciences cognitives, et de la cybernétique, pourrait cependant introduire un nouveau paradigme. En effet, nous sommes amenés à essayer de comprendre comment le développement d’Internet, de la réalité virtuelle, de la téléprésence, du cyberespace peut modifier notre construction de la réalité et, plus particulièrement, la représentation symbolique de l’espace et du temps qui sont l’une des bases sur lesquelles se construisent la plupart des processus cognitifs constitutifs de nos représentations, schémas mentaux (16).

De ces schémas mentaux naissent nos comportements et notre identité (17). Cependant, les recherches en psychologie expérimentale, ou plus récemment l'imagerie anatomo-fonctionnelle, donnent chaque jour plus d'importance aux images mentales en ne cessant de souligner les interactions quelles présentent avec les autres grands systèmes cognitifs que sont la perception visuelle, la mémoire sémantique, ou bien évidemment la gestion du langage par le biais de concepts et de catégories.

Dans ces recherches, les représentations mentales visuelles occupent une grande place, car elles ont la propriété de préserver les caractéristiques spatiales et structurales de l'objet ou de la scène qu'elles représentent. De façon intéressante, il existerait un lien direct et établi entre la perception visuelle et l'image qui en est encodée. Par exemple, il a été démontré que le temps de déplacement visuel entre deux points d'une image mentale était proportionnel à la distance séparant ces deux points dans le monde réel (18).

Le cerveau ne se contente pas de reproduire le réel mentalement : il en fait un double hyper-réaliste. De la même manière, il a été démontré que le temps de rotation mentale d'une structure à trois dimensions était proportionnel à l'angle de la rotation effectuée (19). Ceci tendrait à prouver que les représentations imagées encodées dans les réseaux synaptiques seraient des entités neuronales qui viseraient à reproduire les contraintes du monde physique. Nous rejoignons là l'attachement de Platon au réel, ''à la chose telle qu'elle est'' (20). Quand l'esprit nomme il procède par catégories qu'il abstrait de la réalité en conservant au maximum les caractéristiques physiques de l'input. Lorsqu'on parle d'abstraction, on a bien souvent l'impression que le mental travaille sur des représentations abstraites et symboliques du réel. Il semblerait qu'il en soit tout autrement depuis les premières images mentales des chasseurs-cueilleurs qui sont nos ancêtres de la lignée Homo.

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5 – L'imagerie mentale à la source de la pensée symbolique

En effet, le mental semble plus à l'aise lorsqu'il gère des éléments tirés directement du réel qui l'entoure, que lorsqu'il doit gérer des entités purement abstraites et symboliques, comme les chiffres, les nombres ou les formules mathématiques en particulier. En tenant compte des variations individuelles, telles qu'elles ont été mises en avant par Howard Gardner (21), tout le monde n'a pas le même potentiel quant à l'intelligence logicomathématique. Il est néanmoins remarquable que les grands mémorisateurs des décimales de Pi fassent appel à des procédés mnémotechniques qui utilisent l'imagerie mentale (22). Cet exemple soutient le fait que la pensée dite symbolique, est sous la dépendance de processus cognitifs sous-jacents : schémas perceptifs et images mentales.

De plus, il est notable que la gestion mentale des élèves en difficulté pour résoudre des abstractions mathématiques passent par la visualisation des différents éléments constitutifs de ce problème, par la visualisation de la situation qui pose problème, laquelle engendre bien souvent une amorce de compréhension qui va mettre l'apprenant sur la voie d'une solution possible. Sans image mentale, il semble impossible de gérer un problème abstrait comme cela a été mis en évidence par A. de la Garanderie dès les années 80 en France (23).

Parallèlement, l'apprenant doit être en situation de disponibilité, de visée intentionnelle pour atteindre son objectif. Les neurosciences cognitives ont montré toute l'importance du cortex préfrontal qui intervient comme support de l'état mental ''avoir l'intention de'', ainsi que des représentations de but ou d'action qui viennent ensuite donner un contenu à cet état mental.

Le cortex préfrontal est également l'endroit privilégié où se développe les images mentales conscientes. Avant de se lancer dans une tâche l'apprenant est invité à vivre en pensée, par les images mentales qu'il se donne, les actions qu'il aura à réaliser. Ainsi, les traces synaptiques seront activées et ''prêtent à l'emploi'' lorsqu'il faudra les solliciter à nouveau au moment opportun. En conséquence, la plupart des sportifs de haut niveau répètent mentalement les gestes qu'ils auront à accomplir lors de l'épreuve, et leur cerveau ne distingue plus la représentation mentale du réel lui-même : mentalement ils sont déjà dans le réel et non pas dans une abstraction de ce dernier. En ce sens, la thèse de D. Bickerton sur l'origine du langage est éloquente. En comparant quatre types de langages élémentaires : chimpanzé, enfant de 2 ans, enfant séquestré et dans l'isolement social, et pidgin, D. Bickerton s'est rendu compte qu'ils avaient deux choses en commun. Ces langages sont composés uniquement de mots concrets : ''table'', ''manger'', ''rouge'', ''marcher'', ''gros''... De plus, ils ne possèdent pas de grammaire. La simple juxtaposition de deux ou trois mots suffit à

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définir le sens. Ce protolangage a pu être parlé par Homo erectus. (24). Les évocations mentales se complexifiant chez Homo sapiens elles auraient permises l'émergence progressive de la syntaxe.

6 – Le film intérieur

L'évocation mentale se fait aussi par saynète. Comme Proust l'a indiqué dans l'épisode mythique de ''la madeleine'' évocatrice, le cerveau encode dans la mémoire épisodique à long terme, non pas seulement des collections d'objets rangés par catégorie, mais bien des évènements autobiographiques conscients, lesquels sont rattachés à un contexte évocateur. L'objet conceptualisé ''madeleine'', s'il évoque la catégorie madeleine en général, reste tout de même cette ''madeleine'' si particulière goûtée dans cet épisode de son enfance (25).

Le langage selon Platon se présente comme un intermédiaire entre le mode de l'intelligibilité et le mode de la sensibilité. Dans l'exemple donné supra, l'affect induit par les sens, tout autant que l'intellect, ont permis la mémorisation de cette scène et de l'aspect gustatif de la madeleine originelle. Cependant, Platon considère que le langage est de l'ordre de la généralité et non de la particularité, puisqu'on ne donne pas un nom particulier à chaque objet. C'est pourtant un objet particulier qui aura donné à Marcel Proust la représentation mentale qu'il pouvait stocker sous la catégorie ''madeleine''. De ce fait, toutes les madeleines qu'il mangera plus tard dans sa vie feront référence au premier prototype sur lequel viendront se greffer d'autres expériences gustatives, visuelles, olfactives ..., qui ne feront que compléter, attester, comparer l'expérience initiale (26).

La visée pragmatique du mental et de ses représentations imagées trouve encore sa justification dans l'emploi des expressions idiomatiques. Platon dans ses dialogues, ne s'est pas véritablement engagé dans leur description, mais lorsqu'il prend pour cible les sophistes et leur manipulation du langage en dénonçant clichés par-ci, hypallages, litotes par-là, ou encore périphrases à l'infini, il cible les techniques discursives permettant de créer chez l'auditeur des images mentales susceptibles d'être mémorisées en mémoire sémantique. Or, les expressions idiomatiques obéissent aux mêmes objectifs. En effet, elles permettent de mémoriser du lexical et du sémantique en contexte par le biais d'une évocation visuelle, d'une saynète directement en prise avec le réel. Par exemple, la synecdoque bien connue d'une voile pour un navire désigne l'objet visuel qui est perçu à l'horizon (la voile), et non la totalité de l'objet lui-même (le navire), dont la coque est à une certaine distance impossible à distinguer.

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Il es à noter que ''synecdoque'' et ''métonymie'' constituent des techniques de stylistique rhétorique, mais sont également fort utiles dans les expressions imagées, comme ''avoir les yeux plus gros que le ventre'', par exemple, (métonymie).

Si ''les mots sont des entités floues'', tel qu'a pu l'exprimer Ludwig Wittgenstein au milieu du XXè siècle (27), à l'inverse, les expressions idiomatiques ont la particularité d'être très ''parlantes'', c'est-à-dire, de ramener le mental vers le réel par le biais de la visualisation d'une saynète et ce, de façon universelle quelle que soit la langue : It's enough to give you goose pimples / Tener el piel de gallina... Cette idée de la capacité du cerveau à reproduire en imagerie mentale des entités les plus fidèles possibles au monde réel, semble mettre à nouveau en cause ce qui a été peut-être trop vite qualifié ''d'émergence de la pensée symbolique'' en concomitance avec l'origine du langage. Si le langage a évolué parallèlement à la fabrication d'outils à partir d'Homo faber, il partage avec cette technique les mêmes caractéristiques concrètes. L'aire de Broca aurait été utilisée il y a plus d'un million d'années non pas pour produire initialement du protolangage, mais pour donner des instructions motrices à la main droite. Au fil des millénaires, cette aire s'est ensuite diversifiée en deux aires adjacentes : l'une consacrée à la motricité de la main droite, l'autre consacrée aux mouvements des articulateurs nécessaires à la production des sons du langage (28).

Le langage et la technique dépendent-ils tous deux d'un mécanisme sous- jacent?). Cette aptitude pourrait être la faculté proprement humaine à produire des représentations mentales et à les combiner entre elles (29).

Cette théorie est davantage compatible avec les hypothèses actuelles sur l'apparition et le développement conjoint du langage et des techniques.

Sinon, sur les millions d'années d'évolution qu'a duré l'hominisation, par quel étrange hasard le langage et la technique seraient-ils apparus exactement en même temps ? Déjà pour Wittgenstein, la signification d'un mot n'était pas à chercher dans l'objet ou le concept qu'il est censé représenter, mais bien par ''les règles de son usage'', de son utilisation en tant qu'outil linguistique et langagier. Ce n'est pas le langage qui structure alors la pensée, mais bien les images mentales activant des structures sous- jacentes innées propres à la pensée humaine qui vont façonner le langage, ''le Grand Miroir du Monde'' (30).

7 - Conclusion

Existe-t-il vraiment des termes, des idées purement abstraits et non liés au réel, des termes qu'il soit impossible de traduire, par exemple, en expression imagées, et ce, à l'extérieur du domaine mathématique, lequel

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n'est finalement qu'un domaine récent dans le développement du cerveau humain ( Pythagore, vers 500 avant J.C). En effet, même des mathématiciens de génie sont-ils capables d'évoquer mentalement l'infini

∞, ou encore une notion aussi fondamentale que peut l'être la non- séparabilité de deux particules élémentaires en mécanique quantique (31) ? Lorsqu'on parle de génie en mathématiques, il est facile de conclure par les considérations du logicien autrichien Ludwig Wittgenstein sur le rapport qu'entretiennent langage et pensée. Pour ce grand penseur du XXe siècle, le langage est une image du réel. De ce fait, une proposition n'a de sens que si elle peut renvoyer à des faits concrets, comme l'affirmait déjà Platon il y a 25 siècles. Pour ce dernier, donner un nom à un objet est un acte qui a d'emblée une portée ontologique. Il consiste à dire le plus objectivement possible ''ce qui est''. Ainsi, connaître les noms, c'est connaître les choses.

En ce sens, une branche de la linguistique comme l'étymologie nous éclaire sur la signification profonde du monde réel. Le souci de ''dire vrai'', cher à Platon, permettrait de remonter à l'essence même de l'être, au monde intelligible des Idées, que le cerveau tel qu'il est perçu et analysé depuis le XXe siècle, traduit de façon innée en représentations, en imagerie mentale largement visuelle. Il a été démontré que celles-ci impliquent certaines aires visuelles associatives, et partagent également d’autres aires appartenant à des réseaux, desquels émergent des fonctions cognitives, telles que le langage ou la mémoire sémantique, autobiographique, etc. Ce chevauchement entre le substrat anatomo-fonctionnel de l’imagerie mentale visuelle et celui des fonctions cognitives les plus élaborées, vient corroborer la thèse que l’imagerie mentale est à la base de l'émergence de la plupart des activités cognitives humaines, comme l'avait suggéré Platon en tant que précurseur génial des idées créatrices.

Références et Bibliographie

(1) Cratyle, Éditeur Flammarion, collection GF, Paris 1998.

(2) Rosch. E. Heider, Natural categories, Cognitive Psychology 4, 328 – 350, 1973.

(3) C. C. W. Taylor, From the beginning to Plato. Routledge London-New York, 2003.

(4) Hermogène est un philosophe grec du Ve siècle av. J.C., disciple de Parménide et de Socrate. Certains auteurs affirment qu'il fut l'un de maître de Platon, mais ce dernier s'opposa rapidement à sa doctrine sur le caractère arbitraire des noms donnés aux choses.

(5) J. Chauvine, La logique moderne, collection Que Sais-je ? PUF, Paris 1957.

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(6) Jean-Jacques Robineux, Éléments de rhétorique et d'argumentation, Dunod, Paris, 1993.

(7) Platon parle de Polos, élève sophiste, et le met en scène dans ses dialogues Phèdre et Gorgias, où il est l'un des interlocuteurs. Aristote codificateur de l'art rhétorique le cite et lui donne raison ''Polos dit, avec raison, que c'est l'expérience qui fait l'art, et l'inexpérience le hasard''.

(8) Calliclès est un personnage des dialogues de Platon. Il apparaît dans le Gorgias, sous les traits d'un rhéteur qui refuse d'accepter les argument de Socrate. Défenseur d'une morale aristocratique opposant ''les forts et les faibles'', il conteste les lois de la cité.

(9) Y. Floucat, Pour une métaphysique de l'être en son analogie, Artège Le Thielleux, Paris 2016.

(10) B. Boudon, Platon l'art de la justice, Ancrages Paris 2016.

(11) N. Chomsky, Le langage et la pensée, traduit de l'anglais et publié en français par Petite Bibliothèque Payot Paris 1968.

(12) B. Boudon, Platon d'où vient le nom des choses, dans Les Grands Penseurs du Langage, Sciences Humaines n° 46. mars-avril-mai 2017. pp 22-23.

(13) N. Chomsky, Cartesian Linguistics first published 1966 , Edt Cambridge Third Edition 2009.

(14) M. C. Corballis, From Hand to Mouth: The origin of language, Princeton University Press, 2002 ; M. C. Corballis, ''L'origine gestuelle du langage'' La Recherche, n° 341, avril 2001.

(15) S. Dehaene, Le Code de la Conscience, Odile Jacob, Paris 2014.

(16) S. Weinschenk, Neuro Web Design: What Makes Them Click? Berkeley, CA: New Riders, 2009.

(17) S. Weinschenk, 100 Things Every Designer Needs To Know About People"

Berkeley, CA: New Riders, 2011. London : Pearson Education.

(18) E. Mellet et all, Imagerie cérébrale de l'imagerie mentale, Médecine/sciences, n°

4, vol 15 : 475-82, 1999.

(19) Ibid.

(20) Platon, op. cit.

(21) H.Gardner, Les Intelligences Multiples, Retz, Paris 2008, version française.

(22) K. Horsley, Mémoire illimitée, Ed Trésor Caché, 2017.

(23) La Gestion Mentale développée par Antoine de La Garanderie à la fin des années 80 représente l'exploration, la description et l'étude des processus de la pensée

consciente lors d'une prise d'information, de son traitement et de sa restitution. Antoine de La Garanderie a identifié et répertorié la "grande diversité des fonctionnements cognitifs, à partir de l'analyse des habitudes mentales de très nombreux sujets. Cette étude a mis en évidence le rôle fondamental de l'évocation comme outil de la pensée.

L'évocation est une image mentale, visuelle, auditive ou verbale, par laquelle le sujet rend mentalement présent le monde qui l'entoure, la réalité qui est, ou celle qu'il invente.

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(24) D. Bickerton, Language and Species, University of Chicago Press, 1990.

(25) M. Proust, A la recherche du temps perdu, du côté de chez Swam, Editions Les Classiques de Poche, Paris réédition 2013.

(26) Rosch. E. Heider, op cit.

(27) S. Laugier, Wittgenstein. Les sens de l'usage, Ed. Vrin Moments philosophiques, Paris 2009.

(28) J.F. Dortier, Langage et évolution : nouvelles hypothèses, Sciences Humaines n°

144, Dec 2003.

(29)Ibid.

(30) C. Chauviré, Le Grand Miroir, essais sur Peirce et sur Wittgenstein, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2004.

(31) M. Le Bellac, Préface d'Alain Aspect, Le Monde Quantique, EDP Paris, 2010.

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