3 Altération de la fonction des intégrines à la surface des LTC-IC de sang mobilisé
amplifiées ex vivo
3.1 Introduction
En culture d’expansion, l’utilisation de facteurs de croissance à action précoce tels que Flt-3 et TPO induit la mise en cycle de la majorité des CSPH incluant la sous-population cellulaire la plus primitive (Bhatia et al, 1997;Herrera et al, 2001;Glimm & Eaves, 1999;Bennaceur- Griscelli et al, 2001). A ce jour, l’amplification ex vivo des CSH a été systématiquement associée à une capacité implantatoire réduite de ces cellules chez l’hôte (Gothot et al, 1998;Yong et al, 2002;Glimm et al, 2000;Ahmed et al, 2004). L’influence du cycle cellulaire sur cette perte de fonction est toujours méconnue. Néanmoins, les CSH primitives générées ex vivo pourraient interagir différemment avec divers ligands de l’environnement médullaire comparativement aux cellules non cultivées, ce qui altèrerait leur capacité implantatoire.
Des changements de ce type ont déjà été observés au cours d’expériences menées au sein de notre laboratoire. Ainsi, la mise en cycle des CSH a induit une augmentation de l’adhérence à la Fn causée par l’activation de VLA-5. Cette adhérence ferme était également associée à un déficit migratoire au travers d’un gradient de SDF-1 in vitro (Giet et al, 2001).
De nombreux signaux générés dans le microenvironnement médullaire veillent au contrôle strict de l’hématopoïèse. Au-delà des nombreuses cytokines activatrices et inhibitrices produites majoritairement par les cellules stromales, le stroma médullaire lui-même régule la prolifération et la différenciation des CSH. Dès lors, une interaction différente des CSH vis- à-vis des ligands du stroma médullaire pourrait altérer la régulation de l’hématopoïèse.
Le simple contact entre les CSH et les cellules stromales est suffisant pour interférer sur les capacités prolifératives et différenciatives des CSH.
Un exemple typique est la « culture de Dexter » où les CSH sont cultivées sur une couche de cellules stromales adhérentes. Dans ces conditions, la différenciation des cellules souches est retardée contrairement aux divisions d’autorenouvellement qui sont promues (Bennaceur-Griscelli et al, 2001;Bennaceur-Griscelli et al, 1999). La production de cytokines inhibitrices (TGF-β (Eaves et al, 1991), MIP-1α (Eaves et al, 1993), SDF-1 (Cashman et al, 2002a) ou MCP-1 (Cashman et al, 1998)) par les cellules supportives ne semble pas être en cause ; l’inhibition de la prolifération des LTC-IC étant conservée au contact d’un stroma fixé à la glutaraldéhyde qui ne produit aucune cytokine activatrice ou inhibitrice(Verfaillie &
Catanzaro, 1996). Le contact direct entre les LTC-IC et le stroma est donc suffisant pour inhiber la prolifération cellulaire.
De manière identique, l’engagement des récepteurs d’adhérence par les protéines de la MEC contribue au contrôle de la prolifération des CSH.
Sous condition physiologique, la culture de cellules CD34+ en présence de Fn empêche leur
entrée en phase S du cycle cellulaire. Cet effet anti-prolifératif n’est observé qu’en présence
76 de faibles concentrations de cytokines. En effet, l’utilisation de doses massives de cytokines en culture d’expansion outrepasse l’inhibition médiée par la Fn (Jiang et al, 2000a;Jiang et al, 2000b). Les mécanismes moléculaires mis en œuvre sont une inactivation de la kinase cycline-dépendante (cdk)-2, une diminution de la concentration cellulaire en cycline E et une augmentation du taux de la protéine p27
KIP1(figure 3.1.).
Un effet antiprolifératif similaire est observé lors de l’engagement des sous-unités α 4 ou β 1 des intégrines par un anticorps monoclonal ; ceci indique que les signaux responsables de la quiescence mitotique sont transmis par VLA-4 (Hurley et al, 1997).
D’autres récepteurs cellulaires, dont les sialomucines PSGL-1 (Levesque et al, 1999), CD164 (Zannettino et al, 1998b), CD43 (Bazil et al, 1995b;Bazil et al, 1996) et CD44 (Ghaffari et al, 1995), sont également impliqués dans le contrôle de la prolifération des CSPH.
Le maintien de la quiescence mitotique des CSH, processus faisant partie intégrante des mécanismes de contrôle de l’hématopoïèse, s’effectue donc sous l’action combinée de cytokines et de l’attachement aux cellules et protéines du stroma médullaire.
Figure 3.1. Mécanismes de régulation du cycle cellulaire, les complexes protéiques cycline/CDK et P27
KIP1.
A. Contrôle du cycle cellulaire par les couples cycline/CDK. La transition entre chaque étape du cycle cellulaire est régulée selon la concentration intracellulaire en complexes protéiques cycline/CDK particuliers. Ainsi la phase G1 se caractérise par une concentration importante en cycline D/CDK4-6, cycline E/CDK2 et par la libération du facteur de transcription E2F. Les complexes protéiques cycline A/CDK1 et cycline B/CDK1 deviennent prédominants à la phase G2/M.
B. Inhibition de la mise en cycle par la Fn. L’adhérence à la Fn stimule la production de P27
KIP1, une protéine occupant un rôle majeur dans le contrôle de la prolifération cellulaire. En effet, elle inhibe la formation du complexe cycline D / CDK4-6 responsable de la phosphorylation de la protéine Rb. Cette protéine, sous sa forme non phosphorylée, séquestre le facteur de transcription E2F. La phosphorylation de Rb s’accompagne de la libération du facteur de transcription E2F à l’origine de la synthèse d’un grand nombre de protéines essentielles à la mise en cycle cellulaire.
A B
3.2 Objectifs de travail
Les récepteurs d’adhérence des CSH contribuent au maintien de nombreuses fonctions cellulaires. L’altération de leur activité, à la suite d’une manipulation ex vivo, peut compromettre les capacités prolifératives, différenciatives et implantatoires des CSH in vivo.
Nous avons donc étudié la répercussion de la mise en cycle ex vivo des CSH sur leurs interactions statiques et dynamiques vis-à-vis de différents ligands du stroma médullaire.
La stratégie mise en œuvre consiste à comparer la motilité, les capacités d’adhérence et le potentiel prolifératif des LTC-IC non stimulées ou ayant accompli 1 ou 2 divisions d’autorenouvellement ex vivo. Le comportement des 3 populations cellulaires a été évalué sur 7 matrices caractéristiques de l’endothélium et du stroma (CH-296, H-296, C-274, sélectine-E, sélectine-P, VCAM-1, ICAM-1). Ceci nous renseignera sur les modifications d’expression ou d’affinité des récepteurs membranaires correspondants après division cellulaire ex vivo.
Afin de distinguer, après culture d’expansion, les cellules restées quiescentes des cellules ayant entamé une ou plusieurs divisions mitotiques, nous avons utilisé la méthode du « cell tracking » accessible grâce à la cytométrie en flux. Cette technique permet de visualiser, avec une haute résolution, les diverses populations cellulaires ayant chacune accompli un nombre défini de divisions.
3.3 Résultats
3.3.1 « Cell tracking » : mise au point.
3.3.1.1 Cinétique de prolifération cellulaire
Afin d’évaluer l’activité des intégrines au cours de divisions d’autorenouvellement
successives, il était capital de pouvoir identifier les cellules restées quiescentes et les cellules
ayant parcouru 1 ou 2 cycles de divisions. Nous avons donc utilisé la technique du « cell
tracking » au CFSE par cytométrie en flux (cfr matériels et méthodes, point 2.2.1) (Nordon et
al, 1997;Glimm & Eaves, 1999;Kulka & Metcalfe, 2005;Bennaceur-Griscelli et al, 2001). Après
culture d’expansion, celle-ci a permis de visualiser avec une haute résolution les populations
cellulaires quiescentes ou ayant entrepris un nombre précis de divisions cellulaires (figure
3.2.).
78
T
0 heureT
72 heuresT
96 heuresFigure 3.2. Cinétique de prolifération cellulaire après marquage au CFSE.
Après marquage au CFSE, les cellules ont été analysées au FACS à l’initiation de la culture et après 72 et 96 heures de culture. Au cours de chaque division mitotique, le marqueur intracellulaire est réparti uniformément entre les 2 cellules filles. Après 72 heures de culture, la dilution linéaire et progressive du CFSE à chaque génération cellulaire est visualisée par cytométrie en flux sous la forme de pics d’intensité correspondant chacun à une population cellulaire ayant accompli un nombre précis de divisions. Ceux-ci nous ont permis d’identifier et d’isoler physiquement les populations cellulaires d’intérêt.
Après marquage au CFSE, les cellules CD34+ ont été placées en culture d’expansion supplémentée des cytokines SCF, TPO, Flt-3, Il-6 et G-CSF. Après 72 heures, les cellules amplifiées se sont réparties en 4 populations distinctes. La proportion de cellules restées quiescentes correspondait à 8.5% des cellules cultivées, celles ayant subi 1 division à 60%, 2 divisions à 28% et 3 divisions à 3.5%. Les cellules non divisées, proliférant lentement, ont disparu après 24 heures de culture supplémentaire. Par cytométrie en flux nous avons séparé et isolé les cellules ayant accompli 1 et 2 divisions. La motilité, l’adhérence et le contrôle de la prolifération de ces 2 populations cellulaires ont été comparés aux cellules n’ayant été soumises à aucune stimulation ex vivo par des cytokines.
3.3.1.2 Toxicité du CFSE sur les progéniteurs
Nous avons évalué l’influence du CFSE sur la croissance des progéniteurs hématopoïétiques
(figure 3.3.).
0 10 20 30 40 50 60
0 5.10-6 10-5