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Réflexions sur la vulgarisation scientifique par André ROUSSET

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N° 797

Réflexions sur la vulgarisation scientifique

par André ROUSSET* Professeur à l’École des Mines de Paris

La vulgarisation des connaissances scientifiques auprès du grand public par le chercheur lui-même était jadis considérée comme une déviance coupable. Elle est aujourd’hui reconnue comme une composante à part entière de l’activité du chercheur.

Toutes les disciplines participent à cet effort de communication. Les astrophysi- ciens et les biologistes réussissent à passionner de nombreux téléspectateurs. Malgré cette réussite et bien qu’une demande réelle existe auprès d’un public de plus en plus large, la science dans son ensemble n’occupe qu’une place dérisoire dans les programmes de télévision, tout particulièrement dans ceux en langue française.

Les vulgarisateurs scientifiques les plus assidus sont pour la plupart des théoriciens.

Mieux que les expérimentateurs, ils ont une vision à la fois plus large et plus approfondie de leurs disciplines. Ils sont en permanence confrontés avec les interprétations contradic- toires et avec les synthèses capables de rassembler l’ensemble des connaissances dans une description unique et cohérente. De plus, ils sont assez disponibles pour participer à des débats publics, pour dialoguer avec les philosophes, pour écrire des ouvrages de vulgarisation. En conséquence, le grand public qui regarde la science au travers des théoriciens en retire une vision partielle. Dans les propos de ces vulgarisateurs, un nouveau concept, une nouvelle synthèse sont privilégiés au point d’apparaître comme les seuls facteurs du progrès de la science. Le rôle du fait expérimental est souvent négligé, il devient parfois accessoire.

J’ai moi-même beaucoup de plaisir à initier mes élèves aux grandes synthèses de la physique, les équations de Maxwell, la gravitation universelle, l’unification de la force électromagnétique et de la force faible. Mais les théories ne sont pas éternelles et je ne serais pas traumatisé s’il me fallait prochainement en enseigner d’autres. En revanche, quelles que soient ces théories, présentes ou futures, je continuerais très probablement à enseigner la propagation des ondes électromagnétiques, la chute des

BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1811

Vol. 91 - Octobre 1997 A. ROUSSET

* A. ROUSSET est l’auteur de Les nouvelles frontières de la connaissance (Éditions Ellipses 1993), de Gargamelle et les courants neutres (École des Mines de Paris - Les Presses, 1996) et de A la recherche de Dieu, l’approche d’un physicien (Éditions du Dauphin 1996).

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corps et les manifestations des courants neutres faibles. Si les théories sont faillibles, les faits expérimentaux, dans la limite de leur résolution, restent acquis à tout jamais.

Le grand public n’a probablement pas cette vision critique de la science qui donne à l’expérience et à la théorie les places respectives qu’elles méritent. Les faiblesses des théories peuvent lui faire douter de la science toute entière. Je profite donc de la tribune qui m’est offerte par l’Union des Physiciens pour encourager mes collègues expéri- mentateurs à participer plus activement à l’effort de vulgarisation. Son enjeu est l’établissement d’une culture scientifique équilibrée qui donne leurs justes parts à l’expérimentation et à l’observation.

Les lancements des fusées spatiales à Kourou et les accidents des réacteurs nucléaires sont les opportunités les plus spectaculaires de parler de science. Les utilisations de la télévision et de l’ordinateur illustrent en permanence les applications quotidiennes de la science. Mais rares sont les téléspectateurs qui savent comment se propagent les ondes électromagnétiques du sommet de la tour Eiffel jusqu’à l’antenne collective de leur immeuble. Encore plus rares sont ceux qui comprennent le comportement quantique des électrons dans les composants micro-électroniques de leur ordinateur. Si le grand public est assez bien averti des applications de la science, il ignore en général le pouvoir explicatif de cette même science. Il est vrai qu’il n’est pas facile de vulgariser la mécanique quantique ou la relativité. Il est pourtant essentiel de ne pas renoncer à expliquer cette approche incontournable du réel, celle qui a apporté en ce XXe siècle les plus grands bouleversements dans notre vision du monde.

L’enjeu de faire comprendre le pouvoir explicatif de la science fondamentale ne se limite pas aux applications techniques. Il devient crucial lorsque le vulgarisateur aborde les questions existentielles. Sur la base de données expérimentales, la science apporte aujourd’hui des interprétations crédibles aux mécanismes de la création de l’univers, à l’évolution des espèces vivantes, aux processus physico-chimiques de la pensée et du sentiment. Ces interprétations scientifiques contredisent souvent celles des religions. Soucieux de ne pas heurter la sensibilité de leurs concitoyens et dans le respect d’une certaine idée de la laïcité, la plupart des scientifiques ont évité jusqu’à aujourd’hui de faire état de ces démonstrations de manière trop contradictoire. Faut-il en rester là ?

Les mouvements antiscientifiques, l’explosion de nouvelles croyances, le dévelop- pement des sectes et les guerres de religions qui éclatent aux portes de l’Europe sont de fortes motivations à mieux faire comprendre au public le plus large les valeurs essentielles qu’apporte la rigueur scientifique. L’objectivité scientifique me paraît être en effet le seul antidote au fanatisme religieux. Sans transformer la vulgarisation scientifique en apostolat antireligieux, il me semble essentiel de faire état des faits

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Réflexions sur la vulgarisation scientifique B.U.P. n° 797

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expérimentaux qui depuis quelques décennies ont apporté un nouvel éclairage sur les questions existentielles. Je pense en particulier à l’expansion de l’univers qui conduit inévitablement au concept de l’explosion initiale. Je pense également au rayonnement de l’univers à trois degrés absolus, témoin direct de cette explosion initiale. Mais on peut aussi penser à la mise en évidence des processus physico-chimiques qui conditionnent le fonctionnement du cerveau.

Ces quelques réflexions me sont venues à l’esprit à l’occasion d’une toute récente activité dans le domaine de la vulgarisation scientifique. Elles susciteront probablement quelques réactions de la part de mes collègues. J’en prend le risque et j’espère ne pas regretter d’avoir au moins soulevé le débat.

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Vol. 91 - Octobre 1997 A. ROUSSET

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