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Participation et amélioration des compétences dans des groupes restreints. Cas de coopératives féminines au Maroc

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DES GROUPES RESTREINTS Cas de coopératives féminines au Maroc

Nicolas Faysse, Myriam Bouzekraoui, Mostafa Errahj

S.A.C. | « Revue d'anthropologie des connaissances »

2015/3 Vol. 9, n° 3 | pages 351 à 369

Article disponible en ligne à l'adresse :

---http://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2015-3-page-351.htm

---!Pour citer cet article :

---Nicolas Faysse et al., « Participation et amélioration des compétences dans des groupes

restreints. Cas de coopératives féminines au Maroc », Revue d'anthropologie des connaissances 2015/3 (Vol. 9, n° 3), p. 351-369.

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compétences

dans

des

groupes

restreints

Cas de coopératives féminines au Maroc

nicoLas FAYSSE

myriam BOUZEKRAOUI

mostafa ERRAHJ

RÉSUMÉ

Les théories de l’apprentissage n’ont que peu étudié une possible différenciation des compétences liées aux modalités de participation de membres de groupes restreints menant une action collectivement. De même, les études sur la participation dans des organisations ont identifié différentes trajectoires possibles d’évolution des modalités de participation au sein de ces organisations, mais n’ont que peu pris en compte le rôle et l’évolution des compétences des membres dans ces trajectoires. La présente étude porte sur cette interaction entre les modalités de participation et l’amélioration des compétences dans deux coopératives féminines au Maroc. Dans une des deux coopératives, les tâches sont nettement séparées entre les membres de base et la présidente, qui s’occupe seule de la gestion du groupe et améliore seule les compétences concernant cette gestion. En revanche, dans la seconde coopérative, les membres s’investissent dans la gestion du groupe et améliorent leurs capacités d’action collective. Dans les deux cas, l’amélioration des compétences des membres contribue à une stabilisation des modalités de participation au sein du groupe, que ce soit dans le sens d’une délégation à un leader ou bien d’une implication de l’ensemble des membres dans la gestion du groupe.

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Mots clés  : apprentissages, compétences, coopérative, «  loi d’airain » de l’oligarchie, Maroc.

INTRODUCTION

Les coopératives et associations de développement rural sont reconnues comme pouvant offrir à leurs membres des opportunités importantes pour le renforcement de compétences. Cet apprentissage peut concerner des compétences techniques, de gestion du groupe et de relations avec des acteurs extérieurs (Borda-Rodriguez et Vicari, 2014 ; Hartley, 2014 ; Sinclair, Kumnerdpet et Moyer, 2013). Cependant, si ce potentiel est reconnu de façon globale, l’attention a été portée de façon bien moindre sur les possibles différences dans l’apprentissage des membres de tels groupes, du fait de cette expérience collective. Ces différences peuvent provenir en particulier des modalités de participation de chaque membre au sein du groupe. De même, de façon réciproque, les compétences spécifiques de chaque membre du groupe peuvent influencer les modalités de sa participation.

Cependant, il n’existe pas de cadre d’analyse spécifique pour étudier ces liens entre renforcement des compétences et modalités de participation. D’un côté, les études sur les apprentissages au sein des organisations ont mobilisé des approches théoriques très variées  : communauté de pratiques (Wenger, McDermott et Snyder, 2002), apprentissage organisationnel (Argyris et Schön, 2002), apprentissage situé (Hartley, 2014), apprentissage social (Granchamp Florentino et Simões, 2006) ou apprentissage transformatif (Sinclair, Kumnerdpet et Moyer, 2013). Tous ces cadres insistent sur le caractère collectif des apprentissages, que ces derniers aient trait à l’acquisition ou au renforcement de compétences, ou à d’autres formes d’apprentissage. Cependant, de ce fait, ces études accordent souvent une moindre importance à la possibilité d’une différenciation des savoirs du fait même du fonctionnement du groupe. De même, dans le domaine agricole plus spécifiquement, Darré (1996) a mis en exergue la production collective des savoirs. S’il a étudié les enjeux liés à une différence des savoirs entre techniciens et agriculteurs, il n’a lui aussi que peu étudié les possibles processus de différenciation des savoirs au sein d’un groupe menant une action collectivement. Les rares études qui ont porté sur les obstacles à la constitution collective et au partage des savoirs dans une organisation ont surtout mis en avant des différences de statut ou de culture (Bunderson et Reagans, 2010). Elles n’ont que peu pris en compte une différence dans la façon de participer au fonctionnement du groupe. De l’autre côté, certaines études sur la participation dans une organisation ont analysé le rôle des compétences des membres de l’organisation dans les modalités de participation. La plupart de ces analyses se sont positionnées pour ou contre la «  loi d’airain  » postulée par Michels (2001) (que nous présenterons plus

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en détail ci-dessous), sans cependant analyser comment les compétences des membres peuvent évoluer suite à leur participation à l’organisation.

Nous étudions ici comment les formes de participation à une action collective au sein d’un groupe restreint influencent le renforcement des compétences des membres et comment, réciproquement, ces compétences influencent la participation à l’expérience collective. Nous avons étudié deux coopératives féminines situées en zones rurales au Maroc. Dans ces zones, les politiques publiques marocaines ont, depuis une dizaine d’années, augmenté fortement le financement de projets au bénéfice d’organisations de producteurs. Il s’agit notamment de l’Initiative Nationale de Développement Humain (Bono, 2012) et du Plan Maroc Vert (Faysse et al., 2014). Nous avons étudié l’évolution des compétences mobilisées pour la conception et la mise en œuvre des activités menées dans le cadre de ces coopératives, sur la base d’une auto-évaluation faite par les membres de ces coopératives. Les membres de ces coopératives ont pour la plupart une exploitation agricole : ces compétences peuvent avoir trait à la fois à la gestion du projet collectif et, le cas échéant, à l’activité agricole dans l’exploitation de chaque membre.

PARTICIPATION À UNE ACTION

COLLECTIVE DANS UN GROUPE

RESTREINT ET ACQUISITION DE

COMPÉTENCES

Nous proposons ici une brève synthèse des études portant sur les modalités de participation dans un groupe restreint menant une action collective et qui ont pris en compte le rôle des compétences dans ces modalités. Nous utilisons la définition de groupe restreint d’Anzieu et Martin (2000, p. 44), à savoir un groupe d’effectif limité, « permettant aux participants des relations explicites entre eux et des perceptions réciproques ». Dans ces groupes, l’effectif limité pourrait permettre que tous les membres se réunissent facilement pour participer à la gouvernance au quotidien. Ces groupes ne sont pas nécessairement inscrits dans le cadre d’une organisation formelle. Par action collective, nous entendons une action coordonnée dans le but d’atteindre des buts partagés (définition adaptée de Marshall, 1998). L’action dans de tels groupes peut être coordonnée par des leaders, c’est-à-dire des personnes reconnues pour leur capacité à impulser l’action collective (Goirand, 2013). Ces personnes ont aussi souvent un rôle de représentation du groupe auprès d’acteurs extérieurs. Dans de tels groupes restreints, les leaders exercent presque toujours leur fonction à titre bénévole.

Différentes théories sociologiques ont pris en compte une possible différenciation des compétences des membres d’un groupe du fait des modalités de leur participation au fonctionnement de ce groupe. Celle qui a

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été le plus débattue est la «  loi d’airain  », formulée par Michels (2001), qui stipule que l’organisation, par son essence même, amène à l’émergence d’une élite qui se détache de la base. En effet, selon Michels, l’organisation implique par définition la séparation des fonctions. Certains membres de l’organisation deviennent des leaders parce qu’ils ont les compétences nécessaires pour un tel rôle, en termes de gestion au quotidien de l’organisation et de gestion des relations avec les acteurs extérieurs. Les membres de la base ne disposent pas de telles compétences. Les actions menées par les leaders, dans l’exercice de leur fonction, conduisent à un renforcement de leurs compétences relatives au leadership, ce qui augmente la distance entre ces leaders et les autres membres de l’organisation (Michels, 2001, p. 54). S’ensuit une pérennisation des leaders dans leurs fonctions. Nous ne retenons dans le présent article que cet aspect central de la « loi d’airain », et non les autres éléments développés par Michels, notamment le fait que le pouvoir « corrompt », c’est-à-dire que le leader, une fois en place, utilisera des moyens non démocratiques pour rester en poste (Leach, 2005). Par ailleurs, Michels observe que cette pérennisation des leaders à leurs postes se fait souvent avec l’assentiment des membres de base, qui s’estiment non compétents pour les remplacer, et ne sont pas désireux de le faire.

Dans son ouvrage, Michels (2001, p.  94) considère que les petites coopératives de production pourraient en théorie réaliser un idéal démocratique de cogestion, car les membres de ces coopératives disposent des mêmes compétences professionnelles et ont des statuts sociaux proches. Cependant, il est en fait très pessimiste sur le fait que ces coopératives puissent fonctionner de façon durable selon un tel idéal de cogestion. Michels estime en effet que ces coopératives seront confrontées à une alternative : soit un trop grand nombre d’individus interfère dans l’administration de la coopérative, conduisant à l’échec de cette dernière, soit une minorité de membres prend le contrôle de la coopérative, ce qui conduit in fine à la perte du caractère collectif de la gestion. Weber porte sur ce point un jugement similaire et considère que les systèmes de démocratie directe, en théorie possibles pour des organisations de petite taille, ont néanmoins tendance à disparaître  : «  Chaque type de démocratie immédiate a une tendance à évoluer vers une forme de gouvernement par les notables » (Weber, 1978, p. 291, notre traduction).

Le débat autour de la validité de la « loi d’airain » de Michels a été très intense au cours du XXe  siècle et est toujours actif, même s’il a plus porté

sur les bureaucraties, les organisations syndicales et les mouvements sociaux, que sur les groupes restreints, notamment de production (Leach, 2005  ; Voss, 2010). Dans le cas des groupes restreints, de nombreuses études ont montré à la fois des cas d’application de cette « loi d’airain » et des cas où elle n’était pas vérifiée. Rothschild-Whitt (1976) considère ainsi l’existence de deux modèles « types » : un modèle bureaucratique, où le processus proposé par Michels est allé à son terme, et un modèle d’organisation collectiviste, où les membres s’impliquent activement et de façon pérenne dans la gestion

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du groupe. Évidemment, en réalité, les groupes restreints sont souvent dans des situations intermédiaires entre ces deux modèles et il est possible que, pour un même groupe, des facteurs qui influencent l’évolution du groupe vers le modèle bureaucratique coexistent avec d’autres facteurs qui influencent plutôt l’évolution vers le modèle collectiviste (Hernandez, 2006). Face à ce constat d’une diversité des situations, la réflexion s’est de fait portée sur deux questions : 1) quels sont les facteurs qui peuvent influencer le fait qu’un groupe suive une trajectoire selon la « loi d’airain » ou non ; 2) quelles sont les initiatives prises par les membres de ces groupes pour empêcher que leur groupe suive la « loi d’airain ».

En ce qui concerne la première question, toutes les études menées sur des cas où une trajectoire selon la « loi d’airain » n’avait pas lieu, ont mentionné la forte volonté des membres d’éviter une telle évolution (par exemple, Ng et Ng, 2009). Rothschild-Whitt (1976) propose aussi comme facteur permettant d’éviter un processus selon la « loi d’airain » le fait que les tâches de gestion administrative de l’organisation collective sont relativement simples. En ce qui concerne la seconde question, pour empêcher une évolution selon la «  loi d’airain  », les membres des coopératives cherchent d’abord une implication systématique de l’ensemble des membres dans les prises de décision (McCay

et  al., 2014  ; Ng et Ng, 2009  ; Peterson, 2014). Osterman (2006) montre

comment, dans une fédération d’associations locales, les membres de base ont développé progressivement leur capacité d’agence (telle que définie par Emirbayer et Mische, 1998) de telle sorte que, même si au quotidien l’organisation est gérée par un petit groupe, les membres de base restent en mesure de participer activement à la prise de décision. D’autres initiatives peuvent être prises pour empêcher une évolution selon la « loi d’airain », telles que la rotation fréquente entre membres pour l’exercice des fonctions de direction (Hernandez, 2006 ; McCay et al., 2014) mais aussi de façon plus large pour l’exercice des fonctions administratives (Cornforth, 1995). Cornforth (1995) mentionne aussi deux coopératives où les postes sont doublés, de façon à ce qu’une personne expérimentée enseigne les compétences nécessaires pour un poste à une personne débutante. Ces études ont aussi montré que les trajectoires de coopérative n’étaient pas linéaires et que pouvaient alterner des phases de « dégénération » vers une situation relevant de la « loi d’airain » avec des phases de « régénération » (Cornforth, 1995).

Les analyses en anthropologie du développement se sont intéressées aux compétences mobilisées par les personnes en situation d’intermédiaires entre les institutions d’aide au développement et les communautés cibles de cette aide. Ces personnes jouent un rôle que Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan (2000) qualifient de courtier de développement. Elles acquièrent des compétences spécifiques, souvent « dans la pratique, au fil de l’expérience » (Bierschenk et al., 2000, p. 23). Il s’agit de compétences rhétoriques (par exemple, parler le langage des institutions de développement), organisationnelles (gérer une association), scénographiques (mettre en scène les besoins d’un village

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pour obtenir un financement) et relationnelles (savoir séduire et négocier avec les bailleurs de fonds comme avec les villageois) (Bierschenk et al., 2000, pp. 26-28). Les travaux en anthropologie du développement n’ont que peu mentionné la « loi d’airain » de Michels. Pourtant, ces travaux ont observé que les courtiers du développement acquièrent souvent une position relativement stable, du fait d’être devenus un intermédiaire indispensable entre communautés et institutions de développement, grâce à la fois à leurs réseaux socio-professionnels et aux compétences acquises. Bierschenk et  al. (2000) soulignent le risque que ces courtiers agissent avant tout pour leur intérêt propre, sous couvert d’agir au nom d’un groupe. C’est ce qui se passe dans de nombreuses coopératives féminines d’argan au Maroc. Les présidentes de ces coopératives gèrent ces dernières comme une entreprise qui leur appartiendrait et les femmes membres ont en pratique un statut de salariées et ne participent en rien à la gouvernance des coopératives (Romagny, 2010).

Les différents travaux ci-dessus ont analysé le fonctionnement d’un grand nombre de groupes restreints. Cependant, quelle que soit leur orientation générale (l’étude de l’évolution des modalités de participation dans un groupe ou bien l’étude du fonctionnement de dispositifs d’aide au développement), ils n’ont pas étudié l’interaction entre modalités de participation et évolution des compétences dans ces groupes restreints.

CAS D’ÉTUDE

Les deux coopératives étudiées sont situées dans la province de Séfrou, dans le Nord du Maroc. La première est une coopérative de collecte de lait. Cette coopérative regroupait 25  membres en 2013, toutes appartenant au même village. Pour ce groupe, l’expérience de l’action collective dans un cadre formel débute en 2006, avec la création d’une association de développement. Cette association obtint peu après sa création des financements pour un projet de cuniculture, un projet d’élevage ovin et des projets de tissage et de couture. Puis, en 2009, dans le cadre d’un projet d’élevage bovin, des vaches sont distribuées. La coopérative de collecte de lait a alors été créée en 2010 et ses membres sont quasiment les mêmes que ceux de l’association. Cette coopérative collecte la production laitière de ses membres et la livre à un industriel. À l’exclusion de la présidente et de son frère (employé par la coopérative pour réceptionner le lait dans le local de la coopérative), la coopérative est constituée en totalité de femmes analphabètes. L’élevage bovin est devenu l’activité principale du groupe, et la présente étude analyse spécifiquement ce projet d’élevage bovin. Chaque femme s’occupe de ses vaches dans sa propre étable et verse sa production laitière dans le bac de la coopérative deux fois par jour.

La seconde coopérative est située dans une petite ville à quelques kilomètres du douar de la coopérative de collecte de lait. Les membres de la seconde

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coopérative (créée en 2011) préparent ensemble, dans un même local, du couscous et, dans une quantité moindre, du pain. Ces membres sont toutes distinctes des membres de la première coopérative, et il n’y a pas de relation entre ces deux coopératives. Les dix femmes membres de la coopérative de production de couscous sont analphabètes. Cette coopérative s’occupe aussi de la commercialisation de ces produits. Suite à un conflit (que nous détaillons ci-dessous), la présidente qui était en poste depuis la création de la coopérative, l’avait quittée quelques semaines avant l’enquête et avait été remplacée par une des membres. Ces deux coopératives ont bénéficié de financements extérieurs, essentiellement par l’Initiative Nationale de Développement Humain et le Plan Maroc Vert.

MÉTHODOLOGIE

Nous définissons la compétence comme la capacité à mobiliser des ressources pour traiter une tâche complexe (Perrenoud, 2005). En ce qui concerne les compétences liées à une production, Martínez et de Ibarrola (2013) distinguent, dans le cas de micro-entreprises informelles, des savoir-faire techniques, des savoirs sur la chaîne de production ou filière et des savoirs de gestion de l’entreprise. Ces compétences peuvent être définies au niveau individuel ou bien au niveau du groupe dans son ensemble. Dans le cadre de notre étude, nous n’avons pas établi de liste a priori des compétences étudiées (et donc nous n’avons pas défini a priori si ces compétences devaient être définies à un niveau individuel ou collectif) et nous les avons identifiées dans une première phase de l’enquête. Les apprentissages des membres des coopératives sont analysés ici uniquement en termes d’amélioration des compétences suite à la participation à la coopérative.

Notre étude a porté sur 4 femmes de chaque coopérative : d’une part, trois membres de base et la présidente de la coopérative de collecte de lait, d’autre part, deux membres de base, la présidente et l’ex-présidente de la coopérative de production de couscous. Les entretiens ont été menés au printemps 2013 et un atelier de restitution et débat a été organisé à l’automne 2013.

Les enquêtes ont été effectuées en deux temps. Lors d’une première phase, des entretiens sous la forme de récit de vie ont été réalisés avec les 8 personnes. Ces entretiens ont porté sur la manière dont les personnes ont participé à la conception de la coopérative et à son fonctionnement. Nous avons ensuite demandé à chaque personne les conséquences de leur implication dans l’action menée collectivement, sur l’amélioration de leurs compétences (de façon ouverte, sans mentionner des compétences spécifiques). Ces entretiens, menés en arabe marocain, ont été enregistrés, puis traduits en français et transcrits.

Durant une deuxième phase, ces entretiens ont été analysés pour mettre en évidence les principales compétences que les personnes enquêtées ont

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mentionnées : 1) soit comme étant nécessaires pour la conception et la mise en œuvre des activités de la coopérative (aussi bien au niveau de la coopérative qu’à titre individuel, notamment au niveau de l’exploitation agricole le cas échéant) ; 2)  soit qui ont évolué suite à la participation de la personne à la coopérative. L’ensemble des compétences ainsi identifiées à travers les huit entretiens a été intégré dans un questionnaire unique, qui a été utilisé pour réinterroger les huit personnes. Elles ont été invitées à indiquer, pour chaque compétence, le niveau qu’elles estimaient avoir avant le début de la coopérative et leur niveau au moment de l’entretien. Elles pouvaient choisir entre trois niveaux : faible, moyen et bon. Pour les compétences techniques, nous avons distingué de façon plus précise lors de l’enquête, à partir de Coudel (2009), entre les trois niveaux suivants  : 1)  Connaître  : la personne dispose de connaissances mais ne les met pas en pratique ; 2) Pratiquer : la personne met ses connaissances en pratique ; 3) Faire évoluer : la personne s’informe et expérimente en vue d’améliorer ses pratiques.

L’étude est ainsi fondée sur une auto-évaluation par les enquêtés à la fois des compétences nécessaires à la conception et mise en œuvre de l’action collective, mais aussi de la façon dont ces compétences ont évolué suite à cette participation à l’action collective. Cette étude adopte un point de vue émique (Olivier de Sardan, 2008) et se limite ainsi aux connaissances que les individus explicitent (Nonaka et Takeuchi, 1997). De ce fait, il est possible que cette auto-évaluation ne corresponde pas aux résultats d’une évaluation que ferait un acteur extérieur.

RÉSULTATS

Compétences en jeu pour mener les activités

des coopératives

Les récits de vie ont permis d’identifier trois grandes familles de compétences en jeu dans la conception et la mise en œuvre des activités des deux coopératives. Ces trois familles de compétences sont présentées dans les deux premières colonnes de gauche du tableau  I. Il s’agit  : 1) de compétences techniques en agriculture  ; 2) de compétences de gestion de l’action collective  ; 3) de compétences de gestion de la relation avec l’environnement extérieur, et notamment l’administration. Cette typologie est ainsi proche de celle proposée par Martínez et de Ibarrola (2013). La plupart des compétences identifiées sont définies à un niveau individuel, sauf la compétence «  Prendre des décisions collectivement ». Le tableau I présente comment chaque personne enquêtée a évalué l’évolution de ses compétences suite à sa participation dans une des deux coopératives, lors de la deuxième phase d’enquête. Par souci de simplicité, dans ce tableau, les niveaux faible (F), moyen (M) et bon (B) sont utilisés respectivement pour les niveaux de compétence technique Connaître, Pratiquer et Faire évoluer.

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Participation et évolution des compétences

dans la coopérative de collecte de lait

Les membres de la coopérative de collecte de lait avaient, avant la création de la coopérative, des vaches de race locale ou croisée entre race locale et race Holstein et le lait produit était essentiellement consommé au sein des foyers. Les vaches de race Holstein, acquises par les membres dans le cadre du projet d’élevage bovin, ont un potentiel de production plus important que les vaches de race locale ou croisée, mais nécessitent aussi une alimentation plus complexe et plus de soins. Les femmes membres de la coopérative doivent ainsi améliorer leurs connaissances en élevage laitier. Elles ont bénéficié de formations en élevage bovin, en particulier sur les maladies, la nutrition et la traite. Les membres de la coopérative de collecte de lait s’occupent du soin des vaches (alimentation, traite), qui restent dans les étables. Elles ne sont donc pas présentes ensemble sur un même lieu d’activité.

Groupe Coopérative de collecte de lait production de couscousCoopérative de

3 membres de base Présidente 2 membres de base et présidente actuelle Ex-présidente Avant Après Avant Après Avant Après Avant Après Compétences techniques F1, M2 B M B M M NA NA

Compétences liées à l’action collective

Écouter les autres M B M B F B M B Prendre la parole

lors des réunions

M B M B F B M B Organiser l’action collective F F 2, M1 M B F B B Prendre des décisions collectivement F M2, B1 F B F B M M Compétences liées aux relations avec administration Obtenir des informations auprès de l’administration F M M B M M2, B1 M B Communiquer avec l’administration F F1, M2 M B M M M B Rédiger des documents F F F B F M M B Négocier avec l’administration F F 2, M1 F B F F2, M1 M B

Tableau 1. Amélioration des compétences suite à la participation dans les coopératives (selon les personnes interrogées). F : Faible, M : Moyen, B : Bon. F1, Msignifie qu’une

des trois personnes estime avoir un niveau faible, et les deux autres estiment avoir un niveau moyen. NA : non applicable (l’ex-présidente ne participant pas à la production

de couscous et de pain)

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Amélioration des compétences des membres de base

Les trois femmes interrogées estiment avoir acquis un bon niveau technique en ce qui concerne l’élevage bovin (cf. tableau  1). Elles sont devenues plus autonomes dans la gestion de nombreux problèmes liés à l’élevage bovin et profitent des opportunités (telle que la venue d’un vétérinaire) pour poser des questions et améliorer leurs connaissances en élevage bovin. L’une d’elles témoigne qu’« on a assisté à des formations en élevage, et on a appris beaucoup de

choses à ce propos. On a appris à s’occuper de notre cheptel, à le surveiller, à réaliser la traite à l’aide des machines, à effectuer seules les traitements contre les maladies. »

Ces trois femmes discutent maintenant « entre pairs » avec le vétérinaire, mais aussi discutent plus souvent entre elles des questions techniques.

Ces personnes ne sont pas impliquées dans la gestion de la coopérative. La présidente s’occupe de la gestion de la coopérative et des relations avec l’administration. Les trois membres de base ont toutes affirmé la grande confiance qu’elles ont en la présidente. L’une d’elles estime que « c’est une fille

du douar, elle travaille pour l’intérêt de toutes les participantes, et on a vraiment confiance en elle ». Elles n’expriment pas le besoin de s’impliquer dans la gestion

de la coopérative et dans les relations avec l’administration. Elles estiment de toute façon ne pas en avoir les capacités. Du fait de cette répartition assumée des rôles, elles n’ont amélioré que de façon limitée leurs compétences de gestion de l’action collective. Leur analphabétisme les empêche de s’impliquer dans la rédaction de documents. Deux de ces femmes estiment avoir toujours eu une faible capacité de négocier avec l’administration (tableau 1). La troisième, qui s’estime avoir des capacités moyennes de négociation avec l’administration, accompagne parfois la présidente à certaines réunions.

Amélioration des compétences de la présidente

Au début des années 2000, cette jeune femme est revenue habiter chez ses parents, après avoir échoué au baccalauréat. Elle est restée 4  ans sans activité professionnelle, puis a pris l’initiative d’organiser des activités qui permettraient de générer un revenu pour les femmes de son village. De cette initiative est née une association pour le développement local, et par la suite la coopérative de collecte de lait. Cette personne est devenue aussi superviseur de l’alphabétisation des femmes de son douar. Par ailleurs, elle a bénéficié de nombreuses formations en élevage bovin et a amélioré ses pratiques d’élevage bovin.

La présidente consacre une part importante de son temps à des activités liées à la coopérative. Elle met en avant un apprentissage en termes de gestion du groupe. Selon elle, mais aussi selon les autres membres de la coopérative, elle avait auparavant de faibles capacités de gestion du groupe et des relations avec l’administration, puis elle a grandement amélioré ses capacités grâce à son expérience en tant que présidente. Cette jeune femme déclare avoir amélioré ses capacités à mener un projet et même à gérer plusieurs projets

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simultanément. Elle estime avoir pris confiance dans sa capacité à impulser une dynamique collective, même auprès de personnes qui initialement n’ont que peu d’intérêt ou peu de confiance par rapport à une initiative d’action collective. Elle a appris à maîtriser les procédures d’obtention de financement et a appris à négocier avec l’administration. Elle explique ainsi qu’« aujourd’hui, je suis devenue

très connue au sein de l’administration, je connais bien mes droits et les procédures pour les faire respecter, et je m’occupe de toutes les tâches administratives ». Dans

l’ensemble, la présidente considère avoir acquis un bon niveau de compétences dans les différentes catégories (technique, de gestion de l’action collective et de gestion des relations avec l’administration) (tableau 1).

Participation et évolution des compétences

dans la coopérative de production de couscous

Les membres de cette coopérative se réunissent tous les jours dans un même local pour produire ensemble du couscous et du pain. Elles commercialisent leur production dans leur local et dans les marchés environnants. Les décisions sont prises par consensus et le leadership est partagé. Cette coopérative a bâti initialement des relations étroites avec l’administration, grâce à la présidente précédente qui s’occupait de tous les dossiers administratifs. Cette personne recevait le même revenu mensuel que les autres membres. Peu de temps avant notre étude, les membres de base de la coopérative ont demandé à la présidente de participer à la fabrication du couscous, ce qu’elle n’a pas accepté. Les autres membres lui ont alors demandé de quitter la coopérative. Elle est partie et se consacre à la gestion d’une autre coopérative apicole, dont elle est aussi présidente. Puisque la nouvelle présidente est analphabète, c’est son fils qui se charge des relations avec l’administration.

Amélioration des compétences des membres de base

Les trois femmes interrogées disent ne pas avoir appris en termes de compétences techniques car elles produisent du couscous grâce à des savoir-faire déjà maîtrisés avant la création de la coopérative. Ces femmes considèrent avoir surtout appris en termes de gestion de l’action collective (tableau 1). Elles considèrent avoir acquis un bon niveau pour toutes les capacités concernant la gestion du groupe. L’une d’entre elles estime ainsi que « nous sommes très

satisfaites. Nous travaillons dans un climat de solidarité et de tolérance. Nous organisons l’alternance des tâches entre nous. Nous prenons les décisions de manière concertée. » Les femmes interrogées ont développé un sentiment d’appartenance

à une équipe qui réussit. L’une d’elles estime ainsi que « nous apprécions le travail

collectif. Nous avons appris à partager les tâches et les responsabilités entre nous, à discuter de nos problèmes, à gérer nos réunions et à commercialiser nos produits. »

Ces femmes communiquent entre elles ouvertement sur les sujets importants. Les conflits sont perçus comme normaux, elles estiment qu’il faut surtout

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savoir comment les gérer. En revanche, ces femmes n’étaient pas impliquées dans la gestion des relations avec l’administration, lorsque l’ex-présidente était en poste. De ce fait, les femmes interrogées estiment n’avoir quasiment pas amélioré leurs compétences en termes de relation avec l’administration (tableau 1).

Amélioration des compétences de l’ex-présidente

L’ex-présidente de la coopérative de couscous est institutrice dans une école privée. Lorsqu’elle en était présidente, elle s’est consacrée surtout au développement de ses relations avec l’administration et à l’élargissement de ses réseaux sociaux. Elle a cherché à renforcer ses connaissances sur les procédures à suivre pour la conception d’un projet et la préparation des dossiers administratifs. Elle considère avoir un niveau d’instruction élevé (elle a une licence) et estime qu’il est plus utile pour la coopérative qu’elle se consacre complètement au travail administratif, plutôt que de participer à la production de couscous et de pain. Cette personne estime que les autres membres de la coopérative n’ont pas apprécié à leur juste valeur les efforts qu’elle faisait pour mener à bien les tâches administratives. Elle estime avoir augmenté ses compétences techniques et relationnelles avec l’administration. En revanche, son renvoi récent justifie qu’elle ne soit pas complètement satisfaite de sa capacité à gérer un groupe.

DISCUSSION

Toutes les personnes interrogées ont considéré avoir amélioré fortement des compétences suite à leur participation aux activités de leur coopérative. Les apprentissages des huit personnes interrogés ont été différenciés  : des apprentissages avant tout techniques dans la coopérative de collecte de lait et des apprentissages relatifs à l’action collective dans la coopérative de production de couscous. Il y a eu aussi, dans la coopérative de collecte de lait, un renforcement du dialogue entre pairs sur certains aspects techniques, tel que caractérisé par Darré (1996). Enfin, les deux présidentes ont renforcé leurs compétences en courtage de développement, telles qu’identifiées par Bierschenk et al. (2000) : la gestion d’un groupe, la communication avec l’administration, mais aussi la conception de projets de développement.

Le fonctionnement de ces groupes nécessite des compétences de gestion du groupe, de communication avec l’administration et, dans le cas de la coopérative de collecte de lait, de gestion administrative (utilisation d’un compte en banque, etc.). Se pose la question de l’importance que donnent les membres à ces compétences, par rapport aux compétences de production. Douyère (2011) présente ainsi un exemple où les membres d’une entreprise avaient

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un sentiment de déclassement du fait de ne posséder que des compétences techniques dans un contexte où des compétences managériales prenaient une importance croissante. À l’exception possible de l’ex-présidente de la coopérative de production de couscous, les personnes enquêtées ont toutes considéré que les compétences techniques n’avaient pas un statut inférieur à celles de gestion. Dans la coopérative laitière, les adhérentes sont satisfaites de laisser à la présidente le soin de gérer les aspects administratifs et sont fières de leurs compétences techniques. Les membres de la coopérative de production de couscous donnent de l’importance à leur capacité d’action collective et refusent d’accorder un statut supérieur aux compétences de gestion par rapport à des compétences techniques. Enfin, la présidente de la coopérative de collecte de lait a fait des efforts importants pour apprendre des compétences techniques. Il n’y a pas ainsi, dans les cas étudiés, une hiérarchie établie entre compétences de gestion d’une part et compétences techniques d’autre part.

Les coopératives de collecte de lait et de production de couscous se trouvent dans des situations contrastées, en termes de modalités de participation et d’apprentissage. Les deux coopératives évoluent vers les deux modèles tels que définis par Rothschild-Whitt (1979). La coopérative de production de couscous évolue vers un modèle d’organisation collectiviste : les membres s’investissent activement dans la gestion de la coopérative, et ont refusé explicitement une trajectoire d’évolution selon la «  loi d’airain  », en exigeant que l’ancienne présidente participe à la production de couscous. La coopérative de collecte de lait évolue, elle, vers un modèle bureaucratique et les dynamiques en termes de participation et d’apprentissage correspondent dans une large mesure à la « loi d’airain » de Michels. Il y a une différence croissante entre les compétences de la présidente et celles des autres membres, en termes de gestion de l’action collective et de la relation avec l’administration. Comme proposé par Michels, les membres de base acceptent cette séparation des rôles, car elles ne se considèrent pas compétentes en ce qui concerne la gestion de la coopérative et les relations avec les institutions extérieures. Les membres de base préfèrent se concentrer sur les apprentissages techniques et laisser à la présidente le soin de gérer la coopérative. Une différence entre le processus en cours dans la coopérative de collecte de lait et le schéma de spécialisation proposé par Michels est que, dans le schéma de Michels, les leaders se consacrent exclusivement à la gestion du groupe et aux contacts avec les institutions extérieures. Or la présidente a profité du projet en élevage bovin pour apprendre des compétences techniques et les mettre en œuvre. En effet, elle exerce à titre bénévole et ne génère pas ainsi un revenu permanent spécifique du fait de ses activités de courtage en développement, qui ont consisté à obtenir des financements ponctuels et limités. Enfin, sa position de leader lui a permis d’être invitée à différentes formations techniques organisées par les institutions de développement.

Trois facteurs peuvent expliquer cette différence de modalités de participation et d’amélioration des compétences dans les deux coopératives. Le premier facteur est l’importance du travail en équipe : les membres de la coopérative de

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production de couscous doivent travailler ensemble au quotidien, ce qui n’est pas le cas de la coopérative de collecte de lait (chaque femme gère ses vaches seule dans son étable). Le second facteur, déjà proposé dans d’autres études (par exemple, Ng et Ng, 2009) est la volonté des membres de s’investir dans la gestion collective. Dans la coopérative de collecte de lait, les membres de base considèrent que le principal enjeu pour elles est une amélioration des pratiques individuelles d’élevage et elles sont satisfaites de la délégation de la gestion à la présidente. En revanche, dans la coopérative de préparation de couscous, les membres de base n’expriment pas d’enjeu d’amélioration des pratiques individuelles et elles donnent beaucoup d’importance à la gestion collective. Le dernier facteur, proposé par Rothschild-Whitt (1979), est la complexité de la gestion de la coopérative : l’activité de production de couscous mobilise des équipements que les membres peuvent gérer facilement eux-mêmes, tandis que la gestion d’un local de collecte de lait nécessite de gérer un compte en banque, de payer des factures, et de maintenir des relations avec différents acteurs extérieurs tel que l’industriel laitier. Ces activités requièrent de savoir lire et écrire.

Dans les deux coopératives, les membres de base n’ont pas conçu collectivement une stratégie de gestion des compétences nécessaires au niveau du groupe dans son ensemble (telles que proposées notamment par Ashby et al., 2009). Les membres de la coopérative de collecte de lait ne s’intéressent que peu aux enjeux de gestion de la coopérative. Les membres de la coopérative de production de couscous s’impliquent dans la gestion collective, mais n’avaient pas demandé à l’ex-présidente de leur apprendre à gérer les relations avec les institutions extérieures. Ceci conduit à une fragilité des deux groupes. Les membres de la coopérative de collecte de lait n’ont pas de capacités de contrôle des actions de la présidente. De plus, cette coopérative pourrait se trouver en forte difficulté en cas de départ de cette dernière. Mais la coopérative de préparation de couscous est elle aussi fragile, car avec le départ de l’ex-présidente, les membres n’ont que des capacités limitées d’interagir avec l’administration.

CONCLUSION

Cette étude montre que le lien entre modalités de participation et évolution des compétences est réciproque et dynamique. D’une part, les modalités de participation dans les deux coopératives ont fortement influencé l’amélioration des compétences des membres. D’autre part, l’évolution des compétences a contribué à stabiliser les modalités de participation  : le renforcement des différences de compétences au sein de la coopérative de collecte de lait soutient l’évolution vers un modèle bureaucratique, tandis que dans la coopérative de production de couscous, les capacités accrues d’action collective viennent

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renforcer une gestion de type «  collectiviste  ». Cependant, cette évolution conjointe des modalités de participation et des compétences n’implique pas nécessairement une capacité accrue de gestion collective, du fait d’une forte dépendance vis-à-vis de la présidente dans le cas de la coopérative de collecte de lait et d’une faible maîtrise des relations avec les acteurs extérieurs dans le cas de la coopérative de production de couscous.

Les résultats présentés ici ne constituent que des éléments de réponse de nature exploratoire à la question des liens entre les modalités de participation à un groupe restreint et les apprentissages que cette participation induit. Cette recherche pourrait être poursuivie dans quatre directions. Premièrement, l’amélioration des compétences a été menée à partir de l’auto-évaluation des personnes interrogées, à la fois en termes d’identification des compétences améliorées et de qualification du niveau d’amélioration. Il serait intéressant de pouvoir compléter une telle analyse par une observation directe à la fois des compétences mobilisées et des niveaux atteints de maîtrise des compétences. Deuxièmement, nous n’avons étudié les apprentissages que selon une dimension, celle des compétences explicitement reconnues comme nécessaires ou mobilisées par les membres  : il serait intéressant d’étendre cette étude à d’autres dimensions possibles des apprentissages, par exemple, en termes d’apprentissage en simple, double ou triple boucle (Argyris et Schön, 2002 ; Coudel, 2009). Troisièmement, nous avons étudié des coopératives jeunes, et il serait intéressant d’étudier comment la coévolution des modes de participation et des apprentissages se produit sur un pas de temps plus long.

Enfin, cette étude s’est centrée sur les dynamiques internes de groupes restreints, mais ces derniers interagissent au quotidien au sein d’un ensemble plus large d’acteurs (incluant en particulier les institutions de développement). Pour comprendre les enjeux en termes de compétences relationnelles des membres des coopératives vis-à-vis des acteurs extérieurs, mais aussi pour mieux analyser les stratégies des membres de la coopérative en situation d’intermédiaires entre la coopérative et ses acteurs extérieurs, il serait utile d’étudier la coévolution des compétences et des modalités d’interaction au niveau de cet ensemble plus large. Ces quatre pistes permettraient de mieux intégrer les théories sociologiques sur le fonctionnement de groupes restreints et les théories de l’apprentissage dans les organisations pour pouvoir rendre compte, dans un même cadre d’analyse, des liens entre participation au fonctionnement d’un groupe restreint et apprentissages.

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Nicolas FAYSSE est chercheur à l’Unité Mixte de Recherche G-Eau, et au CIRAD. Il travaille sur la gestion des eaux souterraines, les politiques agricoles au Maroc et les relations entre acteurs dans les filières agricoles. Adresse UMR G-Eau, Cirad et École Nationale d’Agriculture

de Meknès

Km 10, Route Haj Kaddour BP S/40, Meknès 50001 (Maroc) Courriel aysse@cirad.fr

Myriam BOUZEKRAOUI est lauréate du Département Ingénierie du Développement de l’École Nationale d’Agriculture de Meknès.

Adresse École Nationale d’Agriculture de Meknès Km 10, Route Haj Kaddour

BP S/40, Meknès 50001 (Maroc) Courriel myriambouzekraoui@hotmail.fr

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Mostafa ERRAHJ est enseignant au Département Ingénierie du Développement de l’École Nationale d’Agriculture de Meknès. Ses travaux récents portent sur l’évolution historique et la différenciation des agriculteurs familiaux, et sur l’action collective formelle et informelle en Afrique du Nord.

Adresse École Nationale d’Agriculture de Meknès Km 10, Route Haj Kaddour

BP S/40, Meknès 50001 (Maroc) Courriel merrahj@enameknes.ac.ma

aBstract: participationandcapacity BuiLdingin smaLL groups: the case of women cooperatiVes in morocco

Learning theories have given limited importance to a possible differentiation of skills due to the way group members participate. Studies of participation in organizations have identified different patterns of evolution of the forms of participation in groups, but did not focus on the role of members’ skills in such patterns. The study assesses the interaction between participation and capacity-building in two female cooperatives in Morocco. In one of the cooperatives, activities are clearly separated between grassroots members and the president, who manages alone the group and improves her skills accordingly. In the second cooperative, members actively participate in the management of the group and improve their capacities for collective action. In the two cases, the evolution of members’ skills contributes to stabilize the patterns of participation, towards the delegation of management activities to a leader or towards a collective management of the group. Keywords: cooperatives, “iron law” of oligarchy, learning, Morocco, skills.

resumen: participación ydesarroLLodecapacidades en grupos pequeños: eL caso de cooperatiVas femeninas en marruecos

Las teorías sobre los aprendizajes han poco estudiado una posible diferenciación de las competencias vinculadas con las modalidades de participación. Los estudios sobre la participación en organizaciones han identificado varias trayectorias de evolución de las modalidades de participación, pero no han detallado el papel de las competencias de los miembros en estas trayectorias; Este estudio se enfoca en la interacción entre participación y desarrollo

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de capacidades en dos cooperativas femeninas en Marruecos. En una de estas cooperativas, las actividades son netamente separadas entre les miembros de base y la presidente, quien se encarga sola de la gestión del grupo y mejora sola las competencias vinculadas a esta gestión. Al contrario, los miembros de la otra cooperativa participan de manera activa en la gestión del grupo y mejoran sus capacidades de acción colectiva. En ambos casos, la evolución de las competencias de los miembros contribuye a estabilizar las modalidades existentes de gestión del grupo, o sea hacía una delegación de esta gestión a un líder o sea hacía una gestión colectiva del grupo.

Palabras claves: aprendizaje, competencias, cooperativas, “ley de hierro” de la oligarquía, Marruecos.

Références

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