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La « sous-activité » des assistantes maternelles : un rapport au métier différencié selon le positionnement social.

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La “ sous-activité ” des assistantes maternelles : un

rapport au métier différencié selon le positionnement

social.

Marie Cartier, Estelle d’Halluin, Marie-Hélène Lechien, Johanna Rousseau

To cite this version:

Marie Cartier, Estelle d’Halluin, Marie-Hélène Lechien, Johanna Rousseau. La “ sous-activité ”

des assistantes maternelles : un rapport au métier différencié selon le positionnement social..

Poli-tiques sociales et familiales, Caisse Nationale des Allocations Familiales, 2012, 109 (1), pp.35-46.

�10.3406/caf.2012.2882�. �hal-03247478�

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Politiques sociales et familiales

La « sous-activité » des assistantes maternelles : un rapport au

métier différencié selon le positionnement social.

Marie Cartier

,

Estelle d’Halluin

,

Marie-Hélène Lechien

,

Johanna Rousseau

Citer ce document / Cite this document :

Cartier Marie, d’Halluin Estelle, Lechien Marie-Hélène, Rousseau Johanna. La « sous-activité » des assistantes maternelles : un rapport au métier différencié selon le positionnement social.. In: Politiques sociales et familiales, n°109,

2012. Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité. pp. 35-46

;

doi : 10.3406/caf.2012.2882

http://www.persee.fr/doc/caf_2101-8081_2012_num_109_1_2882

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Abstract

This article presents the results of research into the “ under-employment” of childminders, namely the reasons why some practitioners work below the possibilities the law offers at a time when early years policies are aimed at favouring this method of childcare (raising the threshold of licensing approval, private day nurseries, etc.). In 2007, 21% of childminders looked after only one child and 20.6% declared less than 144 hours of childcare in a month, or less than one child in full-time care. What does this “ under-employment” reveal about the affinity these women have with the job and the work ? Using an interview campaign in Haute-Vienne and Loire-Atlantique as well as additional research, the determining factors and customs of childminder “ under-employment” were observed and were shown to vary greatly. In order to be part of continuing research which places less emphasis on professionalization than on the work and social position of childminders, the analysis focuses on three ways of practising the profession, based on social ownership, affinity with the job and affinity with the work.

Résumé

Cet article présente les résultats d’une recherche consacrée à la « sous-activité » des assistantes maternelles, aux raisons pour lesquelles certaines professionnelles travaillent en deçà des possibilités offertes par la loi, au moment où les politiques de la petite enfance visent à favoriser ce mode de garde (relèvement du seuil d’agrément, maisons d’assistantes maternelles, etc.). En 2007, 21 % des assistantes maternelles gardent un seul enfant et 20,6 % déclarent moins de 144 heures de garde dans le mois, soit moins d’un enfant gardé à temps plein. Qu’est-ce que cette « sous-activité » révèle sur le rapport à l’emploi et au travail de ces femmes ? À partir d’une campagne d’entretiens en Haute-Vienne et en Loire-Atlantique et d’investigations complémentaires, les déterminants et les usages de la « sous-activité » des assistantes maternelles ont été observés, qui se sont révélés très variés. Afin de s’inscrire dans le prolongement de recherches mettant moins l’accent sur la thématique de la professionnalisation que sur celles du travail et du positionnement social des assistantes maternelles, l’analyse est centrée sur trois manières d’exercer le métier, articulant propriétés sociales, rapport à l’emploi et rapport au travail.

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La « sous-activité » des assistantes maternelles :

un rapport au métier différencié selon

le positionnement social

Marie Cartier*

Estelle d’Halluin* Marie-Hélène Lechien** Johanna Rousseau*

* Centre nantais de sociologie (CENS), université de Nantes. ** Groupe de recherches et d’études sociologique du Centre Ouest (GRESCO), université de Limoges.

Mots-clés : Assistantes maternelles – Temps de travail – Rapport à l’emploi.

Cet article présente les résultats d’une recherche consacrée à la « sous-activité » des assistantes maternelles, aux raisons pour lesquelles certaines professionnelles travaillent en deçà des possibilités offertes par la loi, au moment où les politiques de la petite enfance visent à favoriser ce mode de garde (relèvement du seuil d’agrément, maisons d’assistantes maternelles, etc.). En 2007, 21 % des assistantes maternelles gardent un seul enfant et 20,6 % déclarent moins de 144 heures de garde dans le mois, soit moins d’un enfant gardé à temps plein. Qu’est-ce que cette « sous-activité » révèle sur le rapport à l’emploi et au travail de ces femmes ? À partir d’une campagne d’entretiens en Haute-Vienne et en Loire-Atlantique et d’investigations complémentaires, les déterminants et les usages de la « sous-activité » des assistantes maternelles ont été observés, qui se sont révélés très variés. Afin de s’inscrire dans le prolongement de recherches mettant moins l’accent sur la thématique de la professionnalisation que sur celles du travail et du positionnement social des assistantes maternelles, l’analyse est centrée sur trois manières d’exercer le métier, articulant propriétés sociales, rapport à l’emploi et rapport au travail.

D

epuis les années 1990, les pouvoirs publics ont cherché à « professionnaliser » l’activité des assistantes maternelles, notamment en améliorant leur encadrement juridique et en augmentant les exigences en matière de formation (Aballéa, 2005 ; Mozère, 1995 ; Lecomte, 1995 et 1999 ; Albérola, 2009). Le nombre d’assistantes mater-nelles a progressé, mais la forte natalité française et l’activité des mères ont contribué à entretenir la demande de garde. Aujourd’hui, le profil âgé

des assistantes maternelles (un tiers d’entre elles sont âgées de 50 ans ou plus) fait craindre un risque de pénurie. Dans ce contexte, les pouvoirs publics s’efforcent de développer l’offre de places en agissant sur le cadre institutionnel du métier : la loi de financement de la Sécurité sociale de 2009 a ainsi relevé le seuil d’agrément pour les assistantes maternelles, qui peuvent accueillir jusqu’à quatre enfants simultanément au lieu de trois précédemment – y compris des enfants âgés de moins de 3 ans –, et le décret Morano de juin 2010 a encouragé le développement des maisons d’assistantes maternelles(1). Alors même qu’elles sont incitées à travailler plus, il est frappant de constater qu’une part importante des assistantes maternelles travaillent en deçà des possibilités offertes par la loi : celles qui gardent un seul enfant ou déclarent moins de 144 heures de garde dans le mois sont assez nombreuses – 20 % environ en 2010 – et leur nombre apparaît relativement stable dans le temps (Bideau et al., 2009:4 ; Bideau, 2011:3). Ces assistantes maternelles qui, à rebours des orientations de l’action publique, effectuent peu d’heures et/ou gardent peu d’enfants, interrogent les acteurs de la politique de la « petite enfance ». Pourquoi certaines assistantes mater-nelles gardent-elles moins d’enfants que la loi ne le permet ? Pourquoi certaines déclarent-elles relativement peu d’heures de travail par mois ? Doit-on parler de « chômage », de « sous-activité », de « temps partiel » ?

Pour explorer les raisons de cette « sous-activité » des assistantes maternelles, vingt-huit entretiens ont été réalisés auprès d’assistantes maternelles de Haute-Vienne et de Loire-Atlantique (encadré p. 36).

Dans cet article, le féminin est employé pour désigner les « assistantes maternelles », la majorité étant des femmes ainsi que les personnes ayant été enquêtées pour les besoins de l’étude.

(1)Depuis cette loi, les assistantes maternelles peuvent décider de se regrouper afin d’exercer leur profession ensemble au sein de ces maisons d’assistantes maternelles. L’accueil des enfants ne s’effectue donc plus à leur domicile respectif. Les assistantes maternelles doivent toujours avoir un agrément et dépendent de la protection maternelle et infantile. Les employeurs de ces assistantes maternelles restent les parents des enfants confiés (source :http://www.vie-publique.fr).

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Politiques sociales et familiales n° 109 - septembre 2012

36 Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité

L’étude porte sur des assistantes maternelles de Haute-Vienne et de Loire-Atlantique, deux départements diffé-rents du point de vue de la présence de cette profession. Alors que la Loire-Atlantique fait partie des départe-ments les mieux dotés, avec dix-neuf assistantes mater-nelles pour cent enfants âgés de moins de 3 ans, la Haute-Vienne se situe davantage dans la moyenne nationale. Ces deux départements présentent aussi un profil démographique contrasté. Autant la Loire-Atlantique connaît depuis trente ans une vive croissance démographique, autant la Haute-Vienne est marquée par une faible croissance et le vieillissement de sa population après un siècle de déclin démographique. Alors que la Loire-Atlantique se caractérise par la présence de plusieurs types d’activité industrielle et des activités tertiaires en hausse, la Haute-Vienne, historique-ment marquée par la prédominance de l’agriculture et d’une industrie manufacturière durement touchée par la mondialisation, présente un marché du travail moins dynamique et moins diversifié. Ces deux départements abritent tout à la fois des pôles urbains, des couronnes périurbaines en extension et des zones rurales. Ils per-mettent d’accéder à des assistantes maternelles résidant dans des contextes locaux variés.

Les 28 assistantes maternelles interviewées ont été pré-sélectionnées à partir d’une étude statistique des formes d’activité effectuée par l’ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). L’objectif initial était d’explorer les raisons de la sous-activité de certaines assistantes maternelles. Plutôt que d’enquêter auprès de toutes les assistantes maternelles travaillant à un instant t en deçà des possibilités offertes par la loi, l’étude a privilégié celles qui avaient réduit récemment leur activité afin qu’elles puissent donner les raisons de cette réduction d'activité. Les effets de reconstruction liés au travail de la mémoire se trouvent ainsi limités. En Loire-Atlantique, un échantillon de cinquante assistantes maternelles ayant connu une situation de sous-activité durable entre juillet 2008 et juin 2009 a été sélectionné : alors qu’elles gardaient plus de deux enfants âgés de moins de 3 ans pour un volume horaire supérieur à 310 heures en juin 2008, elles ont, entre juillet 2008 et juin 2009, gardé moins de deux enfants de moins de 3 ans pour un volume horaire moyen inférieur à 250 heures ou bien elles ont gardé moins de 1,5 enfant de moins de 3 ans en moyenne sur la période de juillet 2008 à juin 2009, pour un volume horaire compris entre 250 et 310 heures. En Haute-Vienne, 47 assistantes maternelles ont été sélectionnées. Entre juillet 2008 et juin 2009, elles ont gardé en moyenne moins de 2,99 enfants pour un volume horaire moyen inférieur à 350 heures. Ce mode de construction de l’échantillon, qui privilégie les fluctuations d’activité, a

sans doute eu pour effet d’écarter des régimes d’activité marqués de façon constante au fil des années par un temps de travail ou un nombre d’enfants gardés infé-rieurs aux possibilités offertes par la loi. En juin 2010, un courrier a été adressé à 97 assistantes maternelles pour les informer de l’étude. Les chercheuses se sont présentées comme enseignantes en sociologie à l’université et intéressées par l’histoire des métiers de la petite enfance, plus précisément par les conditions de travail des assistantes maternelles ; 11 assistantes maternelles ont alors renvoyé par courrier un coupon indiquant qu’elles étaient volontaires pour l’entretien (6 en Loire-Atlantique, 5 en Haute-Vienne), 21 assistantes maternelles ont renvoyé un coupon précisant qu’elles refusaient d’être contactées par téléphone (10 en Loire-Atlantique, 11 en Haute-Vienne). Sur les 11 assistantes maternelles qui s’étaient portées volontaires, 10 ont été rencontrées (une personne n’a pu l’être car le numéro de téléphone n’était plus attribué). À ces 11 enquêtées s’ajoutent 14 autres assistantes maternelles qui soit ont finalement accepté de recevoir les enquêtrices, soit ont été contactées par réseaux interpersonnels, en dehors de l’échantillon statistique.

Ayant choisi de réaliser des entretiens approfondis permettant de réinscrire les fluctuations d’activité dans la trajectoire sociale et professionnelle des assistantes maternelles ainsi que de les relier non seulement au travail et au rapport au travail, mais aussi à l’économie familiale, les entretiens ont été réalisés en général sur une longue durée (de une heure quinze à trois heures). Quand le premier entretien n’avait pas suffi à aborder tous les thèmes prévus ou bien laissait dans l’ombre certains points importants, il a été complété (sous la forme d’un échange d’e-mails, d’une conversation téléphonique ou d’un second entretien à domicile). Ainsi, en Loire-Atlantique, 17 entretiens ont été réalisés portant sur 16 individus et, en Haute-Vienne, 11 entretiens portant sur 9 individus.

Les limites du recours à l’entretien sociologique, toujours susceptible d’être assimilé par les assistantes maternelles à l’entretien d’évaluation à domicile par les services de la protection maternelle et infantile (PMI), ont conduit à compléter ce corpus d’entretiens par d’autres modes d’enquête : observation directe du travail des assistantes maternelles menée par des étudiants en sociologie, moins susceptibles de par leur âge d’être assimilés à des « inspecteurs », selon le terme utilisé par une assistante maternelle ; lecture du référentiel pour l’agrément des assistantes maternelles, et observation directe de réunions préagréments afin de saisir les normes professionnelles effectivement diffusées à l’échelle des conseils généraux ; entretien avec la respon-sable d’un réseau d’assistantes maternelles à Nantes.

Méthodologie

Une enquête par entretiens à partir d’un échantillon statistique

supérieur à celui d’un salarié ordinaire (qui travaille 35 heures par semaine). La notion de « temps partiel » occulte finalement les spécificités de la situation de travail des AM, qui exercent leur métier chez elles et dont la condition d’emploi semble souvent plus proche de celle des indépendants que des salariés, notamment du point de vue du temps de travail et de l’incertitude de l’emploi (avec la contrainte du renouvellement de la « clientèle »). La notion alternative de « temps partiel », que l’on

avait d’abord émise, a rapidement révélé ses limites. Le temps de travail conventionnel des assistantes maternelles est de 45 heures par semaine et l’amplitude journalière de travail est souvent supé-rieure à 8 heures. Ces salariées peuvent travailler quatre jours par semaine et se considérer elles-mêmes « à temps partiel » alors que, dans les faits, elles effectuent un temps de travail hebdomadaire

(6)

La « sous-activité » des assistantes maternelles est entretenue par des facteurs très variés, depuis la diffi-culté conjoncturelle à trouver des enfants à garder en passant par la réduction volontaire du temps de travail jusqu’à l’arrêt prématuré d’un contrat(2). Dans le cadre de cet article, on montrera que la réduction d’activité revêt des formes et des signi-fications différentes selon les propriétés sociales des assistantes maternelles et leur rapport au travail de garde d’enfants. Dans la lignée de précédentes recherches, il s’agit de ne pas s’en tenir à une perspective de sociologie des professions mais de déployer une perspective de sociologie du travail et des classes sociales, en tenant compte, dans l’analyse, des propriétés sociales de ces salariées (De Ridder et Legrand, 1995 ; Lecomte, 1995 et 1999). Par « propriétés sociales », on entend les variables sociodémographiques traditionnelles telles que le diplôme, l’âge ou la profession du conjoint mais également des données plus fines : par exemple, la pente de la trajectoire sociale du ménage et les conditions d’emploi du conjoint, les ressources culturelles (manières de parler, présentation de soi, réputation professionnelle...) ou encore la stabilité ou l’instabilité conjugale. Selon leur positionnement social, les assistantes maternelles perçoivent diffé-remment leur emploi et, face à la demande de garde, elles ne négocient pas leur temps de travail de la même façon. En articulant les propriétés sociales et le rapport à l’emploi et au travail, l’étude présente trois manières d’exercer le métier d’assistante maternelle. Après avoir analysé le régime d’activité irrégulier associé à une condition populaire, manière d’exercer le métier d’assistante maternelle la plus fréquente dans le cadre de l’enquête, deux manières d’exercer le métier plus minoritaires seront détaillées : l’une associe une inscription dans les fractions inférieures des classes moyennes et un temps de travail volontairement réduit, l’autre associe une réduction ponctuelle d’activité et des aspirations à « sortir par le haut » du métier. Il ne s’agit pas d’une typologie d’individus ni même d’assistantes mater-nelles, mais de manières d’exercer l’activité. Cela signifie que les personnes rencontrées en entretien et associées à l’instant t de l’enquête à telle manière d’être assistante maternelle, n’y sont pas pour autant attachées à vie.

Le régime d’activité irrégulier

des assistantes maternelles de condition

populaire

Une recherche récente constate, à partir d’une exploitation secondaire de l’enquête Emploi 2007 de l’Institut national de la statistique et des études

économiques (INSEE), l’augmentation du nombre d’assistantes maternelles ayant un baccalauréat ou un diplôme supérieur car cela les distingue fortement des autres employées des services à la personne (Cresson et al., 2010). Ceci ne doit pas occulter le fait que les assistantes maternelles, dont la moitié ne possèdent aucun diplôme et 13 % seulement un baccalauréat, demeurent peu diplômées comparées aux salariées du privé parmi lesquelles l’on compte 43 % de bachelières (Algava et Ruault, 2003).

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Dotées d’un certificat d’études primaires (CEP), d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP – comptabilité, petite enfance, service-restauration-collectivités, etc.) ou d’un brevet d’études profes-sionnelles (BEP – industrie de l’habillement, sani-taire et social, etc.), les assistantes maternelles rencontrées se rattachent souvent aux milieux populaires de par leur faible niveau de diplôme. Le plus souvent mères de plusieurs enfants et mariées, elles se caractérisent toutes également par des trajectoires professionnelles discontinues, interrom-pues par les naissances ou d’autres événements familiaux. Leurs origines sociales et leurs alliances les relient aussi aux milieux populaires : issues de familles ouvrières nombreuses, elles sont le plus souvent mariées à des ouvriers ou des employés qualifiés (jointoyeur, égoutier, électromécanicien, conducteur de bus...) et, plus rarement, à de petits entrepreneurs indépendants. Situées dans les milieux populaires, elles ne s’en caractérisent pas moins par la pente ascendante de la trajectoire sociale de leur ménage (Lecomte, 1995). Loin d’appartenir aux strates les plus précarisées des milieux populaires, elles appartiennent plutôt à des ménages ouvriers stables ou « ascensionnels », en phase de « déprolétarisation » (Schwartz, 1990:75-80). Leur mobilisation salariale en tant qu’assistante maternelle participe souvent d’une stratégie de mobilité sociale qui passe, en Loire-Atlantique comme en Haute-Vienne, par l’accès à la propriété d’une maison individuelle.

La notion de « temps partiel » rend très mal compte de la réduction d’activité que ces assistantes mater-nelles de condition populaire ont connue en 2008-2009 et, plus généralement, de leur temps de travail. Celui-ci tend, en effet, à être à la fois long et irrégulier ou « aléatoire », pour reprendre le terme utilisé par une responsable de relais assis-tantes maternelles (RAM – lieux d’information, de rencontre et d’échange au service des parents, des assistantes maternelles et des professionnels de la

(2)Les éventuelles stratégies de sous-déclaration des heures de garde effectuées n’ont pas été explorées dans notre étude en raison du mode d’enquête adopté. L’entretien confère une dimension officielle à la situation qui empêche d’aborder frontalement la question du travail dissimulé.

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petite enfance), lors d’une réunion préagrément. Le rapport au travail de ces assistantes maternelles et de leurs ménages, de même que les conditions d’emploi de leurs employeurs et les fluctuations du marché local de la garde d’enfants, sont à l’origine tout à la fois d’une extensivité et d’une irrégularité temporelles de l’activité. Pour présenter ce profil qui correspond à la situation d’une dizaine des assistantes maternelles rencontrées, l’accent sera mis sur le cas de Régine Leblanc.

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Née dans une commune rurale de Bretagne, d’un père ouvrier agricole et d’une mère devenue femme au foyer pour élever ses six enfants, R. Leblanc, âgée de 43 ans, est assistante mater-nelle dans la région nantaise depuis la fin des années 1990. Son mari, qui a débuté sa vie professionnelle comme ouvrier intérimaire dans une usine des Côtes-d’Armor, est devenu ensuite conducteur de bus dans une société sous-traitante d’Aéroports de Paris, puis dans une entreprise publique de transports à Nantes. En 2008-2009, R. Leblanc a réduit, contrainte et forcée, son acti-vité d’assistante maternelle : le couple ayant démé-nagé dans le petit pavillon qu’ils venaient d’acquérir dans la proche banlieue nantaise (un « pot de

yaourt » dit R. Leblanc en riant), elle n’a d’abord

« pas trouvé de contrats ». En 2008, le couple a frôlé la chute sociale, étranglé par un double crédit immobilier en pleine crise financière. Évoquant son salaire d’assistante maternelle, Régine se démarque avec insistance d’autres femmes pour qui le métier d’assistante maternelle procure de « l’argent de poche » :

« Il y a deux ans, quand on est arrivés ici... Oh la,

la, on est retombés, hein ! Franchement, je ne trouvais plus de boulot, j’ai... paniqué... J’ai cru que... Ce n’était plus possible de rester nour-rice... […] J’ai dit : ”Donc, mon salaire, j’y tiens

quoi !”. Donc moi je n’appelle pas ça une prime,

ni rien, ni un arrondissement… C’est… Non, on en a besoin pour le crédit immobilier… Pour acheter… Il a fallu justifier que j’avais trois, quatre contrats… Des fiches de paye… […]. Pour dire que je suis solvable… C’est important ! Si on n’a pas un revenu correct, comment voulez-vous envisager des achats, des crédits voiture, immobilier, enfin… Comment voulez-vous vivre normalement, sans revenu ? Moi je sais que c’est impossible, je l’ai vécu, donc… Voilà, quoi ! Donc j’y tiens à mon revenu… ».

L’entretien approfondi permet de mettre en regard la réduction d’activité intervenue en 2008-2009 avec d’autres moments de fluctuation de l’activité et d’incertitude dans la carrière d’assistante mater-nelle de R. Leblanc. Au début des années 1990, dotée d’un BEP industrie de l’habillement, elle a débuté sa vie professionnelle comme ouvrière à la

chaîne dans une usine de textile, puis aide à domi-cile, débarrasseuse de salle, et serveuse dans un restaurant à Roissy. Confrontée, à la suite de la naissance de sa première fille, à la difficulté de trouver un mode de garde adapté à des parents travaillant tous deux en horaires décalés, elle fait une demande de congé sans solde pour ne pas perdre son emploi et tente de devenir assistante maternelle. Mais dans la cité d’habitat social de Seine-Saint-Denis où elle réside alors, elle se heurte à la concurrence des nourrices non déclarées, mais aussi de voisines auxquelles elle donne, bien malgré elle, l’idée de devenir assis-tante maternelle : « Des bons moments, des bons

souvenirs, mais ça a toujours été assez abrégé, pour des raisons X, Y... déménagements... problèmes de famille... […]. La décision d’une maman qui a décidé de devenir nourrice à son tour ! Elle s’est dit : ”C’est le bon plan, je vais faire comme

toi !” […]. Quatre ans et demi que je suis restée

comme ça à la maison... à... galérer... à avoir un petit peu de boulot, puis rien... Puis un petit peu, puis rien... Déjà, j’ai fait connaissance du quartier où j’habitais... J’ai vu l’ambiance, j’ai compris que le travail au noir ça primait, enfin pour les nounous... Ça marchait mieux ! Et donc... 1995 à 1997… j’ai encore essayé de bosser, ça ne marchait pas... Et j’ai fini par être embauchée dans un pressing, après ma démission de 1994… ».

Elle redeviendra finalement assistante maternelle après le déménagement de la famille à Nantes à la fin des années 1990. En effet, un emploi de vendeuse dans une boutique de tissus, où elle finit à 20 heures, lui cause de nouveau des problèmes de garde pour ses deux filles, son mari travaillant toujours en horaires décalés. Lors de la rencontre dans le cadre de l’étude en 2010, elle a finalement retrouvé des contrats (elle garde deux bébés et deux « périscolaires » à temps partiel) et paraît s’investir dans le métier d’assistante maternelle. Mais elle vient en même temps tout juste de dimi-nuer son temps de travail, cette fois de sa propre initiative, après avoir subi des semaines épuisantes de soixante-douze heures. Encouragée par une session de formation en droit du travail qu’elle a récemment suivie, elle a décidé de mieux négocier ses contrats et de ne s’engager qu’avec les parents acceptant une fin de la garde à 18 h 15 le jeudi soir : « Je n’étais pas assez reposée le matin, il

fallait que je me lève, alors que j’avais encore envie de dormir… 6 h 30-20 h 30, vous ne vous rendez pas compte ! Là on est complètement dépendant du boulot, et on n’est plus nous-mêmes pour rien… Déjà, je ne peux pas coudre… Passe encore, mais que je ne puisse plus faire mon sport non plus… Là, je me suis dit ”le boulot est en train

de me bouffer !” J’aime bien mon métier, mais il y

a un moment donné où… [siffle] Je ne pouvais plus écouter mes filles me dire un problème, ou

Politiques sociales et familiales n° 109 - septembre 2012

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mon mari… Je n’étais plus… J’avais l’impression d’être un fantôme dans ma maison ! Pour la famille et… J’étais la nounou pour les petits, ça j’assurais quand même toujours bien… Fatiguée, vidée et tout… Le petit fatigué aussi, parce que la journée était trop longue, d’attendre le retour du parent… Et... Les parents… Deux CDD… Pour la maman… Le papa parti loin pour rapporter un salaire aussi… Donc, au début, on s’est rencontrés pour un mi-temps avec un planning défini… Ça a valsé complète-ment, quoi ! Le vingt heures par semaine, il s’est transformé en soixante-douze heures par semaine ! Et je peux vous dire que, la maman, elle n’en pouvait plus non plus… ».

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Le cas de R. Leblanc permet de dégager les divers facteurs qui, pour des femmes de milieux populaires, font du métier d’assistante maternelle une activité fondamentalement irrégulière. Tout d’abord, ces femmes peu diplômées jaugent et investissent ce métier au regard des opportunités locales d’emploi dans d’autres métiers et des conditions de travail qu’ils imposent, mais aussi de leurs charges fami-liales. Leur choix témoigne de la difficile arti-culation de projets professionnels et familiaux pour les mères de condition populaire peu qualifiées (Battagliola, 2001). Si, à l’instar de R. Leblanc, certaines femmes s’orientent vers ce métier dans le but de prendre en charge leurs propres enfants en bas âge, la majorité, âgée de 40 ans ou plus, fait face à d’autres charges familiales (veuvage, époux malade, petits-enfants…) ou bien encore à des problèmes de santé ou à des licenciements écono-miques(3). Le métier d’assistante maternelle repré-sente le plus souvent une solution à des difficultés personnelles et/ou familiales. De ce fait, l’engage-ment dans cette activité est réversible, celle-ci pouvant être augmentée ou diminuée, abandonnée ou reprise, au gré des événements familiaux, des aléas de santé et des opportunités professionnelles(4). La mobilité résidentielle associée à la trajectoire du ménage est, par exemple, source d’irrégularité de l’activité. Tout déménagement est synonyme de

difficultés à recruter des familles et de baisse de l’activité : il faut se faire connaître, reconnaître et mettre en place des canaux de recrutement(5). Par ailleurs, le revenu d’assistante maternelle représente un apport financier décisif pour des ménages d’ouvriers et d’employés en ascension sociale et qui « jonglent » avec des « budgets serrés », pour reprendre les termes utilisés par R. Leblanc. Bien évidemment, la mobilisation salariale du couple se révèle plus ou moins intense selon les moments du cycle de vie et les aléas économiques. Toutefois, la perception par l’assistante maternelle de son salaire comme un « vrai salaire » façonne durablement son rapport au travail : l’activité doit être rentable, garantir un revenu « correct ». Pour R. Leblanc, cela correspond à un salaire de 1 200 euros nets par mois(6)(une autre assistante maternelle parle d’un « vrai salaire de 1 000 euros »). Étant donné la faiblesse du salaire horaire(7), pour atteindre ce salaire dit « correct », elles doivent garder le maximum d’enfants avec une forte ampli-tude horaire. Or, travaillant à domicile, ces assis-tantes maternelles exposent leurs proches aux contraintes de leur travail : le bruit, le désordre, la promiscuité. Les pressions du conjoint et des enfants peuvent inciter à la réduction de l’activité une fois les contraintes du métier éprouvées. Décuplant le risque d’empiètement sur la vie fami-liale, le fait de « tenir » à son salaire d’assistante maternelle tend aussi à réduire les marges de manœuvre dans la négociation des contrats avec les parents employeurs. Peu enclines à refuser des contrats, ces assistantes maternelles s’exposent à des relations d’emploi atypiques et/ou insta-bles(8). L’une d’elles, spécialisée dans ce qu’elle appelle les « petits horaires » et les « bouts de

contrat », explique que, si elle veut travailler, elle

doit « prendre ce qui se présente » ; elle ne peut pas se permettre de « faire la difficile ». Par contraste avec les assistantes maternelles de classes moyennes dont il sera question ci-après, les assis-tantes maternelles de condition populaire paraissent, en effet, davantage employées par des ménages

(3)Pour les femmes licenciées les plus âgées, les difficultés de reconversion propres au genre et à l’âge (Maruani, 2004) et la fatigue associée au transport ou aux horaires de travail pèsent dans le choix de l’activité d’assistante maternelle.

(4)Bien entendu – il faut y insister tant les idées reçues ont la vie dure en la matière – l’orientation par défaut n’exclut aucunement une appropriation positive, par la pratique, de ce travail de prise en charge de jeunes enfants.

(5)Comme l’a bien montré Liane Mozère (2003), le métier d’assistante maternelle requiert des compétences sociales, c’est-à-dire des savoirs de présentation de soi et d’entrée en contact avec des membres d’autres groupes sociaux, souvent associées à l’inscription dans des réseaux de sociabilité : toutes les femmes de condition populaire n’en sont pas également pourvues, en raison notamment de leur trajectoire résidentielle (l’ancienneté facilitant la construction d’une réputation locale de « bonne » assistante maternelle).

(6)En 2008, le salaire net mensuel médian des assistantes maternelles s’élève à 754 euros avec un quart des assistantes maternelles qui perçoivent moins de 453 euros mensuels et un quart plus de 1103 euros (Tesson et al., 2010:100).

(7)Avec 6,8 euros brut de l’heure en 2005 (soit moins que le SMIC horaire brut de 8,03 euros de l’heure à cette date), les assistantes maternelles gagnent moins que les aides à domicile (7,7 euros), les employées de ménage (8,4 euros), les aides-soignantes (9,7 euros) et les auxiliaires de puériculture (10,1 euros) (Cresson et al., 2010).

(8)Les évolutions structurelles des conditions de travail et d’emploi des salariés ont contribué à modifier les termes de la demande de garde : la réduction du temps de travail des parents et la multiplication de leurs horaires flexibles tendent à limiter le nombre de gardes « pleines » pour les assistantes maternelles, soit cinq jours complets par semaine (Aballéa, 2005).

(9)

aux conditions d’emploi et de travail difficiles, appartenant aux fractions hautes des classes populaires ou bien aux classes moyennes du secteur privé. Les conditions d’emploi de ces assistantes maternelles (« bouts de contrat », baisse de l’acti-vité, interruption de contrat en cours d’année) reflètent en fait celles des parents employeurs (horaires variables ou longs, temps partiel, contrats à durée déterminée...), surtout dans les territoires les plus éloignés des grandes villes(9). Les employeurs aux conditions d’emploi et de travail difficiles imposent aux assistantes maternelles de longues amplitudes de garde, parfois à la source d’un sentiment de « ras-le-bol », qui peut déboucher sur des ralentissements de l’activité, comme le montre bien le cas de R. Leblanc. L’image du « temps partiel » désigne très mal ces situations qui correspondent à une alternance entre des périodes de travail intense et des périodes de relâchement, tantôt voulues, tantôt subies.

Un autre facteur d’irrégularité de l’activité de ces assistantes maternelles des classes populaires est lié au marché local de la garde. Dans les cités d’habitat social de la région parisienne évoquées par R. Leblanc, la difficulté à trouver des contrats est alimentée par la concurrence d’autres assistantes maternelles. Un tel déséquilibre du marché de la garde d’enfants a été rencontré dans des communes rurales de Loire-Atlantique éloignées de Nantes. Dans un contexte de hausse du prix de l’essence, des femmes peu qualifiées résidant loin des villes sont particulièrement concernées par l’arbi-trage entre travailler « à l’extérieur » avec des frais d’essence et de garde conséquents et rester à la maison s’occuper de leurs enfants tout en travaillant comme assistante maternelle. Si, dans une situation de croissance démographique et d’étale-ment urbain, cette offre de garde peut rencontrer la demande de jeunes couples devenant propriétaires de plus en plus loin des villes à cause de la hausse du prix de l’immobilier, des déséquilibres ponctuels ne sont pas à exclure. Ils nourrissent aujourd’hui aussi l’irrégularité de l’activité des assistantes maternelles résidant dans des communes rurales comme dans les cités d’habitat social.

Ainsi, les femmes appartenant aux classes populaires cumulent tendanciellement les facteurs d’une acti-vité d’assistante maternelle irrégulière : problèmes de santé, charges de famille et budgets « serrés » qui contraignent à un arbitrage toujours recommencé entre travail « à l’extérieur » et prise en charge domestique des enfants ou d’autres proches, insta-bilité des employeurs et déséquilibre de certains

marchés locaux de la garde. Ces assistantes mater-nelles se plaignent assez peu, lors des entretiens, de leurs conditions de travail : peut-être parce qu’elles se sentent solidaires des parents dont elles ont pu partager les conditions de travail et, lorsqu’elles sont âgées, parce qu’elles ne peuvent envisager de reconversion professionnelle.

Le temps réduit des assistantes maternelles

de classes moyennes

Parmi les assistantes maternelles sélectionnées pour avoir connu une réduction d’activité en 2008-2009, quelques-unes avaient déjà connu de telles fluctuations d’activité auparavant et s’en sont toujours accommodées positivement, aujourd’hui comme hier. Elles ont en effet essayé d’éviter les semaines « complètes » (trois enfants à temps plein cinq jours par semaine) et les horaires tardifs. Elles ont cherché à ne travailler ni le mercredi ni durant les vacances scolaires : le temps réduit est ainsi pour elles un régime d’activité permanent et apprécié. Dans le corpus d’entretiens, ce profil correspond à quatre femmes qui résident dans l’agglomération nantaise.

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Cet exercice du métier d’assistante maternelle à temps réduit repose sur des propriétés et des ressources sociales singulières qui distinguent ces femmes des autres assistantes maternelles. Elles sont tout d’abord durablement mariées avec un conjoint exerçant une profession intermédiaire ou cadre moyen dans une grande entreprise du secteur public ou privé. Au regard du niveau de salaire du conjoint, le revenu d’assistante maternelle peut apparaître comme « un salaire d’appoint », comme le souligne Claudine Detrez : « Moi, c’est un… Je

considère ça comme un salaire d’appoint… Mon mari a un bon salaire, donc ça va… On n’aurait pas mon salaire, ce serait un peu plus… Ce serait plus difficile, mais on y arriverait ! Par contre, on aurait que le mien et pas le sien, on n’y arriverait pas ! [rire] […] J’avais envie d’avoir quand même un petit… mon petit salaire… Et puis… […] c’est les petits plus… Voilà ! Pour les vacances, pour… Pour acheter des meubles, enfin des choses comme ça, quoi ! C’est… Ce n’est pas vraiment dans… Voilà, le salaire de mon mari, ça paie tout… Les factures, tout pour la maison, tout… Et puis, moi, après, ce que je gagne, c’est en plus… ».

Leur situation conjugale et économique autorise ces assistantes maternelles à négocier leurs horaires

Politiques sociales et familiales n° 109 - septembre 2012

40 Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité (9)Il existe en effet d’importantes disparités territoriales : comme le souligne Anne Eydoux, « dans certaines villes ou quartiers

où il(elle)s sont peu nombreux(ses) par rapport à la demande, les assistant(e)s maternel(le)s sont en mesure de négocier — voire d’imposer — leurs horaires. […] Cependant, d’autres n’ont pas ce choix et acceptent des horaires non standards par nécessité, pour trouver du travail… sans marge de négociation avec les parents » (Eydoux, 2005:51).

(10)

et leurs conditions de travail auprès des employeurs et, plus précisément, à refuser certaines demandes peu ajustées à leurs souhaits. Les pénibilités du travail apparaissent en filigrane dans les entretiens lorsque sont évoquées les pratiques quotidiennes du métier, mais aussi la possibilité de gardes à temps complet ou d’un agrément supplémentaire : l’affairement dans le bruit, la disponibilité constante requise, l’hypervigilance associée à la responsabilité envers les enfants d’autrui, les rela-tions parfois tendues avec les parents… Les propos de Marie-Françoise Brachet le suggèrent :

Parce que ça vous paraîtrait trop, quatre [enfants] ? Parce que, maintenant, il y a le droit…

« Oui, non… Ça me paraîtrait… trop… Ça

dépend aussi après… les heures, quoi ! Parce que, là, en ce moment, c’est bien, je ne les ai pas tous les jours… Mais après quand c’est… tous les jours du lundi au vendredi… De sept heures à… [rire] six heures le soir, c’est lourd ! Moi j’ai envie de souffler un petit peu ! [Rire] ».

Et ça, ça n’est jamais arrivé que vous ayez toute la semaine comme ça ?

« Si, si, c’est arrivé… ».

Oui ?

« Si, si… Ça m’est arrivé… Mais après, souvent,

j’avais le mercredi quand même… Ça m’est arrivé de travailler le mercredi avec des enfants mais… Ça m’est arrivé aussi… Quand ils étaient plus vieux, vers sept-huit mois, les parents les mettaient le mercredi chez la mamie… Très bien ! [Rire]. Comme ça, ça me faisait un jour… Un jour dans la semaine… [Rire]. Je pouvais en profiter avec mes enfants… [Silence] ».

Dans cet exemple, le temps réduit est principale-ment justifié de façon positive (s’occuper de ses enfants, être avec son mari). Mais on perçoit aussi que le temps réduit constitue une façon d’alléger la pénibilité du travail. Il autorise « une coupure », permet de « souffler ». Ces assistantes maternelles « à temps réduit » ont ainsi l’habitude d’attendre l’employeur qui correspond à leurs critères. Dotées d’un baccalauréat ou d’un BEP d’employé admi-nistratif, un niveau de diplôme plus élevé que les autres assistantes maternelles de l’échantillon et que la moyenne des assistantes maternelles des Pays de la Loire(10), elles disposent de ressources de présentation de soi dont témoignent leur aisance verbale dans l’entretien avec une universi-taire comme leurs activités associatives locales (par exemple, un mandat municipal ou un engage-ment bénévole dans la bibliothèque communale). Les ressources symboliques et langagières sont une condition essentielle d’accès à l’activité à temps réduit : en effet, celle-ci requiert de savoir sélectionner ses employeurs, de s’imposer lors de

la négociation des contrats et, surtout, de « plaire » aux mères enseignantes qui vont apparaître comme une « cible » privilégiée, pour reprendre l’expression d’une des assistantes maternelles. Ce régime d’activité à temps réduit s’appuie, par-delà le cas précis des enseignants, sur les mères appartenant aux classes moyennes du secteur public, susceptibles de travailler elles-mêmes à temps partiel de façon relativement « choisie ». Alors que les assistantes maternelles de condition populaire évoquées précédemment tendent à avoir davantage de contrats instables, celles de classes moyennes bénéficient davantage de contrats stables.

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Comme l’indiquaient les propos de M.-F. Brachet, ces assistantes maternelles trouvent le travail de garde d’enfants pesant et pénible quand, revêtant une trop grande amplitude temporelle, il empêche de pouvoir prendre des rendez-vous et enferme à la maison sans sortir. Ces assistantes maternelles cherchent aussi, en travaillant à temps réduit, à préserver leur famille, à satisfaire aux exigences du rôle de mère et d’épouse telles qu’elles les envisa-gent : il s’agit pour elles d’être avec leurs enfants, mais aussi leur mari retraité le mercredi ou pen-dant les vacances scolaires. Il peut s’agir égale-ment de dégager un temps pour des activités per-sonnelles (aérobic, patchwork, encadrement…). Côtoyant d’autres assistantes maternelles dans leur commune et parfois critiquées par les encadrantes du RAM ou de la PMI, ces assistantes maternelles à temps réduit ont conscience d’être une minorité privilégiée. Elles connaissent les contraintes des femmes dont les conjoints ont des situations pro-fessionnelles précaires, comme le laisse entendre C. Detrez :

« Oui ! Ma copine est… fonctionne un peu

comme moi… Elle garde son mercredi, elle… Voilà ! Après… Il y en a qui… C’est vrai que, moins on travaille… Les salaires ne sont pas énormes après, donc… Si on veut vraiment… Avoir un salaire correct, il faut travailler… à temps plein…[…] Il y en a de plus en plus là qui passent à quatre…[…] C’est vrai que, quand on a deux petits salaires, enfin c’est… Je comprends que… Après on a moins le choix… Ou un mari qui tombe au chômage, il y en a certaines dont les maris ont perdu leur travail et elles sont… obligées de passer à quatre… Même si ce n’est pas quatre à temps plein… Le quatrième, c’est quand même un petit… complément, quoi ! ».

À ces discours des assistantes maternelles à temps réduit, sensibles aux conditions de travail plus difficiles de certaines de leurs collègues, peuvent

(11)

faire écho des propos plus réprobateurs des assis-tantes maternelles de condition populaire envers ces assistantes maternelles très exigeantes en terme de temps de travail, qui sélectionnent les parents. Une logique de distinction s’exprime ainsi dans les interactions quotidiennes entre ces deux popula-tions d’assistantes maternelles, logique qui renforce symboliquement la différenciation de classe : une étudiante(11), observant des « matinées récréa-tives » organisées par une association d’assistantes maternelles de Nantes, a repéré le clivage oppo-sant ces deux catégories de professionnelles qui se matérialise dans l’organisation même du lieu, par une séparation physique entre les deux groupes qui se partagent la même salle. Les sociabilités professionnelles sont aujourd’hui le lieu de confrontations symboliques entre ces différentes populations d’assistantes maternelles :

« Voici quelques discussions que j’ai pu entendre

avant le commencement de la réunion : ”Mon

mari est cadre, je le vois rarement. On ne se voit que le week-end, c’est pour ça que, lorsqu’il prend des vacances, on part se ressourcer rien que tous les deux”. ”Le mien, c’est pareil, il travaille beaucoup ; avant je restais toute la journée seule ; mes seules sorties étaient d’aller à l’école chercher ou emmener mes enfants. Cette situation ne pouvait plus durer, il fallait que je trouve une occupation et là, le fait d’avoir les petits à la maison, je me sens occupée et, surtout, indépendante, je n’aime pas être entretenue, et avant c’était le cas !”. Pour les

assistantes maternelles de Nantes, pour en avoir parlé avec elles, toutes disent qu’elles travaillent non dans le but de trouver une occupation, mais plutôt et avant tout, pour des raisons financières.

”Sans mon salaire tous les mois, mon mari et moi, on ne pourrait pas vivre correctement, on se priverait tout le temps ; on ne pourrait pas assurer au niveau financier”. ”Moi, c’est pareil, je viens d’emménager dans ma maison, on est parti sur plusieurs années au niveau du crédit, je ne peux pas me permettre d’arrêter de travailler” ».

Réduction du temps de travail et

stratégies de mobilité professionnelle

Un dernier profil se dégage, celui d’assistantes maternelles réduisant leur activité en vue d’une sortie du métier « par le haut ». Encore plus mino-ritaire que celui des assistantes maternelles appar-tenant aux classes moyennes, ce profil correspond à un rapport au métier à la fois très particulier mais en même temps révélateur d’un sentiment de dévalorisation professionnelle et sociale exprimé par plusieurs enquêtées. Deux assistantes maternelles

sont ainsi engagées dans une logique de promotion professionnelle. Si elles tiennent un discours très proche, évoquant des « trajectoires d’émancipation » singulières, elles incarnent toutefois plus largement les aspirations professionnelles d’autres assistantes maternelles.

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Les deux enquêtées habitent en Haute-Vienne et ont réduit leur activité (donc leur temps de travail) pour préparer le CAP petite enfance. Au moment de l’entretien, elles envisagent de passer le concours d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) et l’une des deux travaille en crèche depuis un an. Ces deux femmes se diffé-rencient assez nettement des autres assistantes maternelles, par un ensemble de caractéristiques sociales communes et un discours analogue sur le métier d’assistante maternelle et sur leur condition de femmes. Originaires des classes populaires, mariées à des hommes employés (l’un est gardien dans un établissement scolaire, l’autre magasinier dans un commerce), elles sont âgées d’environ 35 ans et ont chacune deux enfants, dont le plus jeune a au moins 5 ans quand elles commencent à préparer le CAP petite enfance. À la différence de la plupart des autres enquêtées, elles ont eu leurs enfants un peu plus tard (autour de 25-26 ans) et ne sont pas issues de familles nombreuses ; leurs propres mères ont travaillé comme salariées rela-tivement tôt. Leurs conditions d’entrée dans le métier d’assistante maternelle sont assez similaires : elles ont d’abord travaillé dans le commerce comme serveuses, vendeuses ou caissières. Sans idéaliser ces emplois, ces deux femmes se décrivent comme de « bonnes collègues », appréciées pour leur bonne humeur et leur sérieux, et valorisent d’autant plus cette sociabilité au travail entre femmes employées qu’elles en ressentent progres-sivement le manque au bout de quelques années d’exercice du métier d’assistante maternelle. Elles sont devenues assistantes maternelles après un congé parental pour leur deuxième enfant, au moment où elles ont souhaité reprendre le travail sans parvenir à concilier contraintes professionnelles et contraintes familiales, contraintes qui pèsent plus sur elles que sur leurs maris. Elles correspondent donc à un profil relativement minoritaire, celui de femmes qui entrent dans le métier assez jeunes (Cresson

et al., 2010).

Pendant leur congé parental, ces deux assistantes maternelles se sont investies dans la vie de l’école de leur premier enfant, accompagnant les sorties scolaires, dépannant éventuellement des parents et gardant leurs enfants ; elles sont également devenues

Politiques sociales et familiales n° 109 - septembre 2012

42 Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité (11)Compte rendu d’une enquête réalisée, dans le cadre de ses études, par une étudiante en sociologie de l’université de Nantes (2011).

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bénévoles dans des haltes-garderies proches de leur domicile. En d’autres termes, elles accumulent, à l’occasion du congé parental, ce que l’on pourrait appeler « un petit capital de relations sociales » et des « ressources de mobilité » (Retière, 1994). Ce sont précisément ces relations sociales qui les aident à « s’installer » comme assistantes maternelles et, plus tard, à envisager une sortie du métier en discutant notamment des postes d’ATSEM avec des enseignantes.

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Après quelques années d’exercice, les deux enquêtées portent un même regard sur les contraintes asso-ciées au métier d’assistante maternelle. Elles en produisent une représentation très proche et assez négative, qui les distingue là encore des autres enquêtées, même si elles peuvent à certains moments défendre leur travail qui leur procure aussi des satisfactions. Le métier se caractérise, pour elles, par l’ennui et la répétition, enferme chez soi et assigne à la place de « bonne de tout le monde » au sein de la famille (« bonne » des enfants qu’elles gardent, de leurs propres enfants et, surtout, de leurs maris). Le travail d’assistante maternelle est, en effet, dénoncé pour ses effets sur la situation conjugale : le fait de travailler à domi-cile accentue la division inégale du travail domes-tique et familial entre conjoints(12). Les deux enquêtées déplorent la manière dont leurs maris se sont totalement reposés sur elles depuis qu’elles ont pris un congé parental, la situation perdurant lorsqu’elles se sont installées comme assistantes maternelles. Le fait même de travailler à la maison semble avoir rendu leur activité professionnelle invisible, les maris tendant à se percevoir comme les seuls « vrais » travailleurs puisque seuls à exercer leur activité à l’extérieur du foyer. Les deux enquêtées ne supportent plus cet enfermement au foyer et cette dévalorisation d’elles-mêmes, tout comme elles mesurent la faible reconnaissance sociale du métier d’assistante maternelle, par exemple à travers les remarques d’amies ou de voisines qui les envient, persuadées que le métier n’est pas « difficile » et permet de bien « tenir » son foyer et sa famille.

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L’issue, le « salut » est représenté par l’obtention du CAP petite enfance, première étape d’une trajec-toire de mobilité ou même de promotion profes-sionnelle dans l’univers des métiers de la petite enfance. Les deux enquêtées ont éprouvé des diffi-cultés pour s’informer, à savoir connaître l’institu-tion à laquelle s’adresser, les financements possibles,

les procédures, etc. Elles ont toutefois eu des soutiens une fois la démarche enclenchée. Une des assistantes maternelles, Véronique Delage, mentionne notamment le rôle du rectorat ; elle passe le CAP dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Elle explique d’ailleurs avoir pris conscience de sa situation de « femme soumise » lors d’une réunion au rectorat. Cette réunion rassemblait une vingtaine de candi-dats à la VAE, aux niveaux scolaires hétérogènes. Un tour de table fut lancé et elle entendit deux hommes, qui préparaient un brevet de technicien supérieur (BTS), dire qu’au sein de leur couple, un accord avait été négocié : leurs épouses avaient elles-mêmes repris des études (BTS comptabilité) et, pendant cette période, ils assuraient avoir assumé l’essentiel des tâches domestiques et fami-liales ; leurs femmes avaient donc pu travailler le soir et les épaulaient désormais. V. Delage confie, en entretien, avoir été très surprise de découvrir que des hommes pouvaient soutenir les projets scolaires et professionnels de leurs femmes, établissant une comparaison avec son propre mari. Elle semble avoir eu très peur de ne pas pouvoir tout gérer (activité d’assistante maternelle même réduite, charges domestiques et familiales, « retour » aux études) et c’est la crainte d’un échec au CAP, et donc d’un enfermement à la maison et dans le métier d’assistante maternelle, qui a progressivement rendu à ses yeux sa situation inacceptable :

« Pendant les cours, ça a été la grosse comédie. [Mon mari] venait toutes les cinq minutes voir ce

que je faisais, s’il n’y avait personne. ”T’es pas

encore couchée ? T’as vu l’heure qu’il est ? La lumière, pendant ce temps, elle tourne et puis, quand tu vas venir te coucher, moi ça va me réveiller”.

Je lui ai dit : ”Là, tu vois, tu ne dors pas, tu ne fais

que venir voir ce que je fais”. J’ai même pas… j’ai

pas été poussée, ni rien, et pendant le stage, il avait promis de m’aider ; il ne m’a jamais aidée ».

La seconde assistante maternelle, Christelle Peyrat, exprime une crainte assez proche : elle s’estime presque trop âgée (35 ans) pour se réorienter professionnellement, même dans le secteur de la petite enfance. Son appréhension rappelle combien l’âge constitue une donnée moins biolo-gique que sociale, la trentaine étant perçue par ces femmes appartenant aux classes populaires et éloi-gnées de l’école depuis longtemps comme un âge presque trop tardif pour tenter une reconversion professionnelle. L’engagement dans une telle reconversion se révèle d’autant plus difficile en l’absence de soutien du conjoint. Selon les deux

(12)On sait que la tendance est au partage inégal des tâches domestiques entre femmes et hommes salariés, qui s’accentue notamment en fonction des écarts de salaire et de l’arrivée d’un enfant qui entraîne souvent un changement de situation professionnelle de la femme (Ponthieux et Schreiber, 2006). Il est plus rarement fait référence au lieu de travail comme facteur d’accentuation des inégalités.

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enquêtées, leurs maris ne les croyaient pas capa-bles d’obtenir le CAP. Dans les deux cas, la prépa-ration de ce dernier et les projets de sortie du métier se sont accompagnés d’une crise conjugale et d’une séparation.

Un dernier facteur incitant les deux enquêtées à réduire leur activité pour se reconvertir repose sur la disponibilité exigée par le métier, difficilement compatible avec le rôle de parent tel qu’elles le conçoivent. Toutes deux valorisent l’accompagne-ment de la scolarité et des pratiques de loisir de leurs enfants. C. Peyrat, qui travaille aujourd’hui en crèche, dit avoir renoncé à son métier d’assistante maternelle notamment parce qu’elle ne pouvait pas, en pratique, s’occuper de ses enfants comme elle le souhaitait. Le métier d’assistante maternelle, censé favoriser sa disponibilité, l’a éloignée en fait du rôle de « bonne mère » auquel elle tente de se conformer : elle était certes physiquement présente, mais moralement et nerveusement absente, acca-parée le soir par les derniers enfants qu’elle gardait et par les parents qui « s’attardaient ». Ne pouvant suivre la scolarité de ses enfants, elle exprime le sentiment d’avoir été en quelque sorte « expulsée » de chez elle.

Pour décrire leur situation, ces deux enquêtées utilisent un registre imprégné d’une certaine « psy-chologisation du monde »(13) et teinté d’un certain féminisme. Confrontées à des maris qu’elles perçoivent comme ne croyant pas en elles ou ne les soutenant pas, elles luttent contre ce qu’on pourrait appeler leur « retrait du monde », amorcé avec la maternité (surtout à l’arrivée du deuxième enfant) et renforcé par l’exercice du métier d’assis-tante maternelle. Le « retour au monde » passe finalement par un projet d’abandon du métier afin de surmonter une condition doublement dominée : domination masculine ou de genre, domination sociale :

« [Ce n’est pas mon mari qui m’a incitée à devenir assistante maternelle] Oh, ça l’arrangeait bien ceci

dit ! [Rires] Il arrivait, le repas était fait, tout ! Voilà. Tandis qu’avant, c’était une autre vie. Mais voilà… femme au foyer, enfin… au bout d’un moment, c’est bon ! J’avais l’impression de faire la même chose, d’entretenir tout le monde et moi de me laisser… Oui… j’avais l’impression d’être aux petits soins de tout le monde, de faire toujours la même chose, d’avoir rien d’intéressant à dire,

de… Oui… à la fin, je m’ennuyais […]. C’est que chacun prend ses habitudes. Donc voilà…

”écoute, moi j’ai fait ma journée, toi t’es à la maison” […]. [En souriant] C’est vrai que… on est

toute la journée, ils sont mignons quoi, mais on est toute la journée avec ces petits pitchouns et tout…

”Qu’est-ce que t’as fait de ta journée ?”. ”Oh … j’ai changé les couches et voilà”. Ça revient

toujours pareil, il n’y a plus de dialogue, il n’ y a plus de communication. Et c’est dur… C’est un très beau métier mais je vous dis que après… pour moi c’est une étape ».

Si ces « trajectoires d’émancipation » restent atypiques, d’autres assistantes maternelles plus âgées ont exprimé une insatisfaction partiellement compa-rable, même si elles n’envisagent pas de quitter leur métier : celui-ci tend à les « enfermer » chez elles et à les isoler, tout en les « expulsant » de leur foyer, notamment parce que les enfants risquent toujours d’« envahir » un espace indissociablement professionnel et privé et que leurs parents ne respectent pas toujours la frontière invisible entre ces deux usages d’un même lieu. Ainsi, on ne peut opposer totalement ces deux trajectoires d’éman-cipation aux autres trajectoires, qui seraient celles de femmes socialisées dans une féminité « tradi-tionnelle », dévouées à leur foyer et à leur métier. Plusieurs enquêtées ont évoqué leur projet de passer le CAP petite enfance, pas nécessairement pour sortir du métier, et d’autres celui de créer des maisons d’assistantes maternelles. Certes, en mentionnant pendant les entretiens enregistrés ces différents projets, les assistantes maternelles rencontrées souhaitent montrer qu’elles sont mobi-lisées professionnellement. Comme on l’a souligné, assimilant plus ou moins les entretiens socio-logiques à des entretiens avec les puéricultrices des PMI, elles manifestent cette réflexivité et cette aptitude à la remise en cause de soi attendues d’elles. Mais on devine aussi des aspirations, en quelque sorte, privées de force sociale chez des femmes qui se sentent trop âgées pour renouer avec une logique scolaire et éventuellement se réorienter professionnellement. Elles expriment ainsi l’espoir d’accéder à un collectif de travail, à un espace autre que celui du foyer, à un titre scolaire – le CAP petite enfance – officialisant en quelque sorte leur valeur professionnelle : comme leur métier s’exerce à domicile, leur travail peut à tout moment basculer dans l’invisibilité.

Politiques sociales et familiales n° 109 - septembre 2012

44 Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité (13)« Psychologisation » que l’on repère à travers des thèmes comme ceux de l’« épanouissement », du « dialogue » et de la « communication », tant au sein du couple que dans le travail, celui-ci devant apporter des satisfactions psychologiques comme le sentiment de « s’améliorer ». Pour une analyse générale de la « psychologisation » de la société française, voir notamment Castel et Le Cerf (1980) ; pour l’étude de dispositifs radiophoniques ayant contribué, dans les années 1960-1980, à la diffusion d’une « culture psychologique de masse » auprès des femmes, voir Cardon et Laacher (2001) ; pour la diffusion de cette « culture psy » au sein de métiers peu qualifiés masculins (les conducteurs de bus en région parisienne), voir Schwartz (2011).

(14)



Conclusion

Une recherche menée dans l’agglomération rouen-naise à la fin des années 1980 pointait l’hétérogé-néité sociale interne à la profession d’assistante maternelle en soulignant l’existence d’une diffé-renciation nette entre les assistantes maternelles agréées et les nourrices « au noir » (De Ridder et Legrand, 1995). Les premières, peu diplômées, relativement âgées et mariées avec des ouvriers, apparaissaient installées dans ce métier. Au contraire, les nourrices « au noir », plus jeunes, avec des enfants en bas âge et des maris agents de maîtrise ou techniciens, à l’avenir social plus ouvert, tendaient à l’occuper temporairement.

La recherche menée en Haute-Vienne et Loire-Atlantique permet de retrouver cette hétérogénéité sociale, cette fois à l’intérieur même de la profes-sion agréée, avec des femmes de classes moyennes qui contrôlent leur temps de travail et des femmes de classes populaires qui le subissent davantage. Comme l’a suggéré l’analyse du cas des assistantes maternelles ayant réduit leur activité dans le cadre d’un projet de mobilité professionnelle, les manières d’exercer le métier distinguées dans cet article caractérisent tendanciellement certaines des femmes rencontrées plutôt que d’autres, mais toutes sont cependant susceptibles de modifier leur pratique du métier d’assistante maternelle. Les

formations dispensées dans le cadre de la poli-tique de « professionnalisation » peuvent, par exemple, contribuer à augmenter les ressources culturelles des assistantes maternelles et les armer dans la négociation des contrats avec les parents employeurs, les aidant à mieux contrôler leur temps de travail. Par ailleurs, la trajectoire sociale familiale de « déprolétarisation » qui caractérise souvent les ménages auxquels appartiennent les assistantes maternelles est aujourd’hui tout sauf linéaire : les réussites mais aussi les chutes sociales (provoquées par un divorce ou un mauvais achat immobilier) peuvent modifier l’équilibre des économies domestiques et influencer la manière d’exercer le métier d’assistante maternelle. En insistant sur la diversité des manières d’exercer ce métier, il s’agit d’inviter à renoncer à des inter-prétations globalisantes des comportements d’acti-vité au moyen de notions telles que celles de « sous-activité » ou de « temps partiel ». Si le caractère aléatoire et fluctuant de l’activité d’assis-tante maternelle renvoie bien, de façon générale, à l’ambivalence fondamentale d’un emploi qui, tout salarié qu’il soit, n’échappe pas à certaines contraintes de l’indépendance, il ne revêt toutefois pas les mêmes significations selon les propriétés sociales et le rapport au travail des femmes concernées. Alors que les assistantes maternelles de classes moyennes sont en mesure de contrôler leur temps de travail, celles de classes populaires sont, au contraire, davantage exposées à des déborde-ments comme à des creux d’activité déstabilisants.

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Politiques sociales et familiales n° 109 - septembre 2012

46 Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité

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