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Le trust de common law et l'exécution forcée en Suisse

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Thesis

Reference

Le trust de common law et l'exécution forcée en Suisse

PEYROT, Aude

Abstract

La présente thèse de doctorat étudie le trust de common law sous l'angle de l'exécution forcée suisse. Les incidences d'un trust sur les droits des créanciers sont nombreuses et les questions qui en résultent souvent délicates. L'ouvrage examine la situation des créanciers respectifs des parties au trust (settlor, trustee à titre personnel et en cette qualité, bénéficiaires). Patrimoines séparés, mise en œuvre de l'effet de ring-fencing (art. 284b LP), conséquences de l'absence de publicité du trust sur les droits des créanciers, responsabilité et poursuite pour les dettes du patrimoine d'un trust (284a LP), saisissabilité des droits des bénéficiaires, reconnaissance du protective et du spendthrift trust, fonctionnement d'un asset protection trust et action révocatoire sont autant de thèmes qui sont explorés dans cette étude. Émaillé de considérations pratiques, l'ouvrage a pour ambition de servir tant les théoriciens que les praticiens du trust.

PEYROT, Aude. Le trust de common law et l'exécution forcée en Suisse . Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2011, no. D. 832

URN : urn:nbn:ch:unige-173398

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:17339

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17339

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Le trust de common law

et l’exécution forcée en Suisse

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A UDE P EYROT

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Thèse de Doctorat

Sous la direction des professeurs Nicolas Jeandin et Luc Thévenoz Faculté de droit de l’Université de Genève

Imprimatur No 832

Références à jour au 30 août 2011

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Le présent exemplaire est déposé conformément à l’art. 46 al. 1 du

Règlement d’études de la Faculté de droit de l’Université de Genève. La

pagination et la présentation interne sont identiques à celles de l’édition

commerciale, à paraître aux éditions Schulthess.

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SOMMAIRE

Introduction 11

PREMIÈRE PARTIE

LE TRUST ET L’EFFET DE RING-FENCING EN DROIT SUISSE Chapitre 1

Le trust dans la perception civiliste 19

Chapitre 2

La distraction des biens du trust 57

Chapitre 3

L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust 81

DEUXIÈME PARTIE

LES DETTES DU TRUST : RESPONSABILITÉ PATRIMONIALE ET POURSUITE EN SUISSE

Chapitre 4

La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust 115 Chapitre 5

La poursuite en Suisse pour les dettes du trust 145

TROISIÈME PARTIE

LA SAISIE DE L’EQUITABLE INTEREST ET LA RECONNAISSANCE DES TRUSTS DE PROTECTION EN SUISSE

Chapitre 6

L’equitable interest et les trusts de protection anglo- américains 183 Chapitre 7

L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse 211 Chapitre 8

La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en Suisse 241

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QUATRIÈME PARTIE

LES CRÉANCIERS DU SETTLOR : ATTEINTES PAR LE TRUST ET ACTION RÉVOCATOIRE DU DROIT SUISSE

Chapitre 9

Les atteintes aux droits des créanciers du settlor 267 Chapitre 10

L’action révocatoire du droit suisse 299

Conclusion 323

Table des abréviations 333

Bibliographie 337

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Introduction 11

INTRODUCTION

I. Objectif, intérêt et cadre de l’étude

La ratification de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance intervenue le er juillet  a marqué une étape dans l’évolution de la pensée juridique suisse. Même s’il ne s’est agi que de reconnaître le trust et non de l’intégrer en droit interne, l’ordre juridique suisse ne s’en est pas moins ouvert au particularisme de la common law.

Par la ratification de l’instrument conventionnel, la Suisse a accepté de re- connaître les trusts per se, i.e. sans requalification de l’institution selon les catégories de rattachement de son droit international privé. Concrètement, elle s’est engagée à donner effet aux caractères du trust hérités de la logique et de l’histoire de la common law, dont certains prennent le contresens de la perception civiliste. Mais la Suisse ne s’est pas pour autant obligée à ad- mettre inconditionnellement et sans réserve toute forme de trusts et toute finalité sous-jacente. La Convention de La Haye veille au contraire à mé- nager aux Etats parties des issues diverses lorsque leurs principes sont trop fortement contrariés par les effets d’un trust. La réception du trust dans l’ordre juridique suisse procède ainsi d’un subtil équilibre entre ouverture et préservation de ses conceptions socio-juridiques traditionnelles.

Cet équilibre délicat se manifeste pleinement lorsque le trust interagit avec l’exécution forcée pour les dettes d’argent. Cette dernière est enten- due dans le cadre de cette étude au sens le plus large comme englobant l’ensemble des problématiques liées à l’insolvabilité et la gestion anticipée de ce risque. Elle recouvre donc mais ne se limite pas à la procédure de mainmise officielle sur les biens du débiteur. Les recoupements entre un trust et le droit de l’exécution forcée sont divers et variés. L’on en donnera un aperçu ci-après.

La constitution d’un trust opère une réorganisation patrimoniale dans la sphère de ses divers intervenants (settlor, trustee, bénéficiaires). Ce réa- ménagement se répercute sur la situation de leurs créanciers respectifs.

Concrètement, les avoirs mis en trust ne sont plus accessibles aux créan- ciers du settlor, au vu de son dessaisissement en faveur du trustee. Ils ne le sont pas davantage aux créanciers personnels du trustee, car ce dernier ne les détient pas pour lui-même mais au profit exclusif des bénéficiaires

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du trust. Les actifs du trust forment en ses mains une masse distincte et séparée de ses biens personnels. Cet effet de ségrégation est désigné dans la doctrine anglo-saxonne par le terme évocateur de “ring-fencing”, qui si- gnifie littéralement “cloisonnement”. Enfin, et malgré l’affectation du trust à la jouissance économique des bénéficiaires, leurs créanciers respectifs ne peuvent venir y puiser directement, car les bénéficiaires ne possèdent dans le trust que des prérogatives individuelles et déterminées à la remise d’avantages patrimoniaux.

En outre, certaines formes de trusts, en sus de la protection des ac- tifs du trust qu’ils opèrent naturellement, cherchent à soustraire les droits individuels des bénéficiaires à l’action de leurs créanciers. Il en va ainsi du protective trust du droit anglais et du spendthrift trust du droit amé- ricain, lesquels restreignent directement ou indirectement la saisissabi- lité de l’equitable interest. Ils sont admis par leur ordre juridique respectif pour autant qu’ils servent à protéger le droit d’un bénéficiaire qui n’est pas simultanément le settlor. Une même finalité est poursuivie par les asset protection trusts issus de la loi de certaines juridictions offshore, à cette différence près qu’ils visent précisément, quant à eux, à protéger les droits économiques établis en faveur du settlor, en tant que bénéficiaire de son propre trust.

Comment l’ordre juridique suisse appréhende-t-il ces divers effets du trust touchant aux droits des créanciers ? Doit-il les mettre en œuvre ? Si oui, comment, et dans quelles limites ? Et si non, pourquoi et en raison de quels principes ? Par ailleurs, dans quelle mesure les biens du trust ou les droits individuels des intervenants sont-ils saisissables, par qui, à quelles conditions et selon quelle procédure ? Telles sont les interrogations qui ani- ment et justifient la présente étude. La thématique est en grande partie nouvelle. Jusqu’ici, elle n’a fait l’objet que d’une attention partielle dans la doctrine. Le présent travail espère ainsi apporter un éclairage utile sur le trust de common law dans ses divers aspects touchant à l’exécution forcée en Suisse.

Le sujet a d’abord un intérêt pratique, dans la mesure où un grand nombre de trusts sont créés par ou en faveur de résidents suisses et/ou sont administrés sur le territoire helvétique. Il présente également un vif intérêt théorique. L’exécution forcée a ceci de particulier qu’elle permet de tester la solidité des mécanismes mis en place. Une institution n’est en ef- fet véritablement efficace que lorsque sa finalité et sa structure résistent à l’épreuve de l’exécution forcée. En outre, si cette dernière éprouve les

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Introduction 13

limites du trust, l’inverse est également vrai. L’institution de common law requiert en effet d’interpréter les principes à la base du droit suisse de l’exé- cution forcée, voire d’identifier leur raison d’être, pour savoir s’ils rejettent ou admettent l’effet du trust en cause et, le cas échéant, de quelle façon.

Relevons encore que simultanément à la ratification de la Convention de La Haye, la Suisse a adopté diverses normes d’accompagnement dans son droit interne. Elles ont pour double finalité de régler le statut du trust en droit international privé (loi applicable, for judiciaire, reconnaissance des décisions étrangères) et de faciliter sa mise en œuvre dans l’exécution forcée. Ces normes ont pris place aux art. a à e LDIP et a et b LP. Les règles conventionnelles et les quelques normes internes précitées forment le cadre juridique à travers lequel la Suisse appréhende l’institu- tion du trust. C’est à l’intérieur de ce cadre que s’inscrit notre étude.

II. Méthodologie

Trois remarques méthodologiques s’imposent.

En premier lieu, notre étude n’est pas un exposé général sur le trust de common law. Elle vise très spécifiquement le thème de l’exécution forcée relative aux créances pécuniaires. Nous avons donc limité la présentation des traits généraux de l’institution au strict nécessaire : seules sont déve- loppées les caractéristiques du trust qui intéressent directement la problé- matique. Nous avons au surplus pris le parti de ne les traiter qu’au moment où elles se révèlent le plus utile, et non de façon condensée au début du travail. Chacune des quatre parties de l’étude comprend un exposé des contours pertinents du trust au regard de la loi étrangère applicable, puis s’attache à les examiner dans une perspective suisse.

En second lieu, nous avons choisi d’examiner le trust à travers le droit de deux ordres juridiques, à savoir, d’une part, le droit anglais et, d’autre part, le droit américain, tel qu’illustré par les législations uniformes et les œuvres de codification. Notre travail s’intéresse aussi ponctuellement à la loi de certaines juridictions offshore et de façon plus substantielle dans le cadre du chapitre  relatif aux assets protection trusts. L’analyse croisée de ces divers droits permet d’appréhender l’essentiel des solutions prévues par le droit de common law. Le droit anglais constitue le droit originel du trust.

Il incorpore la vision traditionnelle qui prévaut en la matière et se place en

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gardien des concepts classiques. Le droit américain, tout en restant tradi- tionnel, a parfois emprunté des voies divergentes dont certaines ont une incidence directe sur l’exécution forcée. Quant au droit des juridictions offshore, il a fait évoluer le concept de trust vers des horizons nouveaux sur la base de considérations essentiellement commerciales. Tout en re- connaissant l’importance capitale de ce droit en pratique, nous avons dû renoncer à l’idée de le présenter de façon systématique, au vu de la multi- tude de juridictions offshore et la variété de solutions qui entrent en ligne de compte.

En troisième lieu, nos réflexions se concentrent sur les trusts privés exprès (private express trusts) créés volontairement par le settlor, entre vifs, dans un but de planification patrimoniale, et en faveur de bénéficiaires déterminés. Notre étude laisse délibérément de côté les trusts charitables (charitable trust), les trusts testamentaires (testamentary trust), les trusts d’affaires (business trusts), les trusts implicites résultant d’une opération de la loi (resulting trust), etc. Les traiter tous n’aurait pas été envisageable dans le cadre limité de cette recherche. Notons toutefois qu’ils posent des problèmes similaires et appellent des solutions semblables aux trusts pri- vés exprès créés entre vifs. Il convient de réserver le cas des constructive trusts, créés par décision de justice, qui répondent à une logique propre et ne relèvent pas du champ de la Convention de La Haye. Dans la mesure où ils ont été examinés par la jurisprudence suisse, il se justifiera néanmoins de leur consacrer quelques brèves considérations (cf. infra p. ).

III. Plan

Notre étude est conçue en quatre parties qui s’organisent autour du trust et de ses divers protagonistes. Ces parties peuvent être appréhendées distinc- tement les unes des autres. C’est toutefois dans leur mise en parallèle que se révèle l’essence de la thématique.

La première partie est consacrée à l’effet de ring-fencing immanent au trust, soit au caractère séparé des avoirs du trust dans le patrimoine du trustee et à leur indisponibilité corollaire vis-à-vis des créanciers person- nels du trustee. Le chapitre  expose le régime de propriété qui prévaut dans un trust, la justification théorique de l’effet de ring-fencing, et la façon dont le régime patrimonial du trust peut être transposé dans la logique

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Introduction 15

civiliste. Le chapitre  traite de la concrétisation de l’effet de ring-fencing en droit suisse via l’octroi d’un droit de distraction à l’art. b LP. Il examine la conformité de ce droit avec la systématique suisse et ses modalités pro- cédurales. Le chapitre  examine les rapports entre l’effet de ring-fencing et le principe suisse de publicité. Il propose une clé de lecture du nouvel art. d LDIP, qui s’écarte de l’interprétation donnée par le Message du Conseil fédéral et de la doctrine majoritaire suisse.

La deuxième partie porte sur la problématique des dettes issues de l’ad- ministration régulière du trust et des “créanciers du trust”. Le chapitre  présente la dualité d’approches (traditionnelle et moderne) qui prévaut en matière de responsabilité pour dettes en droit des trusts et en tire quelques observations sur la nature de l’institution. Le chapitre  transpose ces deux approches dans le droit suisse de l’exécution forcée et examine les mo- dalités de la poursuite. Nous entreprendrons dans ce cadre une analyse critique du nouvel art. a LP.

La troisième partie traite de la situation des créanciers du bénéficiaire d’un trust. Le chapitre  expose la nature de certains droits (parmi les plus fréquents en pratique) que le bénéficiaire peut détenir dans un trust.

Il traite également des protective et spendthrift trusts, dont on a vu qu’ils tendent à soustraire les prérogatives du bénéficiaire à la mainmise des créanciers. Le chapitre  passe en revue la saisissabilité des divers types d’equitable interests à la lumière du droit suisse. Le chapitre  étudie la question de la reconnaissance des trusts de protection en droit suisse sur la base des règles de la Convention de La Haye.

La quatrième et dernière partie traite des créanciers du settlor. Le cha- pitre  évoque en premier lieu la façon dont leurs droits peuvent être mis en danger par la constitution d’un trust, en particulier d’un asset protec- tion trust reposant sur la loi d’une loi offshore moderne. Le chapitre 

visite enfin le moyen révocatoire du droit suisse et son application au trust.

Nous achèverons cette étude en dressant un bilan de la rencontre des trusts et de l’exécution forcée dans l’ordre juridique suisse.

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1. Le trust dans la perception civiliste 17

PREMIÈRE PARTIE LE TRUST ET L’EFFET DE RING-FENCING

EN DROIT SUISSE

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 19

Chapitre 1

LE TRUST DANS LA PERCEPTION CIVILISTE

Ce premier chapitre vise à exposer le régime des biens qui prévaut dans un trust de common law et la façon dont il peut et doit être transposé dans la logique civiliste. La première section brosse un portrait général de l’ins- titution à travers trois définitions et présente son régime de propriété en mettant l’accent sur l’effet de ségrégation qu’il opère (ci-après I). La se- conde étudie le concept de patrimoine, tel qu’il existe en droit civil, dans ses versions subjective et objective. Elle examine par ailleurs la notion de patrimoine séparé développée en droit suisse (ci-après II). La dernière section traite de la façon dont le trust doit être reçu dans la systématique civiliste, en particulier quant à savoir s’il peut être transposé dans ladite notion de patrimoine séparé (ci-après III).

I. Les fondements du trust

A. Définition et caractéristiques fondamentales

Il n’existe pas de définition unique du trust. Compte tenu de la variété de contours qu’elle peut prendre, l’institution se laisse difficilement enfermer dans une définition stricte1. Le terme “trust” a été décrit comme “versatile and chameleon-like, taking its meaning from its context, which has to be closely examined to reveal the full ramifications of the concept.”2 Le trust ne se prête pour cette raison qu’à des quasi-définitions3. Celles-ci varient au surplus en fonction de leur finalité. Celles qui ont une vocation internatio- nale sont formulées de façon volontairement large, voire floue, afin d’englo- ber dans leur champ une certaine diversité d’institutions juridiques4. Elles

1 Mitchell, Hayton & Mitchell, p. 5, N 1-16 ; Von Overbeck (Convention), p. 32.

2 Principes de Droit Européen du Trust, commentaire, p. 29.

3 Mitchell, Hayton & Mitchell, p. 5, N 1-16 ; Von Overbeck (Convention), p. 32.

4 Dyer (Introductory Note), p. 279 ; Von Overbeck (Convention), p. 32.

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favorisent en outre la technique descriptive à des fins didactiques. Quant aux définitions anglo-saxonnes, elles ont l’avantage d’un plus grand degré de précision, mais sont parallèlement plus complexes à saisir dans leur es- sence, car elles s’appuient sur des notions techniques propres à la common law. Aussi se justifie-t-il, pour appréhender l’institution, de se référer à plu- sieurs définitions. Nous en retiendrons trois.

L’on se référera en premier lieu à l’art.  de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance du er juillet 

(ci-après la Convention de La Haye ou la Convention), qui lie la Suisse de- puis le er juillet 5. L’art.  §  décrit le trust comme suit :

“Aux fins de la présente Convention, le terme ‘trust’ vise les relations ju- ridiques créées par une personne, le constituant – par acte entre vifs ou à cause de mort – lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé.”

Cette définition est complétée par une énumération des caractéristiques essentielles que doit revêtir une institution pour être qualifiée de trust au sens de la Convention. L’art.  §  prévoit à cet égard :

“Le trust présente les caractéristiques suivantes :

a) les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ;

b) le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d’une autre personne pour le compte du trustee ;

c) le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.”

L’on s’arrêtera en second lieu sur l’art. I des Principes de Droit Européen du Trust (ci-après Principes de Droit Européen)6, qui constitue une ex- cellente introduction à l’étude du régime de propriété prévalant dans un trust :

5 A ce jour, la Convention de La Haye a été ratifiée par les Etats suivants : Austra- lie, Canada, Italie, Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Monaco, Pays-Bas, Grande- Bretagne et Irlande du Nord, Saint-Marin, Suisse. Elle a par ailleurs été étendue aux unités territoriales suivantes (liste non-exhaustive) : Bermudes, Gibraltar, Guerne- sey, Ile de Man, Iles Vierges Britanniques, Jersey, Montserrat, Sainte-Hélène, Turks et Caicos.

6 Ces principes sont non-contraignants et visent à assister les pays de droit civil à inter- préter et mettre en œuvre la Convention de La Haye.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 21

“() Dans un trust, une personne appelée ‘trustee’ est propriétaire de biens séparés de son patrimoine personnel ; le trustee doit affecter ces biens (le fonds du trust) à l’intérêt d’une autre personne appelée ‘béné- ficiaire’ (beneficiary) ou à l’accomplissement d’un but d’intérêt général7. () Il peut y avoir plus d’un trustee et plus d’un bénéficiaire ; un trustee peut lui-même être un des bénéficiaires.

() La séparation du fonds du trust a pour effet de soustraire celui-ci aux prétentions du conjoint du trustee, de ses héritiers et de ses créanciers personnels.

() Le bénéficiaire a, sur le fonds du trust, un droit personnel propre contre le trustee et contre des tiers auxquels une partie du fonds aurait été transférée sans droit, il se peut aussi qu’il ait un droit réel à l’encontre du trustee et à l’encontre de ces tiers.”

L’on reproduira enfin la définition classique donnée par l’ouvrage anglais Underhill & Hayton, qui reflète la façon dont le trust est traditionnelle- ment appréhendé en droit anglo-saxon : “A trust is an equitable obligation, binding a person (called the trustee) to deal with property (called trust pro- perty) owned by him as a separate fund, distinct from his own private pro- perty for the benefit of persons (called beneficiaries or, in old cases, cestuis que trust), of whom he may himself be one, and any one of whom may en- force the obligation.”8 Le trust est ainsi classiquement décrit comme une obligation particulière issue des règles de l’equity qui oblige le trustee à détenir et administrer la propriété du trust de façon séparée de ses propres biens au profit des bénéficiaires du trust.

Bien que ces trois définitions mettent l’accent sur des aspects distincts du trust, il en résulte de façon explicite ou implicite les éléments communs suivants. Primo, le trust est une relation juridique particulière sur une masse de biens, dénommée “fonds du trust” (trust fund)9, qui a pour ca- ractéristique d’être dépourvue de toute personnalité juridique10. L’absence

7 La version anglaise, plus précise, se lit comme suit : “In a trust, a person called the trustee owns assets segregated from his personal patrimony and must deal with those assets (the ‘trust fund’) for the benefit of another person called ‘the beneficiary’ or for the furtherance of a purpose.”

8 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 2, art. 1.1 (1).

9 Principes de Droit Européen, art. I (3) ; Pearce / Stevens, p. 112 s. Quant aux carac- téristiques du fonds du trust, cf. infra p. 28 s.

10 Böckli, p. 26 s. ; Danon, p. 15 ; Hayton (Law of Trusts), p. 32 ; Thorens (Trust de common law), p. 329.

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de personnalité juridique distingue fondamentalement le trust de la per- sonne morale. Concrètement, le trust n’a donc nulle capacité de s’engager, de posséder, d’acquérir, d’agir ou d’être actionné en justice11. Secundo, le fonds du trust est formellement détenu par le trustee, qui est en est le plein propriétaire à l’égard de l’extérieur. A cet égard, la Convention fait im- parfaitement état du “contrôle” du trustee, ce que l’art. I des Principes de Droit Européen vise précisément à corriger. En sa qualité de propriétaire, le trustee assume les droits et les obligations qui naissent dans l’exercice du trust. Il lui incombe notamment d’agir en justice pour faire valoir les intérêts des bénéficiaires. Tertio, le trustee ne détient pas le fonds du trust pour lui-même mais pour les bénéficiaires du trust qui en ont la jouissance économique exclusive. Concrètement, cette dernière est matérialisée par des distributions du fonds du trust selon les modalités fixées par les termes du trust12. Ces différentes caractéristiques seront développées au fur et à mesure de ce travail, au moment où elles se révèleront les plus pertinentes.

B. Le régime de propriété

1. L’approche instrumentale du droit de la propriété anglo-saxon

Le régime de propriété dans un trust est complexe. Cette complexité tient au contexte juridique dans lequel l’institution a pris naissance et s’est dé- veloppée, qui n’est autre que le droit de la propriété foncière dans l’Angle- terre médiévale et l’évolution parallèle de deux corps de règles, soit la com- mon law et l’equity13. Il n’est pas dans notre propos de relater l’évolution historique du trust, celle-ci ayant déjà été traitée ailleurs et de façon très complète14. Nous nous contenterons d’exposer brièvement l’approche du

11 Fratcher, p. 77, N 95 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall (2005), p. 8, N 1-21 ; Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 3, art. 1.1 (3).

12 Sur les différents droits des bénéficiaires dans un trust, cf. infra chapitre 6, p. 183 ss.

13 Cf. notamment Thorens (Trust de common law), p. 325 : “En effet pour des raisons historiques la notion de propriété en pays de droit civil […] est fondamentalement étrangère au droit de propriété de common law qui est lui l’aboutissement d’une évo- lution plusieurs fois séculaires du droit féodal de la terre qu’a connue l’Angleterre après Hastings.”

14 Sur le droit anglais des biens, cf. Papandréou-Deterville. Sur le développement historique du trust à travers les règles de l’equity, cf. Barrière, p. 57 ss ; Dyer (Inter- national Recognition), p. 1000 ; Dyer / Van Loon, p. 12 ss ; Fratcher, pp. 8 à 23.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 23

droit anglais en matière de propriété. Elle éclaire utilement sur l’aménage- ment des droits dans un trust.

Auteur d’une thèse remarquée sur la réception du trust à travers la fiducie française, F. Barrière relève que le droit anglais procède d’une approche instrumentale de la propriété, qui permet des utilisations éco- nomiques diverses et simultanées sur une même chose. Selon l’auteur : “Le droit anglais de propriété est utilisé afin d’exploiter au mieux l’utilité éco- nomique de la chose. La chose est avant tout analysée dans une perspective économique. Les différent estates ne sont que des traductions en termes juridiques d’une certaine valeur, de certaines prérogatives permettant à son bénéficiaire de bénéficier d’une certaine richesse. […]. Il n’y a donc rien d’anormal dans cette logique à trouver des simultanéités de prérogatives portant sur un même fonds : ceci est une rationalisation maximum des différentes valeurs que le fonds peut receler.”15 Il ressort de cette descrip- tion que le droit anglais permet de créer des droits multiples et variés sur une même chose – qualifiés d’estates, lesquels se divisent eux-mêmes en interests16–, de façon à ce que chaque individu puisse en tirer simultané- ment profit en fonction de l’emploi économique souhaité.

Les comparatistes relèvent que la notion de propriété (ownership) de la common law ne correspond en rien au concept absolu que connaissent les systèmes civilistes17. Il convient ainsi d’éviter de traduire ou de transposer la notion d’ownership dans celle de propriété du droit civil. L’on observera qu’à la suite de certains auteurs anglo-américains18, la doctrine civiliste a pris l’habitude de décrire la propriété dans un trust comme étant “divisée”

ou “dédoublée”19. Cette approche, en tant qu’elle évoque l’existence d’un droit de propriété absolu divisé en deux sous-ensembles, est considérée comme inadéquate par la doctrine anglo-saxonne20. Le même point de vue

15 Barrière, p. 278 s. Sur l’approche instrumentale de la propriété anglaise, qualifiée de

“market-based”, cf. Matthews (Compatibility), p. 3.

16 Sur ces notions, cf. les développements de Thorens (Trust de common law), p. 326.

17 Dyer (International Recognition), p. 1000 ; Matthews (Compatibility), p. 3 ss ; Thorens (Civil Law Lawyer), p. 309 ; idem (Trust de common law), p. 325.

18 Fratcher, p. 8, N 4 : “[…] the creation of a trust normally involves a splitting of own- ership of the subject matter between the trustee, who has some or all of the powers of a proprietor, and the beneficiary, who has beneficial ownership of the subject matter.” ; Pearce / Stevens, p. 97.

19 Cf. par ex. Gubler, p. 468a ; Guillaume (Incompatibilité), p. 4 ; Jauffret-Spinosi, p. 25.

20 Dyer (International Recognition), p. 1000 ; Dyer / Van Loon, p. 17, N 10 ; Smith, p. 333.

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est partagé par J. Thorens : “Lorsque le juriste de droit civil ne voit, par une simplification et un parallélisme aussi abusifs que dangereux, dans le trust qu’une suite de la division de son propre droit de propriété en no- tions analogues à la legal et à l’equitable ownership, il fait abstraction de tout ce qui se trouve en aval et ne peut donc saisir la richesse et les poten- tialités de l’institution telle qu’elle existe et est comprise par le juriste de common law.”21

Il apparaît ainsi qu’au vu de l’approche instrumentale prônée par le droit anglo-américain, le régime de la propriété dans un trust doit plutôt s’entendre comme un cumul de droits divers (interests) aménagés entre le trustee et les bénéficiaires. Les auteurs de Snell’s Equity indiquent à cet égard que les bénéficiaires et le(s) trustee(s) se partagent les “incidents de la propriété” (“the incidents of ownership”)22.

2. Les droits du trustee et des bénéficiaires dans le trust a. Le legal title du trustee

Comme indiqué, le droit anglo-saxon de la propriété permet de créer des droits simultanés sur une même chose. C’est ce qui se produit dans un trust. Selon l’expression consacrée, le trustee est investi du titre juridique, appelé “legal title” ou “legal interest”, sur le fonds du trust23. La notion de

“title” découle du terme “entitled” et n’est qu’une façon de désigner le droit détenu in casu par le trustee24. Les expressions “title” et “interest” sont à cet égard synonymes. Le legal title du trustee le légitime en tant que plein propriétaire à l’égard du monde extérieur et lui confère tous les pouvoirs d’un propriétaire. Le trustee détient toutefois cette propriété dans l’intérêt exclusif des bénéficiaires25. Comme évoqué plus haut dans la définition de Underhill & Hayton26, il est soumis à cet égard à une obligation particu- lière découlant des règles de l’equity qui le contraint à agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires.

21 Thorens (Trust de common law), p. 325.

22 Conaglen [et al.], Snell’s Equity, p. 463 s., N 19-02.

23 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 73, N 2.1 ; Thomas / Hudson, p. 17 s., N 1.14.

24 Pearce / Stevens, p. 91.

25 Mitchell, Hayton & Mitchell, p. 11, N 1-40.

26 Cf. supra p. 21.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 25

Lorsqu’il y a une pluralité de trustees, ceux-ci détiennent les biens du trust en tant que joint tenants, ce qui s’apparente en termes civilistes à une forme de propriété en main commune (Gesamthand)27. D. Hayton et P. Matthews décrivent le régime de la “joint tenancy” comme suit : “There is not only unity of possession, but also of interest (all co-owners’ interest the same), title (all interests derive from the legal event), and time (all interests start at the same time). The co-owners in this case together comprise a single owner. Hence in principle they can only act together.”28 Il apparaît ainsi que chaque trustee possède un droit sur l’ensemble du fonds du trust, à l’exclu- sion d’une part déterminée, de sorte qu’ils ne peuvent disposer de la chose qu’en commun. Par ailleurs, en cas de décès de l’un des trustees, la part de propriété de l’un vient en principe accroître celle des autres et n’entre pas dans son régime successoral29. Les droits et obligations entre co-trustees et à l’égard du fonds du trust sont régis par la loi applicable au trust30.

b. L’equitable title du bénéficiaire

Les bénéficiaires du trust sont pourvus, quant à eux, de l’“equitable title”

ou “equitable interest”, dit aussi “beneficial interest”31. Le terme “equitable”

est sans correspondant en français, puisqu’il dérive directement de l’equity, corps de règles dont sont issus à l’origine les droits des bénéficiaires. L’equi- table title confère aux bénéficiaires la pleine jouissance économique des avoirs du trust32. Ce droit de jouissance est assorti de divers moyens vi- sant à garantir son effectivité. Certains de ces moyens ont un caractère personnel, tandis que d’autres ont une nature réelle33. Le bénéficiaire peut notamment faire valoir des droits personnels (in personam) à l’encontre du trustee, afin de garantir l’exécution régulière des termes du trust par ce dernier34. En outre, il dispose de certains moyens à caractère réel (in rem)

27 Mayer (Trust), p. 66 ; Reymond (Trust), p. 132 ; Thévenoz (Trusts), p. 128 s.

28 Hayton / Matthews, p. 51, N 112.

29 Danon, p. 17 s. ; Fratcher, p. 30, N 36 ; Singer, p. 571.

30 Mayer (Trust), p. 76 ; Thévenoz (Trusts), p. 128 s.

31 Hayton / Matthews, p. 79, N 181 ; Pearce / Stevens, p. 97 ; Singer, p. 503 ; Thomas / Hudson, p. 11, N 1.01.

32 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 5, art. 1.1(10).

33 Cf. Principes de Droit Européen, art. I (4).

34 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 77, N 2.11.

(21)

qui lui permettent de suivre les biens du trust en mains de tiers lorsqu’ils ont été aliénés par le trustee en violation des termes du trust35. Ce droit de suite vaut à l’égard de tous, à l’exception du tiers acquéreur de bonne foi et à titre onéreux (bona fide purchaser for value)36.

Cette mixité de genres dans les moyens à disposition du bénéficiaire rend l’appréhension de la nature de son droit particulièrement complexe.

Cette question a du reste fait l’objet d’intenses controverses au sein de la doctrine anglo-saxonne37. En majorité, la doctrine contemporaine semble toutefois reconnaître dans le droit du bénéficiaire un “proprietary right”38, c’est-à-dire un droit in rem sur le fonds du trust39. Selon Underhill &

Hayton : “Because a beneficiary […] ha[s] proprietary remedies against third parties owning substituted trusts assets ascertained via the tracing process, it is proper to regard beneficiaries under either type of trust as having pro- prietary in rem rights.”40 Notons incidemment que la question de la nature du droit des bénéficiaires se révèle encore plus complexe lorsqu’il s’agit de distinguer selon le type de trusts en cause, en particulier eu égard au trust discrétionnaire. Cet examen ne sera pas entrepris ici, notre propos se voulant avant tout introductif. La problématique sera en revanche abordée dans le chapitre  de cette étude (cf. en particulier infra p.  ss).

Les incertitudes quant à la nature du droit des bénéficiaires se réper- cutent logiquement dans sa transposition dans la systématique suisse. Cela étant, la majorité des auteurs qualifient le droit du bénéficiaire de réel ou quasi réel41, certains précisant qu’il ne faut pas y voir un véritable droit in rem au sens civiliste du terme42.

35 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 77, N 2.12.

36 Hayton (Law of Trusts), p. 169 ; Pearce / Stevens, p. 105 s.

37 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 76, N 2.10 ; Mitchell, Hayton & Mitchell, p. 12, N 1-47 ; Pettit, p. 83 ss ; Reymond (Trust), p. 136 ; Thomas / Hudson, p. 159, N 7.01.

38 Cf. notamment Fratcher, p. 8, N 4 ; Hayton [et al.], p. 77, N 2.12 ; Mitchell, Hayton & Mitchell, p. 13, N 1-52 ; Scott [et al.], Scott and Ascher on Trusts, p. 808.

39 Cf. Pearce / Stevens, p. 92 ; Thomas / Hudson, p. 26, N 1.41 : “Typically, a proprie- tary right is considered to be a right in a specific item of property.”

40 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 79, N 2.15.

41 Moosmann, p. 14 ; Pannatier Kessler, p. 28 s. ; Reymond (Trust), p. 133 ss. Contra : Message (Trusts), p. 571 ; Mayer (Trust), p. 67 ss ; idem (Haager Trust-Übereinkom- men), p. 158 ss ; idem (Organisierte Vermögenseinheit), p. 118 ss, en particulier p. 122.

42 Böckli, p. 20 ; Watt, p. 23.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 27

C. L’effet de ring-fencing et le fonds du trust

La ségrégation des biens du trust (dans la terminologie anglo-saxonne ring-fencing) est une conséquence directe du régime de propriété. Dans la mesure où le trustee ne détient pas ces avoirs pour son propre profit mais pour les bénéficiaires, ceux-ci forment en ses mains une masse distincte qui ne se confond pas avec ses biens personnels. Le lien qui existe entre le proprietary interest du bénéficiaire et la séparation du fonds du trust est mis en exergue par la doctrine anglo-saxonne. Selon A. Dyer et H. Van Loon,

“[l]e procédé du trust, grâce à la théorie selon laquelle le trust appartient en equity au bénéficiaire, empêche les avoirs du trust de se confondre avec les avoirs personnels du trustee, si celui tombe en faillite ou décède.”43 Selon Underhill & Hayton : “Trust property within the separate fund is immune from claims of the trustee’s private creditors because the beneficiaries have equitable proprietary interests in such property, […].”44 Selon D. Hayton et P. Matthews : “In the case of trusts for persons, the segregated ring-fencing is the corollary of the beneficiaries having equitable proprietary interests in the property owned by the trustees as trustees and not as part of their private estate or patrimony.”45 Il apparaît ainsi que la propriété du trust est sous- traite à l’action des créanciers privés du trustee en raison des droits que les bénéficiaires ont dans celle-ci. Ces prérogatives constituent la justification fondamentale de la ségrégation du fonds du trust.

L’effet de ring-fencing est une caractéristique essentielle du trust. Elle est inhérente à toute définition ou description de l’institution. Comme déjà indiqué, l’art.  §  lit. a de la Convention de La Haye la place en tête des traits fondamentaux que doit revêtir une institution pour être quali- fiée de “trust” au sens de la Convention. Selon la règle conventionnelle, les actifs forment une masse distincte (separate fund) et ne font pas partie du patrimoine du trustee (trustee’s own estate). Cette ségrégation est évoquée en des termes similaires à l’art. I () des Principes de Droit Européen et dans la définition anglaise classique du trust d’Underhill & Hayton46.

43 Dyer / Van Loon, p. 20, N 16.

44 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 2, art. 1.1(2) ; Mitchell, Hayton & Mitchell, p. 3, N 1-04 : “The priority of the beneficiaries’ interest over the trustee’s private credi- tors is achieved by giving the beneficiaries an equitable proprietary interest in the trust fund.”

45 Hayton / Matthews, p. 77, N 177.

46 Cf. supra p. 21.

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L’effet de ring-fencing se manifeste dans diverses circonstances et à l’endroit de diverses catégories de personnes : à l’égard de l’épouse ou de l’époux du trustee dans le cadre de son régime matrimonial, à l’égard des héritiers du trustee au moment du règlement de sa succession, enfin, et surtout, envers les créanciers personnels du trustee en cas d’insolvabilité de celui-ci. L’on se référera ici à l’art.  de la Convention, norme centrale qui détermine les effets minimaux de la reconnaissance d’un trust dans les Etats parties. Selon l’art.  § , “[l]a reconnaissance implique au moins que les biens du trust soient distincts du patrimoine personnel du trustee […]”.

L’art.  §  concrétise cette règle générale en précisant que, lorsque la loi applicable au trust le prévoit, cette reconnaissance implique notamment : a) que les créanciers personnels du trustee ne puissent pas saisir les biens du trust, b) que les biens du trust soient séparés du patrimoine du trustee en cas d’insolvabilité ou de faillite de celui-ci, et c) que les biens du trust ne fassent pas partie du régime matrimonial, ni de la succession du trustee.

Rappelons au surplus la teneur de l’art. I () des Principes de Droit Euro- péen, selon lequel “la séparation du fonds du trust a pour effet de sous- traire celui-ci aux prétentions du conjoint du trustee, de ses héritiers et de ses créanciers personnels.”

Le fonds du trust est indifféremment qualifié de “ring-fenced” fund47, de “masse distincte”, de “fonds séparé” ou “ségrégué”, voire de “protected fund”48, termes qui seront utilisés de façon équivalente dans la suite de cette étude49. Il est sujet au mécanisme de la subrogation patrimoniale50. Il comprend non seulement les biens transférés par le settlor (lors de la création du trust ou subséquemment) mais également ceux acquis en remploi51. Sont ainsi soumis à l’effet de ring-fencing tous les biens qui ont été transférés par le settlor au moment de la constitution du trust ou sub- séquemment, de même que tous les avoirs qui ont été acquis par le trustee

47 Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 9, N 1.4.

48 Sur cette notion, cf. les propositions de directives établies par le Groupe international de travail à l’origine des Principes de Droit Européen du Trust, visant à réguler les

“protected funds”, publiée in Towards an EU directive on protected funds, S.C.J.J. Kort- mann, D.J. Hayton [et al.] (édit.), Deventer (Kluwer) 2009.

49 Pour une différenciation des termes “séparation”, “autonomie” et “ségrégation”, cf. Lupoi (Comparative study), p. 377 ss.

50 Thévenoz (Trusts), p. 25 ; Thorens (Trust de common law), p. 329.

51 Principes de Droit Européen, art. III (1). Cf. aussi Hayton [et al.], Underhill & Hayton, p. 2, art. 1.1 (2).

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 29

au cours de l’administration du trust. En pratique, la séparation du fonds du trust est facilitée par l’obligation qui est faite au trustee de maintenir les biens du trust distincts de son patrimoine personnel, mais aussi des autres fonds de trusts. L’on rappellera à cet égard la teneur de l’art. III () des Prin- cipes de Droit Européen : “Sauf disposition contraire des termes du trust, un trustee de plusieurs trusts doit tenir chaque fonds de trust séparé, non seulement de son patrimoine personnel, mais aussi du fonds de chacun des autres trusts.” Au surplus, il appartient au trustee de tenir une comptabi- lité qui rende précisément compte des biens du trust sous gestion52.

Le trustee est ainsi à la tête de deux ensembles de biens soumis à des régimes juridiques distincts. Sur le plan patrimonial, cela signifie que le fonds du trust ne répond pas des dettes privées du trustee, qui viennent exclusivement grever son patrimoine personnel. Concrètement, en cas d’exécution forcée, les biens du trust ne peuvent ni ne doivent être saisis en faveur des créanciers personnels du trustee ou tomber dans sa masse en faillite. Inversement, le fonds du trust n’est tenu que des dettes contractées régulièrement dans l’exercice du trust et touchant à son but53. Cela ne si- gnifie toutefois pas que les deux masses de biens soient absolument et tota- lement séparées. Nous verrons en effet que dans l’approche traditionnelle du droit anglais, les dettes contractées par le trustee à l’égard des tiers et dans l’exercice régulier du trust grèvent en première ligne son patrimoine personnel54.

L’importance de la ségrégation du fonds du trust a été unanimement mise en avant par la doctrine, que ce soit à titre général55 ou dans le cadre de l’art.  de la Convention56. Elle est considérée comme un élément es- sentiel au concept de trust, sans lequel sa reconnaissance serait largement vidée de son sens. Cette vision est partagée tant par la doctrine civiliste qu’anglo-saxonne. Selon J. Thorens : “La caractéristique essentielle du trust actuel à mes yeux est double ; elle consiste bien sûr dans la division de la propriété de certains biens déterminés en legal et equitable rights ayant des titulaires différents mais aussi dans le fait que la gestion et la jouissance de ces biens sont également séparées, la gestion étant dans les

52 Principes de Droit Européen, art. III (3) ; Thévenoz (Trusts), p. 25 s.

53 Principes de Droit Européen, art. III (2).

54 Sur l’approche traditionnelle, cf. infra p. 117 ss.

55 Principes de Droit Européen, commentaire, p. 30.

56 Harris, p. 311 ; Jauffret-Spinosi, p. 55 s. ; von Overbeck (Rapport explicatif), p. 394, N 108.

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mains, en général, du propriétaire légal et les avantages dans celles du ou des equitable owners.”57 D. Piotet relève pour sa part : “Le point qui to- lère le moins de dérogation nous paraît être celui d’un patrimoine séparé soumis à l’administration du trustee ou encore d’une personne agissant pour lui (art.  al. ). Le pouvoir et l’obligation d’administrer du trustee portant sur un patrimoine séparé de ses autres biens nous paraît être l’élément le plus sûr qui permette de caractériser l’institution du trust, tel que soumis à la Convention.”58 Dans le prolongement de cette idée, J.  Harris indique que le principe de ségrégation ne saurait être affecté par les art.  ou  de la Convention – qui réservent les règles impératives du for et les lois d’application immédiate59 – de peur d’anéantir l’essence du trust60.

Les juridictions de droit civil ont également admis un effet de ségré- gation patrimoniale dans certaines circonstances limitatives, mais elles ne l’acceptent pas de façon générale. Cette réticence tient à la conception du patrimoine qu’elles ont généralement adoptée et que nous verrons ci-après.

II. Le patrimoine en droit civil

La notion de patrimoine occupe une place centrale dans les ordres juri- diques civilistes. Le droit suisse en est fortement imprégné. Le Code ci- vil et le Code des obligations sont émaillés de références au patrimoine61,

57 Thorens (Traits caractéristiques), p. 97.

58 D. Piotet (Convention), p. 5.

59 A propos des art. 15 et 16 de la Convention de La Haye, cf. infra chapitre 8, p. 184 ss.

60 Harris, p. 315 ss, en particulier p. 317 : “However, such an interpretation, which would not recognise the separate status of the trust assets from the trustee’s private assets, might be thought to undermine the whole nature of the English-model trust. Article 2 stresses that the separate nature of the assets is a fundamental characteristic of a trust ; a view strongly reinforced by Article 11, which also stresses the protection of the trust assets from the claims of the trustee’s personal creditors. Article 15 should not derogate from these central characteristics, without which ‘the trust, as developed in courts of equity in common law jurisdictions’ is stripped of its very essence.” Cf. aussi Koppenol-Laforce (Convention), p. 37.

61 Cf. notamment art. 189 CC, 342 CC, 481 CC, 745 CC, art. 181 CO, art. 330 CO, art. 521 CO.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 31

tandis que le Code pénal lui consacre un titre entier62, et il constitue bien évidemment un concept-clé du droit de l’exécution forcée. Nonobstant son caractère fondamental, le patrimoine a étonnamment peu occupé la doc- trine suisse. A l’inverse, la notion a fait l’objet d’une attention soutenue dans la doctrine française. Cette dernière s’est employée à en rechercher les fondements dogmatiques et à la systématiser. Il y a ainsi lieu de se référer ci-après aux développements qui lui ont été consacrés dans la littérature juridique française, lesquels reflètent plus globalement la façon dont le pa- trimoine est appréhendé dans la systématique civiliste. Notons que notre propos restera modeste. Il vise à présenter de façon très générale la notion de patrimoine (ci-après A) et les différentes théories qui ont été conçues autour de celui-ci (ci-après B). Cette mise en contexte nous permettra d’in- troduire ensuite le concept de patrimoine séparé tel qu’il existe en droit suisse (ci-après C) et de déterminer s’il peut recevoir le trust de common law (ci-après D).

A. Notion

Le patrimoine est traditionnellement défini dans la doctrine française comme “l’ensemble des biens et des obligations d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit”63. Il faut comprendre par cette dernière expression que “le patrimoine constitue une unité abstraite, dis- tincte des biens et des charges qui le composent”64. La doctrine tire de cette nature d’“entité abstraite” au moins deux conséquences. D’une part, les éléments du patrimoine peuvent fluctuer, notamment ses actifs et passifs peuvent croître ou diminuer jusqu’à disparaître entièrement, sans que cela n’affecte son existence. Il se veut ainsi une entité abstraite parfaitement distincte de ses composantes. D’autre part, le patrimoine est perçu comme une “masse mouvante, sujette à des transformations” qui comprend à ce titre tant les biens présents que les biens futurs de son titulaire65. L’on re- lèvera que la présence des actifs comme des passifs au sein du patrimoine semble désormais acquise parmi les auteurs français, même si la question a fait, voire fait encore, l’objet de certaines discussions66.

62 Cf. art. 137 à 172ter CP.

63 Carbonnier, p. 3. Cf. aussi Colin / Capitant, p. 110 ; Planiol / Ripert, p. 19.

64 Planiol / Ripert, p.19. Cf. aussi Carbonnier, p. 5 ; Colin / Capitant, p. 110.

65 Carbonnier, p. 5. Cf. aussi Colin / Capitant, p. 110 ; Planiol / Ripert, p. 19 s.

66 Cf. à cet égard Raimon, p. 11 ss.

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En Suisse, la notion de patrimoine est présentée de façon similaire. Elle est décrite comme l’ensemble des droits d’une personne67, constituant une universalité juridique68. Un flottement existe quant à la composition du patrimoine. Selon la doctrine suisse, il serait généralement perçu comme représentant la totalité des actifs du titulaire, à l’exclusion de ses passifs69. L’on trouve toutefois des propositions doctrinales divergentes qui incluent ces derniers70. A vrai dire, ainsi que le relèvent certains auteurs, la notion peut s’entendre dans les deux sens en fonction du contexte dans laquelle elle est employée, à savoir soit en tant que patrimoine brut (Bruttovermö- gen) soit en tant que patrimoine net (Nettovermögen)71. Au surplus, en sa qualité d’universalité juridique, le patrimoine est perçu, à l’instar du droit français, comme un cadre distinct des éléments qu’il renferme, lesquels sont soumis au mécanisme de subrogation patrimoniale72. Il comprend en outre tant les biens actuels que les biens futurs de son titulaire73.

B. Théories du patrimoine

1. La théorie classique

La théorie “subjective” ou “personnaliste” du patrimoine a été développée par les juristes français C. Aubry et C. Rau durant la première moitié du XIXe siècle74. Elle s’est imposée en France comme la théorie classique. Elle est dite “subjective”, en ce sens qu’elle justifie l’existence du patrimoine par son appartenance à un sujet de droit. Le patrimoine est perçu comme

67 Meier-Hayoz, p. 78, N 151 : “Vermögen (universitas bonorum) ist nach herrschender Ansicht die Gesamtheit der einer Person zustehenden Geldwertengüter”. De façon iden- tique : Steinauer, p. 57, N 84 ; Von Tuhr, p. 318 : “Das Vermögen im juristischen Sinn des Worts ist die Summe der einem Subjekt zustehenden Rechte.”

68 Meier-Hayoz, p. 77, N 148 ; Steinauer, p. 57, N 83.

69 Dunand, p. 28 ; Meier-Hayoz, p. 78, N 151 ; Steinauer, p. 57, N 85 ; Von Tuhr, p. 324. C’est en effet ainsi que la notion est définie par Marville, p. 77, et Rey, p. 38.

70 Cf. Engel (Traité), p. 36 s. ; Thévenoz / Dunand, p. 491.

71 Meier-Hayoz, p. 78, N 151 ; Von Tuhr, p. 324.

72 Engel (Traité), p. 37 ; Steinauer, p. 57, N 87.

73 Engel (Traité), p. 37.

74 La théorie a été développée dans l’ouvrage Cours de droit civil français d’après la mé- thode de Zachariae dès sa première édition en 1839. La dernière édition à faire état de la théorie de l’unité du patrimoine est la 5e édition par Etienne Bartin, à laquelle nous nous référerons ci-après. La 6e édition par Paul Esmein ne la mentionne plus.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 33

une “émanation de la personnalité” dont il est indissociable75. Le caractère nécessaire de ce lien est illustré par la formule laconique de A. von Tuhr :

“ein Subjekt, ein Vermögen”76. Le patrimoine est envisagé comme le moyen externe nécessaire à la réalisation des aspirations personnelles du sujet.

Il est inhérent à la personnalité, de sorte qu’il apparaît avec l’individu et disparaît avec lui (par sa transmission aux héritiers)77. La cohésion de ses éléments et leur réunion en une universalité juridique résulte de leur sou- mission à la volonté d’un même titulaire78. Selon la formule de C. Aubry et C. Rau, ceux-ci sont soumis au “libre arbitre d’une seule et même volonté, à l’action d’un seul et même pouvoir juridique”79.

La théorie subjective se décline en trois postulats distincts, à savoir que seules les personnes juridiques peuvent avoir un patrimoine, que toute personne possède nécessairement un patrimoine, et que chaque per- sonne n’a qu’un seul patrimoine80. Cette dernière proposition, qui est la plus importante, est couramment désignée “unité” ou “unicité” du patri- moine. Le terme “unité” (Einheit) se réfère à ce qui n’est pas susceptible de division81. Dans la théorie personnaliste, le patrimoine est en effet in- divisible, à l’image de la personnalité dont il est une émanation. Selon C. Aubry et C. Rau, en raison de l’unité de la personne, le patrimoine ne saurait se partager en plusieurs universalités juridiques se distinguant les unes des autres.

L’indivisibilité du patrimoine permet notamment d’expliquer deux phénomènes juridiques centraux communs à diverses traditions civilistes : d’une part, le principe de la succession universelle en droit successoral et, d’autre part, le droit de gage général des créanciers sur le patrimoine du débiteur82. En premier lieu, le patrimoine conserve son caractère d’uni- versalité juridique au décès de son titulaire et c’est sous cette forme qu’il est transmis à ses héritiers. Les personnes qui prolongent la personna- lité juridique du défunt en lui succédant sont précisément qualifiées de

75 Aubry / Rau, p. 335.

76 von Tuhr, p. 313 ss.

77 Aubry / Rau, p. 372.

78 Carbonnier, p. 6 : “Si l’unité se dégage de l’hétérogène, ce n’est que parce que tous les éléments sont soumis au libre arbitre d’une seule et même volonté.”

79 Aubry / Rau, p. 334.

80 Aubry / Rau, p. 336.

81 Raimon, p. 32.

82 Colin / Capitant, p. 110 s.

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“ successeurs universels”83. Ils reçoivent conjointement la succession indi- vise qui ne se dissout qu’au moment du partage84. En deuxième lieu, l’unité du patrimoine se manifeste dans la responsabilité pour dettes. Le débiteur répond en effet de ses dettes de façon personnelle et sur l’ensemble de son patrimoine, lequel constitue le gage général de ses créanciers85. Ce principe est exprimé dans divers systèmes civilistes, notamment dans le Code civil français et le Code civil italien86.

En Suisse, la théorie personnaliste a été embrassée avec moins d’ardeur que dans le système français87. Le lien entre la personne et le patrimoine est néanmoins relevé par certains auteurs. Selon P.-R. Gilliéron, le patri- moine constitue une universalité de droits patrimoniaux qui se caractérise par le fait qu’ils ont le même titulaire88. Ceux-ci “assurent à l’être humain les moyens économiques de son existence et de l’accomplissement de sa volonté”89. Selon A. Meier-Hayoz, “[d]ie in einem Vermögen zusammen- gefassten Rechte sind insofern eine Einheit, als sie ein und demselben Rechts- subjekt zustehen.”90 De la même façon, aux yeux de A. Von Tuhr, “[d]as Vermögen wird zu einer Einheit zusammengefasst durch das Subjekt”91. Les éléments du patrimoine tirent ainsi leur unité et leur cohésion de leur ap- partenance à un même sujet de droit.

83 Aubry / Rau, p. 373.

84 Aubry / Rau, p. 376.

85 Aubry / Rau, p. 366 : “Le patrimoine étant une émanation de la personnalité, les obligations qui pèsent sur une personne doivent naturellement aussi grever son patri- moine.” Cf. aussi p. 368 : “L’indivisibilité du droit de gage établi par l’art. 2092 conduit à reconnaître que tous les biens faisant partie du patrimoine d’une personne sont indistinctement affectés à l’acquittement de toutes ses obligations, […].” En Suisse : Gilliéron (Commentaire), N 19 ad remarques introductives aux art. 1-37.

86 Cf. art. 2284 (anciennement art. 2092) du Code civil français : “Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir.” Cf. aussi art. 2285 (anciennement art. 2093) du même Code : “Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers […]”

Cf. en outre art. 2740 al. 1 du Code civil italien : “Il debitore risponde dell’adempimento delle obbligazioni con tutti i suoi bene presenti e futuri.”

87 La théorie subjective est expressément évoquée par Spinner, p. 18. Cf. au surplus Meier-Hayoz, p. 78, N 153 ; Von Tuhr, p. 320 ss, qui restituent la thèse personnaliste sans toutefois la nommer expressément.

88 Gilliéron (Commentaire), N 21 ad remarques introductives aux art. 1 à 37.

89 Gilliéron (Poursuite), p. 5, N 23.

90 Meier-Hayoz, p. 78, N 153.

91 Von Tuhr, p. 320.

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Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste 35

Quant au principe de l’unité du patrimoine, bien qu’il ne soit pas ex- primé dans nos codes, il n’en demeure pas moins un principe-clé de l’ordre juridique suisse92. Selon la doctrine, il trouve une expression dans le concept de succession universelle en matière successorale93 et commerciale94 (i.e.

en cas de fusion de sociétés). Il constitue surtout le socle du régime suisse de la responsabilité pour dettes. Cette dernière est en effet dite personnelle, générale et illimitée95, ce qui restitue l’idée d’une responsabilité uniforme sur l’entier du patrimoine. Le principe est sous-jacent à l’art.  al.  LP, selon lequel tous les biens saisissables du failli, quel que soit le lieu où ils se trouvent, viennent former au moment de la faillite une seule masse desti- née à désintéresser les créanciers96. Tel qu’il est développé et perçu en droit suisse, le principe de l’unité du patrimoine interdit de diviser le patrimoine ou de distinguer en son sein des masses qui seraient accessibles à des caté- gories différentes de créanciers97.

Il convient de relever que la théorie classique a été fortement critiquée dans la doctrine française en raison de son caractère jugé trop absolu, en particulier en tant qu’elle postule la totale indivisibilité du patrimoine cal- quée sur celle de la personne98. Il lui a été reproché de ne pas savoir expli- quer le phénomène de certaines masses de biens distinctes du patrimoine général, dont elle relève elle-même l’existence, en se contentant d’y voir de simples anomalies99. La doctrine française a dès lors cherché à faire évoluer la thèse classique, voire à lui trouver des substituts dogmatiques. Certains ont fait appel dans cette perspective à la doctrine objective du patrimoine que nous verrons ci-après (ci-après ), tandis que d’autres n’ont pas voulu se résoudre aux extrémités auxquelles cette dernière conduit et prônent

92 Eichner, p. 91 s. ; Thévenoz / Dunand, p. 491 s.

93 Cf. art. 560 CC : “ 1 Les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte. 2 Ils sont saisis des créances et actions, des droits de propriété et autres droits réels, ainsi que des biens qui se trouvaient en la possession du défunt, et ils sont personnellement tenus de ses dettes ; le tout sous réserve des exceptions prévues par la loi.”

94 Cf. art. 181 al. 1 CO : “Celui qui acquiert un patrimoine ou une entreprise avec actif et passif devient responsable des dettes envers les créanciers, dès que l’acquisition a été portée par lui à leur connaissance ou qu’il l’a publiée dans les journaux.”

95 Dunand, p. 29 ; Gilliéron (Commentaire), N 31 ss ad remarques introductives aux art. 1 à 37 ; Meier-Hayoz, p. 78, N 153 ; Von Tuhr, pp. 323 et 325.

96 Meier-Hayoz, p. 78, N 153 ; Steinauer, p. 57, N 87.

97 Thévenoz / Dunand, p. 491 s. ; Von Tuhr, p. 321.

98 Cf. notamment Geny, p. 141 ss ; Planiol / Ripert, p. 21 s.

99 Aubry / Rau, p. 338 s. ; Von Tuhr, p. 331.

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une approche médiane dont les contours semblent toutefois mal définis (ci-après ). Quoi qu’il en soit, l’on peut retenir que la thèse personnaliste, même largement frappée par la critique, n’en demeure pas moins en l’état la théorie classique en France100. J. Carbonnier lui reconnaît notamment une certaine valeur didactique, en ce qu’elle permet d’expliquer de façon satisfaisante le droit de gage général des créanciers chirographaires sur le patrimoine du débiteur et le mécanisme de la succession universelle101.

2. La théorie objective du patrimoine

La théorie objective du patrimoine, désignée sous le nom de “Zweckvermö- genstheorie” ou “théorie des patrimoines à but”102 est traditionnellement attribuée à une partie de la doctrine pandectiste allemande103. Elle a vu le jour dans le cadre du débat sur la personnalité morale qui a animé la doctrine allemande au XIXe siècle104 et a servi par la suite à véhiculer une certaine variété d’idées105. Vu la complexité de ses origines et la diversité de ses applications, il serait tout à fait illusoire d’envisager de la restituer de façon précise dans le cadre de cette étude. Notre seul but est de relever très brièvement son existence en la présentant dans ses grandes lignes, telles que décrites par la doctrine contemporaine.

Dans la conception “objective”, la notion de patrimoine n’est pas expli- quée par son rattachement à une personne, mais par son affectation à un certain but. Cette dernière lie les divers éléments patrimoniaux entre eux et leur donne leur cohésion106. L’accent n’est donc pas mis sur la personna- lité, mais sur la finalité. La théorie objective revient ainsi à désolidariser le patrimoine de la personnalité : celui-ci se conçoit comme une masse de biens qui se justifie avant tout par son but. Poussée à l’extrême, la doctrine objective aboutit au résultat abrupt de l’existence possible de patrimoines

100 Comme le relève Cohet-Cordey, p. 819 s.

101 Carbonnier (1969), p. 14.

102 Sur la théorie des patrimoines à but, cf. en particulier Bellivier, pp. 165-177.

103 Mallet-Bricout, p. 326 ; Thomat-Raynaud, p. 7.

104 Cette théorie a été soutenue par certains pandectistes allemands pour contester l’uti- lité de la théorie de la fiction et de la personnalité morale. Cf. Bellivier, p. 167 ; Dawe, p. 7.

105 En France, elle a été reprise et discutée dans des thèses consacrées diversement à la personnalité juridique. Cf. notamment Saleilles.

106 Cohet-Cordey, p. 820 ; D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 565.

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