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Le théâtre du monde

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Le théâtre du monde

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Le théâtre du monde. Les Alpes , 2000, no. 7, p. 25-29

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4395

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le théâtre du monde

Représenter la montagne, lieu mysté- rieux à l'abord périlleux, fut pendant des

siècles une gageure. Des taupinières styli- sées de la Renaissance aux reliefs ombrés des cartographes du XIXe siècle, le portrait des Alpes marque l'évolution du regard que les hommes ont toujours porté sur elles.

Par ses Res gestae, Auguste fait entrer les Alpes dans l'histoire puisque cette « montagne » fait partie des cinquante-cinq noms géographiques énumérés dans

qante-cinq noms géographiques énumérés dans le document. Cela dit, de nombreux vestiges préhistoriques nous renseignent sur l'ancien-neté du peuplement des Alpes. Et, s'il est évi-dent que les populations n'avaient pas une représentation de leur milieu (les peintures rupestres du val Camonica mises à part), elles en avaient tout au moins une « présentation » suffisamment approfondie pour leur permettre de trouver les moyens de satisfaire leurs besoins.

Si la représentation cartographique des Alpes est relativement tardive, il ne faut pas oublier que le terme « géographie » signifie tout à la fois décrire au moyen d'une langue naturelle et dessiner au moyen d'un langage graphique. Ainsi, la Géographie de Strabon, rédigée en grec, est d'abord un texte devant

servir de base à l'élaboration d'une carte. La fameuse Table de Peutinger, copie du XIIIe d'une carte romaine du IVa siècle après Jésus-Christ, sorte de carte topologique avant la lettre, recense les itiné- raires de l'Empire romain sur lesquels on peut déchiffrer le Grand-Saint-Bernard, Aoste, Coire, pour ne citer que ces toponymes, et bien d'autres encore (voir L'Alpe n° 2). Les premières cartes du XVe siècle ne feront pas la part belle aux montagnes, à commencer par les Alpes. D'abord parce que la représentation en est difficile, mais aussi et surtout parce que la mon- tagne, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, aura mauvaise réputation.

La première grande description des Alpes de l'histoire moderne date du XVI siècle. On la doit à Josias Simler, qui incarne le regard de l'Autre puis- qu'il n'est pas originaire des Alpes à proprement par- ler. Son De Alpibus commentarius, publié en 1574, va donner une représentation complète, pour l'époque, des Alpes. Il s'agit, en somme, d'une sorte d'encyclopédie alpine, qui, par son caractère systé- matique, deviendra un modèle pour les travaux ulté- rieurs. On peut y trouver le découpage classique des Alpes : Maritimae, Cottiae, Graiae. Peninae, Raetia et Noricum. L'œuvre de Simler n'est évidemment pas la première à s'intéresser aux Alpes, sur lesquelles on disserte depuis l'Antiquité, mais c'est probable- ment la plus systématique. Dès la préface, Simler met en évidence le rôle très particulier de la montagne :

« Dans n'importe quelle partie du monde on ren- contre également des plaines et des montagnes ,■

CLAUDE RAFFES7IN Diplômé en géographie, en sciences économiques, recherches et enseignant, vice-recteur de l'université de Genève, membre de divers

conseils et commissions problèmes économiques, ques ou d'aménagement

du territoire, il a en outre 25

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cependant, sans que je puisse me l'expliquer, celles- ci, avec leur élévation merveilleuse, frappent nos esprits et les ravissent d'admiration bien plus que celles-là avec leur vaste étendue de pays plat. »

L'effet de la montagne sur l'homme est à ce point puissant qu'il est immédiatement explicité : serait-ce parce que les « hauteurs » ont été créées pour le service des dieux ou que, selon une croyance popu- laire, les hauts lieux sont l'habitat naturel des divini- tés protectrices ? En tout cas, cette fascination pour la montagne n'est pas récente car elle a traversé toute l'histoire humaine des origines à nos jours et Simler, qui s'en fait l'écho, n'en est qu'un témoin parmi beau- coup d'autres. En bon humaniste, Simler s'est inté- ressé à l'origine du toponyme « alpe » qu'il assimile au latin album (blanc) ou à des mots grecs, suivant en cela Strabon. Préoccupé, comme avait pu l'être Hérodote dont la passion pour les mesures est connu, Simler s'est efforcé de donner des informations sur la lon- gueur, la largeur et la hauteur des Alpes. Bien que sujettes à caution, les estimations qu'il a pu faire, en s'abritant derrière l'autorité d'auteurs anciens, ne sont nullement irrecevables : autour de cent cinquante kilo- mètres pour la largeur entre l'Italie et l'Allemagne et de mille cent kilomètres pour la longueur.

Évidemment, il éprouve, et pour cause, les plus grandes difficultés à évaluer les altitudes (faute d'une instrumentation encore à inventer) à propos des- quelles ses sources sont encore plus incertaines. Par ailleurs, à côté de notations sur les eaux, les minéraux, les plantes et les animaux, Simler a consacré un inté- ressant chapitre aux difficultés et aux dangers de la circulation dans les Alpes. Chapitre d'une grande modernité, car il évoque les risques qui ne seront pris en compte par le monde savant que beaucoup plus tard. Il a insisté sur l'étroitesse des chemins et des routes, les dangers d'éboulement, la glace et de la neige, les avalanches, le froid et les tempêtes. Très probablement est-il à l'origine de certains jugements négatifs qui impressionneront les voyageurs au cours des siècles suivants et qui alimenteront la prévention de beaucoup à l'endroit de la montagne.

Quoi qu'il en soit, Simler a écrit les premières pages de la littérature alpine à une époque où l'on fai- sait peu de place à la montagne. Il ne possède pas

l'expérience de l'habitant mais celle du voyageur qui, d'ailleurs, s'appuie sur l'autorité des textes consultés.

Il est encore, en cela, très proche de Strabon qui, le plus souvent, préfère les textes à ses observations sur le terrain. Simler n'est pas géographe au sens moderne du terme, il est humaniste et choisit l'obser- vation documentaire plutôt que l'observation directe.

Son regard est médiatisé par le document comme le sera celui de beaucoup d'autres jusqu'au XIX8 siècle.

De la carte

comme élément décoratif

Les Européens ont accepté d'affronter la montagne, après le XVIe siècle, pour connaître l'Italie. Cette connaissance obligée contraint dé" passer le Mont- Cenis, le Saint-Bernard, le Simplon, le Saint-Gothard ou le Brenner. C'est probablement entre la fin du XVIIe et le début du XVII? qu'est née cette tradition du voyage vers l'Italie qui débute avec le Grand Tour des jeunes universitaires anglais pour culminer au XXe siècle avec André Suarès, passant, entre autres, par Goethe, Michelet ou Dumas.

À l'époque de Simler, la cartographie des mon- tagnes est encore rudimentaire et ce n'est pas la carte du Valais de Sebastien Munster (1544) qui nous démentira. Encore orientée à l'est, celle-ci nous montre des montagnes stylisées représentées par des triangles irréguliers. Du même, la carte du lac Léman, orientée au sud, figure les montagnes par de petits monticules accolés les uns aux autres. Dans le même ordre d'idée, on peut citer la carte de 1589, attribuée à Fornazeris, le Vero Disegno del Lago di Genava.

Dans la sphère d'influence italienne, il s'agit d'une image de l'art cartographique de la Renaissance qui doit beau-coup à la technique picturale. La carte, à la fois image et instrument, est souvent un élément de décoration à cette époque. Celle de Luca Bertelli de 1590, orientée au sud-est, nous laisse découvrir les Alpes depuis les hauteurs du Jura. Quand Judocus Hondius, en 1630, représente la région lémanique, il continue de figurer les montagnes par des cônes ombrés qui donnent l'im-pression du relief. La carte du Léman et du duché du Chablais de Jean Blaeu, datée de 1663, n'est pas moins fantaisiste quant à la figuration des montagnes.

En vignette page précédente : cette Europe, orientée sud vers le haut (un mode d'orientation souvent utilisé à cette époque) est l'une des cartes que Sébastien Munster reprit à la Géographie de Ptolémée pour son grand œuvre, la Cosmographia universalis, qui connut de nombreuses éditions à partir de 1544 (collection bibliothèque municipale de Chambéry, cliché E Beccaro).

" Les cartes dessinées ou gravées aux XVIe, XVIIe et même au XVIIIe siècle ne sont pas encore des documents à caractère spécifique. (...) La montagne, plus que tout autre détail, est exprimée "de sentiment" comme il est dit dans les ouvrages de l'époque. (...) On parle de

"portrait" pour une carte régionale et de "théâtre"pour un atlas» (Line Sallmann, in Images de la montagne, BNF, 1984).

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Le Vero Disegno del Lago di Genova de Fornazeris, 1589, et, ci-dessus, une carte de la Suisse, elle aussi orientée vers le sud.

Cette Helvetiae descriptio de l'atlas d'Ortelius (1574) est une déclinaison de la carte établie en 1538 par Aegidius Tschudi (archives de Savoie).

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En revanche, Nicolas Sanson d'Abbeville, également en 1663, représente l'école française de cartographie.

Avec lui et pour la première fois, les montagnes du duché de Savoie apparaissent sous forme de chaînes avec leurs systèmes de vallées.

Le cartographe et le géographe

Pour avoir de meilleures cartes, il faudra attendre la fin du XVIIe siècle. On peut citer, par exemple celle de Hans Conrad Gyger représentant le canton de Zurich, assortie d'un commentaire, et dont le pouvoir poli- tique s'emparera immédiatement. Cluverius donnera une carte de la Rhétie et de la Valteline. La grande période de la cartographie sera l'extrême fin du XVIIIe et surtout le XIXe siècle. Entre 1796 et 1802, une carte de la Suisse fondée sur un début de trian- gulation sera levée par J.-H. Weiss de Strasbourg et J.-E. Millier d'Engelberg. Dès 1810, on multiplie les efforts en vue d'établir une carte fédérale uniforme mais c'est le Genevois Guillaume-Henri Dufour qui établira selon des principes scientifiques une carte topographique de la Suisse (en vingt-cinq feuilles) au

1/100 000, publiée de 1842 à 1864. Œuvre d'une grande précision pour l'époque qui lui vaudra une médaille d'or à l'exposition géographique internatio- nale de Paris en 1875. Son successeur à la tête du bureau topographique fédéral, le colonel Hermann Siegfried, développera l'Atlas topographique de la Suisse avec des cartes au 1/50 000 dans les régions alpines et au 1/25 000 dans les régions de plaine. Ce sont ces cartes qui ont fourni des éléments extra- ordinaires, à l'époque et jusqu'à aujourd'hui, pour la connaissance géographique des Alpes suisses.

Sans tomber dans le travers des formules auquel un Genevois avait succombé au retour de l'ex- position de 1875, il n'est peut-être pas absolument faux de prétendre que le XIXe siècle a été celui de la cartographie, celui de la cartographie scientifique s'entend. Dès ce moment-là, la cartographie devient une science à part entière, indépendante de la géo- graphie, mais à laquelle elle apporte des instruments de précision qui vont lui permettre de se développer plus rapidement. Le fameux commentaire de carte, si cher à l'école française de géographie, en témoigne éloquemment.

En haut : Partie septentrionale des Estats de Savoye (détail) de Nicolas Sanson d'Abbeville, 1663, une première représentation des chaînes de montagne.

Ci-contre : beaucoup plus élaborée, la Carte géométrique du Haut-Dauphi et de la frontière ultérieure levée par ordre du Roi, sous la direction de M. de Bourcet pendant les années 1749 à 1754 et dressée par Villaret.

Voir l'article en p gesa suivantes (détail de la planche consacrée à Grenoble etl'Oisans. Tirage de 1758, collection Musée dauphinois).

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