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Entre la vie et la mort

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1192 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 30 mai 2012

Il est coutumier d’utiliser une telle expres­

sion pour un blessé grave pour lequel il est impossible de prévoir l’issue de son état dans un laps de temps restreint. Ici, nous voulons prendre cette même expression pour signifier, au sens large, notre situation existentielle à nous tous, sans cesse placée entre notre vitalité quotidienne qui persiste depuis notre naissance, et la mort en tant qu’issue finale de notre existence même. Et cela à plusieurs niveaux de conceptualisa­

tion. Nous allons du «suicide cellulaire»,

nommé «apoptose», jusqu’aux impulsions suicidaires chez une personne adulte. Nous allons de l’impression que l’augmentation progressive de l’espérance de vie puisse un jour aboutir à la surprise existentielle con­

sistant en la possibilité de choisir nous­

même la date de notre mort, à la déception intrinsèque suscitée en nous par la mort d’un centenaire : pour quelqu’un qui est mort encore assez jeune il y avait la pers­

pective d’imaginer que cela aurait pu être évité, mais hélas, la mort d’un centenaire nous confirme que la vie est coincée entre des limites qui au fond ne dépendent pas de nous.

Chaque histoire personnelle s’insère dans l’histoire de l’Humanité tout entière : tous nos aïeux sont morts, et cela n’était pas dû à un manque de connaissances suffisantes des lois de la Nature, non plus qu’au fait que, par exemple, la médecine de jadis n’était pas encore assez performante.

Nos descendants, nous le savons d’ores et déjà, même s’il y aura vraisemblablement de nouvelles avancées technologiques, sont tout autant destinés à mourir. Ce qui, d’autre part, suscite en nous aussi bien un esprit de résignation et un certain malin plaisir, en sachant qu’il n’y aura pas des privilé­

giés à cet égard.

La mort de tous, ou même une mort col­

lective, comme lors de guerres ou de catas­

trophes, est moins dure à endosser que la mort isolée d’un de nos enfants, d’un de nos amis, et surtout de nous­même. Pau vres et riches, sains et malades, savants et in­

cultes, croyants et incroyants, tous égalisés par une loi impitoyable et n’octroyant ja­

mais de vraies prolongations.

L’existence de maladies auto­immunes pourrait à la rigueur nous faire espérer qu’en réduisant au minimum tout proces­

sus d’auto­agression, nous pourrions finir par avoir, par ruse, une quelconque in­

fluence sur la mort. Tout autant qu’en ré­

duisant le taux de suicides, les agressions meurtrières, les sports extrêmes, la négli­

gence hygiénique, nous pourrions peut­être entrevoir des pourparlers avec la mort aptes à établir des conditions plus acceptables.

Néanmoins, les «check up»

sys témati ques, la prudence, un degré raisonnable d’hypocon­

drie, aussi bien que l’éventua­

lité d’un suicide assisté, ne nous offrent pas des garanties quant à la perspective de parvenir justement à pactiser avec la mort.

Bref, le rapport entre Eros et Thanatos se configure à sa base comme inégal, biaisé, illusoire. Ce qui correspond plus ou moins au rapport inégal entre plaisir et douleur, entre gratification et frustration, entre espoir et désespoir.

Autant vaudrait­il, pourrait­on penser, se construire soi­même des désirs suicidaires aptes peut­être à déjouer la peur de la mort, à se complaire dans des propos masochis tes déjouant ainsi l’emprise de la souffrance, à s’humilier d’avance pour ne pas être trop dévalorisé par l’échec, le vieillissement, la démence.

Mais qu’allons­nous faire de tout cela ? De nouveau nous réfugier dans une pure résignation d’avoir reçu un cadeau em poi­

sonné, en tant que créatures humaines, ayant déjà, dès notre plus jeune âge, con science d’une vie limitée, d’une vie en sursis ? Alors peut­être les autres créatures vivantes, les animaux, les primates en particulier, au­

raient été épargnés de cette «information», celle d’une mort certaine au bout du che­

min.

La mort, cependant, c’est­à­dire une vie limitée dans le temps, nous offre, même si cela peut nous paraître seulement un pis­

aller, des opportunités impensables dans une vie présumée illimitée. Nous avons la possibilité de construire notre personnalité foncière faisant fi de notre dotation géné­

tique, de circonstances défavorables, d’un pessimisme admissible comme de tout op­

timisme bon marché.

Nous comptons envers et contre tout sur

nos intuitions, notre imaginaire, nos rêves, et même sur ce que nous appelons notre chance. Au fond, ce que nous appelons chance ou hasard pourrait se révéler cor­

respondre à quelque chose de profondément enfoui en nous­même, que nous pour rions nommer plutôt une prise de position sou­

terraine de notre organisme, de notre indi­

vidualité, amenant automatiquement à es­

quiver le pire, ne serait­ce qu’à la dernière minute. Une sorte donc de «liberté cellu­

laire» au niveau de laquelle nous parvien­

drions à être sainement utilitaristes, sage­

ment égoïstes et susceptibles de tenir compte des variations vitales survenant moment après moment.

Il se pourrait même que cette capacité et cette efficience subconsciente se manifes tent surtout lorsque nous dormons ou rêvassons, lorsque nous sommes distraits, nonchalants et quelque peu redevenus les enfants que nous avons été.

Pr Georges Abraham Avenue Krieg 13 1208 Genève

Entre la vie et la mort

… ce que nous appelons chance ou hasard pourrait se révéler correspondre à quelque chose de profondément enfoui en nous-même …

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