• Aucun résultat trouvé

Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle"

Copied!
26
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle

TERRIER ALIFERIS, Laurence

TERRIER ALIFERIS, Laurence. Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle. Thesis. Cahier d'histoire des collections et de muséologie, 2004, vol. 5-6, p. 7-29

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:93201

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

ifl

ln

z 0 0

~ ~ 0

~

01

1

If

~

""'"

r:/) u ~ ~ 0 0 01

~

~ 0 u ~ \0

ln 1

~ ifl Q ~

~ 0 gj

~

ifl

~

~

~

"'

Q

~ ~

~

~

~ u

(3)

THE SIS

Cahier d'histoire des collections et de Muséologie Zeitschrift für Sammlungsgeschichte und Museologie

5-6, 2004-2005

(4)

Laurence Terrier

Se souvenir de Charlemagne au XIr siècle

De son vivant et jusqu'au XII' siècle, se forge un souvenir littéraire de Charlemagne. Ces trois siècles représentent une étape importante puisque se constitue son image légendaire : il est glorifié, sanctifié. Les siècles postérieurs s'appuieront sur cette image pour la développer et en faire un personnage mythique.

Son règne marqua déjà à tel point ses contemporains que là se situe le point de départ de la légende. Non seulement grand guerrier, presque toujours victorieux 1, il se posa également en fervent protecteur de l'Église et de la foi chrétienne. Il réforma le droit, mit par écrit des lois jusque-là orales, rénova les beaux- arts et les lettres (établissement de la minuscule caroline, promise à un grand avenir, puisque nous l'utilisons à nouveau depuis sa remise en vigueur par les humanistes); bref, son souvenir était dès le départ voué à croître et à perdurer. Mais, fait encore plus important, par son couronnement impérial le jour de Noël de l'an 800, il recréa l'Empire romain disparu en 476. Il frappa ainsi fortement les esprits de ses contemporains. Par la suite, son tombeau subira deux ouvertures, en l'an 1000 par Otton III et en 1165 par Frédéric Barberousse. À l'initiative de ce dernier, la canonisation de l'empereur, prononcée par l'anti- pape Pascal III, se pose comme le stade ultime d'un processus démarré au IX' siècle, qui faisait déjà de Charlemagne un saint. Nous allons tenter d'observer ce phénomène : la constitution et l'évolution d'une image légendaire de l'empereur franc. Nous verrons qu'essentiellement deux traits se distinguent: un Charlemagne mis en odeur de sainteté bien avant sa canonisation et un Charlemagne comme exemple de

1. À la mort de Charlemagne, cette qualité retint surtout l'attention. Eginhard décrit son tombeau et rapporte l'inscription gravée dessus : « Sub hoc conditorio situm est corpus 1 Karoli magni atque orthodoxi imperatoris 1 Qui regnum Francorum nobili ter ampliavit 1 Et per anno XL VII feliciter rexit. 1 Decessit septuagenarius anno domini DCCC Xliii 1 Indictione VII V Kal. Febr. >> (Sous cette pierre repose le corps 1 de Charles, grand et orthodoxe empereur, 1 qui noblement accrut le royaume des Francs 1 et pendant XL VII années le gouverna heureusement. 1 Mort septuagénaire l'an du Seigneur DCCCXIV, 1 indiction VII, le V des calendes de février.) Voir EGINHARD, Vita Karoli Magni imperatoris, éd. et tr. Louis HALPHEN, Paris: Les Belles Lettres, 1967 (1938), 88-89. Le fait que Charlemagne doubla le royaume laissé par son père Pépin le Bref constitue un premier point pour le développement de sa légende.

2. À propos des différents aspects de Charlemagne qni permirent l'élaboration du mylbe de l'empereur, voir surtout Lieselotte E. SAURMA-JELTSCH, Karl der Grosse ais vielberufener Votfahr. Sein Bi/d in der Kunst der Fürsten, Kirchen une Stiidte, Sigmaringen: Jan Thorbecke Verlag, 1994, 9-21, qui présente d'une manière synthétique les éléments historiques et biographiques de Charlemagne invoqués à travers les siècles.

(5)

thesis, 5-6 (2004-2005), 7-29

premier roi croisé au moment des Croisades. Une fois cela dégagé, nous nous pencherons sur un aspect particulier et une époque plus précise : comment les monastères et les églises invoquèrent-ils le souvenir de l'empereur, en particulier au XIIe siècle, et dans quel but? En effet, Charlemagne entre dans la légende peu après sa mort; son statut évolue au fil du temps et prend toujours plus d'ampleur. Il devient une source d'autorité et de légitimation; des rois se proclament de sa lignée, des communautés ecclésiastiques le considèrent comme leur fondateur ou le présentent comme une source de certains de leurs privilèges et droits. Nous retrouvons dans plusieurs trésors d'églises des objets dits «de Charlemagne», qui ne proviennent en réalité pas de ce dernier. De même, certains monastères destituent leur fondateur de leur rôle au profit de Charlemagne. Alors pourquoi, à une certaine époque, les églises utilisent-elles ce souvenir pour légitimer non seulement leur fondation, mais également des reliques, ou encore pour accroître le prestige de leur abbaye ?

Nous allons, dans un premier temps, observer les traits principaux qu'acquiert Charlemagne à travers les récits légendaires qui se sont formés du IXe au XIIe siècle. Ainsi que l'a parfaitement démontré Gaston Paris, Charlemagne devient une figure emblématique dès son vivane. Ses contemporains déjà chantent des chansons à sa louange. Mais le premier texte écrit, et le principal, puisqu'il offre la base sur laquelle les récits postérieurs vont s'appuyer, est la Vita Karoli Magni lmperatoris d'Eginhard4. Ainsi que le souligne Robert Folz, «sa biographie rend possible également la Chanson des siècles suivants, car elle renferme un certain nombre de données qui permettront de glisser à la légende, les nombreuses victoires remportées par le prince, le combat malheureux de l'arrière-garde commandée par Roland et assaillie par les Basques, les prodiges, messagers de la mort de l'empereur, autant d'éléments dont s'empareront, en les amplifiant, les générations ultérieures qui créeront peu à peu le Charlemagne légendaire » 5. Cet homme de lettres entre à la cour de Charlemagne dès 791 et, moins de trente ans après la mort de l'empereur, rédige sa biographie. La rédaction de ce texte date d'entre 829 et 836, puisqu'il est cité à ce

3. Gaston PARIS, Histoire poétique de Charlemagne, Genève: Slatk:ine Reprints, 1974 (1905), 37-52.

4. Eginhard, Vita (n. 1 ). Sur ce texte, voir en particulier les travaux de Robert FOLZ, Le souvenir et la légende de Charlemagne dans l'Empire germanique médiéval, Paris: Les Belles Lettres, 1950, 5-9, et de Robert MORR!SSEY, L'empereur à la barbe fleurie. Charlemagne dans la mythologie et l'histoire de France, Paris: Gallimard, 1997, 42-51. L'ouvrage de Robert Folz est de loin le plus complet à propos de la figore légendaire de Charlemagne. JI traite de son souvenir, plus particulièrement dans l'Empire germanique. En outre, il offre une bonne analyse de l'image qui s'est formée immédiatement, de sa perception postérieure dans le milieu clérical et politique, ainsi que de l'utilisation de cette image glorifiée de l'empereur.

5. R. Folz, Le souvenir (n. 4), 8.

(6)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle>>

moment pour la première fois dans une lettre de Loup, futur abbé de Ferrières. Le modèle utilisé par Eginhard pour la construction de sa biographie suit celui de Suétone dans ses Vies d'empereurs. En utilisant cette auctoritas, Eginhard place 1' empereur franc directement dans la lignée des empereurs romains, ce qui accroît la puissance du souverain. Ainsi, la gloire de ce dernier est-elle augmentée par ce texte. L'association de Charlemagne et des empereurs romains s'est répandue et a perduré à travers les siècles. Au début du XII' siècle, Guibert de Nogent, dans son De pigneribus, cite Charlemagne à côté de quelques empereurs romains dont Suétone relate les vies :

[ ... ] lege Suetonium, quomodo Vespasianus impactnm pedis pollice sustulerit claudum ; in promptu quoque est in ortu prepotentum principium, utputa prefati Alexaodri, Iulii Cœsaris, Octaviani sed et ali omm, signa premissa et in mortibus habuisse Karolum et Ludovicum fùium eius prognostica. 6

[ ... ] lis Suétone ; comment Vespasien soigna un boiteux en le frappant avec 1' orteil ; il y a aussi des prédictions lors de la naissance de princes tout puissants, comme d'Alexandre, cité plus haut, de Jules César, d'Octavien mais aussi d'autres princes; et à leur mort, Charlemagne et son fils Louis eurent des présages.

Ce passage témoigne également du fait qu'Eginhard était encore beaucoup lu au début du XII' siècle, puisque Guibert mentionne Charlemagne en faisant référence aux Vies de Suétone ; il se souvient donc de la construction de la Vita d'Eginhard. De plus, il mentionne les présages annonçant la mort de Charlemagne décrits par Eginhard7. Toute la portée de glorification qu'Eginhard a voulu transmettre a bien été comprise. Le texte connut un succès inrmense durant tout le Moyen Âge. Quatre-vingts manuscrits nous sont conservés et tous les textes postérieurs concernant Charlemagne se réfèrent à cette source. Eginhard a également véhiculé une autre idée majeure : celle qui fait de Charlemagne un être comparable à un saint. Lors de l'épisode du couronnement de Charlemagne à Rome par le pape Léon III, Eginhard relate que le souverain fut mécontent d'avoir reçu le titre impérial, que s'il avait su ce qui lui

6. GUIBERT DE NOGENT, De sanctis et eorum pigneribus (CCCM, CXXVII), éd. R. B. C. HUYGENS, Turnhout: Brepols, 1993, 90. Cette œuvre épistolaire, encore peu et mal étudiée, fut écrite justement au début du

x:nc

siècle, à une époque où le culte des reliques, dont le nombre s'accroît, prend de l'importance, et le besoin de les authentifier d'une manière ou d'une autre s'accentue.

7. Eginhard, Vita (n. 1), 89-93.

(7)

thesis, 5-6 (2004-2005), 7-29

était réservé, il ne serait pas entré dans l'église8. Il s'agit là d'un topos littéraire que l'on rencontre souvent dans les récits hagiographiques, en particulier lorsqu'un saint accède à la papauté ou à une dignité particulière. Cette sainte humilité enveloppe Charlemagne d'une aura tonte spécifique, qui se transmettra elle aussi à travers les siècles, comme nous allons le voir.

Quelques décennies plus tard, en 883, Charles le Chauve, en visite dans l'abbaye de Saint-Gall, entend un moine raconter, au sujet de Charlemagne, des faits et des anecdotes dont il n'avait jamais entendu parler.

Il demande alors à ce moine, Notker le Bègue, une version écrite de ces récits. La Gesta Karoli Magni9 présente Charlemagne comme le souverain idéal : de nombreux termes laudatifs parsèment le texte. Les principales qualités de Charlemagne mises en avant sont la générosité et la sagesse. Il apparaît encore comme pieux, juste et guerrier hors pair. Par ailleurs, l'aura de sainteté, d'être hors du commun des mortels, figrrre également dans ce texte, mise en avant par une scène significative. Des envoyés perses arrivent à la cour de l'empereur un jour de Pâques. Charlemagne, superbement paré pour l'occasion, semble plus imposant que tout autre mortel. Les ambassadeurs réagissent d'une manière inattendue :

« Transportés et sautant de plaisir ils préfèrent, à toutes les richesses de l'Orient, le bonheur de ne pas quitter l'empereur, de le contempler et de l'admirer sans cesse »10. Cette scène rappelle la vision de béatitude des justes contemplant le Seigneur. Bien que non explicite, cet épisode tend à associer l'empereur à Dieu lui-même. Charlemagne est considéré comme étant au-dessus des hommes, comme immortel. L'ouverture de son tombeau par Otton III témoijjle également de ce fait. En l'an 1000, ce dernier recherche l'emplacement du corps de Charlemagne 1. Après l'avoir trouvé, il pénètre dans le tombeau. Voici la description faite par le chroniqueur Thietmar de Merseburg :

8. Eginhard, Vila (n. 1 ), 80-81 : « Quo tempore imperatoris et augusti nomen accepit. Quod primo in tantmn aversatus est ut adfirmaret se eo die, quamvis prrecipua festivitas esset, ecclesiam non intraturum si pontificis consilium prrescire potuisset. » (C'est alors qu'il reçut le titre d'empereur et« auguste>>. Et il s'en montra d'abord si mécontent qu'il aurait renoncé, afflrmait-

i~ à entrer dans l'église ce jour-là, bien que ce fût jour de grande fête, s'il avait pu connaître d'avance le dessein du pontife.) 9. NOTKER LE BEGUE, «Des faits et gestes de Charlemagne>>, in Fastes carolingiens. Récits de la cour impériale, tr. Ch.

GUIZOT & R. FOUGERES, Clermont-Ferrand: Paleo, 2001, 3-135. Nous n'avons pas eu accès à uue édition du texte latin. Cette œuvre est traitée chez R. Folz, Le souvenir (n. 4), 13-15; R. Morrissey, L'empereur (n. 4), 51-56; G. Paris, Histoire poétique (n. 3), 39-41. La redécouverte de ce texte au XII' siècle donnera une nouvelle impulsion à l'image de Charlemagne.

10. Notker le Bègue,<< Des faits ... >> (n. 9), 87.

Il. Le tombeau fut détruit lors des invasions normandes au X' siècle. li n'y avait donc plus de sigue visible indiquant le lieu de la sépulture.

(8)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XIr siècle ))

Imperator antiquam Romanorum consuetudinem jam ex parte magna deletam suis cupiens renovare temporibus, multa faciebat, qme diversi diverse sentiebant. Solus ad mensam quasi semicirculus factam loco cœteris eminenciori sedebat. Karoli cesaris ossa, ubi requiescerent, cum dubitaret, rupto clam pavimento, ubi ea esse putavit, fodere quousque haec in solio inventa sunt regio, jussit. Crucem auream, quœ in collo ejus pependit, cum vestimentorum parte adhuc imputribilium sumens, cœtera cum veneratione magna reposuit.12

L'empereur, désirant renouveler à son époque une ancienne coutume des Romains, déjà en grande partie détruite, faisait beaucoup de choses que diverses personnes ressentaient de diverses manières. Il siégeait seul à une table presque semi-circulaire, à une place plus haute que les autres. Comme il était indécis sur l'emplacement des os de l'empereur Charlemagne, après avoir en secret cassé le pavement, à l'endroit où il pensait que les os étaient, il ordonna de creuser jusqu'à ce qu'ils soient trouvés sur le trône royal. Il prit une croix en or, qui pendait au cou de 1' empereur, avec une partie des vêtements n'ayant pas subi de pourrissement et reposa le reste avec une grande vénération.

Un élément particulièrement intéressant apparaît ici : en pénétrant ainsi dans le tombeau, Otton III renouvelle une coutume antique. Max Kerner rappelle que lorsque César fut à Alexandrie, son premier geste fut de chercher la tombe d'Alexandre le Grand et qu'on peut lire chez Suétone qu'Auguste a non seulement cherché, mais qu'il a ouvert le tombeau d'Alexandre13Pour Thietrnar de Merseburg, qui assista à l'ouverture du tombeau, l'analogie ne fait pas de doute. Par ce geste, Otton III a d'une part renouvelé un usage et une coutume antiques ; il se place lui aussi dans la lignée des empereurs romains.

D'autre part, il affmne sa volonté de prolonger la renovatio de l'Empire que Charlemagne inscrivit déjà dans sa politique impériale14. Signalons qu'Otton III s'empare d'une croix en or suspendue au cou du défunt. Nous reviendrons sur cette indication plus loin. Une vingtaine d'années plus tard, nous trouvons un autre récit de cet événement contenant une dimension hagiographique très soutenue. Il s'agit de la chronique Novalèse, d'après le récit d'Otto de Lomello, témoin oculaire de la scène :

12. THIETMARDEMERSEBURG, Chronicon, IV: 29 (PL CXXXIX, cols 1266C-1267A).

13. Max KERNER, Karl der Grosse. Entschleierung eines Mythos, Vienne: Bôhlau Verlag, 2000, 101.

14. À propos de la renovatio d'Otton III, poursuivant les idéaux de Charlemagne, voir R. Folz, Le souvenir (n. 4), 69-93 et Pierre Alain MARIAUX, Warmond d'Ivrée et ses images. Politique et création iconographique autour de l'an mil, Berne: Peter Lang, 2002, 96-107.

(9)

thcsis, 5-·6 (2004-2005), 7-29

Intravimus ergo ad Karolum. non enim iacebat, ut mos est aliorum defunctorum corpora, sed in quandam cathedram ceu vivus residebat. coronam auream erat coranatus. sceptrum cum mantonibus indutis tenens in manibus, a quibus iam ipse ungule perforando processerant. erat autem supra se tugurium ex calce et marmoribus valde compositum. quod ubi ad eum venimus, protinus in eum foramen fecimus frangendo.

at ubi ad eum ingressi surnus, odorem permaximum sentivimus. adoravimus ergo eum statim poplitibus flexis ac ienua. statimque Otto imperator albis eum vestimentis induit, ungulasque incidit, et ornnia deficentia circa eum reparavit nil vero ex artibus suis putrescendo adhuc defecerat. sed de sumitate nasui sui parum minus erat quam ex auro ilico fecit restitui. abstrœnsque ab illius ore dentem unurn, reœdificato tuguriolo, abiit 15

Nous nous sommes approchés de Charles. Il n'était pas couché, comme les corps d'autres morts, mais assis sur un trône comme s'il vivait encore. Il était couronné d'une couronne d'or; il tenait le sceptre dans ses mains couvertes de gants que les ongles en poussant avaient perforés. Au-dessus de lui était une magnifique dalle en calcaire et marbre et en y arrivant nous avons percé un trou en la cassant En pénétrant auprès de lui, nous avons senti une très forte odeur. Nous nous sommes prosternés devant lui et aussitôt 1 'Empereur Otton l'a habillé de vêtements blancs, lui a coupé les ongles, et a réparé autour de lui tout ce qui faisait défaut Aucun de ses membres a' avait été détruit par la pourriture en dehors de son nez dont il manquait un peu et que l'Empereur a fait remplacer avec de l'or. Il a til:é une dent de la bouche du défunt, puis il a fait restaurer la dalle, et s'en est allé.

Cette narration nous présente tous les topoï de récits hagiographiques et plus particulièrement des récits d' inventio. En premier lieu, Charlemagne ne gît pas, ut mos est aliorum defunctorum corpora; il se distingue ainsi des autres hommes. Il tient un sceptre et une couronne orne sa tête : ses symboles impériaux demeurent, il n'a rien perdu de sa dignité. Ses ongles poussent encore, son corps n'a pas subi de putréfaction, l'empereur vit en quelque sorte toujours, il vainc la mort, en cela surtout il se rapproche des corps saints. D'autant plus qu'une odeur permaximum se dégage; l'odeur de sainteté ne fait pas défaut. Nous constatons donc qu'un siècle et demi avant sa canonisation, Charlemagne a déjà tout d'un saint, il existe déjà un récit hagiographique le concernant.

15. Chronicon, Ill, XXXII, in Carlo CIPOLLA (éd.), Monumenta Novaliciensia Vetustiora. Raccolta degli alti e delle cronache riguardenti l'abbazia della Novalesa, Rome: Tipographia del Senato, 1901, 197-198; traduction deR Morrissey, L'empereur (n. 4), 22.

(10)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au Xlr siècle»

Nous avons vu comment avant le début du Xl" siècle, une image de Charlemagne empreinte de grandeur et de sainteté se dégage des récits. Idéal même du souverain, victorieux, généreux et pieux, il se place au- dessus des hommes. Une autre idée va se constituer au moment des premières croisades : un Charlemagne premier croisé, libérant tantôt l'Espagne, tantôt Jérusalem des païens. Concernant les expéditions en Espagne, la Chanson de Roland16 semble être le premier de ces récits. Écrite à la fm du Xl" siècle, la narration s'appuie sur une base historique mince. En 778, Charlemagne entreprend une expédition militaire en Espagne. Son armée s'empare de Pampelune, mais essuie un échec à Saragosse. Sur le chemin du retour en France, l'arrière-garde, prise au piège lors du passage des Pyrénées, subit une défaite à Roncevaux. Le point de départ de la Chanson de Roland trouve racine dans la Vita Karoli Magni Jmperatoris d'Eginhard qui mentionne quelques noms de disparus. «In quo proelio17 Eggihardus regire mensre prrepositus, Anshelmus cornes palatii et Hruodlandus Brittannici limitis prrefectus cum aliis conpluribus interficiuntur » 18Seul Eginhard cite ces noms, qui à son époque étaient présents dans toutes les mémoires. L'auteur de la Chanson de Roland a probablement trouvé ici le nom de son héros19.

À partir de ce moment, beaucoup de chansons de gestes ou autres textes littéraires se constituent autour de cet événement historique et autour de l'empereur. Comme le signale Jules Horrent, «Charlemagne domine toute la geste française médiévale »20. Il représente le héros type des chansons de gestes, de la même manière qu'Arthur est la figure emblématique des récits de chevalerie21Nous ne développerons pas les nombreuses chansons de gestes, mais nous nous contenterons de signaler celles qui nous semblent

16. La Chanson de Roland, tr. et préf. Pierre JONIN, Paris: Gallimard, 1979.

17. C'est-à-dire la bataille de Roncevaux.

18. Eginhard, Vita (n. 1), 30-31: <<Dans ce combat furent tnés le sénéchal Eggihard, le comte du palais Anselme et Roland, duc de la marche de Bretagne, ainsi que plusieurs autres. »

19. Voir les notes de Louis Halphen dans Eginhard, Vita (n. 1), 30-31.

20. Jules HORRENT, « Charlemagne en France », in Charlemagne et l'épopée romane. Actes du VJime Congrès international de la Société Rencesvals, Liège, 28 août-4 septembre 1976, 2 vols, Paris: Les Belles Lettres, 1978, I: 27.

21. Le parallèle entre Arthur et Charlemagne serait intéressant à observer. Dominique BOUTET les a mis en rapport dans son ouvrage Charlemagne et Arthur, ou le roi imaginaire, Paris, Genève : Charnpion-Slatkine, 1992, mais sur un plan plutôt historique et non sur le rôle et le besoin de créer deux figures royales emblématiques à une certaine époque. Il est intéressant de constater que les légendes bretonnes d'Arthur et de Tristan étaient connues en Aquitaine dès le début du

xnc

siècle, moment où le souvenir de Charlemagne atteint son apogée dans cette région: Gérard LOMENEC'H, Aliénor d'Aquitaine et les troubadours, Bordeaux: Sud Ouest, 1997, 36-37.

(11)

thesis, 5-6 (2004-2005), 7-29

les plus représentatives. Entre la fin du XI' siècle et le premier tiers du XII' sièclé2 un moine de Saint- Denis23 écrit l'Historia Karoli Magni et Rotholandi, connue aussi sous le nom de Chronique du Pseudo- Turpin. Ce texte nous est parvenu dans une centaine de manuscrits ; c'est dire le succès qu'a rencontré l'œuvre en l'espace de moins de quatre siècles. Comme nous allons le voir un peu plus loin, le but est de rehausser le prestige de l'abbaye de Saint-Denis. Dans le récit, saint Jacques lui-même apparaît à Charlemagne et lui ordonne de partir libérer toute l'Espagne des Maures. Ce dernier réussit sa tâche grâce à l'accomplissement de plusieurs miracles. Suivent ensuite la défaite de Roncevaux et la mort de Roland.

Parallèlement à ces récits d'expéditions en Espagne et à la libération du pays au nom de la foi chrétienne, la légende autour de l'idée d'un Charlemagne comme exemple de roi croisé en Terre Sainte se forme.

Pourtant, ce voyage est purement légendaire. Mais nous allons voir que ces récits, écrits en milieu monacal, servent au plus haut point le monastère qui les fait rédiger. Puisqu'on fait partir Charlemagne en Terre Sainte, par analogie à son expédition en Espagne, on en profite pour lui faire ramener dans son royaume des reliques. Particulièrement, deux monastères s'employèrent à l'écriture de tels textes: Saint- André sur le Mont Soracte et Saint-Denis. La plus ancienne mention d'nu voyage de Charlemagne à Jérusalem se trouve dans la Chronique de Benoît de Saint-André, rédigée vers 96824. Charlemagne rapporte de la Terre Sainte des reliques de saint André qu'il dépose dans le monastère dédié au saint sur le mont Soracte. Giuseppe Zucchetti, dans sa préface du texte, remarque qu'en ce qui concerne le voyage de Charlemagne à Jérusalem, Benoît de Saint-André s'est inspiré du chapitre 16 de la Vita d'Eginhard- chez lequel il puise par ailleurs de nombreux éléments quasi tels quels - et l'a modifié25. En effet, Eginhard fait état des bonnes relations que Charlemagne entretint avec les empereurs d'Orient et des innombrables cadeaux qu'il reçut d'ambassadeurs. Ses bons rapports avec le calife Haroun al Rachid

22. Selon R. Morrissey, L'empereur (n. 4), 81 et Amy G. REMENSNYDER, Remembering Kings Past: Monastic Foundation Legends in Medi<Nal Southern France, Ithaca: Comell University Press, 1995, 150-211, le texte date de la fin du XI" ou du début du XII' siècle; Cyril MEREDrrn-JONES, dans son introduction de l'Historia Karoli Magni et Rotholandi ou Chronique du Pseudo-Turpin, Genève : Slatkine Reprints, 1972 (1936), 74, sitne l'écriture de ce texte vers 1130.

23. La critique est également partagée sur la question de l'auteur. Selon G. Paris, Histoire poétique (n. 3), 58, cette œuvre est le fruit d'auteurs différents, provenant de régions et d'époques diverses. C. Meredith-Jones (Historia [n. 22], 81) démontre que l'œuvre fut composée par un seul auteur français. Cette opinion est actuellement la plus largement admise. R Morrissey, L'empereur (n. 4), 81, l'adopte également en 1997.

24. BENOIT DE SAJNT-ANDRE, ll chronicon di Benedetto monaco di S. Andrea del Soratte e il Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma, éd. Giuseppe ZUCCHETTI, Rome : Tipographia del Senato, 1920.

25. Benoît de Saint-André, Chronicon (n. 24), XXIX.

(12)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle>>

constituent la seule réalité historique effective ; Benoît de Saint-André les amplifie et fait partir fictivement Charlemagne en Terre Sainte et en ramener des présents, dont les reliques justement possédées par le monastère auquel Benoît appartient26. Il s'agit là de la première tentative d'un monastère d'authentifier les reliques qu'il possède. À l'abbaye de Saint-Denis, la Descriptio qualiter Karolus magnus clavum et coronam domini a Constantinopoli Aquisgrani detulerit qualiterque Karolus Calvus hec ad Sanctum Dyonisium retulerit27, datant d'avant la première croisade28 et dont seuls deux manuscrits nous sont parvenus, procède également de cette tradition. Charlemagne délivre Jérusalem des païens, à la demande du patriarche Constantin, et reçoit en récompense des reliques importantes, dont un clou et un bout de la couronne d'épines. Des miracles attestent l'authenticité de ces objets qu'il ramène à Aix-la- Chapelle, où elles font annuellement l'objet d'un Indit29, fête d'ostentation des reliques. Lorsque Charles

26. Benoît de Saint-André, Chronicon (n. 24), 115-116 : << Qni max imperator cum quanta donis et munera, et aliquantu1um de corpore sancti Andrere apostoli, ad imperatoribus Constantinopolim accepta, in Italia est reversus ! Roma veniens, et dona amplüsima beato Petro constituit, ordinataque Hurbe et omnia Pentapoli et Ravenne finibus seu Tusscie, ornnia in apostolici potestatibe concessit. gratias agens Deo et apostolorum principi, et benedictione apostolica accepta, et a euneto populo Romano Augusto est appellatus, simul cum ipso pontifiee usque ad montes Syrapti, ad monasterium Sancti Silvestri devenit.

deinde ad monasteria Sancti Andrere cum pontifiee sumrno adest ; qui rogatus imperator ad pontifiee, ut aliquantulum reliquiarum de corpore sancti Andrere apostoli in hune monasterium consecrationis constitueret ; cuius loco positus est in hune monasterium venerabile ecclesie, aput nos incognitum est. »(Bientôt, l'empereur retourna en Italie avec une quantité de dons, de cadeaux et un bout du corps de saint André apôtre reçu par les empereurs à Constantinople. Arrivant à Rome, il offrit des dons très généreux à Saint-Pierre, et après avoir mis en ordre les affaires de toute la Pentapole, des territoires de Ravenne et de Toscane ; il concéda tous ces dons sous le pouvoir apostolique. Rendant grâce à Dieu et au chef des apôtres, après avoir reçu la bénédiction apostolique, il fut appelé << Auguste » par tout le peuple romain. Dans le même temps, il arriva avec le pontife lui- même jusqu'aux monts Syrapte au monastère Saint-Silvestre. Puis, il fut au monastère de Saint-André avec le souverain pontife. Celui-ci demanda à l'empereur qu'il place lors de la consécration du monastère un bout des reliques du corps de saint André apôtre. Ce corps est déposé dans ce monastère de la vénérable église à un emplacement qui nous est inconnu.)

27. Descriptio qualiter Kara/us magnus clavum et coronam domini a Constantinopoli Aquisgrani detulerit qualiterque Karolus Ca/vus hec ad Sanctum Dyonisium retulerit, in Gerhard RAUSCHEN, Die Legende Karls des Grossen im 11. und 12.

Jahrhundert, Leipzig: DunckerundHumblot, 1890,95-148.

28. Pour rappel, Urbain II lance la première Croisade en 1095, à l'issue du Concile de Clermont. LaDescriptio fixe l'Indit la deuxième semaine de juin, le mercredi des Quatre Temps d'été. Cette indication, ainsi que le relève Robert Folz permet de dater le texte d'avant 1095, puisque cette année-là les Quatre temps d'été sont transférés à la semaine de Pentecôte (R. Folz, Le souvenir [n. 4), 179).

29. Descriptio (n. 27), 120: << [ ••• ) omnes bomines venirent Aquisgrani videre, que de Iherusalem et de Constantinopoli secum detulerat [ ... ] preterea qui aderant sancti vi ri fecerunt sermonem ad popu1um atque quotannis fie ri indixerunt indictum spinee corone domini, clavi et ligni crncis sudariique ac plurimarum sanctarum reliquiarum et hoc semper in Iunio mense et in

(13)

thcsis, 5-6 (2004-2005), 7-29

le Chauve en devient possesseur, il en fait don à l'abbaye de Saint-Denis qui instaure également un Indit pour ces reliques30 lors de la foire de la ville. Il faut ajouter qu'Aix-la-Chapelle ne pratiqua jamais d'Indit.

Il s'agit uniquement d'une projection de la coutume de Saint-Denis31. À travers ce récit, Saint-Denis a donc authentifié ces deux reliques principales, le clou et la couronne ; de plus, elle justifie sa foire de l'Indit en concurrence à ce moment avec la foire de la ville32 et se crée ainsi une sorte de publicité pour attirer la foule. Un autre texte semblable à celui-ci forge 1 'image d'un Charlemagne croisé. En langue vernaculaire cette fois-ci, le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople33 joue le même rôle que la Descriptio: justifier les reliques conservées à Saint-Denis. Charlemagne, dans l'église de Saint-Denis en compagnie de sa fenune, subit une raillerie de la part de celle-ci : la prestance d'Hugues le Fort, empereur de Grèce et de Constantinople l'emporte sur lui. Charlemagne, outré, décide de se rendre en Terre Sainte afin de démontrer la fausseté des affirmations de son épouse. L'empereur et ses douze compagnons arrivent à Jérusalem et entrent dans une église où Jésus célébra la messe avec les douze apôtres. Nous retrouvons à nouveau l'image d'un Charlemagne au-dessus des mortels, assimilé à la figure de Dieu lui-même. Dans l'église se trouvent treize sièges dans lesquels Charlemagne et les pairs s'assoient. Or, nul autre qu'eux, outre Jésus et ses disciples, ne s'assit à cette place. «Li emperere s'asist, un petit se reposet. 1 Li .XII. pers as aitres, envirunt e en coste. 1 Aiz nen i sist nuls hum, ne unkes pus uncore »(v. 120-122). Et pour renforcer cette image, le récit se poursuit avec l'irruption d'un Juif dans l'église à ce moment. Devant un tel spectacle, il s'effraie, prenant Charlemagne pour Dieu lui-même.

«Par le men escïentre, ço est maïmes Deus: 1 Ile li duze apostle vus venent visiter!» (v. 139-140). Suit

ebdomada secunda [ ... ]>>.(Tous les hommes vinrent voir à Aix-la-Chapelle ce qu'il avait ramené avec lui de Jérusalem et de Constantinople [ ... ], en outre les saints hommes qui étaient présents tirent nn discours auprès du peuple et fixèrent annuel- lement un Indit de la couronne d'épine du Seigneur, du clou, du bois de la croix, du suaire et de plusieurs reliques saintes ; et cela toujours durant la deuxième semaine du mois de juin.)

30. Descriptio (n. 27), 124: << Preterea vero ipsum idem indictum per totum prope orbem terrarum [notum] eodem modo, quo Karolus magnus Aquile Capella indixit quotannis fieri [ ... ], apud villam ter beatissirni Dionisii Ariopagite stabilivit [ ... ]. >>(En vérité, cet Indit était connu à travers presque toute la terre par le fait que Charlemagne décida qu'il se déroulerait chaque année à Aix-la-Chapelle, [ ... ]il s'établit dans la ville du trois fois saint Denis l' Aréopagite.)

31. R. Folz, Le souvenir (n. 4), 181.

32 R. Folz, Le souvenir (n. 4), 179-181 et Le Trésor de Saint-Denis, cat. d'exp., Paris, Musée du Louvre, Paris : Réunion des musées nationaux, 1991, 121.

33. Pour le texte en ancien français, voir Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, texte publié avec une introduction, des notes et un glossaire par Paul AEBISCHER, Genève: Droz, 1965, et pour le texte traduit, voir Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, trad. critique Madeleine TYSSENS, Gand: Éditions E. Story-Scientia, 1978.

(14)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XII" siècle»

la rencontre avec le patriarche, qui offre à Charlemagne une avalanche de reliques dont une série de miracles attestent l'authenticité, la rencontre avec Hugues de Constantinople, la scène des gabs où les pairs se moquent d'Hugues et se vantent d'exploits invraisemblables. Les pairs, mis au défi d'exécuter leurs vantardises, 1' emportent avec 1' aide de Dieu. Hugues vaincu, devient le vassal de Charlemagne.

Celui-ci rentre en France et distribue les reliques dans son royaume. L'abbaye de Saint-Denis reçoit le clou et la couronne : « V enuz sunt a Paris, a la bone ci tet, 1 E vunt a Saint Denis, al muster sunt entrez. 1 Karlemaine se cul cet a oreisuns, li ber. 1 Quant il ad Deu preiet, si s'en est re levet ; 1 Le clou e la corune si ad mis sur l'auter, 1 E les aitres reliques depart par sun regnet » (v. 862-867). Ce texte est destiné à un public français ; Charlemagne, empereur des Français, tient sa cour à Paris. Un seul manuscrit conservé nous était parvenu, mais il disparut du British Museum en 1879. Par chance, le texte fut édité peu avant, en 1836 et 1879. La date, très controversée, varie de la seconde moitié du XIIe siècle à la seconde moitié du XIIIe siècle. Pour la plupart des critiques, l'auteur tourne Charlemagne en dérision. Seul Jules Horrent a su correctement interpréter le texte34. Il démontre que ce récit est certes comique sur plusieurs aspects, et que l'auteur joue bel et bien là-dessus et use d'humour, mais il ne raille pas le souverain. Le motif sous-jacent et l'enjeu principal, apparaissant dès la première scène, sont le conflit qui oppose l'empereur d'Occident et l'empereur byzantin sur la question de la primauté universelle, l'avantage penchant fmalement pour la France.

Ces récits d'expéditions en Espagne ou à Jérusalem contribuent à façonner l'image d'un Charlemagne croisé, d'un pieux qui combat pour établir la foi chrétienne. Mais surtout, en inventant un voyage de l'empereur en Terre Sainte, les monastères trouvent un moyen d'authentifier leurs reliques, à une époque où leur nombre dans la Chrétienté ne cesse de croître et où il importe de les justifier. De plus, l'attribution de la donation des reliques par Charlemagne, après avoir exalté la foi et la grandeur de ce personnage, confère aux reliques une valeur d'autant plus noble, et par là, le prestige de l'abbaye est également rehaussé. Nous pouvons donc observer, à travers ces quelques récits, que très tôt se forme dans la littérature une image glorifiée de Charlemagne; il est présenté comme l'idéal d'un grand souverain et il est en quelque sorte sanctifié avant sa canonisation. Frédéric Ier avait de bonnes raisons politiques de le

34. Jules HORRENT, Le Pèlerinage de Charlemagne. Essai d'explication littéraire avec des notes de critique textuelle, Paris:

Les Belles Lettres, 1961.

(15)

thesis, 5-6 (2004-2005), 7-29

faire canoniser35, mais il n'a en fait que concrétisé une idée déjà en place dans l'esprit de ses contemporains. Cependant, il a tout de même ressenti le besoin de justifier son acte par un texte qu'il fit écrire peu après. La Vita Karoli Magni, écrite par un clerc vivant à Aix-la-Chapelle, a pour sources la Vita d'Eginhard, le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople et la Chronique du Pseudo- Turpin. Quatorze manuscrits nous restent de ce texte36 qui représente un récit hagiographique. Comme dans la Chronique du Pseudo-Turpin, Charlemagne est loué pour son rôle de fondateur d'églises et d'abbayes. Lors d'un passage de cette Vita, sur lequel nous reviendrons un peu plus loin, il est fait état des nombreux édifices religieux fondés par Charlemagne.

Tous ces textes ne sont donc pas seulement le reflet de l'imaginaire collectif mais répondent également à des besoins concrets. Les monastères ont des intérêts économiques à se servir de l'image du grand empereur, dont on a vu comment la légende poétique l'a glorifié et comment les textes louent et insistent sur son rôle de fondateur de plusieurs édifices. Ils se servent de cette figure afin soit d'authentifier leurs reliques, soit d'attribuer la fondation d'un monastère ou d'une église à Charlemagne, qui devient ainsi une figure tutélaire. L'édifice gagne alors en prestige. Parfois, la légende se fonde sur la réalité, mais bien souvent Charlemagne prend la place des véritables fondateurs, tels Louis le Pieux ou Charles le Chauve.

Par ailleurs, Charlemagne a concédé certains privilèges de toutes sortes à quelques monastères et cela encourage, dès le IXe siècle, des abbayes à revendiquer elles aussi des privilèges en faisant appel à des concessions réelles ou supposées de Charlemagne37. De la même manière, aux alentours du

x:ne

siècle,

mais aussi avant, nous trouvons dans les trésors d'églises toute une série d'objets que la tradition locale certifie provenir de Charlemagne. Les cas de figure sont de trois sortes ; premièrement des objets datant bel et bien du lX0 siècle mais donnés le plus souvent par Charles le Chauve ; deuxièmement, des objets autour desquels se crée une légende ; enfm, des objets fabriqués au XIIe ou au XIII" siècle. Le principe semble être le suivant: un objet offert par Charlemagne gagne en valeur, le trésor de l'église devient donc tout entier plus important, l'abbaye accroît sa renommée. Cependant, cette explication ne saurait être la seule et les autres raisons nous échappent pour le moment. Nous ne prétendons par dresser une liste

35. À ce propos, voir R Folz, Le souvenir (n. 4), 203-221, qui montre bien les raisons politiques qui poussent Frédéric Barberousse à canoniser l'empereur, mettant ainsi Charlemagne au service de sa politique et renforçant sa souveraineté.

36. Pour l'édition et l'introduction du texte, voir Vita Karoli Magni, in G. Rauschen, Die Legende (n. 27), 1-94.

37. R Folz, Le souvenir (n. 4), 20-22.

(16)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XIr siècle>>

exhaustive des objets dits donnés par Charlemagne38 mais fournir quelques exemples des différents cas de figure mentionnés ci-dessus. Nous allons nous pencher sur certaines abbayes, telles Conques, Saint- Denis, Saint-Maurice d' Agaune et observer comment elles désignent Charlemagne comme leur fondateur et comment elles lui attribuent la donation de certains objets.

Mais tout d'abord, Aix-la-Chapelle a bien entendu profité du prestige de l'empereur. Le trésor de la chapelle palatine conservait un médaillon-reliquaire, le Talisman dit «de Charlemagne »39 C'est un médaillon rond, garni au milieu de deux pierres sur chaque face. D'un côté, une pierre précieuse, d'une taille grossière et opaque, qui est d'origine, et de 1' autre, un saphir poli, du XIX' siècle, à travers lequel une relique de la Vraie Croix est visible en transparence. Selon Jean Taralon40, la relique, qui était à 1' origine des cheveux et du lait de la Vierge, fut changée en 1804 pour un bout de la croix et la pierre fut substituée après 1870. En juillet 1804, Napoléon, souhaitant s'inscrire dans la lignée de Charlemagne se rend à Aix-la-Chapelle accompagnée de Joséphine. Celle-ci reçoit à ce moment le Talisman en cadeau;

elle le donnera par la suite à sa fille Hortense, qui elle-même en fera don à Louis Napoléon, et finalement, sa femme Eugénie l'offrira au trésor de la cathédrale de Reims, lieu où il est aujourd'hui encore conservé.

Selon la tradition de la ville d'Aix-la-Chapelle, il aurait appartenu à l'empereur de son vivant et l'aurait suivi dans son tombeau. Toujours selon cette tradition, Otton III l'aurait pris lors de l'exhumation de l'an 1000. Cependant, Thietrnar de Merseburg, qui rapporte l'événement, parle d'une croix en or qui aurait été emportée par Otton III41 ; il ne s'agit donc pas du Talisman. Il n'y a pas non plus mention d'un médaillon lors de l'ouverture du tombeau par Frédéric Barberousse en 1165, ni lors de la translation du corps.

L'inventaire des reliques du Dôme, publié par Chr. Quix d'après un manuscrit du XII' ou du XIII' siècle,

38. Pour cela, nous renvoyons le lecteur à l'article de Hélène DEMORAINE, << Le trésor légendarre de Charlemagne >>, Connaissance des Arts, 98 (1960), 87-95 qui présente brièvement tous les objets dont la tradition attribue la donation à Charlemagne.

39. Concernant le Talisman, voir en particulier Blaise DE MONTESQUIOU-FEZENSAC, <<Le Talisman de Charlemagne>>, Art de France. Revue annuelle de l'art ancien et moderne, II (1962), 66-76, qui cite les sources et traite des problèmes historiques et stylistiques de l'objet. En ce qui concerne les données techniques, se référer principalement à l'article de Jean TARALON,

«Note technique sur le "Talisman de Charlemagne">>, Les Monuments historiques de la France, XII, 1-2 (1962), 24-43.

40. J. Taralon, «Note ... >> (n. 39), 31-43.

41. Thietrnar, Chronicon (n. 12), col. 1267A: « Crucem auream, qure in collo ejus pependit, [ ... ] sumens >>.

(17)

thesis, 5-6 (2004-2005), 7-29

mentionne la relique des cheveux de la Vierge, contenue in feretro42 beate Marie43. Il pourrait ici être question de notre médaillon. Cependant, il faut attendre 1620 pour trouver une mention de l'appartenance de cet objet à Charlemagne44 Selon la plupart des spécialistes45, le Talisman date du IX' et est donc une œuvre d'orfèvrerie carolingienne unique. Quant à certifier que Charlemagne porta bel et bien cet objet, rien n'est moins sûr. En outre, il resta du IX' siècle au XIX' siècle à Aix-la-Chapelle et bien qu'attestée seulement au XVII", la légende autour de ce médaillon devait exister dès le XI" ou le XII' siècle, en tout cas après l'ouverture de la tombe par Otton Ill, et a fait du Talisman une relique de contact. Quoiqu'il en soit, Aix-la-Chapelle se devait, par son passé et pour son prestige, de posséder un tel objet.

Une autre abbaye a su utiliser l'aura de Charlemagne à son profit: celle de Conques, qui acquit déjà une renommée immense avec l'intensification du culte de sainte Foy, martyre du III' siècle, dont le corps fut volé à Agen en 866. Nous allons voir ici comment un monastère destitue son fondateur réel pour en attribuer la paternité à Charlemagne et comment une légende se crée, matérialisée par la fabrication d'un reliquaire. D'après un diplôme authentique de 819, Louis le Pieux fonda Conques. Puis, dans un poème en l'honneur de Louis le Pieux, composé par Ermold le Noir entre 826 et 828, il est relaté que le nom de Conques fut donné par ce roi et que l'édifice fut construit à ses frais46. Peu après, dans la Vie de Louis le Pieux de l'Astronome, une liste de 24 monastères réparés ou construits par lui apparaît47 Au XI' siècle, un glissement se produit. Bernard d'Angers, dans son Liber miraculorum Sancte Fidis rapporte que Charlemagne est le fondateur de Conques et que l'empereur donna au monastère un reliquaire d'or:

« Alia tempestate fuit portata imago sancte Fidis et capsa aurea, quam fertur donavisse Karolus magnus

42. Feretrum peut désigner un reliquaire au Moyen Âge. Voir Dictionary of Medieval Latin from British sources, dir. Ronald Edward LATHAM,Londres : Oxford University Press, 1975, ad v.

43. B. de Montesquiou-Fezensac,<< Le Talisman ... >> (n. 39), 66-69.

44. B. de Montesquiou-Fezensac,« Le Talisman ... >> (n. 39), 69

45. Entre autres, J. Taralon, «Note ... » (n. 39); Charlemagne: Œuvre, rayonnement et survivances, cat. d'exp., Aix-la- Chapelle, Hôtel-de-Ville et cloître de la Cathédrale, Aix-la-Chapelle: Stadtverwaltung, 1965, 361 ; Jean TARALON, Les trésors des Églises de France, Paris :Hachette, 1966, 267.

46. ERMOLD LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pépin, éd. et tr. Edmond FARAL, Paris: Honoré Champion, 1932, 23-25.

47. L'ASTRONOME, Vila ffiudowici imperatoris, éd. et tr. Ernst TREMP, Hannovre : Halmsche, 1995, 338-340.

(18)

L, Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XIIe siècle ~>

[ ... ] »48. Il semble qu'il soit fait allusion au reliquaire, qui fut assemblé vers l'an 1000 d'éléments mérovingiens et carolingiens49, connu aujourd'hui sous le nom de «Reliquaire de Pépin», qui contenait le Prépuce et l'Ombilic du Christ. Ces reliques furent données à l'abbaye par Charlemagne, à en croire le Prologue de la Chronique de Conques. Ce texte-ci, s'inspirant probablement de la liste des monastères dans le récit de l'Astronome, fait apparaître une légende : Charlemagne aurait donné à Conques, premier monastère construit par lui, une lettre A en or et en argentso. Or, à la même rériode que 1' écriture de ce textes1, l'abbé Bégon (1087-1107) fit fabriquer un reliquaire en forme de As . Plus tard, dans la Vita de

48. BERNARD D'ANGERS, Liber miraculorum sancte Fidis, éd. Luca ROBERTINI, Spolète: Centra italiano di studi sull'Alto Medioevo, 1994, !58 (À une autre époque, la statue de sainte Foy fut portée et un coffret en or, offert selon la tradition par Charlemagne [ ... ]).

49. A. G. Remensnyder, Remembering (n. 22), 887 ; J. Taralon, Les Trésors (n. 45), 296-299.

50. Chronique du monastère de Conques par Marc-Antoine François DE GAUJAL, in Etudes historiques sur le Rouergue, Paris : impr. P. Dupont, 1859, IV: 391-394. Le Prologue de la Chronique est écrit dans un très mauvais latin et foisonne de fautes grammaticales et syntaxiques qui rendent la lecture et la bonne compréhension du texte peu aisées. Nous retranscrivons ici le passage pour soulever certaines incohérences : «Et mariens suo magno filio Carola preacepit Pipinus quod dictum locum admarat quem visitavit reliquis auro et argenta et omamentis infinitis prœdictum monasterium ditavit et Christi umbilicum in eo posuit scilicet illam pelliculam qm.e pendet pueris in umbilico post ipsorum nativitatem et, ut in dicta monasterio dicitur, circumcisionem quam sibi avunculus portavit Couchas misit et in quodam vasculo cum umbilico vocato capso magna reservatur: qure reliqure scilicet quacumque scintillre in magna veneratione habentur. Cui monasterio Couchas prima inter monasteria per ipsum fundata tribuit litteram alphabeti A de anro et argenta ibi relinquens et suis magnis privilegiis ditans et ipsnrn monasterium perfici et diligi per filium suum Ludovicum nomine primnrn prrecepit [ ... ]. >> Nous voyons en premier lieu un problème de taille qui est celui du guern au début de l'extrait. Ce relatif devrait se référer à Pépin et donc tous les verbes qui suivent indiquent les gestes de ce dernier. Cependant, le sujet du dernier verbe de l'extrait - praecepit- ne peut être que Charlemagne, puisqu'il est question de son fils Louis, premier du nom. Nous devons donc voir le sujet des verbes précédents comme étant Charlemagne, qui a donc offert à Conques l'Ombilic et le Prépuce (désigné ici par le substantif circumcisio alors qu'on trouve généralement preputium ). Ce Prépuce apporté par son oncle (là aussi le texte n'est pas clair, portavit est au même temps que les verbes subordonnés au quem, il devrait être au plus-que-parfait) et l'Ombilic furent placés dans un réceptacle.

Puis, Charlemagne donne également la lettre A en or et argent à Conques et lui confère plusieurs privilèges. Nous voyons donc que ce Prologue est loin d'être aussi explicite que cela et que nous nous retrouvons face à des hésitations sur l'interprétation.

51. Le Trésor de Conques, cat. d'exp., Paris, Musée du Louvre, Paris: Éditions du Patrimoine, 2001, 13 et Georges GAILLARD

& Marie-Madeleine GAUTHIER, Rouergue Roman, La Pierre-qui-Vire: Zodiaque, 19742, 87, datent ce texte d'un siècle plus tôt. Cette date précoce n'est guère possible, puisque la Chronique se termine en indiquant que Bégon construisit le chœur. Ce texte ne peut dater donc que du début du XIIe siècle. Le prologue et la Chronique elle-même ne sont pas édités ensemble. Pour la Chronique, voir Chronicon monasterii Conchensis, in Edmond MARTENE & Ursin DURAND, Thesaurus novus anecdotorum, 5 vols, Lutetiae Parisiorum, 1717, rn, col. 1390 : « Bego venerabilis qui claustrum construxit multas reliquias in aura posuit, textus evangeliorum fieri fecit et multa bona monasterio fecit. >> A. G. Remensnyder, Remembering (n. 22), 899-900, traite

(19)

thesis, 5-6 (2004-2005), 7-29

1165, l'histoire de la fondation de vingt-trois monastères en Aquitaine et des vingt-trois lettres est racontée avec plus de détails 53

Il semble que là soit synthétisée la liste de l'Astronome reprise telle quelle (outre un monastère omis et en attribuant les fondations ou réparations à Charlemagne) et la légende des vingt-trois lettres du Prologue de la Chronique de Conques. Ainsi, par la fabrication du reliquaire,

plus longuement la question de la datation de ce texte, composé vers Il 00 mais retravaillé selon toute vraisemblance à la fin dt~

XII' siècle. L'auteur se demande si la légende est apparue d'abord dans la Vit a de 1165 ou si la Vit a l'emprunte à Conques.

Elle remarque à juste titre que si Conques affirme avoir la première place, c'est un signe que la légende est née à cet endroit.

52. Sur ce reliquaire, Le Trésor de Conques (n. 51), 10; Les Trésors des Églises de France, cat. d'exp., Paris, Musée des Arts décoratifs, Paris: Caisse Nationale des Monuments Historiques, 1965, 304-305; et surtout l'excellent article de Amy G.

REMENSNYDER, << Legendary Treasure at Conques: Reliquaries and Imaginative Memory >>,Speculum, LXXI (1996), 884-906.

53. Vila Karoli Magni (n. 27), 37-39: << Cum enim ut diximus eius devota munificentia multa siut reparata, immo a fundamentis edificata monasteria, hec sub certis titulis et numero legimus comprehensa. Monasterium sancti Philibert i.

Monasterium sancti Florentii Monasterium sancti salvatoris Karoffi. Monasterium Couchas. Monasterium sancti Maxentii.

Monasterium Menate. Monasterium Magni loci. Monasterium Mussiacum. Monasterium sancti Savini. Monasterium Noviliacum. Monasterium sancti Theotfredi. Monasterium sancti Pascentii. Monasterium Dorosa. Monasterium Sollempniacum. Monasteriurn puellare sancte Marie. Monasterium puellare sancte Radegundis. Monasterium De vera.

Monasterium De utera in pago Tolosane. Monasterium Valida in Septimania. Monasterium sancti Aniani. Monasteriun~

Galune. Monasteriurn sancti Laurentii. Monasterium sancte Marie quod dicitur in Rubine. Monasterium Caunas et alia complura, quibus veluti quibusdam signis tatum decoratur Aquitanie regnum. Que ornnia et singula ipse piissimus imperatm Karolus magnus auri et argenti ponderibus gemmarumque preciosarum exornavit muneribus, arnplissimis etiam honoribus ditavit et insuper, quod est preciosius, reliquiarum sanctissimis patrociniis insignivit. Hec autem viginti tria monasteria secundum ordinem et numerum litterarum alphabeti notum est fuisse certo epigrammate figure in superliminari ecclesie insignite distincta et ideo sola certis numeris et nominibus sunt adnotata, cum longe piura superesse constet, quorum nullam in presenti serie mentionem diligens lector adinveniet. »(En effet, comme nous l'avons dit, alors que plusieurs édifices furen1 réparés grâce à sa munificence dévouée ou plutôt, de nombreux monastères furent édifiés à partir de leurs fondations, nom lisons que ceux-ci sont réunis par des inscriptions certaines et par un numéro. Les monastères de Saint-Philibert, de Saint- Florent, du Saiut-Sauveur de Charroux, de Conques, de Saint-Maixent, de Menat, de Manglieu, de Moissac, de Saiut-Saviu, de Nouaillé, de Theodfred, de Saiut-Pascent, de Donzère, de Soliguac, de Saiute-Marie, de Saiute-Radegonde, de Vera, de Utera à Toulouse, de Valade en Septimanie, d' Anien, de Gel!one, de Saiut-Laurent, de Sainte Marie appelé In Rubiue, de Caunes, cl

plusieurs autres, par lesquels tout le royaume d'Aquitaine est orné, comme par autant d'étoiles. L'empereur très pieux Charlemagne les orna tous et chacun de quantités d'or et d'argent et d'objets en pierres précieuses. Il les enrichit aussi de trè~

grands honneurs, et encore, ce qui est plus précieux, il les distingua par les protections très saintes des reliques. Mais il es1 connu que ces vingt-trois monastères furent ornés selon l'ordre et le numéro des lettres de l'alphabet par une inscription nettE de la forme d'une lettre sur le linteau de l'église ainsi marquée. Pour cela, seuls ces monastères sont notés par des numérm fixes et par des noms, étant donné qu'à l'évidence ils [tous les monastères fondés par Charlemague] sont bien plus nombreux.

un lecteur attentif ne trouvera aucune mention de ces monastères-ci dans la série présente.)

(20)

L. Terrier, « Se souvenir de Charlemagne au XIr siècle>>

l'intention de Bégon fut de concrétiser la légende qui naît à ce moment-là et de l'accentuer par l'écriture de la Chronique. Le A reliquaire est plaqué d'argent doré et repoussé sur une âme en bois de noyer surmonté d'une boule en cristal. Sur les tranches extérieures se trouvent deux inscriptions incomplètes dans lesquelles l'abbé Bégon est mentionné: ABBAS FORMA VIT BEGO RELIQUIASQUE LO[CAVIT] ET ... UM DOMINUM QUEM CRUX ... Il est évident qu'en matérialisant ainsi une légende, qui elle-même pmticipait à l'augmentation du prestige de l'abbaye, l'abbé renforça encore d'un cran la notoriété de Conques et ainsi attira de nombreux pèlerins, qui par leurs dons élargissaient la richesse de ce lieu. Dans les faits donc, Louis le Pieux est le fondateur du monastère. Cependant, nous constatons qu'au XI" siècle, avec Bernard d'Angers, un glissement se produit et se répercute dans les textes du XII' siècle qui ôte à Louis le Pieux ce rôle et l'attribue à son père. Pourquoi alors imputer la fondation à Charlemagne? Remensynder offre la réponse : «In proclaiming Charlemagne its founder, Conques tapped into a source of symbolic authority and legitimacy ahnost as powerful as the one Oviedo invoked in its legend of the Arca Santa's construction by the apostles' disciples. [ ... ] Renee for Conques to assert that it had been founded by Charlemagne was not on! y to appropriate the prestige and privilege of having been established by a king, but also to endow itself with a genealogy of ahnost charismatic authority »54. Le tympan du portail occidental de l'église Sainte-Foy de Conques, daté du début XIIe siècle55, rappelle le rôle que joue Charlemagne pour ce lieu. Dans la représentation du Jugement Dernier, à la droite du Christ, fignre en effet un roi couronné, à la suite de la Vierge, de saint Pierre et de l'abbé Dadon. Ce roi est selon toute vraisemblance à identifier à Charlemagne, accompagné d'une femme, probablement son épouse Berthe56. Derrière suivent d'autres personnages portant des objets rappelant les dons légendaires de l'empereur. Il faut encore signaler qu'une chronique plus tardive, celle d'Hélinand du Mont Froid, retranscrit la liste des vingt-quatre monastères mais attribue leur fondation à Louis le Pieux57

En ce qui concerne l'abbaye de Saint-Denis, les Miracula sancti Dionysii nous apprennent que la construction de la basilique, après avoir été détruite, fut commencée par Pépin le Bref et terminée par

54. A. G. Remensnyder, « Legendary ... >> (n. 52), 891.

55. G. Gaillard & M.-M. Gauhtier, Rouergue (n. 51), 49.

56. G. Gaillard & M.-M. Gauhtier, Rouergue (n. 51), 49. Les auteurs reprennent l'hypothèse avancée par Émile MALE, L'art religieux du XII" siècle en France, Paris: Armand Colin, 1953 (1922), 413.

57. HELINAND, Chronicon, livre 47, année 820 (PL, CCXII, cols 856B-856D). Cette chronique, qui débute en l'an 634, s'achève avec la prise de Constantiuople par les Francs en 1204.

Références

Documents relatifs

Ce rapport indique les faits suivants (librement traduits ici du latin en français) : « Lorsqu'il (le roi) fut convaincu, par des gens tenus pour compétents, que ce serait possible

The Abbey of Saint-Denis, at the end of the eleventh century, did the same thing by ordering the writing of the Descriptio relating how Charlemagne received a nail of the cross and

All these reliquaries come from Aachen and were commissioned by imperial figures who wanted to legitimize their own power by associating themselves with Charlemagne and. making him

Most sites associated with the cult of Charlemagne, scattered throughout Christendom, tried to obtain objects said to be 'of Charlemagne' (see Legendary Presents of Charlemagne)

[r]

Quelques temps après la mort de Pépin le Bref en 768, son fils Charlemagne s’empare du pouvoir et poursuit les conquêtes territoriales de son père.. Relève toutes les

L’empire catholique de Charlemagne coexiste avec l’Empire byzantin, héritier de l’empire romain d’Orient.. Les deux empires ont en commun d’être chrétiens, mais ils ont

Il conquiert ainsi le Nord de l’Espagne aux Arabes, la Bavière qui refusait de faire allégeance à Charlemagne, la Lombardie, mais les campagnes les plus nombreuses et