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Le Portugal

idées

reçues

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À Ana

Mes remerciements vont à Patrick Veret pour sa présence, à Thomas Caillez pour sa relecture attentive et à AICEP (Office du commerce et du tourisme portugais en France) pour ses données précises.

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Le Portugal

Pierre Léglise-Costa

Histoire & Civilisations

E D I T I O N S

idées

reçues

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Pierre Léglise-Costa

Pierre Léglise-Costa est historien de l’art et linguiste, professeur, commissaire d’expositions, critique et traducteur. Il est spécia- liste des pays de langue portugaise. Il dirige la collection

« Bibliothèque portugaise » des éditions Métailié.

Du même auteur

La Princesse Guenon, contes du merveilleux portugais, Gallimard, Folio Junior Bilingue, 1981

– La circulation des formes architecturales dans les pays de langue portugaise, ICOM

– Le Portugal, Europe intime, Romain Pages – Univers Pessoa, Europalia, Bruxelles, 1991

– Des Nouvelles du Portugal, 1974-1999, Métailié, poche, 2000 – Théâtre portugais XVIIIesiècle, Climats & Maison Antoine Vitez – Saudade, Portugal, La Boussole, 2002

– France-Brésil, bibliographie générale commentée, ADPF Auteurs portugais traduits : António Lobo Antunes, Cucha Carvalheiro, Mário Cláudio, António José da Silva, Fernando Pessoa, Eça de Queiroz, Cesário Verde, Gil Vicente.

La collection « Idées Reçues »

Les idées reçues sont tenaces. Nées du bon sens populaire ou de l’air du temps, elles figent en phrases caricaturales des opinions convenues. Sans dire leur origine, elles se répandent partout pour diffuser un « prêt-à-penser » collectif auquel il est difficile d’échapper…

Il ne s’agit pas ici d’établir un Dictionnaire des idées reçues contemporain, ni de s’insurger systématiquement contre les clichés et les « on-dit ». En les prenant pour point de départ, cette collection cherche à comprendre leur raison d’être, à déceler la part de vérité souvent cachée derrière leur formu- lation dogmatique, à les tenir à distance respectable pour offrir sur chacun des sujets traités une analyse nuancée des connaissances actuelles.

Vous souhaitez aller plus loin ? www.ideesrecues.net

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PORTUGAL – Lorsque les Romains conquirent l’ouest de la péninsule Ibérique au IIe siècle avant J.-C. aux peuples qui y habitaient, ils l’appelèrent la Lusitanie. Elle fut com- plètement séparée de l’Hispanie en 27 avant notre ère, et devint province autonome. Sa plus grande ville atlantique, Olissibo ou Osilipo (Lisbonne), devint municipe romain.

Le nom « Portugal » naquit au moment de la reconquête chrétienne, lors de la juxtaposition des deux rives au nord et au sud de l’embouchure du Douro : Portus et Cale ou Portucale, actuelle Porto, dès 868.

D’abord comté au IXe siècle, il devint royaume indépen- dant en 1143. Les frontières qui le délimitent dès 1279 sont, à peu de choses près, celles qu’il a encore de nos jours, ce qui fait de lui le plus ancien pays aux frontières fixes en Europe, et lui donne une unité politique et linguistique totale.

Les Portugais sont issus de la complexe stratification qui va des Celtibères aux Wisigoths, nom général pour les hommes venus du Nord de l’Europe, en passant par tous les mélanges méditerranéens qui ont abordé les côtes du pays, ensuite les Arabes, que l’on appelait les Maures, et même, plus tard, les divers mélanges issus de la colonisation.

Si la racine latine « luso » sert de nos jours encore pour certains mots à usage lié au portugais, comme « lusophone » (celui qui parle le portugais), il semble inadapté d’appeler

« Lusitaniens » les Portugais contemporains. Ce serait un peu comme si on substituait les Gaulois aux Français…

Pourquoi pas… mais qu’y a-t-il de mieux, en effet, que le substantif ou l’adjectif « portugais » ? Comme le dirait Fernando Pessoa : « Il était Portugais ; n’étant pas tel ou tel Portugais, c’est le Portugais sans limitation aucune. » La langue, elle, est la sixième langue parlée dans le monde, et la troisième langue européenne la plus pratiquée, après l’Anglais et l’Espagnol.

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Introduction . . . . 9

Le Portugal hier

« Le Portugal a toujours été dominé par

l’Espagne. » . . . . 13

« Les Portugais n’aiment pas les Espagnols. ». . . .21

« Le Portugal n’a que très peu de liens avec

l’Europe. ». . . .25

« Les Portugais et les Français ont eu des liens privilégiés. » . . . .31

« Les Portugais furent de grands navigateurs

et colonisateurs. » . . . . 37

« Les Portugais ont exporté leur foi et leur art dans les régions qu’ils découvraient. » . . . . 45

« La révolution des Œillets a mis fin

pacifiquement à la dictature de Salazar. » . . . . 51

Le Portugal aujourd’hui

« Le Portugal demeure un pays pauvre. » . . . . 59

« Le Portugal est un peuple d’émigrants. » . . . . 63

« Le tourisme est la principale ressource

du pays. » . . . . 69

« Le nombre de naissances diminue

et la population est vieillissante. » . . . . 75

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La société portugaise : art de vivre, langue, religion, culture

« Le vin de Porto est un apéritif. » . . . . 81

« Les Portugais mangent de la morue. » . . . . 85

« La saudadeet le fadosont les marques

de la mélancolie portugaise. » . . . . 91

« La langue portugaise est chuintante

et peu parlée dans le monde. » . . . . 97

« Les Portugais sont très catholiques. » . . . . 103

« Le Portugal est le pays du noir et des

azulejos. » . . . . 109

« Pessoa est l’écrivain portugais

le plus connu. » . . . . 117

Conclusion . . . . 123

Annexes

Pour aller plus loin . . . . 126

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Bref rappel historique

Fondé en 1143, le Portugal établit ses frontières après la conquête de l’Algarve aux Maures en 1249. Il se tourna vers la mer dès 1415, en prenant Ceuta au Maroc, puis se lança dans l’extraordinaire aventure des découvertes qui, une fois l’Afrique contournée, culminèrent avec l’arrivée de Vasco de Gama en Inde en 1498. Celle-ci modifia les données géographiques et économiques, avant le dévelop- pement des échanges avec l’Amérique. Le Brésil, à partir de 1500, compléta cet « empire des mers » et le rendit colossal. La découverte de l’or, au Sud-Est de ce territoire sud-américain, vers la fin du XVIIesiècle, y changea la situa- tion géopolitique intérieure, et donna au long règne de João V (1707-1750) un pouvoir financier exceptionnel. Le

XIXesiècle, au Portugal, connut une histoire mouvementée.

La perte du Brésil, indépendant en 1822, le fit se tourner vers les colonies africaines. L’Angola, le Mozambique connaîtront un défrichage territorial, une nouvelle coloni- sation en quelque sorte. Ils attireront les convoitises anglaises et, à un moment donné, allemandes. Le Portugal finira par entrer dans la Première Guerre, en 1916, pour préserver ces colonies-là. Entre-temps, après huit siècles de monarchie ininterrompue – les rois espagnols, de 1580 à 1640, avaient la double couronne, ce qui maintenait une « monarchie portugaise » – le Portugal connaissait une première République en 1910. Avec quelques soubre- sauts et de graves problèmes financiers, elle se maintint jusqu’en 1926, date de l’instauration d’une dictature mili- taire. Elle se transformera en une dictature civile sous la férule de Salazar, de 1931 à 1968, puis de son successeur jusqu’à la révolution dite des Œillets en 1974. Le Portugal, devenu une démocratie occidentale, est entré dans la Communauté économique européenne en 1986, et a tenu sa première présidence de l’Union européenne en 1992. Il a obtenu, grâce aux bons résultats de son écono- mie, de faire partie de la zone euro depuis sa création, en 2000.

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Introduction

Accepter d’écrire sur les idées reçues en France sur le Portugal, et par conséquence sur les Portugais, est à la fois délicat, car il y a toujours presque un million d’habitants d’origine portugaise en France, et néces- saire car les Français se sont créés, depuis précisé- ment les premiers flux de l’immigration économique à la fin des années cinquante, un certain nombre d’idées reçues, dont certaines ont la vie dure malgré les évidences contraires.

Pour dire les choses avec une certaine brutalité, les Portugais, vus de la France ordinaire, sont de bons travailleurs, discrets, honnêtes, humbles. Les hommes sont employés dans les travaux publics et le bâtiment, les femmes sont concierges ou font le ménage. Les milieux cultivés ont appris à connaître les noms de Pessoa, Lobo Antunes ou Saramago, mais le prestige de ces grands écrivains ne semble pas atteindre l’image stéréotypée des Portugais en général.

Quant au Portugal, c’est un petit pays, pauvre et lointain, et par certains aspects, très retardé.

Beaucoup d’émigrants, eux-mêmes, ont contribué à entretenir cette idée, soit parce que c’est celle qu’ils ont gardée de leur jeunesse dans leurs villages avant de quitter le pays, soit par absence de connaissance des réalités urbaines, économiques et culturelles actuelles.

Le tourisme de masse ou individuel découvre cepen- dant le Portugal depuis une trentaine d’années. La révolution des Œillets de 1974 a attiré beaucoup de monde de l’Europe démocratique. Plus tard, les Européens du Nord ont découvert les plages de l’Algarve, les golfeurs les grands terrains soignés au bord de la mer. Les touristes français visitent Lisbonne,

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où ils s’intéressent principalement aux vieux quartiers, comme Alfama, et préfèrent garder l’image de cet exo- tisme-là plutôt que des aspects modernes du mode de vie portugais.

L’art, au Portugal, a souvent du mal à toucher le visiteur français. Les azulejos frappent l’œil évidemment, mais on continue à dire qu’ils sont toujours bleus.

Le manuélin ou les palais de Sintra proposent des syncrétismes trop différents, qui n’entrent ni dans les schémas gothiques ni dans ceux de la Renaissance si prisés. Le baroque a toujours effarouché les Français.

Et si l’Exposition universelle de 1998 a beaucoup attiré, les grands architectes portugais contemporains demeurent méconnus.

La musique portugaise, c’est le Fado, et en y ajou- tant des notions stéréotypées de saudade, tous les Portugais sont fatalistes et mélancoliques. Mais lorsqu’on fait une grande exposition à Paris sur la mélancolie, il n’y a pas un mot sur le Portugal ni d’œuvre représentant cet aspect-là.

Les Portugais sont aussi nostalgiques ; notamment de leur passé. On sait que jadis, ils ont connu des jours meilleurs, avec beaucoup de colonies qu’ils ont perdues il y a longtemps. Mais on ne sait ni pourquoi ni comment. Les manuels français d’histoire n’en parlent guère, à part les voyages d’un Vasco de Gama ou d’un Cabral. Enfin, pour exprimer crûment ce qu’on entend un peu partout : les hommes portugais sont petits, les femmes ont de la moustache, et tout le monde ne mange que de la morue…

Qu’y a-t-il de vrai dans ces idées reçues et comment prétendre les détruire lorsqu’elles s’avèrent fausses au vu de la réalité historique ou contempo- raine ? Peut-être en suggérant modestement quelques pistes pour une meilleure connaissance du Portugal.

Essayons…

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LE PORTUGAL HIER

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Le Portugal existe-t-il ?

Après le tremblement de terre qui détruisit en grande partie la ville de Lisbonne en 1755, et qui impressionna l’Europe des lumières, les Encyclopédistes souhaitèrent avoir le plan de reconstruction de la ville. Celui-ci avait été proposé par les architectes Manuel da Maia, Eugénio dos Santos et Carlos Mardel au marquis de Pombal, ministre tout puissant du roi José I, qui avait établi un cahier des charges précis. Les plans furent acceptés et considérés comme une grande innovation. La rationalité, la logique et les idéaux de l’illuminisme y prévalaient. Ils furent envoyés à Paris. Ils se perdirent en route. La nouvelle Lisbonne ne fut pas publiée dans l’Encyclopédie. Lisbonne n’existait plus. Les Portugais s’en accommodèrent, apparemment.

Quand on regarde une mappemonde faite en Occident, il est frappant que la péninsule Ibérique, avec à son extrémité ouest le Portugal, soit au centre, comme si sa position géo- graphique était à la fois presque détachable du reste de l’Europe et centrale pour le reste. José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, l’avait bien saisi en écrivant Le Radeau de pierre, où il imagine une péninsule qui se serait réellement détachée du continent européen et voguerait de par les mers. Elle serait différente, mais ce serait elle qui provoquerait l’effet d’entraînement du vieux continent en route vers les autres continents. Le Portugal sur le radeau de la péninsule s’y fondrait-il ?

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« Le Portugal a toujours été dominé par l’Espagne. »

Je suis allé jusqu’au bout de ces Espagnes.

Théophile Gautier, Voyage en Espagne, 1843

Lorsque Théophile Gautier part à la découverte de l’Espagne en 1840, il en rapporte ses éblouissements et ses interrogations, un livre, le Voyage en Espagne, publié en 1843, qui a marqué les esprits, et des poèmes. Pas un mot n’indique le Portugal. Louis-Philippe avait ouvert la Galerie espagnole au Louvre, en 1838, avec un grand nombre de peintures que le baron Taylor avait rapportées d’Espagne, et que peut-être Gautier aura admirées. Napoléon III, non plus, ne s’intéresse guère au Portugal : sa femme est espagnole, sa galerie d’art présente la peinture espagnole comme la seule grande création artistique de toute la péninsule Ibérique. Très longtemps, on va considérer, en France, que la péninsule Ibérique c’est, grosso modo, l’Espagne.

L’Espagne est à la mode au XIXe siècle : des pièces, comme Ruy Blas (1838), un opéra très vite joué partout dans le monde, Carmen(1875)… De l’Histoire revue par les romantiques au pittoresque des dessins de voyage ou des clichés, l’Espagne, ou plutôt l’image que l’on s’en fait, constitue l’unique référence des territoi- res au-delà des Pyrénées. De nos jours encore, les jour- nalistes, surtout de la presse radiophonique, en parlant d’un nom espagnol, d’un événement qui se déroule en Espagne, utilisent régulièrement l’adjectif « ibérique » pour le qualifier, considérant que tout ce qui est ibé- rique est espagnol et écartant, de ce fait, l’existence du

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Portugal comme une entité différente à l’intérieur de la péninsule. En 1998, une exposition sur les Celtes en péninsule Ibérique à Paris excluait totalement la réfé- rence au Portugal, alors que tout un pan de la culture celtibère concerne traditionnellement le nord-ouest de la péninsule, comprenant donc les terres portugaises au nord du fleuve Douro. Une dame, au salon du Livre de Paris en mars 2007, jetant un coup d’œil à une quatrième de couverture d’un livre sur la révolution des Œillets à Lisbonne, se tourne vers l’auteur invitée à signer ses livres, et lui demande « Où se trouve cette ville en Espagne ? » Enfin, combien de fois, en allant acheter un billet d’avion pour Lisbonne ou Porto, ne nous sommes-nous pas trouvés devant un employé d’agence de voyage ou une hôtesse au sol cherchant frénétiquement ces deux noms en Espagne ! Une récente enquête sur le tourisme à Madère nous montre d’ailleurs que la plupart des touristes français désireux de s’y rendre croient qu’on n’y parle que l’espagnol.

Il est vrai que l’histoire de la péninsule Ibérique est fort mal racontée dans les manuels scolaires français, et c’est un euphémisme. Il est vrai également que lors- qu’il s’agit d’y faire référence, la taille et l’importance de la frontière pyrénéenne avec la France donnent naturellement la priorité au grand pays voisin. C’est également un fait que beaucoup de familles françaises possèdent des appartements sur les côtes espagnoles, notamment la Costa Brava, et ne s’avancent guère plus à l’intérieur. La langue espagnole est enseignée en langue vivante II dans tous les établissements du secondaire en France, tandis que le portugais n’existe que comme « langue d’émigration », ce qui réduit considérablement sa portée. Et si tout le monde sait, ou croit savoir qu’en Amérique latine, on parle l’espagnol, ce n’est que fort récemment qu’un plus grand nombre de gens savent qu’on s’exprime en

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portugais au Brésil. Il y a à peine vingt ans, lors d’une enquête menée pour la connaissance des langues dans le monde, 40 % des personnes sondées croyaient ferme qu’on ne parlait que l’espagnol au Brésil, assimilant encore une fois de la sorte la nation brésilienne au vaste monde hispanique.

Il est également vrai que la célébrité acquise, a posteriori, par Christophe Colomb, a passablement brouillé les cartes. La véritable propagande lancée autour de ce navigateur (dont on ne sait pas encore aujourd’hui avec exactitude, et de source sûre, l’origine ni même en grande partie les motivations) permettait de justifier la colonisation espagnole en Amérique.

Elle est plus tard reprise par les Américains du Nord, qui utilisent des médias de toute sorte, encore récem- ment le cinéma, à des fins d’autovalorisation. Et voilà une fois de plus écartée la jeunesse de Colomb au Portugal, tout comme sont écartées les grandes découvertes portugaises, notamment le Brésil et, surtout depuis deux siècles, l’importance de l’emprise portu- gaise en Orient et du voyage maritime de Vasco de Gama jusqu’en Inde qui, à l’époque, changea consi- dérablement les données géopolitiques.

Enfin, sans épuiser le sujet, il faut toujours se rappeler que les relations dynastiques entre la France et l’Espagne sont nombreuses, et quelquefois marquantes.

Au XVIIe siècle, en particulier, si important pour la culture française, elles atteignent un point culminant avec, d’abord, le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche (qui, malgré l’appellation que la France lui donna, le nom Habsbourg d’Espagne étant étran- gement exclu, était tout de même espagnole). Or, c’est précisément à ce moment-là que le Portugal était sous domination espagnole, et que les couronnes d’Espagne et du Portugal étaient toutes deux sur la tête des seuls rois espagnols : Philippe II, Philippe III et Philippe IV.

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En effet, entre 1580 et 1640, le Portugal perdit son indépendance car Philippe II devint Philippe I du Portugal par droits de succession, étant le parent le plus proche du roi portugais Sébastien, mort dans les sables de la bataille d’Al Khacer Khébir au Maroc, en 1578, sans descendance. Malgré la présence de prétendants plus ou moins légitimes au trône portu- gais, Philippe II réussit à faire prévaloir ses droits légaux, étant fils de princesse portugaise, l’impéra- trice Isabel, épouse de Charles Quint, et frère de Joana, la mère du roi Sébastien. Il accomplissait ainsi le vieux projet d’union mené de part et d’autre, depuis fort longtemps, par les deux royaumes de la péninsule Ibérique. Pendant soixante ans, et unique- ment pendant soixante ans, l’Espagne aura gagné et, du même coup, marqué les esprits au nord des Pyrénées. En outre, le prestige dont jouit Philippe II – qui contrôla des territoires comprenant à la fois l’empire espagnol et l’empire portugais et où « le soleil ne se couchait jamais » – ses relations complexes avec la France, son mariage, en troisièmes noces, avec Élisabeth de Valois dans le cadre de la politique euro- péenne de Catherine de Médicis, faisaient une bonne fois encore oublier totalement le nom du Portugal.

Plus tard, l’implantation des Bourbons français sur le trône d’Espagne en 1700, sous le titre de roi des Espagnes et des Indes, ajoutait à l’impression générale que l’Espagne était multiple et occupait la totalité du territoire, non seulement de la péninsule Ibérique comme des possessions extracontinentales. Louis XIV, qui savait bien que le Portugal était redevenu indépendant, tint à maintenir des relations diploma- tiques avec lui et même à en contrôler la politique, comme l’atteste son action en faveur de plusieurs mariages, dont celui de Marie Françoise de Savoie- Nemours avec Pedro II, après l’annulation du

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mariage de cette princesse avec son frère, le roi Afonso VI, qui venait d’être destitué et à qui, d’ailleurs, Louis XIV avait proposé jadis en mariage la Grande Mademoiselle, qui n’en voulut pas. Ensuite, lui-même pensa en 1683, à la mort de Marie Thérèse, à se marier avec l’infante Isabel du Portugal, à l’époque unique fille de Pedro II et de Marie Françoise de Savoie, convoitant du coup la possibilité de prendre le Portugal sous son aile. Il ne le fit pas, et une fois que son petit-fils devint Philippe V d’Espagne, le vieux projet d’union des deux pays sous la couronne espagnole, quoique jamais réalisé, reprit secrètement.

En réalité, en 1640, le duc de Bragance monte sur le trône du Portugal, sous le nom de João IV, et avec lui, le Portugal recouvre son indépendance. Cela ne va pourtant pas de soi car l’Espagne, ne voulant pas le perdre, déclenche une guerre qui, par intermittences, va durer vingt-huit ans. Elle se terminera par le traité de Lisbonne, dans lequel l’Espagne et la papauté reconnaissent l’indépendance définitive du Portugal.

En même temps, João IV doit entreprendre une forte action diplomatique afin de convaincre les cours européennes de la nouvelle indépendance du pays.

En mariant sa fille, Catarina de Bragance, avec Charles II d’Angleterre, en 1661, il consolide l’alliance traditionnelle avec ce royaume et cède, en dot de mariage, des territoires en Inde, dont la ville de Bombay, qui faisait partie jusqu’alors du vice- royaume portugais indien. Le traité de Methuen, en 1703, renoue des liens commerciaux étroits entre l’Angleterre, qui prend la meilleure part du gâteau, et le Portugal, laissant la France de côté. La France se joint à l’Espagne pour le critiquer.

On pourrait ajouter que depuis la fin du XIVesiècle, le Portugal a, au regard des Français, appartenu à

« l’autre camp », celui de l’Angleterre.

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Certains historiens considèrent même que la bataille d’Aljubarrota, en 1385, gagnée haut la main par les armées portugaises contre les espagnoles, grâce en partie à des techniques nouvelles de type anglais menées par le connétable portugais Nuno Alvares Pereira, faisait partie de l’ensemble de la guerre de Cent Ans. Celle-ci obligeait à des prises de position des divers pays d’Europe occidentale entre le camp anglo-bourguignon et le camp français. Or d’un côté, le Portugal était traditionnellement lié à la Bourgogne, comme on verra plus loin, et de l’autre avec l’Angleterre, lien renforcé par le mariage de João I avec Philippa de Lancastre en 1387, qui établit une sérieuse alliance politique, militaire et commerciale avec l’Angleterre. En 1430, le mariage d’Isabel du Portugal avec Philippe le Bon de Bourgogne consolida à son tour les rapports avec la Bourgogne.

Charles le Téméraire était donc aussi, de par sa mère, de sang portugais. L’annexion de la Bourgogne par Louis XI, puis tous les difficiles rapports entre Charles Quint et François Ier, mirent le Portugal au ban de la mémoire nationale française. Charles Quint étant le père de Philippe II, la boucle était bouclée, en quelque sorte, pour croire que le Portugal n’était qu’un terri- toire à oublier, et de toute façon devenu espagnol.

Il est remarquable que les troupes de Napoléon aient envahi par trois fois le Portugal, et qu’aucun manuel scolaire français n’en fasse mention. On peut déduire que, puisqu’elles subirent de curieuses défaites et qu’aucun grand récit ne les raconte, comme ce fut le cas pour la défaite de Russie, on n’en parle jamais. On se contente alors de citer les invasions en Espagne, d’autant que les gravures de Goya montrant les horreurs de cette guerre sont devenues célèbres. Et pourtant, les invasions napoléoniennes ont eu des conséquences quasi mondiales, car lorsque le maréchal Junot envahit Lisbonne en 1807, la Cour s’enfuit au Brésil.

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ANNEXES

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Pour en savoir plus

Les ouvrages sur le Portugal en langue française sont à la fois nomb- reux et insuffisants. Beaucoup de guides touristiques, généralement de vulgarisation, répètent les mêmes idées reçues. Pour la géographie, pourtant variée et intéressante, voyez l’étude un peu dépassée de Pierre Birot, parue dans les années cinquante. Quant aux archipels, vous pouvez lire Les Açores : un archipel au cœur de l’Atlantiquede Christian Rudel, chez Karthala (2002).

Pour l’histoire du Portugal, autant prendre Histoire du Portugal et de son empire colonial, des origines à l’indépendance, d’A. H. Oliveira Marques, chez Karthala (1998). Pour la période du régime de Salazar, la révolution des Œillets, et ce qui s’en est suivi, il faut lire les livres d’Yves Léonard et celui de Danièle Gervais-Marx (Les Œillets du souvenir, Atlantica, 2006). Il y a, également, plusieurs approches ponctuelles comme Napoléon et le Portugal de Nicole Gotteri (Giovanageli, 2004) sur les navigations et histoires des découvertes (éditions Chandeigne), ou les ouvrages que Geneviève Bouchon a consacrés à Vasco de Gama ou à Albuquerque. On doit y ajouter, sans faute, Pérégrinationde Fernão Mendes Pinto (La Différence, 2002) récit d’un aventurier en mer de Chine au XVIesiècle.

Dans l’édition (2004) du Guide bleu Portugal, les résumés de l’histoire, de l’histoire de la littérature et de l’art portugais sont corrects. Le double numéro de la revue Critique(495-496) titrée L’Épopée lusitanienne, Minuit, 1988 est très complet.

Pour l’histoire de l’art portugais, aucun ouvrage général marquant n’est disponible en France, à part Histoire de l’art portugais de Reynaldo dos Santos, chez Plon, en 1953, exalté mais peu « scientifique » au regard des critères actuels. Dans le numéro 113 de la Revue de l’art(CNRS), dédié au Portugal, on trouve d’excellentes études récentes. L’Histoire de l’art portu- gais(éditions Citadelles) est faite par des auteurs espagnols qui reprodui- sent des visions traditionnelles. Chez le même éditeur, Azulejos a de magnifiques photographies et des… oublis inexcusables.Le Baroque chez le même éditeur – aborde la question d’une façon pertinente.

L’ouvrage de José Augusto França, Une ville des lumières, la Lisbonne de Pombal (EHESS, 1965, F. C. Gulbenkian, 1988), est une référence.

Quelques bons textes et illustrations sont consacrés aux jardins portugais, dans Jardins du Maroc, d’Espagne et du Portugal : un art de vivre partagé, de Mohamed El Faïz (Actes Sud, 2003), ou dans Paradeisos, de Germain

Références

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