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QUE S A I S - J E? JEAN IMBERT Membre de l'institut Professeur émérite à l'université de Droit, d'économie et de Sciences sociales de Paris

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Q U E S A I S - J E ?

J E A N I M B E R T Membre de l'Institut

Professeur émérite à l'Université de Droit, d'Économie et de Sciences sociales de Paris

Troisième édition corrigée 1 9 mille

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D U M Ê M E A U T E U R

Postliminium. E s s a i s u r l a condition j u r i d i q u e d u p r i s o n n i e r de g u e r r e en d r o i t romain, P a r i s , 1945.

Un p o i n t d e d r o i t : est-ce P i l a t e q u i a c o n d a m n é N.-S. J . - C . ?, P a r i s , P r o c u r e générale, 1947.

L e s h ô p i t a u x en d r o i t canonique, P a r i s , V r i n , 1947.

H i s t o i r e d u d r o i t privé, P a r i s , PUF, 8 éd., 1996 (coll. « Q u e sais-je ? ») ; t r a d u c t i o n j a p o n a i s e , 1973.

L e d r o i t hospitalier d e la Révolution e t d e l'Empire, P a r i s , Sirey, 1954.

L e s h ô p i t a u x en F r a n c e , P a r i s , PUF, 7 éd., 1996 (coll. « Q u e sais-je ? »).

H i s t o i r e d e s institutions k h m è r e s , P h n o m - P e n h , 1961.

H i s t o i r e é c o n o m i q u e d e s origines à 1789, P a r i s , PUF, 1969 (coll.

« T h é m i s ») ; t r a d u c t i o n e s p a g n o l e , 3 éd., 1977.

L a F r a n c e et les d r o i t s d e l'homme, P a r i s , L a D o c u m e n t a t i o n française, 1968.

L ' h ô p i t a l f r a n ç a i s , P a r i s , PUF, 1972 ( « D o s s i e r s T h é m i s » ).

L e C a m e r o u n , P a r i s , PUF, 1976 (coll. « Q u e sais-je ? »).

L e d r o i t a n t i q u e e t ses p r o l o n g e m e n t s m o d e r n e s , P a r i s , PUF, 3 é d . , 1976 (coll. « Q u e sais-je ? ») ; t r a d u c t i o n g r e c q u e , 1965 ; p o r t u g a i s e , 1966.

L ' É g l i s e catholique d a n s la F r a n c e contemporaine, P a r i s , E c o n o m i c a , 1990 (coll. « M i e u x c o n n a î t r e »).

L e s t e m p s carolingiens ( 7 4 1 - 8 9 1 ) , vol. I : L ' É g l i s e : les institutions, vol. I I : L ' É g l i s e : l a vie d e s fidèles, Paris, É d . C u j a s , 1994-1996 (coll.

« H i s t o i r e d u d r o i t e t d e s i n s t i t u t i o n s d e l'Église e n O c c i d e n t »).

Guide d u c h e r c h e u r en histoire de l a p r o t e c t i o n sociale, vol. I I (1789-1914), P a r i s , A s s o c i a t i o n p o u r l ' é t u d e d e l ' h i s t o i r e d e la S é c u r i t é sociale, C o m i t é d ' h i s t o i r e d e l a S é c u r i t é sociale, 1997.

L a p e i n e d e m o r t , P a r i s , PUF, 3 éd., 1998 (coll. « Q u e sais-je ? »).

E n c o l l a b o r a t i o n a v e c :

R . M o n i e r e t G . C a r d a s c i a , H i s t o i r e d e s institutions e t d e s f a i t s s o c i a u x d e s origines à l ' a u b e du M o y e n A g e , P a r i s , M o n t c h r e s t i e n , 1955.

U n g r o u p e d ' é t u d i a n t s : Quelques p r o c è s criminels d e s XVII e t XVIII siècles, P a r i s , PUF, 1964.

G . S a u t e l e t M . B o u l e t - S a u t e l , H i s t o i r e des institutions e t d e s f a i t s sociaux, P a r i s , 1970 (coll. « T h é m i s . T e x t e s e t d o c u m e n t s »).

H . M o r e l e t R . J. D u p u y , L a p e n s é e p o l i t i q u e d e s origines à n o s j o u r s , P a r i s , PUF, 1969 (coll. « T h é m i s . T e x t e s e t d o c u m e n t s »).

G . L e v a s s e u r , L e pouvoir, les j u g e s e t les b o u r r e a u x , P a r i s , H a c h e t t e , 1972.

M . M o l l a t , J.-P. G u t t o n , P. R a y n a u d e t L. V e y r e t , H i s t o i r e d e s h ô p i t a u x e n F r a n c e , T o u l o u s e , P r i v a t , 1982.

ISBN 2 13 038490 0

Dépôt légal — 1 édition : 1980 3 édition corrigée : 1999, juillet

© Presses Universitaires de France. 1980 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

Le présent ouvrage ne veut être ni un plaidoyer ni un sermon : il s'agit avant tout d'une étude scien- tifique, qui s'efforcera dans toute la mesure du possible d'être impartiale, consacrée à l'un des procès les plus célèbres de l'histoire de l'humanité.

Les écueils sont nombreux, et l'un des plus difficiles à surmonter tient à la personnalité même du condamné. Pour des centaines de millions de nos contemporains, Jésus est non seulement un homme, mais le fils de Dieu, alors que pour d'autres il est simplement un être exceptionnel, un prophète dont le succès a provoqué la naissance d'une religion nouvelle... Il ne paraît pas nécessaire de prendre parti entre ces deux opinions opposées, quel que soit notre sentiment personnel : cette étude se bornera volon- tairement aux aspects techniques du procès pro- prement dit, sans aborder l'environnement théo- logique qui nécessiterait à lui seul des développements beaucoup plus amples. Nous souhaitons apporter aux croyants comme aux incroyants des éléments de réflexion fondés sur une analyse objective, comme nous le ferions en étudiant tout autre procès : d'ailleurs, n'a-t-on pas appelé la condamnation judiciaire de Jésus « l'affaire Dreyfus d'il y a deux mille ans » ?

Ce rapprochement parfois tenté avec l'affaire

Dreyfus évoque une autre difficulté, suscitée par le

facteur émotionnel que recèle toute approche de

conclusions même purement scientifiques à propos du

procès de Jésus. Au cours de sa douloureuse histoire,

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le peuple juif a été soumis à de multiples persécu-

tions, et, au nombre des motifs allégués pour justifier

la haine à l'égard des Juifs, leur responsabilité dans le

processus qui aboutit à la mort du Christ revient

comme un leitmotiv. L'un des plus anciens docu-

ments laïcs qui fait allusion à la condamnation de

Jésus, écrit sans doute peu après 73, en accuse

nettement le peuple juif. Il s'agit de la lettre d'un

stoïcien syrien, Mara bar Sarapion, qui déplore

l'exode des citoyens de Samosate, exilés par les

Romains vers Séleucie, et rappelle à ce propos trois

condamnations célèbres : « Quel profit avaient les

Athéniens à faire mourir Socrate... ? Ou bien les

Samnites à brûler Pythagore... ? Ou les Juifs à

exécuter leur roi sage, puisqu'ils furent dès lors

spoliés de leur royaume ? Car un Dieu juste vengea la

mort de ces trois sages. Les Athéniens moururent de

faim, les Samnites furent submergés par la mer, les

Juifs périrent ou furent bannis et vécurent disper-

sés. » La « perfide tradition du peuple déicide » se

prolongera pendant de longs siècles, et elle n'a pas

totalement disparu : certains auteurs contemporains,

dont les travaux ont par ailleurs une valeur scien-

tifique incontestable, ont peine à se dégager des

accusations séculaires portées contre « les Juifs », tel

Winter qui, écrivant d'excellentes pages sur le procès

du Christ, les dédie « aux morts d'Auschwig et

Ibisca... parmi lesquels sont ceux qui me furent les

plus chers », et qui apporte ainsi comme une sorte de

témoignage personnel vécu dans la dramatique survie

du peuple juif. Pour notre part, nous nous effor-

1. D'autres auteurs, contemporains de Sarapion mais plus avertis

que lui de la réalité historique des événements, mentionnent que le

Christ « fut exécuté sous le règne de Tibère par le procurateur Ponce

Pilate » (Tacite, Annales. 15, 44 ; Flavius Josèphe, Antiquités juives, 18,

3, 3, § 64) : le témoignage de Sarapion reflète l'opinion commune, dont

nous essayerons de montrer à partir de quels événements elle s'est

répandue.

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cerons, en nous appuyant sur les textes originels, de clarifier les responsabilités juridiques et morales dans la condamnation de Jésus : dès maintenant cepen- dant, sans déflorer nos conclusions, il est permis d'affirmer que le peuple juif n'est pas plus respon- sable de la mort du Christ que les Anglais ne le sont de l'exécution de Jeanne d'Arc, ou les Français de celle du duc d'Enghien...

Un troisième handicap guette celui qui veut donner une vue d'ensemble sur le procès du Christ. Toute étude scientifique sérieuse devrait signaler, au moins sommairement, les hypothèses émises antérieurement sur le sujet traité. Nous serons obligé de rapporter les discussions en cours sur certains épisodes de la procédure qui a abouti à la crucifixion de Jésus, notamment sur le rôle exact du Sanhédrin dans le déroulement du procès. Mais nous ne pourrons énumérer toutes les conjectures émises à propos de chaque phase de l'instance : la seule liste des travaux consacrés à ce procès célèbre ne tiendrait pas dans un volume de la collection « Que sais-je ? ». En dehors des quelque cinq cents ouvrages ou articles qui traitent du procès proprement dit, tous les auteurs qui ont décrit la vie du Christ ont narré à leur façon les étapes de sa condamnation. De nombreux films, des pièces de théâtre, des émissions de radio ou de télévision ont également, avec plus ou moins de bonheur mais généralement sans grand souci de la vérité historique, retracé divers épisodes du procès et de la mort du Christ.

Par ailleurs certaines études qui à première vue ne

concernent pas le procès - tels par exemple les

travaux sur les manuscrits de la mer Morte - sont

susceptibles d'avoir une incidence sur l'opinion que

l'on peut émettre à l'égard de l'une des phases de la

procédure... Les lecteurs désireux de prendre connais-

sance des problèmes particuliers soulevés sur des

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points précis pourront se reporter à deux ouvrages fort différents : celui de Joseph Blinzler, traduit de l'allemand par G. Daubié (publié chez Mame), dont la rigueur scientifique mérite les plus grands éloges' ; celui de Michel Plault, qui sans doute a fait preuve de beaucoup d'imagination et à ce titre est assez contestable du point de vue strictement historique, mais qui reconstruit un environnement psychologique vraisemblablement assez proche de la société du t e m p s

Les divergences entre les auteurs qui ont abordé les différents problèmes historiques relatifs au procès du Christ tiennent en grande partie à l'attitude qu'ils adoptent à l'égard des sources qui nous relatent les faits. L'authenticité des documents utilisés, leur datation, leur interprétation posent une série de questions qu'il faut résoudre préalablement à toute analyse du procès lui-même : le chapitre premier sera tout entier consacré à une analyse critique des documents dont nous disposons pour retracer les différents épisodes du procès. Ce n'est qu'ensuite que nous pourrons nous pencher sur le déroulement de la procédure qui a abouti à la crucifixion du Christ.

1. Paru en 1962, l'ouvrage de Blinzler ne peut évidemment pas tenir compte des publications scientifiques ultérieures, et nous nous séparons sur plusieurs points de ses conclusions.

2. Affaire Jésus. Rapports de Ponce Pilate. préfet de Judée à la

chancellerie romaine, présentés par M. Plault, Paris, Calmann-Lévy, 1965.

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C h a p i t r e I

L E S S O U R C E S D O C U M E N T A I R E S

La description d'un fait historique suppose que le narrateur ait à sa disposition des sources authentiques et concordantes.

Or le procès du Christ a été un événement si important pour l'histoire du monde que nombre de récits ont été fabriqués de toutes pièces très longtemps après les événements, pour des motifs divers sur lesquels il n'est guère possible de nous pencher. C'est ainsi qu'il serait aberrant, pour retracer le procès de Jésus, d'utiliser ce qu'il est convenu d'appeler la

« lettre de Lentulus », qui contiendrait l'ordre d'arrêter Jésus, ordre émanant de Pilate lui-même... alors que le document en question est un faux fabriqué au XIII ou XIV siècle. De même, certains renseignements concernant Pilate, pourtant très utilisés au Moyen Age, nous sont fournis par l'Évangile de Nicodème, qui n'est qu'un texte apocryphe datant au plus tôt du IV siècle : il ne peut donc être invoqué dans une recherche scientifique.

Le problème se complique lorsque les hommes de science se divisent sur l'authenticité d'un texte ancien. Un bon exemple de cette divergence d'opinions nous est fourni à l'occasion d'une affirmation contenue dans les Antiquités juives, ouvrage composé par l'historien juif Flavius Josèphe vers 93 : « Bien que Pilate l'ait condamné au supplice de la croix sur la dénonciation des premiers d'entre nous, ceux qui l'avaient aimé dès le commencement ne cessèrent pas de l'aimer. » Certains savants ont soutenu que la phrase entière avait été ajoutée au texte original de Flavius Josèphe ; cette opinion paraît aujourd'hui abandonnée mais quelques linguistes pensent encore que certains passages de la phrase ont été interpolés (notamment l'expression « les premiers d'entre nous », qui ne paraît pas être du style habituel de Flavius) ; pour notre part, nous ne voyons aucun motif de suspecter l'authenticité du texte. De même, il n'y a pas de raison scientifique valable de rejeter un autre texte de Flavius Josèphe, une version slave de La guerre juive, où l'on

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trouve une narration de la mort du Christ qui ne coïncide pas tout à fait avec celle que nous livrent les Evangiles : tout en reconnaissant que Jésus a été arrêté sur le mont des Oliviers et condamné par Pilate à être crucifié, Flavius considère que Jésus était un magicien et projetait un soulèvement du peuple juif.

Cette manière d'envisager et d'interpréter l'action du Christ nous paraît tout à fait logique de la part d'un historien juif qui a recueilli des témoignages de ses concitoyens sur la vie publique de celui qui, au premier abord, pouvait être considéré comme un agitateur... Certes, Flavius Josèphe n'est « ni un grand esprit, ni un grand caractère » mais « il est bien documenté, sait ce dont il parle, et mérite d'être cru »

L'un des plus fameux historiens de l'Antiquité, Tacite, dans ses Annales écrites au début du II siècle, retrace l'incendie de Rome sous le règne de Néron, et signale incidemment, à pro- pos des chrétiens : « Celui qui est à l'origine de ce nom, le Christ, fut exécuté sous le règne de Tibère par le procurateur Ponce Pilate. »

Si l'on ajoute, aux citations de Flavius Josèphe et de Tacite, le passage de Sarapion que nous avons cité précédemment, on constate que les documents non chrétiens nous apportent deux témoignages essentiels sur le procès de Jésus : d'une part, le Christ a été condamné à mort par Ponce Pilate, procurateur romain ; d'autre part, ce sont les autorités juives qui ont provoqué la comparution de Jésus devant le juge romain. Mais ces narrations sont beaucoup trop brèves pour retracer la procédure qui a précédé la crucifixion : il faut donc nous référer aux Évangiles, et analyser par ailleurs les sources juridiques romaines et juives concernant les procès criminels ; ce n'est qu'après avoir examiné ces trois types de documents que nous pourrons nous efforcer de retracer les étapes du procès de Jésus.

I. — Les Évangiles

Le principal outil de travail pour décrire les épisodes du pro- cès est assurément constitué par les Évangiles. A leur propos, deux questions se posent : Ces textes sont-ils authentiques, c'est-à-dire ont-ils été rédigés à une date où les narrateurs étaient en mesure de décrire les faits avec exactitude ? Par ail- 1. J. Dauvillier, Les temps apostoliques. I siècle. Paris, 1970, p. 119 ; A.-M. Dubarle, Le témoignage de Josèphe sur Jésus d'après la Tradition indirecte, dans Revue biblique, 1973, p. 481-513 ; O. Betz, Probleme des Prozesses Jesu, dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, Principat, 25-1 : Religion, Berlin, 1982, p. 582-602.

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leurs, les évangélistes n'ont-ils pas, de bonne foi, trahi la vérité historique en rapportant des faits qu'ils croyaient exacts, mais qui ne l'étaient pas ?

Les synoptiques. — L'authenticité des Évangiles a fourni aux historiens ample matière à réflexion... et à discussion. De nom- breuses études se sont efforcées de rechercher la préhistoire du texte, sa formation, son intégrité, sa datation Notons au pas- sage que la question de l'inspiration est différente de celle de l'authenticité : décrire l'histoire de la « révélation » n'est pas un privilège lié à la qualité d'apôtre (Marc et Luc n'ont jamais été considérés comme apôtres). Le processus d'élaboration du texte même des Évangiles nous semble avoir été bien mis en lumière par Mgr Bruno de Solages dans un article intitulé

« Mathématiques et Évangile », fondé principalement sur des données linguistiques : ses conclusions n'ont été modifiées que sur des points mineurs. Les Évangiles synoptiques (Marc, Mat- thieu et Luc) présentent entre eux des analogies frappantes, venant du fait que Luc et Matthieu, dans leur travail de rédac- tion, auraient utilisé l'évangile de Marc et une autre source inconnue : puisant amplement dans ces deux sources, Luc et Matthieu en ont reproduit l'essentiel, mais en ajoutant quel- ques compléments sur des faits qui les avaient frappés person- nellement, quelques détails auxquels les auteurs précédents n'avaient pas songé. Cette sorte de filiation chronologique entre les divers Évangiles (qui n'exclut nullement l'utilisation d'une « documentation multiple » loin de susciter des doutes, 1. Les plus récentes, dont les résultats ont été publiés dans les années 80 par J. Carmignac, J. A. T. Robinson et C. Tresmontant, ont d'ailleurs complètement bouleversé l'enseignement des décennies précé- dentes (dénoncé par ces chercheurs comme reposant sur les présupposés philosophiques de Kant et de l'école allemande, repris par Renan et ses émules), selon lequel les Évangiles seraient des compositions tardives, produites directement en langue grecque à la fin du I siècle, voire au début du II au terme d'une transmission orale par les communautés chrétiennes. Contrairement à cette opinion, les conclusions de ces trois auteurs (parfois accusés de fondamentalisme) affirment que ce sont bien les Evangiles qui ont produit les communautés, et non l'inverse.

2. Il est admis actuellement, par la plupart des auteurs, que les Évan- giles ont été rédigés à partir de matériaux différents, de plusieurs « docu- ments de base » : c'est la thèse de la « documentation multiple » dont on trouvera une excellente présentation dans P. Benoit et M.-E. Boismard, Synopse des quatre Évangiles en français, t. 11, 1972, p. 15 à 59 (lire en outre le travail de Frey consacré à l'Analyse mathématique appliquée aux Évangiles, Aix, 1967). Par ailleurs, chaque Évangile semble avoir fait l'objet de deux rédactions successives, dont seule la seconde nous est par- venue. En tout état de cause, Jean aurait connu les documents utilisés par

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apporte un argument de poids à leur authenticité, et nous aide à comprendre les divergences apparentes entre les récits de la passion du Christ : Matthieu et Luc ont en effet jugé inutile de reproduire les épisodes déjà bien décrits par Marc et y ont apporté quelques éléments nouveaux.

Selon les résultats obtenus par les historiens après de multiples recherches dont il serait trop long de rappeler le déroulement, l'Évangile de saint Marc a été sans doute narré puis écrit pour des chrétiens d'origine païenne, peut-être à Rome même : la rédaction ultime se place entre les années 65 à 70'. Seule la finale (16, 9 à 20), qui est absente de certains manuscrits, n'est sans doute pas de Marc lui-même, mais d'un disciple zélé : cette finale ne concerne d'ailleurs pas le procès.

Alors que Marc utilise un vocabulaire plutôt pauvre, apparenté à la langue populaire et au style sémantique, Matthieu, qui s'adresse principalement aux croyants venus du judaïsme, emploie une langue excellente ainsi que Luc dont l'élégance du style a été maintes fois soulignée. Tous les auteurs ne sont pas d'accord sur la datation de ces deux évangiles ; l'opinion commune des savants penche vers la date 45-60 (encore que le P. Lagrange estimait déjà que Luc écrivait du vivant de Paul, avant 67).

L'Évangile de Jean. — Reste le quatrième Évangile, celui de saint Jean, dont saint Irénée affirme qu'il a été composé à Éphèse ; or saint Irénée avait connu Polycarpe de Smyrne, lui- même disciple de Jean, et pouvait donc être bien informé. Dès le I I siècle, cet Évangile a été diffusé et vénéré à l'égal des trois synoptiques. Au XIX siècle, son authenticité a été mise en doute par des exégètes indépendants : Loisy par exemple y voyait un exposé de théologie mystique, dénué de toute valeur historique, composé par un chrétien du II siècle. D'autres exé- gètes, libéraux ou protestants, considéraient que cet Évangile devait être sacrifié, tandis que les catholiques en défendaient la valeur et l'authenticité. Des recherches plus récentes, menées à l'abri de tout préjugé doctrinal, ont conduit nombre de savants ses prédécesseurs et également le texte qu'ils avaient rédigé : il n'est donc pas étonnant qu'il s'efforce de les compléter. Il faut consulter la remar- quable synthèse de C. Perrot, Jésus et l'histoire, Paris, 1979 (spécialement le chapitre I Cependant, Tresmontant considérait que Jean écrivait en 36, juste après Matthieu, et avant Luc et Marc, tandis qu'il datait la rédac- tion de l'Apocalypse vers 60.

1. Même Paul Winter (Das Altertum, IX, 1963, p. 147 sq.), peu suspect de complaisance à l'égard des évangélistes, admet que l'Évangile de Marc a été écrit, à Rome, quarante ans environ après la mort du Christ.

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protestants à se rallier à la thèse traditionnelle, et à préciser les conditions de la rédaction de cet Évangile Une grande partie des historiens pensent actuellement que le quatrième Évangile a été transmis verbalement pendant une assez longue période : après avoir été prêché, le texte aurait été rédigé sans doute d'abord en Palestine et à Antioche, puis à Éphèse. Certains soutiennent que la rédaction finale doit être attribuée non à saint Jean lui-même, mais à un groupe de disciples : leur apport est sans doute la transcription très fidèle des entretiens de leur maître. La datation exacte ne peut être fixée avec certi- tude. Du point de vue du procès, et des relations qu'en donne Jean, il importe de souligner que son Évangile semble posté- rieur aux synoptiques. Cette datation, qui est admise par la plupart des chercheurs, explique que l'Evangile de Jean apporte aux synoptiques des compléments très importants mais aussi que sa narration soit sans doute influencée par le divorce, qui s'affirme plus nettement à la fin du I siècle, entre les institu- tions juives (notamment les observances légales que les phari- siens avaient multipliées à l'excès) et les institutions chrétien- nes. En tout état de cause, l'opinion selon laquelle Jean aurait écrit après la chute du temple paraît sujette à caution...

Les dissensions entre « chrétiens » et « juifs » apparaissent plus nettement encore dans les évangiles apocryphes, dont l'authenticité a toujours été rejetée par l'Église. Il en est ainsi du plus célèbre et du plus ancien de ces apocryphes, l'Évangile de Pierre, écrit en Syrie au milieu du I I siècle, qui a inspiré d'autres textes écrits postérieurement. Selon l'apocryphe de Pierre, les Juifs prennent une part beaucoup plus active à la condamnation de Jésus : au moment où Pilate se lave les mains, « le roi Hérode donna l'ordre de se saisir du Seigneur » et de le crucifier. Nous ne pouvons évidemment en aucune manière utiliser ce passage pour décrire le procès de Jésus ; cependant, reproduite par d'autres auteurs chrétiens au siècle suivant, cette assertion semble avoir eu une grande influence sur la tradition ultérieure du « peuple déicide » qui explique l'attitude hostile adoptée par les chrétiens à l'égard des Juifs...

Si le monde scientifique s'accorde à considérer comme authentiques les Évangiles synoptiques et celui de saint Jean, il n'en est pas de même pour l'interprétation des textes eux- mêmes. Il ne semble pas. comme c'était parfois le cas au XIX siècle finissant, que les évangélistes soient aujourd'hui 1. Dans l'immense bibliographie consacrée à l'Évangile de Jean, retenons l'ouvrage collectif: L'Evangile de Jean, études et problèmes, Paris-Bruges, 1958, et F. Mussner, Le langage de Jean et le Jésus de l'histoire, Bruges, 1969.

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traités d'affabulateurs, plus préoccupés d'enjoliver les actions du Christ dans un but de prosélytisme que de narrer la simple et pure vérité. Il est désormais admis que les textes évangé- liques retracent le témoignage d'hommes de bonne foi et dignes de foi. Mais il n'est pas rare que des hommes de science reprennent - encore de nos jours - l'argumentation avancée par Théodore Reinach dans la Revue des Etudes juives de 1897, qui soulignait l'impossibilité de retracer le déroulement exact du procès du Christ, tant les contradictions étaient nombreuses entre les quatre Évangiles. Tel est le cas de notre collègue Bickerman qui, dans une conférence faite à l'Institut de Droit romain de Paris le 24 janvier 1964, a présenté une version très originale du procès du Christ, qui peut être ainsi résumée : M. Bickerman souligne - et sur ce point il a parfaitement raison - que les évangélistes ne sont pas des juristes et qu'ils n'ont pas eu l'intention de faire une leçon de droit pénal romain ni de droit pénal juif, ce dont ils auraient été bien incapables ! Il admet cependant qu'ils reproduisent, chacun pour sa part, un cadre procédural exact, de même qu'un romancier de la « série noire » écrivant de nos jours, même s'il n'entend pas faire du droit criminel, prend bien soin de reproduire exactement le rôle du jury, de la police, des témoins, etc., pour ne pas heurter les quelques connaissances juridiques de ses lecteurs.

Puis, poursuivant son argumentation jusque-là parfaitement exacte, M. Bickerman prétend démontrer que chacun des évangélistes décrit une procédure différente : selon Marc, par exemple, Jésus aurait été arrêté par l'autorité locale, jugé par elle, puis remis au tribunal du gouverneur romain qui le juge à nouveau et le condamne : selon Luc, au contraire, l'autorité locale fait saisir Jésus, mais le transfère aussitôt au tribunal de Pilate. Les contradictions entre les récits procéduraux présentés par les quatre évangélistes amènent M. Bickerman à considérer qu'en toute bonne foi, mais se fondant sur des souvenirs personnels lointains et de ce fait un peu flous, ils ont reproduit des descriptions divergentes, inconciliables et donc inexactes, de la procédure suivie devant les autorités juives puis romaines.

La position adoptée par notre éminent collègue nous semble essentiellement négative. En effet - et tous les histo- riens le savent bien ! - un même fait peut être rapporté en termes différents, dans des sources authentiques, par des auteurs qui insisteront, selon leur propre tempérament, sur tel ou tel aspect de l'événement qu'ils décrivent. C'est le cas pour les évangélistes qui ont été frappés par tel ou tel point du procès, et dont chacun s'est efforcé d'ajouter au récit de son prédécesseur quelque détail qui avait été omis : saint

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Imprimé en France

Imprimerie des Presses Universitaires de France 73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme

Juillet 1999 — N° 46 501

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