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LE DÉFI DE L ADOPTION DE L ALLAITEMENT MATERNEL EXCLUSIF AU BURKINA FASO

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LE DÉFI DE L’ADOPTION DE L’ALLAITEMENT MATERNEL EXCLUSIF AU BURKINA FASO

Marie Thérèse Arcens Somé

S.F.S.P. | « Santé Publique » 2020/S1 HS1 | pages 113 à 122 ISSN 0995-3914

DOI 10.3917/spub.200.0113

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2020-S1-page-113.htm

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De la maternité aux domiciles : les soins des premiers jours de vie

Recherche originale

Le défi de l’adoption de l’allaitement maternel exclusif au Burkina Faso

The challenge of implementing exclusive breast-feeding in Burkina Faso

Marie Thérèse Arcens Somé1

û

ûRésumé

Introduction : L’OMS et l’UNICEF font de l’allaitement maternel exclusif une des pratiques essentielles à la lutte contre la mortalité néonatale. Les deux organismes internationaux ont mis au point une formation de 40 heures sur le conseil en allai- tement, en vue d’apprendre à un corps de soignants à apporter une assistance qualifiée aux mères allaitantes et à les aider à surmonter les difficultés. Cependant, dans les maternités comme celles de la région de la boucle du Mouhoun où l’étude a eu lieu, bien qu’un ensemble de recommandations techniques soient globalement adoptées, l’allaitement maternel exclusif se fraye difficilement un chemin dans les habitudes des mères. Cette étude a pour objectif d’examiner les blocages existant à la maternité et dans les familles, qui empêchent la pratique de l’allaitement maternel exclusif de se généraliser.

Méthode : L’approche qualitative a été utilisée à travers des entretiens ouverts avec différentes catégories de professionnels de santé et des membres des communautés. Nous avons effectué 38 entretiens avec le personnel de santé et administratif, et 9 entretiens avec des guérisseurs employant des savoirs tradi- tionnels. Dans les maternités, 14 observations ont été réalisées auprès de la mère et de ses accompagnants. Aussi, 24 observa- tions ont été réalisées sur la prise en charge du nouveau-né à domicile.

Résultats : Les résultats de l’étude montrent que l’allaitement exclusif s’avère compliqué à mettre en œuvre, notamment à cause de l’utilisation de plantes médicinales sous forme de lavage et de gavage par les familles. De plus, les sages-femmes ne donnent pas les informations aux mères au moment approprié.

Conclusion : Nous suggérons que les informations clés soient données aux mères à la dernière visite prénatale et non plus dans les minutes qui suivent l’accouchement.

Mots-clés : Allaitement maternel exclusif ; Nouveau-né ; Maternité ; Burkina Faso ; Mortalité néonatale.

û

ûAbstract

Introduction: The WHO and UNICEF have declared exclusive breast-feeding one of the essential tools in the fight against neonatal mortality. Both international bodies finalized a 40-hour training program to provide counseling in feeding, to teach a body of care-givers to bring qualified assistance to the breast-feeding mothers and to help them to overcome their difficulties. However, in the field and in maternities such as those where the study took place (Boucle du Mouhoun region in the northwest of Burkina Faso), although technical recommendations are generally adopted and respected, exclusive breastfeeding makes it difficult for mothers to find their way. The aim of this study is to examine the blockages existing at the maternity ward and in families which prevent the practice of exclusive breastfeeding from becoming widespread. A qualitative approach was used through open inter- views with various socio-professional medical categories and community members.

Method: Fourteen observations were made in the families.

Twenty-four observations were made on the care of the newborn at home. Thirty-eight interviews with health and administrative staff and nine interviews with healers using traditional knowledge were also conducted.

Results: The results show that exclusive breastfeeding is compli- cated to implement particularly in rural areas because of the use of medicinal plants in the form of washing and gavage. Moreover, the information is not given to mothers of families at the appro- priate time.

Conclusion: In conclusion, we suggest that maternities be thought out and designed in partnership with the health workers who use them.

Keywords: Exclusive breast-feeding; Maternity; Newborn;

Mother; Neonatal mortality.

1 UMI 3189 « Environnement, Santé, Sociétés » (CNRST, CNRS, UCAD, UGB, USTTB).

Correspondance : M. T. Arcens Somé Réception : 30/08/2019 – Acceptation : 8/11/2019

mtarcens@hotmail.com

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Introduction

La mortalité néonatale demeure un problème de santé publique en Afrique de l’Ouest. Selon l’Unicef, un enfant né dans un pays sahélien a 14 fois plus de risques de mourir dans les 28 premiers jours de sa vie qu’un enfant né dans un pays du Nord [1]. La mortalité néonatale est plus impor- tante dans les 24 heures suivant la naissance. Les princi- pales causes sont les infections, la prématurité et la détresse respiratoire. Alors que les taux de mortalité maternelle et infantile sont en chute sensible, le taux de mortalité néona- tale demeure inchangé depuis plus de trois décennies.

L’allaitement précoce et exclusif représente l’une des inter- ventions essentielles favorisant la survie néonatale [2].

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’allaite- ment précoce correspond à un allaitement dans l’heure suivant la naissance, et l’allaitement maternel exclusif

« suppose que le nouveau-né n’absorbe que du lait maternel.

Il ne reçoit aucun autre liquide ou solide, pas même de l’eau, à l’exception des solutions de réhydratation orale, ou des gouttes/sirops de vitamines, minéraux ou médicaments » [3].

L’OMS recommande un allaitement exclusif jusqu’à six mois de vie, avant de poursuivre avec des aliments de « complé- ment sûrs et adaptés du point de vue nutritionnel, tout en continuant l’allaitement au sein jusqu’à deux ans, voire plus ».

De nombreux travaux menés en Afrique tentent d’appré- hender les facteurs associés à l’allaitement précoce et exclusif [4], ou encore les pratiques professionnelles en matière d’allaitement précoce [5]. Un des aspects qui est peu relevé par ces études est la complexité de l’allaitement et la manière dont les mères mobilisent différents types de savoirs pour allaiter et pour surmonter les difficultés qui se posent lors de l’allaitement. En effet, l’allaitement est trop souvent perçu comme une pratique « innée » et

« naturelle » qu’il suffit de « promouvoir ». Pourtant, de nombreuses femmes ne comprennent pas exactement ce que recouvre l’allaitement maternel exclusif ni comment il faut le réaliser. Ainsi, une étude réalisée au Burkina Faso (Mariaux, Perrin, Refenacht, Stajen, 2008) a décrit les diffi- cultés qu’éprouvent certaines femmes pour mettre leur bébé au sein. Selon cette étude, certains nouveau-nés ont passé trois jours sans être allaités parce que les mamans ne savaient pas comment s’y prendre. La question de l’apprentissage des techniques d’allaitement se pose notamment pour les jeunes mères, parfois adolescentes, qui sont peu conseillées, dans un contexte sanitaire où les accouchements s’enchaînent et où l’accent est plutôt mis

sur la survie de la mère et de l’enfant avant et pendant l’accouchement. Selon l’Enquête Démographique et de santé à Indicateurs Multiples au Burkina Faso (EDS BF-MICS IV, 2010 ; 64), 1 % des adolescentes ont un enfant à 15 ans, 18 % à 17 ans et 57 % à 19 ans. En effet, les poli- tiques sanitaires des pays sahéliens ont mis l’accent sur les techniques et méthodes de suivi des femmes enceintes, la prévention des maladies et les accouchements assistés.

Ainsi, notre étude propose, selon une approche compré- hensive, d’interroger les savoirs locaux et les pratiques familiales susceptibles de faire obstacle à la poursuite de l’allaitement maternel exclusif au Burkina Faso. Dans cette perspective, nous nous sommes penchés sur les pratiques et les discours des mères et des membres de leur entou- rage, après la naissance d’un nouveau-né.

Le Burkina Faso fait partie des pays les plus pauvres au monde avec 40,1 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté (INSD 2014). Il est estimé que 92 % des pauvres vivent en milieu rural. Selon l’UNICEF [6], le taux de morta- lité néonatale est de 28 décès pour 1 000 naissances, et seulement 26 % des nouveau-nés reçoivent des soins post- natals dans les 48 heures suivant l’accouchement, avec de fortes disparités géographiques (9 % au Sahel contre 32 % à Ouagadougou).

L’UNICEF souligne, qu’en 2010 au Burkina Faso, 99 % des enfants étaient allaités pendant une durée médiane de 24 mois [6]. Cependant, seuls 42 % avaient commencé à être allaités dans l’heure suivant leur naissance, et 36 % avaient reçu des aliments avant le début de l’allaitement.

Selon ce rapport, « Ces pratiques témoignent de lacunes importantes en matière d’information et de sensibilisation sur les bienfaits de l’allaitement exclusif et dès les premières heures de vie de l’enfant. On note en outre d’importantes lacunes (dans les phases d’introduction de liquides autres que le lait maternel, d’aliments solides ou semi-solides, d’aliments à base de céréales, de protéines et minéraux, de vitamine A) en matière de pratiques alimentaires des nourrissons et des jeunes enfants avec seulement 3 % des enfants de 6-23 mois nourris de manière appropriée. »

Le PNDS 2011-2020 souligne que le paquet minimum d’activités n’est pas entièrement offert dans les formations sanitaires, à cause d’une insuffisance quantitative et quali- tative de ressources humaines. En exemple, « le système de référence et contre référence n’est pas assez fonctionnel et le continuum de soins entre villages et services de santé n’est pas assuré du fait notamment d’activités à base communau- taire encore trop faiblement développées » (UNICEF, 2012 ; 11).

Ainsi, notre article propose d’étudier la manière dont les mères procèdent à l’allaitement de leur bébé à la naissance.

Quelles sont les informations et les consignes reçues par la

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mère et son entourage de la part du personnel soignant ? Comment les membres de leur entourage influencent les pratiques des mères en matière d’allaitement ? Quels sont les discours qui s’opposent à la pratique de l’allaitement exclusif ?

Méthode

Le champ de l’étude

L’enquête a été réalisée, de juillet à septembre 2016, dans trois formations sanitaires d’une ville située dans l’ouest du Burkina Faso. Il s’agit du Centre Hospitalier régional (CHR) de la Boucle du Mouhoun, du Centre Médical Urbain (CMU) de Dédougou et du Centre de Soins et de Promotion Sociale (CSPS) communal de cette même ville. Elle a été effectuée dans le cadre d’un projet de recherche sur les soins néona- taux dans cinq pays [7, 8], s’inscrivant plus généralement dans le cadre du programme de recherche Enfances, soins et pédiatrie en Afrique de l’Ouest (ENSPEDIA).

La Boucle du Mouhoun fait partie des quatre régions du Burkina Faso qui ont les taux de mortalité néonatale les plus élevés. En effet, selon le rapport annuel du ministère de la santé sur la surveillance hebdomadaire des décès maternels et néonatals, en 2015, les régions qui enre- gistrent le plus de décès néonatals sont le Centre avec 830 cas, l’Est avec 243 cas, les Cascades avec 166 cas et la Boucle du Mouhoun avec 159 cas [9]. La région de la boucle du Mouhoun couvre un large territoire qui longe la fron- tière avec le Mali et compte ainsi de nombreuses popula- tions en partage avec le pays voisin. Les communautés et les cultures y sont diversifiées et vivent, pour nombre d’entre elles, en symbiose avec leur environnement. Les pratiques ancestrales, telles que la vie en grande commu- nauté familiale, et les usages locaux, comme l’utilisation des plantes médicinales, y sont largement répandus.

Nous considérons que la région de la Boucle du Mouhoun constitue un site privilégié pour étudier les changements de comportement, particulièrement dans le domaine de la santé.

Au Burkina Faso, le CHR/CHU est le Centre hospitalier de référence régional et/ou universitaire, où il est possible d’assurer des soins obstétricaux et néonataux d’urgence (SONU). Les références proviennent de villages éloignés de 10 à 40 km du CHR. Les évacuations en milieu rural se font à travers des pistes rurales, parfois impraticables pendant la saison des pluies.

Les lieux d’enquête

La maternité du CHR compte un gynécologue obstétricien et une Surveillante d’Unité de Soins (SUS) qui est une attachée de santé. Une trentaine de soignants de diverses catégories sont capables d’assurer techniquement les accouchements, et de prendre en charge les difficultés qui peuvent survenir. Les soignants ont reçu, grâce à l’Unicef, des formations pour parfaire les techniques de soins au bébé et à la maman. L’OMS a également équipé la maternité et la néonatologie de matériels performants, tels que des lampes chauffantes et des couveuses. Au CHR et dans les maternités environnantes, les maladies les plus courantes sont les infections néonatales précoces ou tardives, les souf- frances cérébrales néonatales, les cas de prématurité souvent avec complications et, parfois, des cas de malfor- mations congénitales. Le CMU compte huit sages-femmes, 23 accoucheuses et une attachée de santé.

À côté de la maternité et du service de néonatologie du CHR, il y a les services d’échographie, de chirurgie obstétri- cale, de néonatologie et de pédiatrie permettant de parer aux urgences. Les ambulances ne sont pas équipées d’oxygène ; la mission d’enquête a eu l’occasion de comprendre la néces- sité d’en avoir une, avec le décès d’un nourrisson souffrant d’une insuffisance respiratoire, qui devait être évacué au Centre hospitalier Universitaire de Bobo Dioulasso.

Les personnes enquêtées

Les équipes de santé sont composées de trois agents : une sage-femme ou un maïeuticien, une accoucheuse brevetée et une accoucheuse auxiliaire. Les moments de changement d’équipes à la maternité ont été des occasions pour mener des entretiens avec des personnels de santé de statuts diffé- rents. Les deux critères importants étaient l’équilibre entre les hommes et les femmes et la prise en compte de toutes les catégories socio-professionnelles dans le domaine de la santé maternelle et néonatale. Nous avons également tenu à nous entretenir avec l’ensemble du personnel adminis- tratif, y compris les surveillantes d’unité des soins (mater- nité et pédiatrie).

Concernant les membres des communautés, les enquêteurs ont approché toutes les femmes qui venaient accoucher à la maternité au moment de l’enquête. Au mois d’août, les accou- chements ayant diminué d’intensité à la maternité du CHR, les deux enquêteurs se sont déportés vers deux maternités de la ville. Pendant ce temps, une enquêtrice menait des observa- tions au sein de la salle d’accouchement et approchait systé- matiquement les parturientes après l’accouchement.

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Les deux enquêteurs se sont entretenus avec les accom- pagnants et ont fait le déplacement dans les villages et les domiciles pour poursuivre l’enquête et l’observation du nouveau-né et de sa mère, pendant huit jours. Ainsi, nous avons pu observer les pratiques des personnels soignants ainsi que des accompagnants et des familles pour satisfaire aux besoins de notre étude relative à l’application des direc- tives sur l’allaitement maternel exclusif.

Afin de réunir autant de renseignements que possible autour de l’allaitement maternel exclusif, deux enquêteurs ont réalisé des entretiens avec des guérisseurs installés autour de l’hôpital.

Les méthodes d’enquête

La méthodologie d’enquête a combiné des observations et des entretiens semi-ouverts. Les entretiens et les obser- vations ont été réalisés, en juillet et août 2016, dans trois maternités de la ville, au service néonatal du CHR et dans les villages limitrophes. J’ai moi-même participé en tant qu’enquêtrice et j’ai réalisé tous les entretiens avec les auto- rités administratives du CHR. J’ai aussi réalisé le plan à main levée de l’hôpital. Au total, 59 entretiens ont été menés avec : des professionnels de santé (14), des administrateurs hospitaliers (2), des guérisseurs (9), des parturientes et des membres des familles (34). Quatorze observations d’accou- chements ont été réalisées en salle d’accouchement, et dix observations de nouveau-nés à domicile.

Concernant les entretiens et les observations réalisés avec les familles, les enquêteurs profitaient de l’arrivée d’une parturiente en maternité pour s’entretenir avec les accompagnants. Ils ont fait des allers-retours entre les domiciles des familles en ville et en milieu rural, pour observer les différentes pratiques autour du nouveau-né et de la mère. Pour les observations des pratiques, une enquê- trice a été autorisée à entrer dans la salle d’accouchement par les équipes de santé. Les parturientes ont été informées de son travail d’enquête.

Les entretiens se sont déroulés dans la maternité et autour, généralement dans l’espace où patientaient les accompagnants. Les thèmes traitaient de généralités sur : i/ l’identité et le village de naissance et de résidence, ii/ la date de naissance, le statut matrimonial et le métier, iii/ les connaissances et les pratiques dans le domaine de l’utilisa- tion des plantes et des traditions autour de la naissance, de la mort, iv/ les informations reçues et adoptées concernant la prise en charge d’un nouveau-né et les soins postnatals.

Les entretiens ont duré en moyenne 45 min, mais deux accompagnantes (des femmes de plus de 50 ans) ont

préféré y mettre fin plus tôt que prévu quand elles ont été invitées à décrire l’utilisation de décoctions pour les bains et les gavages des nouveau-nés. La réalisation du plan du CHR à main levée, en parcourant l’ensemble des services, nous a permis de nous rendre compte du nombre limité de toilettes pour l’ensemble de l’hôpital, de la cuisine peu adaptée et de l’espace pour la lessive comportant une seule pompe à eau, ce qui pousse les patientes à demander à sortir de l’hôpital le plus tôt possible.

Processus d’analyse et éthique

Le dépouillement des données a été exécuté manuelle- ment. Nous avons réalisé un tableau d’analyse qui a permis d’organiser les informations selon les questions de recherche et les hypothèses.

Au niveau éthique, l’initiale des enquêtés et/ou la fonc- tion des acteurs ont été conservés. L’anonymat a été de rigueur pour tous les enquêtés. Le fait d’avoir mené les enquêtes dans trois formations sanitaires nous a permis de renforcer l’anonymat des personnels de santé notamment.

Résultats

Cette partie de l’étude propose une synthèse des pratiques et des perceptions des acteurs, collectées durant l’enquête, autour des thèmes de la maternité et de la prise en charge du nouveau-né et de la mère.

L’allaitement dans les maternités au CHR

Bien que les recommandations de l’OMS préconisent de mettre l’enfant au sein dans les minutes suivant sa nais- sance, cette pratique n’est pas réalisée, selon nos observa- tions menées au cours des accouchements. En effet, après la naissance, la sage-femme dépose le bébé sur le ventre de la mère pendant quelques secondes, le temps de clamper le cordon ombilical.

Nous avons constaté que les sages-femmes concernées par l’enquête n’ont pas adopté et se sont peu appropriées les techniques d’allaitement pour en faire bénéficier les patientes de la maternité. Selon les entretiens menés avec les autorités administratives de l’hôpital, toutes les sages- femmes présentes au moment de l’enquête avaient

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participé à au moins une formation financée par l’Unicef sur les soins obstétricaux et néonataux. Certaines des sages-femmes ont fourni comme explication, lors des entre- tiens, qu’elles manquaient parfois d’espace dans la salle d’accouchement, lorsque plusieurs femmes accouchaient en même temps. Elles n’avaient donc pas souvent l’occasion de poser le nouveau-né assez longtemps sur la mère pour favoriser le contact mère-enfant, comme cela leur a été enseigné. Lorsque le nouveau-né vient au monde avec quelques difficultés, le personnel soignant saisit l’occasion pour appliquer ses connaissances techniques. Une soignante décrit des procédures de récupération d’un nouveau-né :

« On place une sonde naso-gastrique pour lutter contre l’hypoglycémie. Si le travail est long, la maman ne mange pas donc l’enfant peut avoir une hypoglycémie, donc on place la sonde. […] L’urgence est levée. Même si l’enfant est en hypoglycémie, il n’y a pas de problème… Si on arrive à avoir la veine, on fait les prélèvements. Au cas où on ne trouve pas la veine, on fait les prélèvements au niveau de l’aisselle. Tous les traitements qu’on peut faire par voie anale, par exemple la septriazole, la vitamine K1, si on doit faire de l’hydrocortisone en tout cas on fait ça en traitement anal. Mais si on gagne la veine, on fait le prélèvement par la voie veineuse et puis on administre les produits par la voie veineuse. »

La concentration du personnel soignant sur les aspects techniques s’accompagne d’une perte de communication entre soignant et patient, à la maternité et au service néonatal.

Après les soins, le nouveau-né est livré aux accompa- gnants (la grand-mère, la belle-sœur ou le père) qui s’occuperont de lui jusqu’à ce que la maman soit installée en salle de couche, pour les 24 h d’observation suivantes.

C’est à ce moment, près de 3 h après l’accouchement, que la sage-femme l’aidera à mettre le nouveau-né au sein.

Une des enquêtrices a observé le malaise existant chez certaines jeunes parturientes au moment de la mise au sein du nouveau-né. L’une des femmes lui a demandé de l’aide, car elle avait du mal à allaiter son bébé et aucune sage- femme n’était à proximité. Ces faits ont été présentés au personnel soignant lors de la restitution des résultats de l’enquête.

La notion d’allaitement exclusif n’est pas acceptée ou comprise par les communautés de la région de la Boucle du Mouhoun. Beaucoup des accompagnants avec lesquels nous nous sommes entretenus pensent que donner à boire au nouveau-né une décoction entre dans le domaine des soins et de l’entretien du bébé, et ne remet pas en question

la poursuite de l’allaitement exclusif. Par contre, rares sont celles qui rejettent encore le colostrum. Une belle-mère explique :

« Je pense que le colostrum est bien pour le nouveau-né ».

La parturiente complète :

« Les agents de santé nous ont toujours dit de donner le colostrum aux bébés parce qu’il y a des vitamines dans le colostrum qui protègent le nouveau-né ».

Malgré les informations données par le personnel soignant, certaines familles refusent toujours d’offrir le colostrum au nouveau-né. Nous allons nous intéresser à ce que pensent les soignants des pratiques traditionnelles et comment ces dernières s’agencent avec les pratiques médi- cales employées au sein de l’hôpital.

Le regard des professionnels de santé

Selon le médecin pédiatre du CHR, certaines commu- nautés rejettent le colostrum à la naissance du bébé alors que ce premier lait permet de juguler les hypoglycémies.

Ce discours médical n’est pas toujours bien accueilli par les communautés qui fréquentent l’hôpital. Il y a ainsi de nombreux nouveau-nés qui sont purgés et gavés alors que ces pratiques, qui vont à l’encontre de l’allaitement maternel exclusif, compromettent l’état nutritionnel des nouveau- nés et des nourrissons. La coépouse d’une parturiente rési- dant dans la ville confirme les affirmations du médecin pédiatre :

« Au premier bain de la femme, on élimine ce lait avant de faire téter le bébé. Il est amer, donc on l’élimine avant de faire téter l’enfant ».

Cependant, de nombreux accompagnants ou des partu- rientes affirment connaître le bénéfice du colostrum pour le nouveau-né. Selon l’époux d’une parturiente :

« Le colostrum est bon pour le bébé, parce qu’il est très riche en vitamines ».

Une accompagnante, sœur d’une parturiente, résidant dans un village situé à 10 km du CHR explique :

« À vrai dire nous pensons maintenant que le colostrum est bien pour le nouveau-né mais avant on ne donnait pas parce que quand tu voyais le premier lait sortir, c’était un peu sale et on ne donnait pas ça aux nouveau-nés. Mais maintenant avec la sensibilisation des agents de santé nous savons que le colostrum est très bien pour les nouveau-nés. »

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Un agent de santé donne son point de vue à propos du rejet du colostrum par certaines familles :

« Le problème que nous rencontrons par rapport aux coutumes est surtout l’allaitement exclusif du bébé pendant six mois, les femmes ne sont pas toujours d’accord parce que selon elles quand un bébé naît, il faut le laver avec des tisanes (écorces des arbres), et c’est anormal que le bébé fasse six mois sans boire de l’eau.

Souvent sur-le-champ (sur place à la maternité), nous voyons des femmes qui donnent à boire au bébé soi- disant que si un bébé naît il faut lui dire “bonne arrivée”

avec de l’eau ».

Les sages-femmes enquêtées affirment qu’elles livrent les informations nécessaires aux parturientes dès qu’elles ont accouché, afin qu’elles adoptent l’allaitement exclusif. L’une d’elles dit :

« Pour les bébés d’au moins 2 500 g, c’est l’allaitement maternel qu’on conseille à la maman et de bien donner le lait [la position et la durée]. On leur dit de ne pas donner de l’eau pour que le bébé puisse récupérer vite ».

Cependant, entre deux rires, elle montre son peu de conviction à convaincre les mères de nourrir leur nouveau- né exclusivement au lait maternel. Elle justifie ainsi cette situation qu’elle ne semble pas vraiment déplorer :

« Il y a des gens qui suivent [les conseils] mais y a des gens aussi… comme nous sommes en Afrique, arrivée en famille les vieilles aussi ont leur influence. On nous dit que nous-mêmes [les sages-femmes] nous avons bu des décoctions, que rien ne s’est passé, donc ce n’est pas vos enfants qui vont avoir des problèmes (rires) ».

Nos observations sur le terrain montrent que l’informa- tion est donnée, et les sages-femmes savent ce qu’il faut dire aux mamans. Une sage-femme explique :

« Si un nourrisson sort par exemple, on prône toujours l’allaitement maternel exclusif jusqu’à six mois ; pas de tisane, pas de purge, pas de gavage, si c’est une fillette, on leur demande de ne pas l’exciser, de ne pas lui faire de scarifications. On a remarqué que maintenant, comme on est en train d’interdire l’excision, les gens maintenant le font plus tôt ».

La belle-mère d’une parturiente, qui dans la référence est passée par trois centres de santé différents (dans trois départements de la région de la boucle du Mouhoun) avant d’atteindre le CHR pour y subir une césarienne, explique :

« Il n’y a pas de rites traditionnels à faire de la naissance au 7e jour. Comme nous sommes musulmans, on fait juste

le baptême. Quand nous rentrerons (à la maison), la veille du baptême, nous cherchons les branches du “Pusga”

(tamarinier) qu’on fait bouillir pour laver le bébé et lui faire boire ainsi que sa maman ».

L’observation au cours de l’enquête montre que les sages- femmes donnent l’information pendant que la parturiente se remet physiquement et psychologiquement de l’accou- chement, sur le lit étroit de la maternité. Les parturientes ne posent aucune question et acquiescent dès que la sage- femme donne une information. Après les soins, le nouveau- né est remis à la famille qui attend à l’extérieur. Dans la salle d’accouchement, à aucun moment il n’est expliqué à la parturiente comment positionner son nouveau-né pour l’allaitement.

Nous allons, maintenant, nous intéresser aux discours des guérisseurs, dont certains sont installés autour de l’hôpital.

Les guérisseurs et les pratiques autour de l’allaitement Les guérisseurs ne doutent aucunement de l’efficacité de leur médecine, qu’elle soit pour un nouveau-né, un enfant ou un adulte. Ils estiment que l’allaitement maternel doit être accompagné de décoctions et de tisanes pour renforcer la santé de la mère et de l’enfant.

Certains guérisseurs, comme Mme D., 70 ans, collaborent avec les médecins et ils demandent aux mères d’emmener le bébé en visite médicale avant qu’ils n’interviennent.

Ainsi, la guérisseuse D. dit :

« Je pense qu’il faut amener rapidement les bébés en consultation pour une prise en charge à l’hôpital ensuite elles peuvent venir chez moi pour autre chose. […] Il n’y a pas interférence. Le blanc possède les moyens pour fabriquer les sirops et les comprimés et nous utilisons les plantes. Donc des deux côtés, l’essentiel c’est de bien suivre les consignes données pour administrer les produits ».

La guérisseuse D., mère de cinq enfants, considère que les jeunes femmes n’ont pas les connaissances leur permet- tant de prendre soin d’un nouveau-né :

« Certaines femmes sont responsables [de la mauvaise santé de l’enfant] parce qu’elles entretiennent mal les grossesses et d’autres ne savent même pas comment entretenir un nouveau-né ».

Bien que les guérisseurs en milieu urbain perdent de leur considération en devenant un peu des commerçants, ils gardent, néanmoins, leur notoriété de personnes ressources

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ayant des savoirs utiles à partager. Si, en milieu rural, ils sont attachés aux familles à travers les liens communau- taires, ils deviennent des « médecins » endogènes qui aident à conserver ou à revenir vers des pratiques que d’aucuns jugent plus appropriées en matière de santé. M. K., 58 ans, se présente :

« Mon papa était le chef des Dozos1 ici et depuis que j’ai quitté l’école primaire, je suis resté toujours à ses côtés et c’est comme cela que j’ai appris à chasser et à soigner par les plantes parce que je connais très bien la brousse ».

L’on constate, par observation, que les stands des guéris- seurs installés autour des centres de maternités ne désem- plissent pas. De nombreuses très jeunes et moins jeunes mères y font la queue, avec dans leurs bras des nouveau-nés et des nourrissons. M. K. poursuit :

« Parfois même dans le mois je peux recevoir 30 femmes parce que je travaille en collaboration avec le CHR et les CSPS. Pour les femmes qui ont un accouchement difficile, ils me contactent directement et je pars les aider ».

Ce discours montre qu’il existe bien un contact et un partage de connaissances entre le personnel médical et les guérisseurs. Les familles utilisent tous les savoirs médi- caux, qu’ils soient dits modernes ou traditionnels.

Discours et influence des familles

Lors des enquêtes et des observations au sein de la maternité du CHR, il s’est avéré que de nombreuses partu- rientes ont été accompagnées par des hommes, parfois exclusivement, notamment quand ils viennent d’un village éloigné. D’autres fois, la mère ou la belle-mère font partie des accompagnateurs, mais ne sont pas toujours visibles.

Elles viennent à la maternité après l’accouchement et s’occupent du linge et du bain du nouveau-né. Dans la journée, les hommes s’occupent du nouveau-né et de l’alimentation des accompagnants, incluant la parturiente.

Le profil des accompagnants n’est pas sans influence sur les soins de l’enfant à la naissance.

Toutes les femmes ayant accouché au CHR allaitent leur nouveau-né, à l’exception de celles dont le bébé est pris en charge par le service néonatal pour cause de faible poids.

Ces bébés sont alimentés avec du lait en poudre avant de

1 Les Dozos sont une communauté mystique de chasseurs-cueilleurs vivant en Afrique de l’Ouest.

les remettre à leur maman pour poursuivre leur alimen- tation au lait maternel. Une sage-femme donne ces explications :

« Comme la maman [d’un prématuré] est en maternité, on commence par le lait artificiel qu’on a à notre dispo- sition ici. On met le lait artificiel toutes les trois heures par la sonde naso-gastrique. Mais en tout cas quand l’enfant arrive comme ça comme la maman même est choquée, on la laisse se reposer. Les primipares peuvent faire une semaine sans montée laiteuse et donc l’enfant peut prendre le lait artificiel pendant une semaine.

Voilà ! Le lait maternel est plus digeste que le lait artificiel ».

Les informations sur l’allaitement maternel exclusif et les bienfaits du colostrum pour le nouveau-né sont connues, mais pour autant elles ne sont pas adoptées par toutes les femmes. Une belle-mère insiste sur les soins à apporter au bébé et à la mère, qui sont poursuivis par la famille, empêchant du même coup d’aller vers un allaite- ment exclusif. Ainsi, elle explique certaines de leurs pratiques :

« Il n’y a pas de rites à faire. Si nous rentrons, on va cher- cher les feuilles d’un arbre, pour les bouillir… La veille du baptême, nous cherchons les branches du “Pusga” (tama- rinier) qu’on fait bouillir pour laver le bébé et le faire boire ainsi que sa maman. Nous enlevons l’écorce du

“kamsan-ongo”. Pour d’autres personnes c’est l’écorce du “kankang peelga” (ficus) plus une autre plante appelée

“pod-roollogo” que tu fais bouillir pour laver, purger et gaver le nouveau-né. Comme ça il restera toujours en bonne santé… Comme nous utilisons les plantes et les écorces pour le gaver et le purger, à trois mois il est en pleine forme. On lui apprend à s’assoir et au bout de quatre à cinq mois il peut s’assoir seul. »

La belle-mère décrit les pratiques habituelles pour les soins d’un nouveau-né et de sa mère. Par contre, concer- nant le colostrum, de plus en plus de femmes acceptent de le donner au nouveau-né, s’appuyant sur les explications des sages-femmes quant à son utilité pour la santé du bébé.

L’utilisation du colostrum ne semble pas entrer en contra- diction avec une quelconque pratique de soins des personnes âgées s’occupant du nouveau-né.

Autre témoignage concernant le retard à la mise au sein et l’utilisation de pratiques traditionnelles tendant à empêcher la pratique de l’allaitement maternel exclusif.

Une femme enceinte, accompagnée de son époux, a été transférée du CMU à la maternité du CHR. Lors de l’entre- tien, l’époux explique :

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« Avant-hier, on était au CMU, elle avait des problèmes pour accoucher et on nous a transféré ici par ambulance.

C’est hier à 11 h 30 qu’elle s’est retrouvée ici… Je ne pense pas que l’enfant ait tété le premier lait de sa maman car jusque-là le premier lait n’est pas encore sorti ».

La parturiente nous donne son sentiment à propos des soins traditionnellement donnés à un nouveau-né au sein de la famille :

« On a l’habitude de dire que l’enfant a des saletés dans le ventre et quand il pleure on sent qu’il a mal au ventre ; il y a une plante pour ce soin. Il y a aussi d’autres plantes qui rendent les os des enfants solides. En dioula on appelle cette plante “barka wili”. Je ne connais pas le nom de la plante [qu’on utilise pour les soins du ventre]. C’est la vieille qui s’en occupe ; c’est elle qui connaît ».

Les bienfaits de l’allaitement maternel exclusif, tels que prônés par le personnel soignant et l’OMS, sont incompris et ont du mal à rivaliser avec les bienfaits des plantes connus par les populations. Les populations accordent une confiance solide aux bienfaits des plantes et de la pharma- copée traditionnelle.

Discussion

L’allaitement maternel n’est pas un acte aussi naturel qu’on peut le croire au vu des résultats de cette étude, des difficultés que les jeunes mamans rencontrent à la mater- nité. De plus, la recommandation de l’allaitement exclusif entre en contradiction avec certaines pratiques sociales et culturelles selon nos résultats d’étude et ceux d’autres études effectuées en Afrique de l’Ouest [10].

Notre étude montre que la mise au sein précoce n’est pas une priorité des professionnels de santé. Au Burkina Faso, l’initiation précoce à l’allaitement maternel, qui devrait favoriser la poursuite de l’allaitement maternel exclusif, est peu fréquente ; le taux d’initiation pendant les premières vingt-quatre heures y est, en effet, beaucoup plus bas (51 %) que dans les autres régions d’Afrique : 86 % en Afrique de l’Est et 73 % en Afrique Centrale et du Sud.

Pourtant, au Burkina Faso, la pratique de l’alimentation au biberon est très faible : moins de 1 % des nourrissons de moins de quatre mois y ont accès. La question de la commer- cialisation des substituts du lait maternel n’est pas le problème majeur dans la non-adoption par les mères de l’allaitement maternel exclusif [11].

Des pratiques familiales rendant l’allaitement non exclusif

Selon G. Gunnlaugss et J. Einarsdottir [12], les bénéfices du colostrum ont reçu une attention de plus en plus déve- loppée depuis 1970. Différentes études relèvent que ce premier lait contient des propriétés anti-infectieuses de même qu’il est spécialement adapté à l’environnement que le nouveau-né partage avec sa mère. Mettre le plus tôt possible le nouveau-né au sein lui permet de développer des anticorps. D’autres aliments ingérés par le nouveau-né peuvent affecter sa santé et le mettre en contact avec des agents pathogènes.

Dans notre étude, les discours des familles en milieu hospitalier tendent à faire croire que le colostrum ne pose plus de problème dans son acceptation. Dans la réalité, le colostrum reste parfois dévalorisé, comme les observa- tions ainsi que les discussions avec les soignants mais aussi les personnes âgées l’ont révélé. Cependant, avec les informations données, la tendance est à l’utilisation du colostrum, notamment par les femmes et les familles fréquentant les maternités. En Afrique de l’Ouest, de nombreuses communautés avaient coutume de rejeter le colostrum. Une étude de cas réalisée en 1993, en Guinée Bissau [12], montre que les communautés Mandjak, Balante, Bijagos percevaient le colostrum comme impur et sans apport nutritionnel pour le nouveau-né. Certaines de ces communautés le remplaçaient par de l’eau sucrée et du vin de palme.

En Afrique du Nord, dans certaines tribus berbéro- phones [13], le lait maternel est considéré comme étant à l’origine du développement du squelette du nouveau-né, d’où son importance. Cependant, dans l’attente de son écoulement dans les trois à cinq jours après l’accouche- ment, le nouveau-né est nourri avec du miel et des dattes mâchées. Ces denrées sont considérées dans ces commu- nautés comme particulièrement régénératives, repoussant les mauvais esprits et favorisant le bon accueil pour le nouveau-né.

De même, les guérisseurs traditionnels rencontrés lors cette étude, confiants s’agissant de leur expertise en matière de plantes, conseillent aux mères d’administrer des décoctions à leurs nouveau-nés dès leurs premiers jours de vie. D’autres recommandent d’attendre que le nourrisson atteigne deux mois de vie. Dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest, il est inconcevable de ne pas donner de décoction à un nouveau-né. Cependant, l’utilisation de produits autres que le lait maternel n’est pas considérée, par les communautés, comme une limite à l’allaitement exclusif [14].

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L’aLLaitement materneL excLusif

Une organisation hospitalière peu favorable à l’initiation à l’allaitement exclusif

Les femmes qui accouchent en milieu médical reçoivent l’information et les conseils nécessaires pour utiliser le colostrum et mettre le nouveau-né au sein le plus tôt possible. Cependant, notre étude a révélé que le manque de conviction dans la diffusion de l’information est l’une des difficultés de l’insuffisance de l’adoption de l’allaitement exclusif. Beaucoup de sages-femmes doutent de l’applica- tion de l’allaitement maternel exclusif et se montrent indul- gentes face aux préparations de décoctions et infusions au sein même de la maternité.

Nos résultats rejoignent ceux d’une étude, menée en 2015, qui a permis de « mettre en évidence des insuffisances significatives dans la promotion de l’allaitement et parti­

culièrement de l’allaitement exclusif dans un district sani- taire de la région des Hauts bassins au Burkina Faso » [5].

L’étude met en cause l’organisation même du système administratif, dans les formations sanitaires, dans le manque de promotion de l’allaitement maternel exclusif. Les auteurs pointent du doigt un manque d’appropriation du personnel soignant des connaissances sur l’allaitement maternel exclusif. De même, une enquête menée en 2014 et 2015 dans la ville de Ouagadougou montre que les discours des agents de santé diffèrent parfois des recommandations en cours ou les contredisent [15]. Ceci est également ressorti lors d’entretiens avec certaines sages-femmes qui ont évoqué l’influence de la famille, et particulièrement de la belle-mère, sur la pratique de l’allaitement maternel exclusif. L’auteur analyse que différentes contraintes poussent les femmes à ne pas respecter l’allaitement exclusif. Il y a les différentes interactions au sein des conces- sions ou des cours communes qui amènent les femmes de la famille à imposer leurs décisions face à celle de la mère, concernant le nourrisson. Également, une des contraintes, et pas des moindres, est l’absence des professionnels de santé quand les femmes allaitantes ont besoin de conseils.

Dans son discours, une surveillante d’unité de soins (voir Résultats) identifie plusieurs blocages à l’allaitement précoce. En premier lieu, elle parle des « rites tradition- nels » qui imposent le nettoyage du nouveau-né avec des décoctions. Cependant, lors des entretiens, les parturientes et/ou leur famille ont majoritairement rejeté la notion de

« rites traditionnels ». L’utilisation de tisanes et de décoc- tions sur un nouveau-né ne relève pas, selon leur compré- hension, de rites traditionnels mais plutôt de soins et d’entretien du nouveau-né. Il y a comme un malentendu à propos du sens de la notion de rites traditionnels. Les seuls actes sur les nouveau-nés, que de nombreuses familles

acceptent d’identifier comme rites, sont ceux religieux, notamment relevant de la religion islamique. Celle-ci exige, notamment, qu’au septième jour de la naissance le crâne du nouveau-né soit rasé.

En second lieu, la responsable des soins mentionne l’idée difficile à accepter par les femmes de ne pas donner d’eau au nouveau-né, à cause de la forte chaleur qui sévit au Burkina Faso, pouvant atteindre au mois d’avril 45 degrés.

Cette résistance est en lien non pas avec la tradition, mais plutôt avec le raisonnement des femmes. Cependant, le discours reflète un aspect de la coutume qui voudrait que l’on salue un « étranger » en lui donnant à boire de l’eau.

Aussi, les parturientes obtiennent peu de soutien pratique à la technique de l’allaitement, et également peu d’explica- tion sur l’intérêt de l’allaitement exclusif. En milieu familial, surtout rural et périurbain, les femmes sont toutes relati- vement imprégnées des savoir-faire locaux, et les plus âgées leur doivent assistance dans l’entretien du nouveau- né. De fait, elles comblent cette lacune par les connais- sances obtenues au sein de la famille où elles aussi ont eu à s’occuper d’autres nouveau-nés et nourrissons apparte- nant aux membres de la famille.

Lors des entretiens avec les familles et les parturientes, nous avons eu l’impression que l’adoption de l’allaitement exclusif se fait plus facilement lorsque la mère vit en milieu urbain. Ce n’est cependant pas si simple. Il serait intéres- sant, pour d’autres études, d’approfondir cet aspect pour comprendre la différence de l’adoption de l’allaitement exclusif en ville et au village.

Certaines sages-femmes ont mis en cause les infrastruc- tures sanitaires qu’elles jugent mal conçues pour favoriser l’allaitement précoce. Les salles d’accouchement sont consi- dérées comme trop étroites pour recevoir quatre partu- rientes en même temps, et les équipes de sages-femmes se bousculent pour faire naître les nouveau-nés. Une étude menée en milieu hospitalier burkinabé a décrit les mêmes difficultés [16]. La disposition des lits dans la salle d’accou- chement et le nombre important d’accouchements ne permettent pas de proposer l’allaitement dès les premières minutes de vie du nouveau-né. La majorité de l’attention des sages-femmes se concentre sur les gestes techniques et très peu sur les informations à donner et à faire appliquer pour la survie du nouveau-né.

Ce constat pose un ensemble de questions stratégiques.

Faut-il compléter les formations des sages-femmes à l’école de santé afin qu’elles apprennent à allier le technique à la communication ? Faut-il mettre l’accent sur le suivi des accouchements par les SUS, et y inclure la communication ? Faut-il mettre en place des équipes d’animation et de suivi pour le suivi des mères de famille dans les villages ? Dans

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tous les cas, la partie information et communication, des soignants vis-à-vis des patients, est une problématique centrale à revoir dans son intégralité ; ceci afin que les aspects techniques, qui entourent l’accouchement, s’imbriquent de façon complémentaire et constructive avec les aspects communicationnels, pour accompagner l’adop- tion de pratiques favorables à la santé de la mère et de l’enfant.

L’allaitement maternel exclusif se heurte non seulement à des pratiques qui sont ancrées dans les convictions des communautés, mais aussi à une organisation du système de santé peu favorable à sa mise en œuvre.

Conclusion

Cette étude avait pour objectif de montrer les difficultés rencontrées dans la promotion de l’allaitement maternel exclusif au Burkina Faso. Les difficultés qui ressortent de l’étude montrent qu’il y a un effort à faire en matière de communication des sages-femmes avec les parturientes et les accompagnants. Il serait probablement plus approprié de donner les informations nécessaires aux parturientes avant l’accouchement, lors de la dernière visite prénatale.

Les soignants occultent cette partie de leur fonction qu’est la transmission de l’information adéquate aux mères et aux familles, et se concentrent essentiellement sur les différentes techniques apprises pour mener l’accouche- ment à terme avec un nouveau-né viable. La recommanda- tion que nous faisons est que le ministère en charge de la santé au Burkina Faso, appuyé par ses partenaires, élabore un module de formation sur la communication pour le personnel de santé en activité, comme cela a été le cas pour la promotion de l’allaitement maternel exclusif.

Aussi, est-il nécessaire que la conception des infrastruc- tures de maternité se fasse en collaboration avec les person- nels médicaux.

Remerciements

Je saisis l’occasion pour remercier le professeur émérite Yannick Jaffré, anthropologue de la santé, pour les opportu- nités offertes aux membres de ENSPEDIA de réaliser de telles enquêtes de terrain.

Merci également au Dr Hélène Kane, anthropologue de la santé, pour sa disponibilité à lire et à relire cet article.

Aucun conflit d’intérêts déclaré

Références

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burkina.pdf.

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