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GRANDS LACS LA PAIX PAR L'INTEGRATION ECONOMIQUE

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Academic year: 2022

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Denis Sassou Nguesso

GRANDS LACS

LA PAIX PAR L'INTEGRATION ECONOMIQUE

La région des Grands Lacs, au cœur de l'Afrique centrale - qui rassemble le Zaïre, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie -, vit l'une des plus grandes tragédies de l'histoire moderne. Elle ne retrouvera la paix que si elle devient un espace économique organisé où la libre circulation des personnes et des biens sera enfin possible. C'est ce que nous explique, ici, Denis Sassou

Nguesso, qui dirigea la République du Congo de 1979 à 1992 et présida en 1986 et 1987 l'Organisation de l'unité africaine (OUA).

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A

1ucune région du monde n'a connu, au cous des siècles, une telle tragédie : des dizaines de milliers d'hommes jetés sur les routes, harcelés nuit et jour par des bandes armées échappantàtoute autorité, réduitsàla famine etàla maladie quand ce n'est pasàla mort. Et ce drame se déroule dans l'une des zones les plus riches de la planète, où l'abondance régnerait si la folie des hommes ne faisait de ces lieux bénis une terre brûlée, maudite.

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Il Ya là un défi au cœur et à l'intelligence qu'il est impossible de ne pas relever.

A Bujumbura, à Kigali, à Kampala, des voix s'élèvent pour dire que la seule façon de ramener la paix dans la région des Grands Lacs serait de remettre en question les frontières tracées par la colonisation. Arguant du fait que de très anciens empires se partageaient jadis l'Afrique - l'empire du Ghana, l'Empire mandin- gue, le royaume du Congo... -, ils en prônent la recomposition à partir de critères historiques ou ethniques. Certains vont même jusqu'à affirmer qu'il est indispensable de remettre à plat la carte de l'Afrique centrale pour y tracer de nouvelles frontières, dût-on pour cela procéder à des transferts massifs de population : ils voudraient en somme convoquer une nouvelle conférence de Berlin afin de redessiner, comme en 1884-1885, les contours des Etats de la région.

L'intangibilité des frontières

Une telle approche du problème n'est pas seulement dange- reuse pour la région des Grands Lacs. Elleporte en germe l'implosion de l'Afrique centrale et, par voie de conséquence, la déstabili- sation du continent tout entier. Comment ne pas voir, en effet, que pour recréer le royaume du Congo il faudrait casser l'Angola, le Zaïre, le Congo, et que la reconstitution du royaume Téké porterait une atteinte irrémédiable au Zaïre, au Congo, au Gabon?

Si l'un des principes les plus fondamentaux du droit international est aujourd'hui celui de l'intangibilité des frontières, c'est bien parce que porter atteinte à l'intégrité territoriale des Etats, en quelque partie du monde que ce soit, revient à ouvrir la boîte de Pandore. Et ce n'est pas un hasard si l'Organisation de l'unité africaine (OUA) a décrété solennellement, dès 1963, que l'indépen- dance des Etats africains ne remettrait pas en question leurs limites territoriales. Une position dont la tragédie des Balkans, dans une Europe que l'on croyait à jamais délivrée du racisme et de l'intolérance, montre trente ans plus tard la sagesse profonde.

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L'Afrique centrale n'est pas la seule région du monde où les peuples, les ethnies, les religions se mêlent de façon inextricable.

Elle ne constitue donc pas une exception et ne saurait déroger aux règles qui régissent, à notre époque, les relations entre nations. Les Etats qui la composent peuvent assurément résoudre leurs pro- blèmes de façon pacifique sans pour autant chercher à conquérir des lambeaux de territoire appartenantàleurs voisins; et ceux qui croient pouvoir imposer leurs solutions par la force sont des apprentis sorciers que l'Histoire condamnera sans appel.

Cela est d'autant plus vrai qu'il existe une voie relativement aisée à explorer pour ramener la paix dans cet ensemble en ébullition constante. Je veux parler de l'intégration économique générale que l'OUA désigna, dès 1980, comme l'axe suivant lequel devait, àl'avenir, s'ordonner le développement du continent.

L'Afrique centrale, il ne faut jamais l'oublier, est l'une des régions les plus riches du continent. Elle détient tout ce qui assure à notre époque la prospérité des nations. Non seulement elle détient àprofusion ces biens inestimables que sont le soleil et l'eau, source de toute vie, mais encore elle dispose d'une terre fertile sur laquelle les végétaux les plus divers poussent en abondance et possède des gisements de matières premières énergétiques ou minérales inépui- sables. Peu de régions dans le monde présentent autant d'atouts naturels.

Le problème qui se pose àelle est que, n'étant pas organisée sur le plan économique et financier, elle ne tire guère profit de ses immenses possibilités. Tout comme l'Europe occidentale avant l'avènement du Marché commun, les barrières de toute nature élevées entre les pays qui la composent gênent son essor en entravant le développement des échanges et en freinant la libre circulation des personnes.

Le fait est particulièrement sensible dans le sous-ensemble connu sous l'appellation de«région des Grands Lacs» qui rassemble le Zaïre, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie. Alors que ces cinq pays pourraient constituer un marché que ses dimensions géographiques et humaines placeraient parmi les plus importants du continent - 3 600 000 kilomètres carrés et 112 millions d'habitants -, ils se ruinent dans des querelles byzantines faites de contestations territoriales et de querelles ethniques.

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On ne saurait, cependant, prétendre que les pays de la région n'ont pas su apprécier le parti qu'ils pourraient tirer d'une coopération étendue dans le domaine économique et financier avec leurs voisins. Très tôt après l'indépendance, leurs gouvernants ont acquis la conviction que seule la libre circulation des personnes et des biens permettrait de résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se posaient à eux.

Les prémisses de l'intégration régionale

Ils jetèrent donc, tout d'abord, les bases d'une union douanière et économique de l'Afrique centrale. Créée le 8 décembre 1964 l'Udeac, dont le siège se trouve àBangui, est formée du Cameroun, de laRépublique centrafricaine, du Congo, du Gabon, de la Guinée équatoriale et du Tchad. Elle joue dans l'émergence progressive de l'espace économique régional un rôle d'autant plus important que chacun de ses membres est partie prenante de la Banque centrale des Etats d'Afrique centrale (BCEAO), qui existe sous cette dénomination depuis 1972 et dont le siège est installéàYaoundé.

Elle a donnéàson tour naissance, le 16 mars 1994,àla Communauté économique et monétaire en Afrique centrale (Cemac), dont l'ambition affichée est d'aboutir à la constitution d'un véritable marché commun dans cette partie de l'Afrique.

Agissant de leur côté, trois des cinq pays de la région des Grands Lacs - le Burundi, le Rwanda et le Zaïre - constituèrent presque simultanément une communauté, la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands Lacs), qui entendait poursuivre le même objectif dans un cadre géographique voisin mais distinct.

Fondé au mois de décembre 1976, cet ensemble, qui compte quarante-six millions d'habitants et dont le siège se trouve théoriquement à Gisenyi, au Rwanda, a commencé lui aussi à se structurer. Malheureusement, les événements tragiques qui affectent la région depuis des mois ne lui ont pas permis de se développer normalement et ses institutions, qui fonctionnaient de façon efficace, ont dû être mises en sommeil dans l'attente de jours meilleurs.

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Plus favorable a été l'évolution de l'ensemble institutionnel né du rapprochement de l'Udeac et de la CEPGL : la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC). Cette institution, née d'un traité signé à Libreville le 19 octobre 1983, rassemble aujourd'hui dix Etats : le Burundi, le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, le Rwanda, Sâo Tomé et Principe, le Tchad et le Zaïre. Elle est dirigée par une conférence des chefs d'Etat et de gouvernement qui se réunit une fois par an et est administrée par un secrétariat général installé dans la capitale du Gabon. Dix-huit comités techniques, constitués d'experts régionaux, et une cour de justice complètent le dispositif qui vise à créer en douze ans une communauté régionale très semblable, dans son principe, àl'Union européenne. Les buts qui lui ont été assignés sont la libéralisation des échanges, la liberté de circulation, de résidence et d'établissement, et le développement de la coopération économique régionale.

Si je mentionne ici ces institutions, c'est que beaucoup d'Européens, voire d'Africains, pourtant au fait des réalités africaines, en ignorent l'existence ou en sous-estiment l'importance. Or, chacune d'elles peut et doit jouer un rôle qui s'avérerait vite décisif dans la recherche d'une solution pacifique aux problèmes qui déchirent l'Afrique centrale en général et la région des Grands Lacs en particulier.

Relancer le processus d'intégration

Puisque les institutions qui permettraient le développement de relations économiques fructueuses entre les peuples et les Etats existent dans cette partie de l'Afrique, la tragédie qui s'y déroule impose une relance vigoureuse du processus d'intégration écono- mique de l'Afrique centrale qui s'est amorcé au lendemain des indépendances.

Il est évident, en effet, que ce n'est pas en laissant des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants errer de part et d'autre des frontières, chercher désespérément nourriture et sécurité, souffrir et mourir dans des camps de fortune, que l'on parviendra àramener

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la paix dans les Grands Lacs; encore moins en s'efforçant de rendre ces mêmes frontières imperméables. Si l'on veut, et c'est vital pour l'avenir de l'Afrique, qu'une paix durable s'établisse dans cette zone, ilfaut que chacun puisse se déplacer, travailler, commercer, investir librement.

Les structures qui permettraient une telle coopération existent, je l'ai dit, aussi bien dans le cadre des Grands Lacs que dans celui, plus vaste, de l'Afrique centrale. Il suffit, et c'est affaire de volonté politique, de les activer. Les pays concernés par la tragédie humanitaire qui se déroule aux confins du Zaïre et du Rwanda y ont tout intérêt, mais le Congo, l'Angola, le Gabon, la République centrafricaine, qui en sont proches, ont tout autant à y gagner.

Il me semble donc qu'un grand dessein visant à faire de l'intégration économique régionale le pivot d'un plan de paix et de stabilité de l'Afrique centrale devrait mobiliser toutes les énergies.

Pas seulement parce que le sort de populations entières est en jeu, mais également parce que l'avenir de notre continent dépend pour une large part de notre capacité àorganiser l'espace économique et les échanges.

La haine née des massacres ethniques, objectera-t-on, est telle qu'une relance de l'intégration régionale relève de l'utopie. Maisbien d'autres drames dans le monde ont été résolus parce que des hommes et des femmes déterminés décidèrent un jour de surmonter leurs différends; que l'on songe, notamment, aux miracles que furent la réconciliation du Nord et du Sud après la guerre de Sécession aux Etats-Unis ou la réconciliation franco-allemande au terme de trois guerres fratricides, dont deux se muèrent en conflits mondiaux.

Il n'existe pas de fatalité dans le monde des hommes, pas plus en Afrique centrale qu'ailleurs.

J'en appelle donc à la communauté internationale pour qu'elle ne limite pas son action àla seule intervention humanitaire. Sauver des vies humaines, soulager les souffrances de milliers d'innocents est indispensable. Mais la solution des problèmes qui se posent dans la région des Grands Lacs passe à long terme par une organisation harmonieuse de l'espace économique et social, et celle-ci ne peut se réaliser que grâce àl'intégration régionale.

Les grands puissances, qu'elles soient africaines ou extérieures au continent, ont, dans cette grande affaire, un rôle déterminant à

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jouer. Si elles choisissent d'aider les pays de la région à réussir un rapprochement économique harmonieux, elles donneront à la paix un élan décisif. Très vite les conflits ethniques s'apaiseront et le souci de partager équitablement le bien commun s'imposera.

A ceux qui, voyant les drames s'enchaîner inexorablement dans la région des Grands Lacs, sont enclins à désespérer des hommes et de leurs gouvernants, je voudrais rappeler, pour conclure, l'exemple de l'Europe. L'Europe, détruite en 1945 par la plus terrible des guerres, et qui, un demi-siècle plus tard, devient la première puissance économique du monde. L'Europe qui a délibérément choisi d'avancer à pas comptés sur la voie de l'intégration économique régionale et qui en vient aujourd'hui, fortune faite, à se préoccuper de sa future intégration politique sans pour autant porter atteinte à la liberté d'action de ses membres.

Pour les dirigeants africainsil y a là, en cette fin de siècle, une grande leçon à méditer. Une leçon qui peut s'énoncer ainsi:

la détermination, le courage, la clairvoyance autorisent toutes les audaces.

Denis Sassou Nguesso

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