• Aucun résultat trouvé

Université du Québec en Outaouais Examen des meilleures pratiques de postvention : méthode Delphi

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Université du Québec en Outaouais Examen des meilleures pratiques de postvention : méthode Delphi"

Copied!
121
0
0

Texte intégral

(1)

Université du Québec en Outaouais

Examen des meilleures pratiques de postvention : méthode Delphi

Essai doctoral Présenté au

Département de psychoéducation et de psychologie

Comme exigence partielle du doctorat en psychologie, Profil psychologie clinique (D.Psy.)

Par

© Maxime VACHON

Décembre, 2020

(2)

Composition du jury

Examen des meilleures pratiques de postvention : méthode Delphi

Par Maxime Vachon

Cet essai doctoral a été évalué par un jury composé des personnes suivantes :

Monique Séguin, Ph.D., directrice de recherche, Département de psychologie et de psychoéducation, Université du Québec en Outaouais.

Carl Bouchard, Ph.D., examinateur interne, Département de psychologie et de psychoéducation, Université du Québec en Outaouais.

Marie-Claude Salvas, Ph.D., examinateur interne, Département de psychologie et de psychoéducation, Université du Québec en Outaouais.

Colette Jourdan-Ionescu, Ph.D., examinateur externe, Département de psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières

(3)

i

je ne suis plus revenu pour revenir je suis arrivé à ce qui commence - Gaston Miron

(4)

ii

REMERCIEMENTS

Merci à ma directrice de recherche, Dre Monique Séguin, pour sa confiance

soutenue, sa rigueur, sa patience et son soutien tout au long du projet. Vous m’avez aidé à me dépasser professionnellement, tant en recherche qu’en clinique, et je vous en suis très reconnaissant. Je tiens également à remercier Dr Carl Bouchard, Dre Marie-Claude Salvas et Dre Colette Jourdan-Ionescu qui ont généreusement accepté de faire partie du jury de mon essai doctoral, ainsi qu’au Dre Isabelle Green-Demers pour ses conseils.

À ma cohorte et amies, même dans les moments difficiles du doctorat vous m’avez rendu l’expérience tellement plaisante. Un remerciement spécial à Dr Normand Gingras, Camille, Mélodie et Vann, avec qui j’ai eu la chance de vivre mes premiers moments dans cette merveilleuse profession.

À ma famille, Micheline, Daniel, Andréanne, Alex, Adèle, Jade, Camille, Cynthia, Benjamin, Laurent, Émile, Arnaud, Léa, Guillaume et Gabrielle, je vous dois en grande partie mes réussites professionnelles. Cet essai doctoral n’aurait pas été possible sans votre précieux soutien, merci beaucoup.

Finalement, je ne saurais comment te remercier Marie-Pier, pour ta présence, ton appui, ta confiance, ton écoute, tes encouragements et ton amour qui m’ont permis d’atteindre ce rêve. Je t’aime de tout mon cœur.

(5)

iii RÉSUMÉ

Contexte théorique. Le suicide est un problème de santé publique mondial. Pour chaque suicide, les chercheurs estiment qu’il y a entre 7 à 10 personnes directement affectées par le décès soit par une exposition à l’événement ou soit par la perte et le deuil, et environ 80 personnes bouleversées parce qu’elles auraient eu des liens avec la personne décédée (Berman, 2011). Ces personnes peuvent développer des complications et augmenter la vulnérabilité suicidaire (Séguin et al., 2005).

Il est donc fondamental d’offrir des services adaptés aux besoins de cette population. Ces services sont ceux de la postvention : des activités d’accompagnement, de soutien et d’intervention offertes aux personnes ayant été exposées au suicide. Malgré l’abondance de programmes de postvention, ceux-ci sont généralement élaborés sur la base du jugement professionnel des intervenants plutôt que sur des données probantes. Pour cette raison, il apparaît important de dresser un inventaire des pratiques de postvention les plus communes et d’en ressortir celles faisant consensus parmi les experts de la prévention du suicide. Objectif. Cette étude vise, premièrement, à réaliser un inventaire des actions proposées dans différents programmes de postvention qui sont diffusées dans la littérature scientifique et publiquement par des institutions. Deuxièmement, elle a pour objectif de demander l’avis des experts en prévention du suicide sur le bien-fondé des actions de postvention répertoriées dans la littérature, afin d’obtenir un consensus quant aux actions de postvention reconnues comme étant pertinentes ou non à mettre en œuvre. Méthodologie. Dans un premier temps, un inventaire des actions diffusées publiquement dans les programmes de postvention a été réalisé et ajouté à une revue systématique des actions de postvention diffusées dans la littérature scientifique. Dans un deuxième temps, l’avis d’experts sur le bien-fondé des actions de postvention a été obtenu à l’aide de la méthode Delphi, un processus itératif utilisé pour recueillir et comparer les jugements d’experts sur un sujet en particulier dans le but d’obtenir un consensus. Les 18 experts ayant participé à la présente étude étaient des chercheurs sur le suicide ou des professionnels actifs en gestion de crise à la suite d’un suicide. Résultats. Nous avons constitué un inventaire de 190 actions de postvention. Parmi celles-ci, le consensus d’experts a permis d’identifier 128 actions comme étant pertinentes ou essentielles à inclure dans un programme de postvention. Discussion. Une convergence a été observée entre les avis des intervenants et ceux des chercheurs quant aux pratiques à favoriser à la suite d’un suicide. En comparant les meilleures pratiques issues de l’expertise des francophones à celles des experts anglophones telles que décrites dans les travaux de Cox et ses collègues (2016), il est possible d’observer, d’une part, des similarités pour ce qui a trait aux thématiques des actions de postvention et, d’autre part, une différence quant à l’utilisation d’une stratégie permettant l’analyse du contexte dans lequel apparaît le suicide avant de planifier les actions ultérieures. Aussi, il a été observé que les actions analysées visent principalement des adolescents et jeunes adultes en institution scolaire.

Davantage de recherches seront nécessaires, afin d’adapter adéquatement ces actions à la population adulte et à la postvention en milieu de travail. Cette étude contribue à la consolidation des connaissances sur la postvention à la suite d’un suicide, tout en offrant aux comités de crise une mise à jour des meilleures pratiques à inclure dans un programme de postvention.

Mots clés. Suicide, Deuil, Traumatisme, Postvention, Santé publique, Méthode Delphi, Consensus d’experts

(6)

iv

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES TABLEAUX ... vi

LISTE DES FIGURES ... vii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... viii

AVANT-PROPOS ... ix

CHAPITRE 1 INTRODUCTION ... 1

Épidémiologie du suicide ... 1

Le retentissement à la suite d’un suicide ... 2

Le suicide ... 6

Définition ... 6

Cadres conceptuels expliquant la vulnérabilité au suicide ... 7

Modèle étiologique vulnérabilité-stress ... 8

Facteurs de risque distaux ... 10

Facteurs de risque proximaux ... 11

Types d’actions inclus dans les plans nationaux de prévention du suicide ... 13

Postvention à la suite d’un suicide ... 14

Cadres conceptuels sur lesquels se basent les actions de postvention. ... 14

Prévenir l’effet d’entraînement du suicide ... 15

L'effet Werther ... 16

L’effet Papageno ... 18

Soutenir les individus souffrants et vulnérables ... 19

État des programmes de postvention ... 22

Examen de l’efficacité des programmes de postvention ... 24

Consensus des actions de postvention ... 26

Question de recherche et objectifs ... 28

CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS ... 29

Article 1 ... 29

SUMMARY ... 30

RÉSUMÉ ... 31

(7)

v

INTRODUCTION ... 32

Postvention à la suite d’un suicide ... 32

Consensus des actions de postvention ... 36

Objectifs de l’étude ... 36

MÉTHODE ... 37

Inventaire des actions ... 37

Recrutement des experts et méthode Delphi ... 45

Méthode Delphi ... 45

Procédure ... 46

RÉSULTATS ... 47

DISCUSSION ... 55

Consensus des experts ... 55

Inventaire de postvention ... 56

Retombées de l’étude ... 58

Forces et limites de l’étude ... 59

Conclusion ... 60

CHAPITRE 3 DISCUSSION GÉNÉRALE ... 61

Inventaire de postvention ... 61

Médias sociaux et postvention ... 622

Durée des programmes de postvention ... 666

Consensus des experts ... 688

Postvention en milieu de travail ... 70

Retombées de l’étude ... 75

Forces et limites de l’étude ... 766

Études futures ... 798

CHAPITRE 4 CONCLUSION ... 80

RÉFÉRENCES ... 82

(8)

vi

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1. Résumé du contenu des programmes et recommandations relatifs à la postvention en milieu institutionnel ou communautaire – tiré de Nicolas et al., (2017) ... 38 Tableau 2. Revue des programmes de postvention dans la littérature grise ... 43 Tableau 3. Liste des actions de postvention conservées ou rejetées selon les grandes sphères d’intervention ... 50 Tableau 4. Regroupement des actions de postvention ... 69

(9)

vii

LISTE DES FIGURES

Figure 1. Modèle du risque suicidaire – tiré de Turecki & Brent (2016) ... 9 Figure 2. Diagramme de suivi des actions de postvention lors de la méthode Delphi ... 48

(10)

viii

LISTE DES ABRÉVIATIONS

AQPS Association Québécoise de la Prévention du Suicide CDC Center for Disease Control

GEPS Groupe d’Étude et de Prévention du Suicide IMÉU Institut de médecine des États-Unis

INSPQ Institut National de Santé Publique du Québec OMS Organisation mondiale de la santé

TSPT Trouble de stress post-traumatique

(11)

ix

AVANT-PROPOS

Cet essai doctoral s’inscrit dans un plus grand projet de recherche mené par Monique Séguin, subventionné par le Secrétariat à la Jeunesse du Québec, visant à développer un programme de postvention à la suite d’un suicide.

Cet essai doctoral permet de contribuer à ce projet plus large en réalisant un inventaire des actions implantées dans les programmes de postvention à la suite d’un suicide. Plusieurs

programmes existent et ont été diffusés en ciblant les actions à mettre en place. Cependant, ces actions sont variées et diversifiées, sans que l’on puisse avoir une indication quant au bien-fondé de ces actions dans une logique de postvention. Ainsi le but visé de ce projet était de faire un inventaire des actions publiées soit dans la littérature scientifique ou soit dans la littérature grise (programme de postvention diffusée par des Commissions scolaires, des Centres de prévention du suicide, etc.). Dans un deuxième temps, l’inventaire de toutes ces actions regroupées a été soumis à une évaluation d’experts en vue de dégager un consensus quant aux actions de

postvention les plus pertinentes à mettre en œuvre. Ce travail permet de documenter les pratiques actuelles et ainsi d’offrir aux chercheurs des indications qui pourront contribuer à leurs travaux plus larges, soit celui de développer et déployer au Québec un programme cadre de postvention à la suite d’un suicide.

L’article scientifique, présenté dans le chapitre 2, a été écrit par Maxime Vachon dans le cadre de cet essai doctoral. Il en est l’auteur principal et s’est aussi chargé tout ce qui a trait à l’analyse des résultats. Les co-auteurs ont participé tout au long du projet, fait une relecture de l’article et proposé des changements à celui-ci. Tous les co-auteurs ont autorisé l’ajout de cet article à cet essai doctoral.

(12)

1. INTRODUCTION

Épidémiologie du suicide

Bien qu’il soit évitable, le suicide demeure un problème de santé publique majeur

(Organisation mondiale de la santé [OMS], 2014). En effet, l’OMS estime qu’il y a eu à l’échelle mondiale plus de 804 000 décès par suicide en 2012, ce qui correspond à un décès par suicide toutes les 40 secondes. L’OMS estime également que, pour chaque suicide achevé, il y aurait une vingtaine de tentatives de suicide. Si les décès par suicide dans le monde ont connu une baisse d’environ 9 % entre 2000 et 2012, le suicide demeure préoccupant, représentant encore 1,4 % de la mortalité, toutes causes confondues (Organisation mondiale de la santé, 2014).

Le Canada dépasse la moyenne mondiale de 10,6 suicides par 100 000 habitants (OMS, 2018) en affichant un taux de suicide de 11,5 suicides par 100 000 habitants (Navaneelan, 2012).

Si le taux de suicide est le plus élevé au Canada chez les personnes âgées de 40 à 59 ans (Navaneelan, 2012), il est la deuxième cause de décès chez les 10 à 29 ans, tant au Canada que dans le monde (Navaneelan, 2012; OMS, 2017). Selon les données plus récentes de l’Agence de la santé publique du Canada (2016), 10 personnes se suicident par jour au Canada1 en moyenne, ce qui en fait la neuvième cause de décès.

Au Québec, huit individus sont hospitalisés chaque jour suite à une tentative de suicide et trois personnes décèdent à la suite d’un suicide (Ministère de la santé et des services sociaux, 2012). Toujours au Québec, selon les données provisoires publiées par l’Institut national de santé

1 Ce chiffre représente environ 4000 décès par suicide annuellement au Canada (Agence de la santé publique du Canada, 2016).

(13)

2

publique du Québec (INSPQ) pour l’année 2017, le taux ajusté de suicide était de 12,4 par 100 000 personnes, pour un total de 1 045 suicides (Lévesque et al., 2020). De 2014 à 2017, le taux de suicide des hommes et des femmes a augmenté avec l’âge pour atteindre un sommet chez les personnes âgées de 50 à 64 ans. Chez les hommes, depuis le sommet atteint en 1999 (35,8 suicides par 100 000), le taux de suicide a constamment diminué jusqu’à atteindre 17,9 par 100 000 en 2017 (781 suicides) (Lévesque et al., 2020).

Notons qu’au cours des vingt dernières années, le taux de suicide au Québec a décru chaque année de 4,1 % pour les hommes et de 2,6 % chez les femmes. Cela équivaut à une réduction de moitié du taux de décès par suicide des Québécois en 2009 comparé au taux relevé en 1999 (Lévesque et al., 2020). Une chute considérable des taux de suicide a été observée chez les

adolescents qui, en excluant les enfants de 10 à 14 ans, constituent le groupe d’âge qui présente le taux de suicide le plus bas au début du millénaire, étant passé de 35,1 en 1995 à 9 par 100 000 en 2016, selon un rapport produit par l’Institut national de la santé publique du Québec (Lévesque et al., 2020).

Les conséquences du suicide demeurent nombreuses pour la société. On estime que chaque suicide entraîne à lui seul un coût moyen de près de 850 000 $ (Clayton & Barcelo, 1999).

Toutefois, c’est sur les plans individuel et collectif que les conséquences du suicide prennent le plus d’ampleur.

Le retentissement à la suite d’un suicide

On rapporte qu’en moyenne 7 à 10 personnes sont directement affectées par le suicide d’un proche (Gouvernement du Canada, 2016), mais qu’entre 80 et 135 personnes pourraient en être

(14)

3

bouleversées en raison des liens qu’elles entretenaient avec la personne décédée (Berman, 2011;

Cerel et al., 2019). Les études mettent en évidence une panoplie de réactions susceptibles d’être vécues par les proches de la personne décédée.

Le deuil à l’adolescence peut être particulièrement difficile, vu les nombreux

changements individuels et environnementaux associés à ce stade de développement (Requarth, 2006; Montgomery & Coale, 2015). L’adolescence est une période d’exploration et

d’introspection. Les jeunes y expérimentent différents rôles, dont ils se servent pour bâtir leur propre identité. Dans ce contexte, les pairs deviennent des personnes privilégiées pour explorer différentes identités. L’amitié entre pairs devient ainsi très importante puisque les jeunes en viennent à représenter des sources d’information précieuse sur soi et ses agissements. Ce faisant, les pairs exercent une influence capitale sur la formation du moi et de l’identité (Jacobs, 2003;

Keating, 1996). Pour la première fois de leur vie, les relations extrafamiliales en viennent à revêtir une signification plus grande que les relations intrafamiliales (Crone, 2008; Zimmermann, 2001). De plus, les groupes de pairs permettent aux adolescents d’échanger, de se donner et de recevoir du soutien face aux conflits vécus au sein de leur milieu familial. En somme, les groupes de pairs permettent de répondre aux besoins d’appartenance, de reconnaissance et d’approbation des jeunes (DeHart, 2004).

Dans ce contexte, le décès d’un ami revêt une signification particulière pour les adolescents. En effet, les pairs sont une source de soutien et de gratification au moment où l’adolescent fait face aux conflits de séparation, d’indépendance et d’intimité. La mort d’un ami peut engendrer un bouleversement dans la vie du jeune, dans sa quête d’identité, d’autonomie et de maîtrise de soi (Mitchell, 2006). Par ailleurs, comme les groupes de pairs s’établissent en fonction d’affinités mutuelles, le décès par suicide d’un ami peut entraîner des effets importants

(15)

4

qui diffèrent selon les stades de maturité et d’évolution de l’amitié entre les pairs (Hanus, 2004;

2008). Ainsi, au début de l’adolescence, le jeune s’éloigne de ses parents; le conflit psychique en cours est celui de la séparation et de la fusion avec les figures parentales. L’amitié se traduit surtout par le partage d’activités conjointes. Les sentiments associés à la relation d’amitié comme l’engagement, la réciprocité et la loyauté sont encore mal compris. Au milieu de l’adolescence, l’adolescent est en quête d’autonomie; il cherche à développer ses compétences et à faire sa vie en dehors du milieu familial. Le conflit psychique tourne alors autour de l’indépendance et de la dépendance. L’amitié se fonde sur la solidarité et le désir d’une sécurité émotive. À ces fins, l’ami est perçu comme un être loyal capable d'offrir un soutien moral. À la fin de l’adolescence, le jeune cherche à développer des liens d’intimité avec les autres; le conflit psychique en cours devient alors celui de la proximité et de la mise à distance affective. L’intimité entre amis ne repose plus sur la satisfaction de besoins personnels, mais sur la compréhension mutuelle et le partage d’expériences. Le deuil d’un pair peut perturber les différents stades du développement, dont la résolution des conflits psychiques, et rendre le jeune endeuillé plus vulnérable (Fauré, 2013; Montgomery & Coale, 2015). La perte d’un être cher pour un adolescent est d’autant plus problématique que ce dernier ne possède pas toujours les habiletés d’adaptation (coping)

nécessaires pour surmonter cette épreuve.

Le deuil engendré par un suicide peut causer des réactions diverses de choc et de confusion, en plus de faire émerger des formes variées de déni comme l’incrédulité, la culpabilité, la colère, l’anxiété, la peur et la tristesse (Arnold & Gemma, 2008; Feigelman et al., 2009; Gall et al., 2014; Jordan, 2001; Jordan & McIntosh, 2011; Mauk & Weber, 1991; Mauk & Sharpnack, 1998;

Sveen & Walby, 2008; Valente & Saunders, 1993; Young et al., 2012). Ce bouleversement peut aussi produire différentes réactions cognitives (se faire des reproches, chercher un sens au drame) et comportementales (l’agitation), ainsi que des symptômes psychosomatiques (insomnie, perte

(16)

5

d’appétit) (Arnold & Gemma; 2008; de Groot et al., 2006; Feigelman et al., 2009; Gall et al., 2014; Mauk & Rodgers, 1994; Mauk & Sharpnack, 1998; Valente & Saunders, 1993).

Parmi les complications les plus communes, on notera aussi le développement de dépressions majeures, l’allongement excessif du travail de deuil, l’incapacité à s’investir dans d’autres relations et un fonctionnement discontinu dans la vie courante (Brent et al., 1992, 1995;

de Groot et al., 2006; Gall et al., 2014; Hibberd et al., 2010; Séguin & Brunet, 1999; Skehan et al., 2013; Sveen & Walby, 2008; Valente & Saunders, 1993; Visser et al., 2014; Young et al., 2012). Les difficultés d’adaptation sociale liées à l’isolement et à la stigmatisation peuvent aussi perturber la résolution du deuil (Jobes et al., 2000; Leenaars & Wenckstern, 1998). Dans une étude faite auprès des pairs et des amis d’un adolescent décédé à la suite d’un suicide, Brent et ses collègues (1992, 1995) ont démontré les risques de développer différents problèmes de santé mentale, tels que des troubles dépressifs, des troubles anxieux, dont le trouble de stress post- traumatique (TSPT), et des troubles d’abus de substances. Des recherches montrent également que l’émergence d’un TSPT est plus fréquente chez les jeunes ayant été témoins du suicide que chez ceux qui n’ont pas été exposés à la scène du suicide (Kirk, 1993; Mauk & Rodgers, 1994, Grossman et al., 1995; Brent et al., 1994, 1995).

À la suite d’un suicide, les phénomènes d’imitation et de suridentification à la personne décédée peuvent entrainer chez des jeunes ayant une vulnérabilité de santé mentale à souhaiter imiter le proche (Chagnon & Gravel, 1996; Notredame et al., 2015; Sacks & Eth, 1981). Ces réactions peuvent générer un effet d’entrainement en augmentant la probabilité d’occurrences d’autres suicides (Bearman & Moody, 2004 ; Gall et al., 2014; de Groot et al., 2006;

Gouvernement du Canada, 2016; Maple et al., 2017; Nanayakkara et a., 2013 ; Visser et al., 2014). Ces impacts du suicide obligent les divers administrateurs de la santé à lutter contre le suicide en optimisant les mesures à déployer, afin d’en amoindrir le fardeau.

(17)

6 Le suicide

Définition

Le suicide peut se résumer au fait de s’enlever la vie intentionnellement (OMS, 2014). Il survient généralement au terme d’un processus, s'étirant parfois tout au long de la vie. Ce processus peut aller jusqu’à l’atteinte d’un seuil où la personne visée choisit de mettre fin à la détresse psychologique qu’elle n’arrive plus à supporter (Shneidman, 1973). Ce processus inclut habituellement l’idéation suicidaire, c’est-à-dire des pensées de désespoir et d’un sentiment d’inutilité de la vie, entrainant un désir de mourir ou de s’enlever la vie (Serafini et al., 2016).

L’OMS définit le terme de suicide comme l’acte délibéré de s’enlever la vie et les tentatives de suicide comme tout comportement suicidaire non mortel, y compris les actes d’auto-intoxication, d’automutilation ou d’autoagression avec ou sans intentionnalité (Organisation mondiale de la santé, 2014).

Selon L’Institut national de la santé publique (Lévesque et al., 2020), les idées suicidaires sont des pensées (cognitions) qui consistent à imaginer des façons de se donner la mort. Celles-ci peuvent se présenter sous la forme d’idéations passagères ou passives, construites ou non sur le modèle d’un scénario suicidaire, d’un moment et du moyen utilisé pour mettre fin à ses jours.

Selon l’OMS (2014), la formation d’idées suicidaires est une expérience passagère et fluctuante, ce qui rend leur mesure moins fiable que dans les cas de tentatives de suicide. À cet égard, l’OMS préconise la prise en compte de plusieurs facteurs, tels que la présence de scénarios, de projets ou de planification d’actes autoagressifs ou suicidaires.

Sur le plan théorique, les comportements suicidaires se situent sur un spectre incluant l’idée suicidaire, la tentative de suicide et le suicide achevé. La nomenclature proposée par Silverman, Berman, Sanddal, O’Carroll et Joiner (2007), et reprise plus tard par Van Orden, Witte,

(18)

7

Cukrowicz, Braithwaite, Selby et Joiner (2010), pose l’idée selon laquelle tous les comportements suicidaires ou reliés au suicide sont définis respectivement selon les trois

caractéristiques suivantes : l’absence ou la présence d’un comportement préjudiciable auto-initié, l’absence ou la présence d’une intention de mourir, ainsi qu'une issue létale ou non létale. Bien que tous les comportements suicidaires partagent comme point commun le fait d’être auto-initié par un acte volontaire, ceux-ci peuvent varier sur les plans de l’absence ou de la présence d’une intention de mourir, ainsi que d’une issue létale ou non létale. Le suicide achevé inclut la présence d’un comportement préjudiciable auto-initié, avec intention et conséquence létale, tandis que la tentative de suicide n’a pas d’issue létale, mais comporte le caractère auto-initié et l’intention de mourir.

L’idéation suicidaire peut mener à la planification concrète du suicide (Serafini et al., 2016). La planification du suicide augmente la possibilité d’un passage à l’acte (Serafini et al., 2016). Toutefois, ce processus peut évoluer différemment d’une personne à l’autre et les raisons qui entrainent des conduites suicidaires diffèrent selon les individus (Mann et al., 1999).

Cadres conceptuels expliquant la vulnérabilité au suicide

Bien que la littérature scientifique portant sur les facteurs de risque du suicide soit abondante (Aleman et Denys, 2014; Guzmán et al., 2019; Hawton et al., 2013; Huang et al., 2017; Huang et al., 2018; Ide et al., 2010; Li et al., 2011; Liu & Miller, 2014; McClatchey et al., 2017; McLean et al., 2008), l’ensemble des causes du suicide n’a pas encore été réalisé en raison de son aspect multifactoriel qui rend difficile l'établissement d'un cadre étiologique qui fasse consensus (Turecki et al., 2012; Turecki et Brent, 2016; Wasserman & Sokolowski, 2016).

L’ensemble des recherches permet néanmoins d’identifier les facteurs de risque en cause dans

(19)

8

l’étiologie suicidaire. Ces recherches nous permettent d'arriver à une meilleure compréhension de la complexité et de l’influence des facteurs distaux qui augmentent la vulnérabilité suicidaire au fil du temps.

L’objectif de cet essai doctoral n’étant pas de faire une recension exhaustive de tous les facteurs de risque associés au suicide, voici une brève présentation des principaux facteurs de risque du suicide, selon les sphères socioculturelle, environnementale et individuelle (Turecki et al., 2012).

Modèle étiologique vulnérabilité-stress. Turecki & Brent (2016) ont proposé un modèle étiologique à partir des divers facteurs de risque susceptibles d’influencer le développement des comportements suicidaires, notamment les idéations suicidaires, les tentatives de suicide et le décès par suicide, tel qu’illustré par la figure 1. Les auteurs expliquent que les comportements suicidaires résultent d’une interaction de multiples facteurs appartenant à trois catégories principales : les facteurs de risque de niveau populationnel, les facteurs de risque de niveau environnemental et les facteurs de risque de niveau individuel. Les facteurs de risque de niveau populationnel comprennent les contextes sociaux comme la cohésion sociale et la situation économique; pensons à l’insécurité économique engendrée par une récession, par exemple

(Anglemyer et al., 2014; Dunne-Maxim et al., 1992; Gould et al., 2014; Pirkis et al., 2006; Tondo et al., 2006; Turecki et al., 2016).

Les facteurs de risque de niveau environnemental incluent l’accessibilité aux moyens pour se suicider, la couverture médiatique des comportements suicidaires et les difficultés d’accès à des soins en santé mentale (Crump et al., 2014; Hawton et al., 2013; Liu & Miller, 2014;

McClatchey et al., 2017; McLean et al., 2008; Overholser et al., 2012; Phillips et al., 2002).

(20)

9

Figure 1. Modèle du risque suicidaire – tiré de Turecki & Brent (2016)

Ces facteurs interagissent avec les facteurs de risque de niveau individuel, qui regroupent trois catégories évoluant selon une séquence développementale : les facteurs distaux (ou prédisposants), les facteurs développementaux (ou médiateurs) et les facteurs proximaux (ou précipitants) (Turecki & Brent, 2016). Les facteurs distaux comprennent notamment la transmission familiale des comportements suicidaires (antécédents familiaux) et l’aspect génétique (interaction gènes et environnement) associé au risque suicidaire. Ce groupe de facteurs inclut aussi le niveau d’adversité rencontré pendant l’enfance comme, par exemple, les abus et la négligence. Cette adversité est associée à l’épigénétique, c’est-à-dire aux changements apportés à l’expression génétique sur le long terme. Les facteurs développementaux incluent les

(21)

10

traits de personnalité, tels que l’impulsivité, l’agressivité, l’anxiété et les difficultés relationnelles, ainsi que les styles cognitifs, comme les déficits associés à la mémoire ou les difficultés de

résolution de problèmes. Ces facteurs sont considérés comme médiateurs dans la survenue des comportements suicidaires. Leur développement est influencé par les facteurs de risque distaux et s’échelonne dans le temps. Les facteurs proximaux incluent notamment la psychopathologie et les événements de la vie. Ces facteurs s’inscrivent dans un plus court laps de temps précédant les agissements suicidaires, qu’ils contribuent à précipiter.

Facteurs de risque distaux. Ces facteurs de risque apparaissent tôt dans la trajectoire de vie d’une personne et augmentent la prédisposition au suicide (Turecki et al., 2012). Parmi ceux-ci, on compte nombre de facteurs génétiques et biologiques comme le genre, l’orientation sexuelle, les antécédents familiaux de psychopathologies et les antécédents de négligence ou de violence émotionnelle, physique ou sexuelle durant l’enfance (Crump et al., 2014; Hawton et al., 2013;

Kessler et al., 1999; Li et al., 2011; McClatchey et al., 2017; McLean et al., 2008; Turecki &

Brent, 2016).

À ces facteurs s’ajoutent les facteurs de risque développementaux (Turecki & Brent, 2016).

En plus d’être caractérisée par des changements et des transitions majeurs sur les plans physique, identitaire et relationnel, l’adolescence est une période de vie dont l’intensité émotionnelle entraine des stratégies d’adaptation (Bilsen, 2018; Lynch & Séguin, 1999). Les facteurs de risque développementaux nuisent au développement de saines capacités d’adaptation, notamment en contribuant au développement de déficits cognitifs ou d’une faible capacité de résolution de problèmes (Grover et al., 2009). Parmi ceux-ci, le facteur le plus important semble être la

présence d’adversités vécues durant l’enfance et l’adolescence, mais le manque de soutien social,

(22)

11

l’adoption de comportements antisociaux, agressifs ou impulsifs, l’abus d’alcool ou de drogues et le développement de psychopathologies participent aussi aux risques environnementaux (Consoli et al., 2013; Grover et al., 2009; Hawton et al., 2013; Huang et al., 2018; Ide et al., 2010;

McClatchey et al., 2017; McLean et al., 2008; Séguin et al., 2011; Turecki & Brent, 2016).

Facteurs de risque proximaux. Ces facteurs de risque sont ceux qui déclenchent le processus suicidaire (Turecki et al., 2012). Parmi ceux-ci, la présence d’une psychopathologie semble être la plus importante, notamment les troubles de l’humeur et les troubles de la

personnalité (Crump et al., 2014; Guzmán et al., 2019; Hawton et al., 2013; Huang et al., 2017;

Huang et al., 2018; Kessler et al., 1999; Li et al., 2011; McClatchey et al., 2017; McLean et al., 2008; Overholser et al., 2012; Phillips et al., 2002; Turecki et al., 2016). Parmi les autres facteurs de risque proximaux importants, il y a les tentatives de suicide antérieures, la toxicomanie, le sentiment de désespoir et l’impulsivité (Crump et al., 2014; Hawton et al., 2013; Li et al., 2011;

McClatchey et al., 2017; McLean et al., 2008; Overholser et al., 2012; Phillips et al., 2002;

Turecki & Brent, 2016).

Si ces facteurs de risque peuvent bel et bien informer les stratégies de prévention à mettre en place, d’autres chercheurs tentent néanmoins de développer des modèles théoriques capables de mieux expliquer et conceptualiser les comportements suicidaires (Gunn & Lester, 2014).

Parmi ces théories, deux d’entre elles sont particulièrement répandues et acceptées, soit le modèle de vulnérabilité-stress (Mann et al., 1999) et la théorie interpersonnelle du suicide (Van Orden et al., 2010).

Remarquant que la sévérité de la psychopathologie ne prédisait pas le risque de passage à l’acte et que le risque de passage à l’acte était plus grand chez ceux qui avaient déjà fait une tentative de suicide, ces chercheurs ont postulé l’existence d’un profil type de personnes plus à

(23)

12

risque de passer à l’acte. Le modèle de stress-diathèse nous permet de mieux les comprendre (Mann et al., 1999). En effet, selon ce modèle, la vulnérabilité au suicide serait plus grande chez les personnes ayant développé des prédispositions à être impulsif et à adopter des comportements d’autoagression (diathèse). Une exposition intense ou répétée à des événements de vie négatifs pourrait provoquer chez ces gens un sentiment de désespoir qui surpasse leurs capacités

d’adaptation (stress). La diathèse pourrait être, par exemple, liée au fait d’avoir une vulnérabilité biologique ou d’avoir été victime de violence ou d’abus durant l’enfance et l’adolescence, tandis que le stress pourrait être lié à divers événements de vie négatifs comme une rupture, une perte d’emploi ou la perte d’un proche.

Si le modèle stress-diathèse se focalise sur les facteurs individuels menant au suicide, Van Orden et ses collègues (2010) proposent une théorie qui cible principalement l’interaction de l’individu dans son milieu. Selon la théorie interpersonnelle du suicide, la vulnérabilité au suicide serait plus grande chez les personnes ayant les sentiments de ne pas appartenir à leur groupe social et d’être un fardeau pour les autres. Ce sont ces sentiments qui contribueraient le plus à l’idéation suicidaire (Van Orden et al., 2010). Ici aussi, conformément au modèle stress-diathèse, le risque de passage à l’acte serait plus grand chez les personnes ayant été exposées de façon répétée à des événements de vie négatifs.

Au fil des années, ces modèles ont été adaptés à la perspective biopsychosociale, ce qui a permis de modéliser la vulnérabilité au suicide selon la présence de certains facteurs de risque, non plus comme une période de crise, mais comme une trajectoire de vie (Wasserman &

Sokolowski, 2016).

Le suicide est un phénomène multidimensionnel (Hawton et al., 2013; Overholser et al., 2012; Turecki & Brent, 2016). Pour le prévenir et atténuer l’effet des facteurs de risque, il est

(24)

13

possible d’avoir recours à différents types d’actions (Aleman et Denys, 2014; Hawton et al., 2013).

Types d’actions inclus dans les plans nationaux de prévention du suicide

Face à l’augmentation des taux de suicide au cours des années 1970 à 1990, plusieurs pays ont mis en œuvre des stratégies nationales de lutte contre le suicide (Farberow, 2001). Dans le but d’identifier les actions qui peuvent être intégrées dans un plan national, l’Institut de médecine des États-Unis (IMÉU, 1994) et l’OMS (2002) a présenté un cadre de classification pour la

prévention à trois niveaux : les stratégies universelles, les stratégies sélectives et les stratégies ciblées.

Selon ce cadre de classification, chaque stratégie vise un groupe cible d’individus (OMS, 2002). Par définition, les actions universelles visent la population générale. Les actions

universelles peuvent inclure, entre autres, l’organisation d’une campagne de sensibilisation au bien-être et au maintien de la santé mentale. Quant aux actions sélectives, elles visent les individus présentant un ou des facteurs de risque individuels. Parmi les actions sélectives, mentionnons le développement de stratégies de repérage des individus à risque à la suite d’un suicide. Les actions ciblées visent les individus présentant des manifestations de la

problématique. Dans le cas de la prévention du suicide, il s’agit des stratégies visant à soutenir des proches endeuillées à la suite d'un suicide, des personnes ayant déjà fait une tentative de suicide ou ayant des idées suicidaires sévères. Les actions ciblées permettraient de planifier l’intervention directe auprès des individus souffrant des répercussions d'un suicide (OMS, 2002).

(25)

14

Le retentissement d’un suicide, les préoccupations pour les individus qui vivent le décès d’un proche après un suicide et les conséquences sur la collectivité sont pris en compte à travers la postvention (Dransart & Séguin, 2008). Dans les dernières décennies, ce domaine de la suicidologie a pris de l’ampleur, de sorte que la postvention joue maintenant un rôle clé dans la diminution des taux de suicide (Andriessen & Krysinska, 2011; Jordan, 2017). Nous aborderons maintenant les cadres conceptuels sur lesquels s’appuient les actions de postvention.

Postvention à la suite d’un suicide

Cadres conceptuels sur lesquels se basent les actions de postvention

La postvention renvoie au « domaine de la suicidologie qui s’intéresse aux mesures d’accompagnement, de soutien et d’intervention à la suite d’un suicide » (Dransart & Séguin, 2008). Les nombreux programmes publiés de postvention sont divisés en deux approches distinctes.

a) L’approche visant à prévenir l’effet d’entraînement du suicide renvoie explicitement aux modèles épidémiologiques des suicides en grappes de masse et en grappes localisées. Elle vise principalement à minimiser les facteurs collectifs liés à la propagation des idées et des conduites suicidaires en intervenant sur les plans de la communication, de l’organisation ou de la logistique institutionnelle. Parmi les programmes de prévention de l’effet d’entraînement du suicide, le programme du Center for Disease Control (CDC), publié en 1988, demeure une référence incontournable (CDC, 1988). Sur le plan collectif (lorsqu'il est question du groupe, de l’école, de l’institution ou du corps de métier dans lequel se produit le suicide), le suicide d’un collègue peut engendrer une désorganisation structurelle ou organisationnelle et provoquer un relâchement des

(26)

15

mailles du tissu social, un affaiblissement de la cohésion de groupe et une réduction du sentiment d’appartenance, pouvant réactiver ou favoriser l'émergence de conflits susceptibles de fragiliser le milieu et de contribuer à la réémergence d’un geste suicidaire (Hoffman & Bearman, 2015).

b) L’approche de postvention à proprement parler a été développée par Shneidman en 1973.

Cette approche désigne l’ensemble des interventions à entreprendre à la suite d’un traumatisme, en vue d’en diminuer les impacts néfastes et de réduire la souffrance des individus (Dransart &

Séguin, 2008). Il s’agit principalement de limiter la désorganisation psychique précoce, de circonscrire l’impact de la crise et de prévenir des complications psychopathologiques en facilitant le retour au fonctionnement antérieur. Schématiquement, les actions menées dans le cadre de la postvention s’organisent selon le triptyque du repérage, de l’accompagnement psychologique et du suivi des individus à risque (Dransart & Séguin, 2008).

Prévenir l’effet d’entraînement du suicide

Le premier courant vise à prévenir l’effet d’entraînement du suicide. Il est à noter que ce phénomène peut être nommé de différentes façons, par exemple un phénomène de contagion, d’imitation (modeling effect, copycat) ou d’incitation (Cox et al., 2012; Cutler et al., 2001; Fink et al., 2018; Gould et Lake, 2013; Hittner, 2005; Insel & Gould, 2008; Joiner; 1999;

Niederkrotenthaler et al., 2010; Notredame et al., 2015; Poijula et al., 2001b). Ces types de phénomènes renvoient à des nuances théoriques, mais se recoupent en ce qui concerne leur point commun central. En effet, ces phénomènes ont tous à voir avec l’effet d’entraînement des

comportements suicidaires à la survenue d’un suicide dans une population (Fink et al., 2018;

Notredame et al., 2015).

(27)

16

La crainte la plus aiguë soulevée par la survenue d’un suicide en milieu communautaire est l’effet d’entraînement du suicide. En effet, les personnes les plus vulnérables – et notamment les adolescents – sont plus susceptibles de s’identifier à la personne décédée, ce qui peut parfois mener à l’imitation du comportement suicidaire (Bridge et al., 2020; Fink et al., 2018; Gould et al., 2003; Notredame et al., 2015). Certains travaux démontrent que 50 % des jeunes exposés à un suicide présentent un risque de 2 à 4 fois plus élevé de se donner la mort (Gould & Lake, 2013;

McKenzie & Keane, 2007). Autrement dit, l’effet d’entraînement du suicide rend compte de la concentration possible de suicides dans un espace-temps limité. Des « suicides en grappes localisées » ont été décrits en milieu carcéral (McKenzie & Keane, 2007), dans des institutions psychiatriques et dans des établissements scolaires (Gould et al., 1990). Quant à lui, les suicides en grappes de masse renvoient à l’augmentation non circonscrite des taux de suicide dans l’espace en lien avec la diffusion d’un fait suicidaire sur les médias sociaux ou par les médias traditionnels. Ce phénomène est communément appelé l’effet Werther (Fink et al., 2018; Hittner, 2005; Leroux, 2013; Millet, 2005; Notredame et al., 2015; Phillips, 1974; Till et al., 2017).

L'effet Werther. Suite à la publication du roman « Les souffrances du jeune Werther » de Goethe en 1774, dans lequel le protagoniste se suicide avec une arme à feu, l’Allemagne a connu une augmentation de suicides par arme à feu chez les jeunes hommes (Phillips, 1974). En 1974, le sociologue David Phillips a constaté cette tendance à l’augmentation du taux de suicide lorsqu’un suicide faisait les manchettes d’un journal. S’inspirant du roman de Goethe, Phillips a théorisé l’effet Werther (Phillips, 1974). Selon lui, le traitement médiatique d’un suicide sans précaution, en raison de son influence potentielle importante sur les comportements et les croyances d’une communauté, est parfois perçu chez les personnes vulnérables comme une suggestion de passage à l’acte (Fink et al., 2018; Notredame et al., 2015; Phillips, 1974).

(28)

17

L’effet Werther pourrait s’expliquer par deux théories de psychologie sociale : la théorie de l’apprentissage social et la théorie de l’identification différentielle (Blood & Pirkis, 2001; Fink et al., 2018; Niederkrotenthaler et al., 2009; Notredame et al., 2015; Stack, 1987, 2003). D’une part, selon la théorie de l’apprentissage social (Bandura et al., 1977), les individus ont tendance à adopter des comportements en observant ceux d’autrui. D’autre part, selon la théorie de l’identification différentielle (Glaser, 1956), les individus ont tendance à imiter les

comportements de personnes auxquelles elles s’identifient, par exemple des célébrités. Selon ces théories, une personne vulnérable voulant mettre fin à sa souffrance est plus à risque de

reproduire les comportements suicidaires d’un autre à la suite d’un suicide d’une personne réelle ou imaginée à laquelle elle s’identifie (Blood & Pirkis, 2001; Fink et al., 2018;

Niederkrotenthaler et al., 2009; Notredame et al., 2015; Stack, 1987, 2003). Des cas célèbres ont démontré cet effet. En effet, à la suite du suicide de Marylin Monroe, une hausse de 12,5 % du taux de suicide a été remarquée à travers les États-Unis (Phillips, 1974), atteignant les 40 % dans la ville de Los Angeles (Motto, 1967). Plus récemment, on a observé une hausse de 10 % du taux de suicide à travers les États-Unis suite au suicide de Robin Williams, ainsi qu’une hausse de 32,3 % des suicides par asphyxie, le moyen qu’a employé l’acteur pour s’enlever la vie (Fink et al., 2018). Dernièrement, une hausse du taux de suicide chez les adolescents âgés de 10 et 17 ans a été associée à la diffusion de la première saison de 13 Reasons Why, une série télévisée

populaire où la protagoniste de 17 ans se suicide (Bridge et al., 2020).

Lorsque le traitement médiatique est réalisé avec précautions, il semble possible de, non seulement diminuer l’effet Werther, mais aussi de contribuer à un effet protecteur, mieux connu sous le nom de l’effet Papageno (Niederkrotenthaler et al., 2010).

(29)

18

L’effet Papageno. L’effet Papageno a été théorisé par Niederkrotenthaler et ses collègues (2010), en s’inspirant de la Flûte enchantée de Mozart, un opéra dans lequel trois garçons dissuadent Papageno, le protagoniste aux idées suicidaires, de passer à l’acte. L’étude de

Niederkrotenthaler et ses collègues a contribué, d’une part, à la consolidation des connaissances sur l’effet Werther en détectant une association positive entre un effet d’entraînement du suicide et un traitement médiatique peu précautionneux, par exemple par une circulation de messages glorificateurs, normalisateurs ou banalisant le suicide. D’autre part, elle a contribué à

l’avancement des connaissances en détectant une association négative entre un effet d’entraînement du suicide et un traitement médiatique précautionneux.

Ainsi, selon leur étude, il apparait qu'un traitement médiatique précis pourrait contribuer à prévenir le risque de passage à l’acte chez les personnes vulnérables. Parmi leurs

recommandations, les chercheurs recommandent de parler de l’idéation suicidaire plutôt que de décrire le ou les scénarios de passage à l’acte, de mettre l’accent sur ce qui peut aider à continuer à vivre et d’encourager l’adoption de stratégies d’adaptation alternatives pour faire face à la souffrance (Niederkrotenthaler et al., 2010).

Toutefois, le processus expliquant l’effet Papageno demeure à explorer. La théorie actuelle est la même que pour l’effet Werther, c’est-à-dire que les processus d’apprentissage social et d’identification favorisent chez les personnes vulnérables une diminution du risque de passage à l’acte, tout en leur offrant des pistes de stratégies d’adaptation alternatives pour faire face à leur souffrance (Notredame et al., 2015). Bien que l’effet Papageno soit encore mal connu, il est recommandé de favoriser un traitement médiatique précautionneux, en mettant de l’avant une communication factuelle, sensible, non sensationnaliste, en mettant l’accent sur la prévention du suicide et les ressources d’aide disponibles pour les personnes vulnérables, que ce soit pour

(30)

19

favoriser l’effet Papageno ou pour diminuer l’effet Werther (Notredame et al., 2015; Notredame et al., 2016).

En résumé, la prévention de l’effet d’entraînement du suicide s’appuie sur des modèles épidémiologiques des suicides en grappes de masse et en grappes localisées. Le premier courant de la postvention vise à prévenir l’effet d’entraînement du suicide dans la communauté, en intervenant notamment sur le plan de la communication, de l’organisation ou de la logistique institutionnelle, afin de limiter l’effet Werther, de favoriser l’effet Papageno et de minimiser les facteurs collectifs liés à la propagation des idées et des conduites suicidaires (Bridge et al., 2020;

Fink et al., 2018; Gould et al., 2003; Niederkrotenthaler et al., 2009, 2010; Notredame et al., 2015; Stack, 1987, 2003).

Soutenir les individus souffrants et vulnérables

Proposé à l'origine par Shneidman (1973), le second courant vise spécifiquement à offrir et à mettre en œuvre des activités, à l’échelle individuelle, d’accompagnement, de soutien et

d’intervention aux personnes ayant été exposées au suicide. Il s’agit principalement de limiter la désorganisation psychologique précoce, de circonscrire l’impact de la crise et de prévenir les complications psychopathologiques en favorisant le retour au fonctionnement antérieur.

Schématiquement, les actions menées dans le cadre de la postvention s’organisent selon des activités de repérage, d’accompagnement psychologique et de suivi des individus à risque.

Historiquement, ces actions ciblaient les endeuillés proches du défunt ou ayant été exposées au suicide (Erlich et al., 2017; Maple et al., 2017; Shneidman, 1973). Toutefois, on a remarqué au fil du temps que l’ensemble des membres de la collectivité pouvaient aussi être affectés, mais à

(31)

20

des degrés d’exposition variables, allant des personnes directement exposées au suicide, à la famille proche, à la famille élargie, aux collègues ou camarades de classe, jusqu’aux personnes n'ayant pas connu le défunt, mais présentant une vulnérabilité suicidaire (Bearman, 2011; Maple et al., 2017; Stack, 1987). Pensons au suicide rapporté dans les médias d’une célébrité, par exemple. Leenaars et Wenckstern (1998) ont proposé l'idée selon laquelle les stratégies de postvention s’appliquaient à toutes les personnes à risque d’éprouver des difficultés à la suite d’un suicide. Face à ce constat, il devient primordial de mettre en place des actions de repérage des personnes à risque de complications (CDC, 1988; Cox et al., 2012; Leenars & Wenckstern, 1998; Maple et al., 2017; OMS, 2002; Séguin et al., 2004, 2005). Le modèle théorico-clinique de Séguin et ses collègues propose de distinguer trois groupes de risque, selon le niveau de

vulnérabilité des individus et leur proximité à l’événement (Séguin et al., 2005).

a) Le groupe des personnes directement exposées au geste ou au corps du défunt, ou qui entretenaient avec lui ou elle une relation de proximité affective. Il s’agit des individus pour lesquels la probabilité de développer des manifestations psychopathologiques aiguës en lien avec le deuil ou le psychotraumatisme est la plus élevée. Les risques à plus long terme comprennent les troubles dépressifs, anxieux ou liés à l’usage de substances.

b) Le groupe des personnes non directement exposées, mais chez qui préexiste une

vulnérabilité psychique. On y compte les individus présentant une pathologie psychiatrique, une dépendance à une substance psychoactive, des antécédents traumatiques, ou plus généralement une susceptibilité au suicide. Le risque découle ici de l’amplification psychopathologique.

c) Le groupe constitué par les autres membres de l’institution. Pour ces individus non directement exposés et non préalablement vulnérables, le risque de décompensation critique ou

(32)

21 psychopathologique est plus faible, mais non nul.

Selon cette typologie, les interventions appropriées dépendent du groupe dans lequel se trouve l’individu. Certaines actions ciblées, comme les interventions précoces et à court terme (accompagnement psychologique sur l’évolution du deuil, suivi en rencontre individuel avec une personne ayant été témoin, transmettre de l’information quant aux réactions à venir, etc.) sont adéquates pour le groupe des personnes directement touchées par l’acte suicidaire. Quant à elles, les actions sélectives sont adéquates pour le groupe d’individus identifiés comme vulnérables.

Pensons au repérage et aux interventions auprès des personnes présentant des facteurs de risque ou pouvant en développer (joindre les personnes dans leur milieu, réaliser un entretien afin d’évaluer leurs besoins, orienter les personnes vers les ressources appropriées). Enfin, les actions universelles, comme les interventions visant à rassurer et à augmenter la résilience des personnes (favoriser l’accès à la consultation de professionnels de la santé, offrir des formations pour augmenter les connaissances au sujet des signes précurseurs de la détresse psychologique, promouvoir l’acceptabilité de la consultation en santé mentale, etc.) s’adressent à l’ensemble de la population affectée par le suicide et ne présentant pas de vulnérabilité (Séguin et al., 2004, 2005).

Le deuxième courant de la postvention vise à repérer les individus vulnérables et à leur offrir des soins adaptés à leurs besoins, de façon à contenir les effets négatifs du suicide et à prévenir les risques de problèmes de santé mentale (Leenars & Wenckstern, 1998; Maple et al., 2017; Séguin et al., 2005; Shneidman, 1973).

En résumé, en intégrant ces deux courants, les objectifs actuels de la postvention sont d’offrir des interventions adaptées aux personnes exposées au suicide, en plus de diminuer le risque d’un effet d’entraînement du suicide et de repérer les individus vulnérables ou à risque de

(33)

22

développer des complications à la suite d’un suicide (Dransart et Séguin, 2008, Nicolas et al., 2017; Séguin et al., 2004). Afin de faciliter l’implantation de ces mesures lors d’une période de crise à la suite d’un suicide, différents milieux adhèrent à différents programmes de postvention (Cox et al., 2012; Séguin et al., 1999, 2004; Szumilas & Kutcher, 2011; Visser et al., 2014).

État des programmes de postvention

Au cours des 40 dernières années, nous avons observé une augmentation du nombre de publications sur les programmes de postvention, provenant majoritairement des pays occidentaux anglo-saxons (Andriessen, 2014). Actuellement, la plupart des publications sur la postvention à la suite d’un suicide sont spécifiques au milieu scolaire (Ramchand, 2015; Robinson et al., 2013;

Szumilas & Kutcher, 2011). Leur objectif principal est d’atténuer le risque d’effet d’entraînement du suicide, plus accru chez les adolescents que chez les autres groupes d’âge (Gould & Lake, 2013; Poland, 1989; Robinson et al., 2016b, 2016c).

Si les adolescents sont la cible prioritaire des programmes de postvention en milieu scolaire, les parents, les intervenants, les enseignants et les autres membres du personnel de l’école peuvent aussi être affectés par le suicide (Andriessen, 2014). Quand on tient compte du fait que le milieu scolaire est habituellement le milieu extérieur à la maison où les adolescents passent le plus de temps, les écoles apparaissent en effet comme des lieux à privilégier pour prévenir l’effet d’entraînement du suicide chez les adolescents (Robinson et al., 2013; Séguin et al., 2005). Un autre avantage du milieu scolaire dans la prévention du suicide est l’accessibilité à des ressources déjà disponibles dans le milieu, dont des psychologues, pour venir en aide aux élèves qui présentent des complications à la suite d’un suicide (Rickwood et al., 2017; Séguin et al., 2005). Grâce à l’aide des enseignants, il est aussi possible d’avoir un contact quotidien avec

(34)

23

les élèves, ce qui permet d’observer des signes précurseurs de complications comme les

changements de comportements et la diminution des performances académiques (Juhnke et al., 2011).

Compte tenu de la nature singulière de chaque suicide (Andriessen, 2014), les programmes de postvention diffèrent souvent quant à leurs objectifs et leur contenu (Ramchand, 2015). Par exemple, certains programmes de postvention sont conçus spécifiquement pour l’intervention à la suite d’un suicide (Comans et al., 2013; Séguin et al., 2005; Visser et al., 2014;), tandis que d’autres sont conçus et employés pour intervenir à la suite de divers traumatismes, comme un suicide, un homicide ou un désastre naturel (Gulliver et al., 2016; Leenaars & Wenckstern, 1998).

D’autres différences existent en ce qui a trait à la durée des programmes de postvention. Alors que le déploiement des programmes de postvention a habituellement lieu dès que le suicide survient (Dunne-Maxim et al., 1992; Hazell, 1991; Leenaars & Wenckstern, 1998; Séguin et al., 2005), la durée des interventions diffère souvent d’un programme à l’autre, pouvant aller de quelques jours à quelques mois (Ramchand, 2015; Robinson et al., 2013).

Au Québec, plusieurs programmes de postvention ont vu le jour au cours des dernières décennies. Ceux-ci ont été conçus en premier par des centres de prévention du suicide et des commissions scolaires (Séguin et al., 1999). Après avoir recensé et analysé 42 différents

programmes de postvention (Séguin et al., 1999), Séguin et ses collègues (2004) ont proposé un programme-cadre de postvention, qui a fait consensus au Québec. Il s’agit d’un programme spécifique au milieu scolaire, dont le but est de mettre en place des mesures d'intervention aptes à diminuer les réactions de stress, à diminuer l’impact de la crise suicidaire et à favoriser le

processus de deuil. Ce programme de postvention se démarquait des autres programmes de cette époque. Au lieu d’offrir un programme de postvention séquentiel et uniforme, soit un processus d'étapes par étapes, ce programme de postvention a adopté une approche centrée sur l’analyse de

(35)

24

la situation et l’évaluation des besoins. Grâce à la mise en place d'activités d’intervention multiples, variées et adaptées au contexte singulier de la situation, cette approche permettait une plus grande flexibilité du programme de postvention.

Depuis sa création il y a plus de 15 ans, plusieurs programmes de postvention ont été mis en place au Québec et ailleurs (Aucoin & Doyon, 2016; Cox et al., 2015; Guérin-Lajoie, 2010;

Malkassoff & Payette, 2018; Potvin et al., 2007; Roussety et al., 2016; Szumilas & Kutcher, 2011). Voilà pourquoi il apparaît nécessaire d’examiner les dernières pratiques provenant des nouveaux programmes ou de la littérature scientifique, afin d’en ressortir les meilleures pratiques de postvention (Nicolas et al., 2017).

Examen de l’efficacité des programmes de postvention

Deux projets de recherche seulement ont tenté d’évaluer l’efficacité d’un programme ou d’une action de postvention, soit l’étude de Hazell (1991) et les études de Poijula et ses collègues (2001a; 2001b). À notre connaissance, il ne semble pas y avoir eu de nouvelles évaluations rigoureuses de programmes de postvention depuis les années 2000. Après le suicide de deux élèves dans deux écoles distinctes, Hazell (1991) a comparé un groupe ayant reçu une

intervention de counseling à un groupe n’ayant reçu aucune intervention. L’intervention s’est déroulée dans la semaine suivant le suicide. Elle était offerte à des groupes de 20 à 30 élèves. Les élèves ayant reçu l’intervention étaient sélectionnés s’ils étaient un ami proche du défunt. Les résultats démontrent qu’il n’y a pas de différences significatives entre le groupe contrôle et le groupe ayant reçu des séances de counseling à la suite d’un décès par suicide. Cependant, les auteurs ont remis en question leur procédure, puisque seuls les amis proches du défunt recevaient l’intervention, et cela, même si les autres élèves présentaient des scores de détresse similaires

(36)

25

(Hazell & Lewin, 1993). Dans le deuxième projet de recherche, des chercheurs se sont intéressés à la survenue de six suicides consécutifs dans trois écoles secondaires et des impacts

psychologiques qu’ont eu le suicide sur 89 camarades de classe de l’adolescent s’étant suicidé (Poijula et al., 2001a; 2001b). Ils ont comparé l’incidence de nouveaux suicides dans les trois écoles secondaires, dans une période de quatre ans suivant le suicide d’un de leurs élèves (Poijula et al., 2001b). Les chercheurs ont observé qu’il n’y avait pas eu de cas répertorié d’imitation du suicide lorsque l’école a déployé une action de postvention, précisément un debriefing d’une heure réalisée par un professionnel de la santé mentale, tandis que des cas d’imitation du suicide étaient survenus dans les écoles n’ayant pas déployé d’actions de postvention (2001b).

Néanmoins, la méthodologie de ces études de cas ne permet pas de statuer sur un lien de causalité entre la postvention et la réduction de l’effet d’entraînement du suicide (Andriessen et al., 2019b;

Cox et al., 2012; Robinson et al., 2013). .

Ainsi, il ne semble y avoir aucune étude offrant des données probantes pouvant soutenir le déploiement d’un programme de postvention pour diminuer l’incidence du suicide ou de

tentatives de suicide à la suite d’un suicide (Andriessen et al., 2019a; Szumilas & Kutcher, 2011).

Ce manque de données probantes semble en partie expliqué par les limites de la recherche sur la postvention à la suite d’un suicide (Cox et al., 2016). En effet, la crise suicidaire demeure un événement imprévisible nécessitant un déploiement immédiat du programme de postvention afin de réduire le risque d’imitation du suicide et de réactions traumatiques. Il est difficile de déployer une méthodologie rigoureuse dans ce contexte imprévisible et urgent, sans compter les

importants enjeux éthiques que soulève le fait de ne pas offrir d’intervention immédiate au groupe contrôle (Cox et al., 2016; Robinson et al., 2016b, 2016c).

Bref, il n’est pas possible de statuer sur l’efficacité des stratégies de postvention à la suite d’un suicide en se basant sur les connaissances actuelles (Andriessen et al., 2019b; Szumilas &

(37)

26

Kutcher, 2011). La pratique clinique a tout de même tendance à encourager les intervenants à déployer des activités de postvention à la suite d’une crise suicidaire (Andriessen et al., 2019a;

Szumilas & Kutcher, 2010, 2011). Les programmes de postvention permettent malgré tout d’offrir des soins à une population pouvant être vulnérable (Leenars & Wenckstern, 1998; Maple et al., 2017; Pak et al., 2019; Séguin et al., 2004, 2005; Shneidman, 1973), ce qui peut, en théorie, contribuer à prévenir l’effet Werther ou tout autre processus d’entraînement du suicide (Bridge et al., 2020; Cox et al., 2012; Fink et al., 2018; Gould et al., 2003; Niederkrotenthaler et al., 2009, 2010; Notredame et al., 2015; Stack, 1987, 2003). Au final, ces raisons pèsent en faveur du développement des programmes de postvention à la suite d’un suicide.

Consensus des actions de postvention

En l’absence de données probantes sur l’efficacité des stratégies de postvention à la suite d’un suicide, les actions de postvention actuelles reposent principalement sur le jugement professionnel des intervenants du milieu (Cox et al., 2016). Les intervenants peuvent s'inspirer des lignes directrices, des trousses d’outils ou des adaptations de méthodes d’interventions que proposent certaines institutions, généralement regroupées dans un programme de postvention structuré et ancré dans un cadre théorique (O’Neill, 2017). Cependant, plusieurs établissements ont tendance à emprunter des programmes de postvention implantés ailleurs et à les adapter à leur contexte (Bouchard et al., 2004). C’est pourquoi on trouve une multitude de suggestions quant aux actions à mettre en place dans l’élaboration d’un programme de postvention (Maple et al., 2017). On observe donc une multiplication des programmes de postvention, sans avoir de

consensus quant aux actions les plus pertinentes à implanter dans un programme de postvention à la suite d’un suicide (Andriessen et al., 2019a; Szumilas & Kutcher, 2011).

(38)

27

Récemment, Cox et ses collègues (2016) ont tenté de parvenir à un consensus parmi les experts, afin de développer des lignes directrices en postvention à la suite d’un suicide en milieu scolaire australien. Employant la méthode Delphi, ils ont demandé à 40 experts en postvention de se prononcer sur la pertinence de 965 actions recensées à travers la littérature scientifique

anglophone et les propositions d’actions de postvention au sein de programmes diffusés

publiquement. Au total, 548 actions de postvention ont fait consensus parmi les experts (Cox et al., 2016). Bien que ces résultats soient novateurs et pertinents, déployer l’ensemble de ces 548 actions de postvention est un défi dans la pratique, surtout lorsqu'on pense aux difficultés qu'il y a à coordonner efficacement les instances locales, régionales et provinciales qui prennent part à la postvention (Caine, 2013). Aussi, l’étude de Cox et ses collègues (2016) comporte d’autres limites. D’une part, seules les actions de postvention spécifiques au milieu scolaire ont été évaluées. Cela limite la généralisation des résultats aux autres milieux, par exemple dans le cas d’un suicide en milieu de travail. D’autre part, il est difficile de savoir si les actions préconisées dans les milieux anglophones sont compatibles avec celles que l’on préconise dans la culture francophone. Considérant que les nombreuses propositions d’actions de postvention ne sont pas publiées dans des revues scientifiques, il est particulièrement pertinent d’effectuer une recherche des actions de postvention diffusées publiquement dans des programmes de postvention proposés par des organismes francophones. À cette fin, il serait important d’élaborer un inventaire

d’actions utilisées dans les milieux francophones et d’interroger les experts en suicidologie quant au bien-fondé de ces actions de postvention, en vue d’obtenir un consensus circonscrit des actions de postvention les plus pertinentes à la suite d’un suicide.

(39)

28 Question de recherche et objectifs

Vu l’état actuel des connaissances, il est pertinent de se poser cette question : quelles sont les actions de postvention à la suite d’un suicide qui font consensus parmi les experts? Les objectifs de cet essai doctoral sont, d’une part de réaliser un inventaire des actions de postvention à la suite d’un suicide diffusées dans la littérature scientifique et diffusées publiquement dans des programmes de postvention proposés par des organismes francophones, et d’autre part de

demander l’avis des experts en postvention sur le bien-fondé des actions de postvention répertoriées, afin d’obtenir un consensus quant aux actions de postvention reconnues comme étant pertinentes ou non à mettre en œuvre.

(40)

2. MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS

Article 1

Examen des meilleures pratiques de postvention : méthode Delphi.

Auteurs de l’article: Maxime Vachon, M.Sc., D.Ps.(c); Caroline Nicolas, Ph.D; Charles- Edouard Notredame, Ph.D.; Monique Séguin, Ph.D.

Statut de l’article: Soumis pour publication par la Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique Vachon, M., Nicolas, C., Notredame, C.-E., et Séguin, M. (13 mai 2020). Examen des meilleures pratiques de postvention: méthode Delphi [manuscrit soumis pour publication]. Revue

d’Épidémiologie et de Santé Publique.

(41)

POSTVENTION : MÉTHODE DELPHI

30 SUMMARY

Background. Postvention aims to implement services adapted to the needs of a population that may be vulnerable after suicide. Despite the abundance of postvention programs, these are generally based on the professional judgment of practitioners rather than on evidence. Using the Delphi method, an Australian study obtained a consensus among experts as which postvention actions are to be included in a postvention program (Cox et al., 2016). Since no study has been carried out for French-speaking programs, it seems important to reproduce the same type of study and compare the results. This study aims to carry out a French inventory of postvention actions and to obtain a consensus among experts as to the actions to be included in a postvention program.

Methods. A French inventory of postvention actions has been created, listing the actions published publicly and in scientific journals. Using the Delphi method, 18 experts evaluated the relevance of these postvention actions.

Results. An inventory of 190 postvention actions has been compiled. The experts identified 128 of these actions as relevant and to be included in a postvention program.

Conclusion. Convergence has been observed between the experts, identifying practices to be encouraged following a suicide. By comparing these results to the 548 actions selected in the Australian study, we observe similarities between the two studies as regards the types of postvention actions. This study provides an update on best practices to include in a postvention program.

Keywords. Suicide. Postvention. Public health. Delphi method. Expert consensus.

(42)

POSTVENTION : MÉTHODE DELPHI

31 RÉSUMÉ

Position du problème. La postvention vise à mettre en œuvre des services adaptés aux besoins d’une population possiblement vulnérable après un suicide. Malgré l’abondance de programmes de postvention, ceux-ci sont généralement basés sur le jugement professionnel d’intervenants plutôt que sur des données probantes. En utilisant la méthode Delphi, une étude anglophone a permis d’obtenir un consensus quant aux actions de postvention à orchestrer dans divers contextes (Cox et al., 2016). Puisqu’aucune étude n’a été réalisée pour les programmes francophones, il apparait important de reproduire le même type d’étude et de comparer les résultats. Cette étude vise donc à réaliser un inventaire francophone des actions de postvention et à obtenir un consensus parmi des experts quant aux actions à inclure dans un programme de postvention destiné aux francophones.

Méthodes. Un inventaire francophone des actions de postvention a été créé, recensant les actions publiées publiquement et dans des revues scientifiques. À l’aide de la méthode Delphi, 18 experts ont évalué la pertinence de ces actions de postvention.

Résultats. Un inventaire de 190 actions de postvention a été constitué. Les experts ont identifié 128 de ces actions comme étant à inclure dans un programme de postvention.

Conclusion. Une convergence a été observée entre les avis des experts quant aux pratiques à favoriser à la suite d’un suicide. En comparant les résultats francophones aux 548 actions retenues dans l’étude anglophone, nous avons observé des similarités entre les deux études quant aux types d’actions de postvention favorisés par les experts. La présente étude offre aux intervenants une mise à jour des meilleures pratiques à inclure dans un programme de postvention.

Mots clés. Suicide. Postvention. Santé publique. Méthode Delphi. Consensus d’experts.

Références

Documents relatifs

Or, nous entreprendrons dans cette recherche-action une étude des Avantages, des Faiblesses, des Opportunités et des Menaces (AFOM) à la réalisation de corridors écologiques

En fait, selon Thévenet (2004), la performance globale peut être perçue comme un processus dans le sens que la performance individuelle au travail affectera nécessairement

aspects relatifs à l’attachement, à l’adaptation psychosociale ainsi qu’à l’identité chez l’adulte apparaissent centraux pour des personnes ayant vécu l’abandon

Puisque les résultats de notre étude révèlent que la présence d’une surcharge cognitive entraine une plus grande catégorisation des visages ambigus comme étant « noirs »,

Dans le cadre de ce travail, une méthode de collecte de données a été sélectionnée afin de mieux comprendre comment retenir les employés les plus talentueux dans les

Les principaux points qui seront achevés incluent l’adaptation d’un modèle d’attention visuelle ascendante 2D pour la détection des points d’intérêt sur la

Le premier constat qui sera discuté concerne donc les facteurs qui aide à rejoindre les familles et à ce qu’elles participent aux services comme le lien qui est créé d’abord

Pour notre recherche, nous avons choisi d’étudier une intervention communautaire innovante utilisant l’art dans une perspective d’insertion sociale auprès de jeunes femmes