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Mondialisation de la procédure arbitrale

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle. Mondialisation de la procédure arbitrale. In: Morand,

Charles-Albert. Le droit saisi par la mondialisation . Bruxelles : Bruylant, 2001. p. 269-281

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44076

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XI. - MONDIALISATION DE LA PROCÉDURE ARBITRALE

PAH

GABRIELLE KAUFMANN-KOHLER

A. - LA QUESTION : MONDIALISATION DE T~A PR.OCÉDl)RE ARBITRALE ?

Imaginons un observateur qui assisterait aux audiences dans trois arbitrages différents, l'un à Genève, l'autre à New York, le troi- sième à Hong Kong. Il conclurait très probablement que toutes ces procédures sont identiques mêmes salles de conférences d'hôtel, mêmes sténotypistes, même langue - l'anglais, mêmes présenta- tions orales, mêmes interrogations de témoins, mêmes auditions d'experts, mêmes débats procéduraux, et souvent mêmes personnes.

Est-ce à dire que la procédure d'arbitrage est mondialisée (1)' Qu'elle se déroule de manière identique quel qu'en soit le lieu, quel que soit le droit national applicable! Est-elle même régie par un droit national~ Telles sont les questions. Pour y répondre, nous exa- minerons tout d'abord le cadre juridique au sens strict ou classique du terme, à savoir le droit international et le droit national, tous deux émanations de l'Etat. Nous nous interrogerons ensuite sur lévolution de la pratique arbitrale pour déterminer dans quelle mesure elle donne naissance à un corps de règles autonomes de nature contractuelle, création des opérateurs du commerce interna- tional.

(1) Les ouvrages auxquels se réfèrent les notes se trouvent dans la bibliographie figurant à la fin de cet article. Sur la modélisation en matière de procédure arbitrale, on se référera avant tout à HARCHER et on verra. également LAZAREFF, LOWENFELD, BoRRrn, WILKEY et ÜREMADES, 1999; PAULSSON, TANICUCHI, CALDWELL, \\TAGONER, 1996; GAILLARD, HERRMANN, GAUDWI', 1989; BLESSIN"G 1992. Pour un descriptif de l'évolution de l'arbitrage commercial au cours des six dernières décennies, voir Sanders 1999. Sur la modélisation procédurale de manière plus large (arbitrage et justice étatique), on consult.era KRSSEJJJIAN 2000 {a). Sur la procédure devant les arbitres en général, voir not. REDFERN/HuNTEft. 1999 277 et s.

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270 GABRIELLE KAUFI\iANN-KOHLER

Auparavant, précisons encore l'objet de nos investigations. Nous nous pencherons sur l'arbitrage commercial international (2), à savoir sur l'arbitrage entre deux sociétés privées ou entre un Etat ou une entité détenue par l'Etat et une société privée, et non sur l'arbitrage inter-étatique. Ce faisant, nous nous concentrerons sur le droit de procédure, par opposition au droit de fond appliqué par les arbitres (3). Plus particulièrement, nous uous attacherons au dérou- lement de la procédure devant l'arbitre sans y inclure les procédures accessoires devant les juridictions étatiques, sauf bien sûr dans la mesure où la jurisprudence étatique influe sur la procédure devant les arbitres.

B. - L'ÉVOLUTION DU CADRE JUR,JDIQUE STRICT UN PARADOXE

Pour celui qui se penche sur l'évolution du cadre juridique de !' ar- bitrage au cours de ces dernières décennies, deux constatations paradoxales s'imposent. D'une part, il est aujourd'hui communé-

ment admis que la procédure est régie par le droit national du siège de !'arbitrage. D'autre part, ce droit national, dont l' applicatiou n'est plus contestée, a de moins en moins d'emprise sur l'arbitrage (ce qui explique d'ailleurs en partie qu'il ne soit plus contesté).

1. - L'arbitrage est régi par le droit national du siège

Reprenons ces deux constatations en commençant par la soumis- sion au droit du siège. Conceptuellement, on peut envisager de rat- tacher la procédure arbitrale à une loi étatique en fonction de deux critères, qui reflètent la nature hybride de !'arbitrage

le critère subjectif de la volonté des parties, parce que !'arbitrage a une forte composante contractuelle. Ce critère implique que

!'arbitrage est régi par le droit national choisi par les parties, quelle que soit la localisation de la procédure;

(2) Notons ici que, dans une mesure bien moindre, une certaine modélisation procéduJ"a.le peut égalenient êtJ"e constatée en matière de justice étatique (voir KESSEDJJAN 2000 (a)).

(3) Sur le droit de fond et en particulier la lex mercatoria, voir la contJ"ibution de 'l'EUENER et VAN Hou1"1'E 2000 : 207.

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MONDIALISATION DE LA PHOCÉDURE A.RBT'fRALE 271 le critère objectif ou territorial du siège, parce que l'arbitrage res- semble à une procédure judiciaire régie par la lex fori. Ce critère entraîne !'application du droit du siège de !'arbitrage.

Aujourd'hui, le rattachement par le biais du siège prédomine (4).

Cette évolution en faveur du droit national du siège va de pair avec labandon des tentatives de dénationalisation de !'arbitrage consis- tant à soumettre la procédure au droit international exclusivement.

Si la dénationalisation ou déterritorialisation a beaucoup agité les esprits il y un certain nombre d'années, en particulier à propos des arbitrages concernant les concessions pétrolières libyennes, (5) l'idée d'un arbitrage anational ou flottant n'a plus guère cours aujour- d'hui, notamment en raison des risques de non-exécution d'une sen- tence rendue «nulle part» (6).

2. - Le droit national perd de son emprise

Passons maintenant à notre seconde constatation, qui vise l'em- prise décroissante du droit national. Comment expliquer ce phéno- mène? Quelles en sont les manifestations? Sans prétention aucune d'exhaustivité, nous nous arrêterons à quatre considérations d'im- portance.

Premièrement, la localisation physique des opérations d'arbitrage perd de son importance vu l' évolittion technologique. Imaginons un arbitrage dans lequel la demande et les écritures subsé- quentes sont notifiées par courrier électronique, et où les ordon- nances de procédure et autres communications empruntent la même voie, les témoins sont entendus par vidéo-conférence, les

(4) Voir nota.mment art. 176 al. 2 Loi suisse sur le dToit international privé (LDTP); art. 1073 Loi d'arbitTage néerlandaise; Sections 2(1) et :l Loi anglaise sur l'aTbitra.ge de l\l96; § 1025 Procé- dure civile allemande, le droit allemand ayant abandonné le rattachement par la volonté des par- ties lors de la récente révision; art. 1(2) Loi-type de la Commission des Nations Unies sur l'arbi- trage commercial international du 21 juin 1\)85 (loi-type CN1.JDCI). La France fait exception; en effet,, fixer le siège en France ne suffit pas à soumettre l'arbitrage au droit français. Pour savoir quel droit régit !'arbitrage, il faut rechercher la volonté hypothétique des parties. Toutefoi~,

toute sentence rendue en France peut y faire l'objet d'un recours en annulation, ce qui a pour effet que !'arbitre siégeant en France doit se conformer aux principes de pTocédu re dont la. viola- tion entraîne le recours en annulation.

(5) KAUFMAKN-KoHLgR 1999 153, en pa.rticulier note 102 avec réfërences

(6) En vertu de son art. ie·· al. I. la Convention de New York du 10 juin Hl58 pour la recon- naissance et l'exécution des sentences arbitrales ét.rangères s'applique aux sentences arbitrales

(1 rendues sur le tel'l'itoire d'un Etat aiJtre que celui où Ja, reconnaissance et l'exécution [ ... J sont demandées 1). Bien que l'on puisse soutenir que des sentences anationales ne sont pas nécessa.ire- ment exclues, la question reste controversée.

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272 GABRIELJ,.,E KAUF:Thi.IANN -KOHLER.

audiences de procédure se tiennent sous forme de « chats » élec- troniques (7). Où se déroule un arbitrage en ligne 1 Dans le cybe- respace est une réponse commode mais fausse. Le cyberespace est en effet mal nommé; il n'y a pas d'espace, seulement des réseaux de télécommunications (8). Quelle que soit la réponse, que nous avons étudiée ailleurs, (9) en définitive, la conclusion est inéluctable il n'y a pas de lieu géographique d'un arbitrage en ligne. Les concepts traditionnels de lieu et de siège, qui pré- supposent un espace, des territoires, des frontières, perdent leur sens. Dès lors, si le rattachement territorial doit subsister, nous n'avons d'autre choix que de postuler un lieu fictif.

Cela nous mène à notre deuxième considération. En droit, le siège - ou si lon préfère le lieu juridique de !'arbitrage - devient une fiction. Il est généralement admis que les audiences d'arbitrage peuvent avoir lieu ailleurs qu'au siège (10). L'arbi- trage des litiges sportifs survenant, lors des Jeux Olympiques en est un exemple, extrême peut-être, mais d'autant plus révéla- teur. Mis en œuvre par le Tribunal arbitral du sport et agissant conformément au Règlement d'arbitrage pour la résolution des litiges survenant pendant les Jeux Olympiques, des panels d'ar- bitres mènent l'intégralité de la procédure d'arbitrage - de la requête à la sentence - sur le site des compétitions. Or, ces arbi- trages ont leur siège à Lausanne et sont régis par le droit suisse de l'arbitrage international (11). Ce siège, qui reste immuable alors que les Jeux se déplacent, assure la stabilité de l'encadre- ment juridique des arbitrages. Quel que soit le lieu de la compé- tition, les différends juridiques sont résolus selon des règles qui ne changent pas, comme les performances sportives sont jugées en vertu de standards invariables.

(7) Sur l'arbit!'age en ligne, voir notamment K_ESSEDJIAN 2000 (b); ScHNElDEB/K-CHNER

1997; Hii.1, 1999: 202-203; ;,oir aussi la contribution de TRUDEL.

(8) KAL:FM,\N:<!-KOTILER 1998 {a) 90-91 avec références (9) K,n:~'MAN:N"-KottLER 1998 (b).

(10) REDFERN/Hu::.r'fER l(J\)9: 290; art. 20(2) T,oi-type CNUDCI; art. 16(2) et (B) Règlement d'arbitrage CNGDCI

( 11) Art. 7 Règlement d'arbitrage pour les Jeux de la. XXVII" Olympiade à Sydney. Dans un arrêt du l°' septembre 2000, Ragu'? ·v. S1lllivan, la Cour d'appel de Nouvelle-Galles du Sud a reconnu la validité du choix du siège en Suisse dans un a.rbitrage entièrement mené en Australie concernant un litige opposant une athlète aust.ralienne à sa fédération nationale au sujet de sa sélection pour les ,Jeux olympiques {Mealey's lnternatio-nal Arbitrati"on Report 2000, pp. ,'l-4 et Dl- 16).

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MONDIALISATION DE LA PROCÉD.UR.E ARBITRALE 273 Le troisième constat dans le cadre de l'emprise décroissante du droit national a trait au vaste mouvement d'unification et d'har- monisation du droit de l'arbitrage à travers le monde. En unifor- misant les motifs de non-exécution des sentences en 1958, la Convention de New York sur l'exécution des sentences étran- gères en a posé les premiers jalons. De par sa vocation mondiale, la loi-type de la CNUDCI sur l'arbitrage commercial internatio- nal a marqué une autre étape (12). Ces deux instruments ont connu un succès retentissant, puisque la Convention de New York compte aujourd'hui plus de 120 Etats contractants (13) et qu'une trentaine de pays ont adopté des législations fondées sur la loi-type (14). De nombreuses autres lois récentes, sans être cal- quées sur la loi-modèle, vont également dans le sens de l'harmo- nisation (15).

Véritable vague de fond - et c'est là notre q1tatrième considéra- tion - l'harmonisation a progressivement gommé les particula- rismes nationaux pour faire place à un consensus sur les principes généraux régissant la procédure arbitrale. Ces principes sont au nombre de trois l'autonomie procédurale, (16) le d7le process ( 17) et l'efficacité. L'autonomie procédurale permet aux parties ou, à défaut, aux arbitres de régler les opérations procédurales.

Le due process, qui recouvre sous des dénominations nationales diverses les principes fondamentaux de la procédure, comprend l'impartialité du tribunal, !'égalité de traitement des parties et leur droit d'être entendues, ou selon la terminologie française le principe de la contradiction. Quant au principe de 1' efficacité, particulièrement mis en évidence par Dominique Hascher dans son cours à l'Académie de La Haye intitulé «Principes et prati- que de procédure dans l'arbitrage commercial internatio- nal>>, (18) il commande que l'arbitre s'efforce de rendre une sen-

(12) Un de ces principaux objectifs était précisément de libérer l'arbitrage des contra.intes du droit local, HoLTZMANN/N~>tlHAUS 1989 : 570, reproduisant les travaux prêparat.oires de la loi- type.

{13) List,e sur le site CNUDCI, http://www.un.or.at/uncitra.J.

(14) Loc. cit.

(15) Par exemple, chapitre 12 LDIP suisse; a.rt. 1492 et s. NCPC frança.is; art. 676 et s. Code judiciaire belge; Arhltration Act 1996 anglais; loi suédoise sur l'arbitrage de 1999.

(16) Not. HA.'SCHER·: 24 et s., texte que l'auteur a. en l'arnabillt,é de mettre à notre disposition avant la publica1,ion.

(17) Not. KESSED.TIAN 2000 (a) : 248 et S.

( 18) lfASCHER : 56 et S.

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274 GABRIELLE ICAUFJli!ANN-KOHLER

tence qui puisse être exécutée et ce dans des délais et à un coût raisonnables ( 19).

C. - LA PRATIQUE ARBITRALE ÉMERGENCE D'UNE PR.OCÉDURE-TYPE MONDIALE

La très large autonomie procédurale que le droit étatique concède aux parties et à l'arbitre a permis lélaboration d'un corps de règles autonomes qui laisse entrevoir l'émergence d'une procédure-type mondiale, (20) véritable fusion de traditions procédurales diffé- rentes. Comment s'opère cette fusion? Quels en sont les instru- ments?

1. - 1 nstruments

Les instruments de cette fusion ou modélisation sont multiples.

Nous n'en citerons que les principaux.

Il y a, tout d'abord, les règles élaborées par !'International Bar Assoc·iation (IBA) sur la preiwe qui, en codifiant la pratique développée par les tribunaux arbitraux, marient délibérément la tradition procédurale de common law avec l'approche de civil law (21).

On trouve ensuite le Règlement d'arbitrage élaboré en 1976 par la CNUDCI, qui offre l'avantage d'un arbitrage non administré par une institution, mais néanmoins régi par un corps de règles pré-établies, donc prévisibles, contrairement à l'arbitrage ad hoc classique dépendant entièrement des règles fixées par les parties ou les arbitres. De par la légitimité de la CNUDCI, ce règlement est largement accepté, notamment par des parties de pays en voie de développement. Il a en outre été utilisé, avec certaines adaptations, par le Tribunal des différends irano-américains, ce qui lui a valu une large reconnaissance.

( 19) Voir not. section 1 (a) Arhitration Act 1996 anglais 8elon lequel (<the abject of a.rbitration is to ohtain fair resolution of disputes by an impa.rtial tribunal ·without unnecessary delay or expense 1>

(20} Nous n'ignorons pas que cette évolution pourrait finir par faire perdre à l'a.rbitrage sa flexibilité, consi<lérée comme un avantage essentiel (not. REYMOND 1999: 797). Ce n'est cepen- dant pas notre propos ici de discuter l'opportunité de la modélisation, mais sünplement d'en dres- ser le constat.

(21) New TBA Rules on the Ta.king of E\ridence in International Commercial Arbitration 1999; sur ces règles en généra.[, IBA Working Party, 2000.

(8)

Jl,:10NDTALISATION DE LA PROCÉDUR,E ARBITRALE 275

Il y a encore - autre véhicule de modélisation - les règlements des institutions d'arbitrage1 qui sont nombreux mais parmi les- quels le Règlement de la Chambre de commerce internationale (CCI) joue un rôle primordial en raison du rayonnement de la CCI et du nombre d'affaires traitées. Mentionnons encore en Europe les textes de la London Court of International Arbitra- tion (LCIA), des Chambres de commerce de Stockholm et de Vienne, ou le règlement d'arbitrage de !'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI); aux Etats-Unis, les Inter- national Arbitration Rules de !' American Arbitration Association (AAA); en Asie, le Règlement du Hong Kong International Arbitration Center. A ceux-là on pourrait ajouter le Règlement du Centre international de règlement des différends en matière d'investissements (CIRDI) qui, en dépit de certaines particula- rités, contribue indubitablement à la modélisation de ]'arbitrage.

Enfin, on aurait tort de négliger les règles ad hoc fixées par les arbitres au début ou au fur et à mesure du déroulement de l' ar- bitrage. Elles ont pour dénominateur commun d'être empreintes d'un grand pragmatisme (22) et, surtout lorsque l'arbitrage réu- nit des acteurs de cultures juridiques différentes, de chercher à concilier les approches procédurales.

2. - Manifestations

Là encore elles sont nombreuses et nous ne nous arrêterons qu'aux plus frappantes.

La proditction de documents est un exemple significatif de la fusion des traditions. En common law, chaque partie a l'obliga- tion de produire toute pièce pertinente en sa possession. Si elle ne le fait pas spontanément, l'adversaire peut demander au juge d'ordonner la production. L'ordonnance sera généralement très large et couvrira toute preuve non pas nécessairement pertinente en elle-même, mais dont la production peut mener à la décou- verte d'un fait pertinent (23). Cette procédure connue sous le nom de pretrial discovery of documents qui, en droit américain,

(22) Not. VEEDER 1999 : 229; CRAIG/PARK/PAUU;SO:N" 2000 : § 23.04, p. 12.

(23) Dans les termes de la Cour suprême américaine, (< [m]odern instruments of discovery [ .. ] make a trial less a. game of blind man's bluff and more a fair contest with the basic issues and the fa.cts disclosed to the fullest pra.ct.icable extent. >J (United Stnles c. Procter & Gnrnble Co., 356

u.s. 677, 682-688 (1958)).

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276 GABRIELLE KAUFTulANN-I{OHLER

peut parfois prendre des proportions terrifiantes à nos yeux, est inconnue des ordres juridiques de civil law, où chaque partie a le contrôle des pièces qu'elle produit. Elle choisira donc celles qui la servent et écartera les autres, sans que l'on y voie un quel- conque signe de déloyauté (24).

Face à ces extrêmes, la pratique arbitrale constitue un moyen terme. Les arbitres acceptent en général d'ordonner la produc- tion de documents, mais ils ne le font que de manière restrictive lorsque des conditions bien précises sont remplies. Ainsi, le requérant doit en principe identifier la pièce recherchée et rendre vraisemblable sa pertinence et le fait qu'elle se trouve en posses- sion de la partie adverse. En outre, les arbitres n'ordonneront la production que si des intérêts légitimes du détenteur de la pièce, tel secret d'affaires ou de fabrication, ne s'y opposent pas (25).

Tout en adoptant le principe même de la discovery, la pratique a donc aménagé cette institution, qui devient par là acceptable pour tous, juristes de civil law inclus.

Autre illustration de la modélisation: l'expertise. En tradition de common law, les parties produisent leurs propres experts, que le tribunal entend, puis départage, alors que dans la tradition de civil law, c'est le juge ou l'arbitre qui désigne l'expert. Cette dif- férence reflète des conceptions divergentes du rôle du juge: spec- tateur passif en procédure adversarial de common law ou interve- nant actif dans l'approche inquisitoire de civil law (26). Or, en arbitrage international, les deux systèmes ont cours les parties et le tribunal arbitral choisissent d'instruire la cause avec l'aide des experts des parties ou d'un expert désigné par le tribunal, parfois même de combiner les deux méthodes (27).

La pratique en matière de témoins mélange également des élé- ments des deux systèmes. Ainsi, la phase écrite de !'arbitrage et en particulier les preuves documentaires ont plus de poids que l'audition des témoins, ce qui est caractéristique de la civil latv.

(24) Il est vrai que certains de nos codes de procédure civile eonna.isscnt des dispositions per- mettant au juge d'ordonner la production de pièces à certaines conditions limitatives. En prati- que, elles sont toutefois peu mi~es en œuvre.

(25) P. ex. art. 3.2·3.8 et 9.2 New TRA Rules of Evidence; art. 25.3 Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève.

(26) KESSF~f}JTAK 2000 (a) : 252.

(27) P. ex. art. 5 ei New lBA Rules of Evidence; art. 20(,3) et (4) Règleinent d'arbitrage CCl; art .. 27 Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Uenève.

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lVIONDIALISATION I>E LA PR.OCÉDURE ARBITRALE 277 En revanche, d'autres éléments sont empruntés à la comrnon

law

• il est admis que les avocats peuvent ((préparer )J un témoin, alors que les règles déontologiques de certains barreaux de civil law interdisent tout contact entre conseils et témoins potentiels (28);

• par ailleurs, il est courant d'exiger la production de déclara- tions écrites des témoins préalablement à leur audition (29);

• enfin, sont considérés comme témoins non seulement des per- sonnes tierces, mais également les représentants ou employés des parties (30). En effet, la distinction propre à certains ordres de civil law entre les déclarations de parties et les témoignages proprement dit, à savoir les dépositions de tiers, n'existe pas en arbitrage international (31).

Ces quelques exemples démontrent que l'émergence d'une procé- dure-type à vocation mondiale n'est pas une vue de l'esprit, mais un phénomène bien réel, que les opérateurs de l'arbitrage international de par le monde mettent en œuvre tous les jours.

D. - CONCLUSION VERS lTNE CULTURE MONDIALE DE L'ARBITRAGE

Revenons à la question de départ mondialisation de la procé- dure arbitrale? Oui, indéniablement. Encore faut-il savoir ce que cela signifie en termes d'évolution du droit. Pour certains, la mon- dialisation annonce l'avènement d'un droit radicalement nouveau, alors que d'autres n'y perçoivent que du déjà vu. Dans cette alter- native, où situer la mondialisation de la procédure arbitrale nou- veauté ou déjà vu? En réalité, les deux à la fois.

Déjà vu, parce que le cadre de l'évolution de la procédure arbi- trale est donné par l'Etat, que ce soit par le biais du droit interna-

(28) P. ex. ai·t. 4.3 New lBA Rules of Evidence; art. 20.6 Règlement d'arbit.rage LCTA; Sch·

neideJ' 1993: 306. Par souci de précfaion, on notera que les barristers anglais ne sont pas autorisés à avoir des contacts avec les témoins, alors que les solicitors le sont.

(29) P. ex. art. 4.4-4.{i New TRA Ru les of Evidence; art. 54(d) Règlement d'arbitrage 01\fPT;

art. 20.3 Règlement d'arbitrage LCIA; art. 26.1 Règlement d'a.rbit.rage de la. Chambre de com- merce et d'industrie de Genève.

(30) P. ex. art. 4.2 New IBA Rules of Evidence; art. 20.7 Règlement d'arbitrage LCIA.

(31) Cette dist.inction peut évidemment jouer un rôle dans la libre appréciation des preuves par l'a.rbitre, mais elle ne const.itue pas une règle de preuve légale.

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278 GABRIELLE I(AUFJHANN-KOHLER

tional classique - conventions ou soft law telles les lois-type -- ou par celui du droit national.

Mais nouveauté, quand même, pour deux motifs principaux. Tout d'abord, le cadre concédé par l'Etat est extrêmement large. Il laisse une très grande autonomie aux opérateurs privés. Ceux-ci en usent pour forger des règles qui, sans être strictement identiques, se nour- rissent les unes les autres et produisent des modèles largement sui- vis.

Nouveauté aussi parce qu'émerge une ({ culture 11 mondiale de l' ar- bitrage (32). Il existe aujourd'hui une collectivité de l'arbitrage, qui a ses lieux de cûmmunication à l'échelle du globe congrès pour les débats oraux et les rapports sociaux; publications diverses pour la dissémination d'informations écrites. L'information qui circule ainsi rend compte non seulement de la pratique des tribunaux arbitraux, mais également du droit national, et en particulier des décisions des tribunaux étatiques en matière arbitrale. Traduite en anglais, la jurisprudence est ainsi rendue accessible à tout praticien de la pla- nète ou presque.

Pour que cette culture émergente soit réellement mondiale, elle doit intégrer toutes les régions du globe. Or, il faut bien constater que, dans l'arbitrage comme ailleurs, il y a des exclus (33). Il est dès lors indispensable d'intensifier les efforts de formation et la commu·

nication avec les praticiens de l'arbitrage dans ces régions (34).

Pareils échanges enrichiront la culture mondiale de l'arbitrage, de manière à dégager des modèles universels, tout en tenant compte des sensibilités et spécificités régionales.

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(32) C'est à juste titre que Georges Abi-Saab, lors dfl son exposé au colloque qui donne lieu à cet ouvrage, qualifiait la mondialisation de (< révolut.ion culturelle •J.

(33) Pa.r exemple, 1' Afrique subsaharienne a fourni 2,4 % des pa.rties à des a.r!Jit.rages COI déposés au cours de l'année 1099. alors qu'elle n'a fourni que 0.2 % des arbitres nommés pendant cette même année (Ghiffrcs extrapolés des données statistiques figurant dans le Bulletin Je la Cour inte.rnationale d'a.rbitrage, rapport statistique 1999 : 2 et 5). Pour des voix critiques éma- nant de telles régions, not. SoK.NARA,JAH 1991. Voir aussi BLESSI!'!G 19!)2 : 82 et s.

(34) A titre d'exemple, on citera le vaste programme de formation en matière de règlement des différends que lance <lès l'année 2000 la Conférence des Nations ·unies sur le commerce et le dévelo-ppement.

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