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La production de pièces protégées par le secret bancaire en procédure civile

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La production de pièces protégées par le secret bancaire en procédure civile

JEANDIN, Nicolas

JEANDIN, Nicolas. La production de pièces protégées par le secret bancaire en procédure civile. In: Thévenoz, Luc & Bovet, Christian. Journée 2002 de droit bancaire et financier . Berne : Stämpfli, 2003. p. 107-142

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42580

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La production de pièces protégées par le secret bancaire en procédure civile

Nicolas Jeandin

*

1. Introduction

Les banques sont un rouage essentiel de notre économie: le dire relève de la tautologie. A ce titre, elles sont susceptibles d'être attraites dans un procès civil, et devront en principe se soumettre aux "règles du jeu'', comme toute autre partie. Or à certains égards la banque n'est pas nécessairement une partie comme une autre: certains la considèrent volontiers comme un co- losse inébranlable, capable de résister à tous les assauts d'une partie ad- verse; mais elle peut aussi se révéler un colosse aux pieds d'argile et se retrouver fort malmenée par la mise en oeuvre sans discernement de règles de procédure qui risquent de la placer dans des situations inextricables.

Parmi les aspects délicats de la procédure civile, on trouve la problé- matique de la production de pièces qui contribue doublement à créer des situations délicates pour la banque. D'une part, en sa qualité d'institution dotée d'une organisation structurée et soumise de surcroît à certaines con- traintes légales eu égard à la constitution et à la conservation de dossiers, la banque est souvent perçue comme "la poule aux œufs d'or" s'agissant d'ob- tenir des informations sous forme de pièces en vue (ou dans le cadre) d'un procès civil. D'autre part, le fait pour la banque d'obtempérer sans sour- ciller à son devoir (voire à l'injonction d'un juge) de produire des pièces peut la mettre en porte-à-faux avec une autre obligation primafacie incon- ciliable avec la précédente: celle de garder Je secret bancaire.

Ce tiraillement entre diverses obligations ne peut se résoudre à la lé- gère ou "à coup de hache", mais mérite au contraire qu'on s'y attarde quel- que peu, de façon à voir s'il est possible de dégager des solutions "raison- nables" permettant de faire en sorte que les intérêts légitimes des uns et des autres trouvent la protection qu'ils méritent.

Professeur à l'Université de Genève, avocat, Fontanet, Jeandin & Homung, Genève.

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A relever que notre sujet se limite à la procédure civile, si bien que nous n'aborderons pas d'autres aspects liés au secret bancaire, notamment en ce qui concerne la procédure pénale, la procédure administrative, la pro- cédure d'entraide, ou encore l'obligation de la banque de renseigner l'of- fice des poursuites (art. 91 al. 4 LP).

II. Le devoir de produire des pièces A. Généralités

L'établissement des faits joue un rôle important en procédure civile, ce que fait ressortir I 'adageda mihifacta, dabo tibijus. Le syllogisme du juge doit s'appuyer sur des faits dont il importe de faire en sorte qu'ils correspondent le plus possible à la réalité, puisque c'est la meilleure façon d'aboutir à un jugement "juste"1. Or, parmi les moyens de preuve à disposition du juge et des parties, les pièces jouent souvent un rôle essentiel. D'une part elles revêtent un aspect figé qui permet, à l'instar d'une photographie, d'appré- hender une certaine réalité telle qu'exprimée à un certain moment: ce peut être une pensée, juridique ou non (une lettre, une note interne, la transcrip- tion d'une conversation téléphonique), un fait ou sa représentation (un rap- port d'huissier, un état de compte) ou encore une manifestation de volonté (une facture, une lettre d'instruction, un ordre de virement). D'autre part elles sont de plus en plus nombreuses, étant donné la prolifération de systè- mes de gestion informatisés et standardisés; ceux-ci ont pris des propor- tions telles que la problématique de l'archivage est devenue une compo- sante envahissante des principes de gestion d'un établissement doté d'une organisation administrative à grande échelle, à l'exemple d'une banque.

Par pièce (Urkunde), on désigne tout support (chose mobilière) per- mettant d'extérioriser une pensée ou une représentation de la réalité, ce qui peut se rapporter à un écrit, un plan, une photographie, mais aussi un enre- gistrement ou encore des données informatiques (une disquette, un CD ROM)2. Nous citerons les commentateurs genevois BERTOSSA, GAlLLARD et GUYET, qui définissent la pièce comme "tout objet de nature à établir l' ex.is-

N. JEANDIN, "LPC et production de pièces de lege ferenda", SJ 2000 II 373 ss (idéale- ment la réalité se confond avec l'état de fait tel que retenu par le juge).

2 Idem, pp. 374 ss el citations.

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE Cl VILE 109

tence d'un fait", ce qui englobe "toute chose porteuse de signes suscepti- bles d'être constatés"3. On se référera également au droit fédéral selon lequel

"les livres, les pièces comptables et la correspondance con.servés par un moyen électronique ou par un moyen comparable ont la même force pro- bante que ceux qui sont lisibles sans l'aide d'instruments" (art. 957 al. 4 CO).

Sur le plan du principe et indépendamment de toute considération rela- tive au secret (bancaire notamment), la question se pose de savoir dans quelle mesure la partie en possession de pièces a l'obligation de les pro- duire lorsqu'elles sont "utiles" à d'autres personnes. Cette utilité - on peut parler d'intérêt juridique-peut se rapporter tant à la nécessité pour un tiers autre que leur détenteur de consulter des pièces en vue d'avoir accès aux informations qu'elles contiennent qu'à la manifestation de la vérité dans le cadre d'un procès civil. Cette alternative laisse présumer deux sources juri- diques possibles au devoir de produire des pièces: le droit matériel et le droit procédural, que nous allons évoquer successivement.

B. Le devoir de produire des pièces issu du droit matériel (privatrechtliche Editionspflicht)

Le droit fédéral contient un certain nombre de normes de droit matériel qui régissent l'obligation pour le détenteur de pièces de les produire. Cette obli- gation existe pour elle-même, indépendamment de l'existence d'une procé- dure. Elle est à mettre en relation avec un devoir d'information qui découle de telle ou telle figure juridique ou contractuelle4. Celui qui s'en prévaut n'est pas à la recherche de pièces destinées à apporter la preuve d' allégués déjà formulés dans le cadre d'une procédure en cours; il veut connaître la vérité, bien souvent dans l'idée de préparer un procès à venir en vue duquel il va devoir exposer les faits dont il se prévaut à l'appui de ses conclusions5 .

La mise en œuvre d'un tel devoir de produire des pièces, qui ne présuppose nullement une procédure pendante, peut faire l'objet d'une demande auto- nome dont l'objet sera le droit à la production de pièces (actio ad

3 B. BERTOSSA / L. GAILLARD I J. GUYET, Commentaire de la loi de procédure civile du camon de Genève du JO avril 1987, Genève 1992, Art. 186 N. 4.

4 JEANDIN (n. l ), pp. 375 ss, pour une énumération des normes de droit matériel en cause.

5 K. SPÜHLER / D. VOCK, "Urkundenedition nach den Prozessordnungen der Kantone Zürich und Bern'', SJZ 95 ( 1999), pp. 41-42.

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exhibendum)6 . A supposer que la partie défenderesse condamnée à s'exé- cuter s'y refuse, le jugement pourra faire l'objet d'une exécution forcée7, selon le droit du canton compétent.

Il faut en outre citer l'article 170 CC dont l'alinéa 1 prévoit que "cha- que époux peut demander à son conjoint qu'il le renseigne sur ses revenus, ses biens et ses dettes". Il faut admettre qu'il s'agit là d'un devoir de pro- duire des pièces qui tire sa justification de l'obligation de renseigner du conjoint, et non du droit procédural8, même si le législateur - nous y re- viendrons par la suite - précise quelques modalités de procédure en rela- tion avec cette obligation9.

Parmi ces divers devoirs d'informer ayant pour corollaire la produc- tion de pièces, l'obligation du mandataire de rendre en tout temps compte de sa gestion au mandant joue un rôle prépondérant en droit bancaire dès lors que la plupart des relations juridiques entre la banque et son client sont, sur ce point, réglées par l'article 400 COlO. Nous examinerons plus loin l'étendue des exigences en relation avec cette disposition 11.

Enfin, une partie de la doctrine estime que les diverses dispositions réglant explicitement le devoir d'une partie d'informer l'autre (et par con- séquent de produire des pièces) ne sauraient être considérées comme ex- haustives: il faudrait au contraire admettre l'existence d'un devoir général de renseigner au titre d'obligation accessoire dont les contours seraient à déterminer en fonction des relations juridiques en cause et en application des principes généraux 12.

6 Idem, p. 42.

7 W. HABSCHETD, Schweizerishces Zivilprozess-und Gerichtsorganisationsrecht, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1986, N. 936; S. KOFMEL, Das Recht auf Beweis im Zivilverfahren, Berne 1992, p. 183.

8 Nous nous rallions ainsi à SPÜHLER / VOCK (n. 5), p. 41 et sa note 5, et corrigeons par conséquent notre première afiïrmation selon laquelle il s'agissait d'un devoir issu du droit

de procédure (JEANDIN [n. l], p. 378). '

9 Voir l'art. 170 al. 2 CC, de même qu'infra, ch. V.C.

IO Cette disposition est également applicable au contrat de courtage (art. 412 al. 2 CO), au contrat d'agence (art. 418k al. 2 CO, norme de droit impératif et qui mentionne "les 1 ivres et les pièces justificatives correspondantes") et au contrat de commission (art. 425 al. 2 CO): voir JEANDIN (n. 1), p. 376.

11 Voir infra, ch. VI.A.

!2 SPÜHLER / VOCK (n. 5), p. 42, qui se réfèrent notamment à l'art. 2 CC.

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE

C. Le devoir de produire des pièces issu du droit procédural (prozessuale Editionspflicht)

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Ce n'est que dans le cours d'un procès pendant que se pose la question du devoir de l'une des parties (ou encore d'une tierce personne non partie au procès) de produire des pièces qu'elle détient, en vue de contribuer à l'ad- ministration des preuves. On se situe ici dans un contexte purement procédural, qui ne dépend nullement de l'existence d'une obligation de renseigner issue du droit matériel. Contrairement à ce qui prévaut dans ce dernier cas, la production de pièces ne vise pas à renseigner la partie requé- rante sur le déroulement des faits, mais à mettre à la disposition du juge et des plaideurs des éléments de preuve (pièces) en rapport avec les allégués de l'une ou l'autre des parties à la procédure.

1. Les parties à la procédure

La répartition du fardeau de la preuve dans le procès civil fait l'objet d'une norme générale, à savoir l'article 8 CC, lequel prend en compte l'intérêt à la preuve sans se préoccuper des relations de droit matériel qui lient les parties: "Chaque partie doit, si la loi ne prévoit pas le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit". Plus précisément, l'article 8 CC règle la question du fardeau de la preuve objectif (Beweislast) en désignant la partie au préjudice de laquelle s'opérera l'absence de preuve, ce qui doit être distingué du fardeau de la preuve au sens subjectif (onus probandi, Beweisführungslast) qui désigne la partie à laquelle incombe la charge d'accomplir ce qui dépend d'elle pour apporter la preuve13. En l'état actuel de notre législation, ce dernier aspect ressortit au droit cantonal dans la mesure où il s'agit d'une question de procédure de la compétence des cantons (souverains s'agissant de déterminer les principes applicables en matière de procédure, sous réserve de la force dérogatoire du droit fédéral garantie à l'article 49 Cst). Souvent les fardeaux de la preuve objectif et subjectif doivent être supportés par le même plaideur, mais pas toujours.

Prenons un exemple: A agit contre la Banque B à laquelle il réclame des dommages-intérêts pour mauvaise exécution d'un mandat de gestion. A supporte le fardeau de la preuve objectif et perdra son procès s'il ne par- vient pas à établir que la Banque B n'a pas exécuté ses instructions en

13 JEANDTN (n. 1), p. 379.

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temps utile. Quid cependant si les pièces propres à l'établir se trouvent en possession de la défenderesse?

Les cantons offrent des réglementations différentes sur cette question 14.

La plupart des codes de procédures suisses alémaniques prévoient la possi- bilité pour le juge d'imposer à la partie qui détient des pièces l'obligation de les produire. Contrairement à ce qui prévaut s'agissant du devoir de produire des pièces issu du droit matériel (dont on a vu qu'il pouvait faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée), le refus de s'exécuter du plaideur visé par une ordonnance de production de pièces rendue en application de règles de procédure ne peut en règle générale faire l'objet d'une contrainte directe (exécution forcée, menace des peines prévues par l'article 292 CP)15

En revanche, un tel refus pourra faire l'objet d'une contrainte indirecte, en ce sens que le juge en tirera les conséquences dans le cadre de l'administra- tion et de lappréciation des preuves: il pourra, selon les cas, inverser le fardeau de la preuve, ou encore tenir le contenu des pièces non produites comme conf orme aux allégués del' adversaire de leur détenteur16. A Genève, la LPC retient une solution semblable (art. 186 LPC GE)17.

A relever que ces principes ne doivent pas s'appliquer sans retenue.

Outre la problématique du secret bancaire, certains auteurs rappellent la nécessité de poser des limites à une institution dont il convient d'éviter qu'elle ne devienne un oreiller de paresse pour le demandeur, ou encore ne favorise une sorte de "pêche aux informations" (jishing expedition). Ainsi les commentateurs de la LPC genevoise de rappeler certains principes: la pièce visée doit être utile à la solution du litige (elle porte sur un fait perti- nent et contesté), la partie à laquelle incombe normalement la production ne détient pas la pièce et ne peut se la procurer par un autre moyen, la partie interpellée possède effectivement la pièce et ne peut se prévaloir d'un mo- tif légitime d'en refuser la production (secret professionnel, secret de fonc- tion ou secret d'affaires)18.

Le devoir de produire des pièces issu du droit procédural est également réglementé à certains égards par le droit fédéral. Nous avons déjà men-

14 A relever que l'art. 50 al. 1 PCF, disposition de droit fédéral applicable aux cause!;

dont le Tribunal fédéral connaît en juridiction unique, prévoit que "chaque partie est tenue de produire en justice les titres qu'elle détient".

l5 Voir cependant la solution retenue par le CPC vaudois (cf. infra, 11. 25).

16 SPÜHLER / VOCK (n. 5), p. 43 (art. 183 al. 2 et 148 ZPO ZH) et p. 45 (art. 197 et 237 ZPO BE).

17 JEAND!N (n. 1 ), pp. 382 SS.

l8 BERTOSSA I GAILLARD/ GUYET (n. 3), art. 186 N. 5. Voir infra, ch. VI.A.

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE 113

tionné l'article 8 CC, qui n'est pas sans effet réflexe sur la question. A cet égard, on doit se demander si la maxime des débats comporte des limites.

Qu'en est-il de la partie qui détient des pièces dont la production apporte- rait la preuve des faits allégués par l'adversaire? Peut-elle s'abstenir soi- gneusement de les produire, sachant que cela irait à l'encontre de ses pro- pres intérêts, ou au contraire doit-on admettre un devoir général (Editionspflicht) à l'encontre de toute partie à un litige de produire sponta- nément toute pièce en sa possession sans se préoccuper de la question de savoir si elle lui est favorable ou non 19? Appliquée à la lettre, la maxime des débats aboutit à la mise en œuvre de l'adage nemo tenetur edere contra se. Le débat est quasi philosophique20. On doit retenir qu'à l'heure actuelle aucune norme de droit fédéral ne répond explicitement à la question, la- quelle est discutée en doctrine21. Il y a toutefois des exceptions par lesquel- les le droit fédéral institue un devoir procédural de produire des pièces en toutes circonstances. Ainsi l'article 274d al. 3 CO, lequel se situe certes dans le contexte particulier de la maxime d'office22.

2. Les tiers

La problématique de l'apport de pièces par des tiers n'est pas réglée de façon uniforme par les procédures cantonales. La plupart des codes de pro- cédure admettent que le devoir d'un tiers de produire des pièces s'apprécie en fonction de son obligation de témoigner; en d'autres termes, celui qui ne peut se soustraire à l'obligation de déposer comme témoin (par exemple en se prévalant d'une obligation de conserver le secret) doit produire telle ou telle pièce en sa possession sur demande du juge (voir les art. 179 CPC VD et 184 ZPO ZH)23. D'autres codes de procédure ne prévoient rien de tel, à l'instar de la LPC genevoise. Dans ce cas, il est difficile d'admettre pure- ment et simplement que l'obligation de produire de pièces serait une obli-

19 JEANDIN (n. l), pp. 380 SS.

20 Voir la citation de DONALDSON reprise par JEANDIN (n. 1), p. 406.

2l Voir notamment HABSCHEID (n. 7), N. 936; A. ELAN VTSSON, Droit à la production de pièces et "discovery", thèse Zurich 1997, pp. 94 ss; KUMMER, Grundriss des Zivilprozessrechts, Berne 1984, p. 132.

22 JEANDIN (n. 1), p. 378.

23 SPÜHLER /VOCK (n. 5), pp. 44-45. Les contraintes d'exécution d'une telle obligation se limitent à des contraventions de procédure, voire dans certains cas à la menace des sanctions selon les formes et modalités prévues à l'art. 292 CP, sans qu'on puisse aller jusqu'à user de la force publique comme en matière pénale (les codes de procédure ber-

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gation accessoire au devoir de témoigner, si bien qu'à Genève il convient de considérer - de lege Lata - que la LPC n'institue aucune obligation pour les tiers d'apporter des pièces à la procédure24.

A relever que le législateur vaudois est allé sensiblement plus loin, puisque l'article 182 al. 1 CPC VD prévoit une procédure d'exécution for- cée d~J'ordonnance de production rendue par le juge, que ce soit à l'égard d'une partie ou d'un tiers25.

3. L'article 963 CO

L'article 963 al. 1 CO est particulièrement intéressant pour notre sujet, dès lors que la banque est astreinte à l'obligation de tenir et de conserver des livres au sens des articles 957 ss CO. Or, l'article 963 CO prévoit la faculté pour le juge d'obliger toute personne astreinte à tenir des livres à produire sa correspondance, ses livres et les pièces comptables "dans les contesta- tions qui concernent l'entreprise", pour autant qu'un "intérêt digne de pro- tection" soit démontré. Il n'est pas contesté qu'il s'agisse ici d'une norme de nature procédurale, ce que retiennent tant le Tribunal fédéral que la doc- trine: en effet, la mise en œuvre de l'article 963 CO présuppose l'existence d'une procédure pendante dans le cadre de laquelle la production sollicitée.

doit apparaître comme "nécessaire à l'administration de la preuve"

(art. 963 al. 1 CO infine)26 . Cette norme procédurale s'adresse tant à l'en- treprise partie au procès qu'à l'entreprise tiers au procès, pour autant qu'elle soit touchée par l'objet du litige et que les autres conditions d'application de cette disposition soient réunies27.

nois el zurichois prévoient la possibilité de prononcer une amende de procédure pouv~t

aller jusqu'à respectivement CHF l '000 et CHF 500 ainsi qu'une peine d'arrêts de res- pectivement 20 et 10 jours; au surplus, le ZPO ZH prévoit la possibilité d'user de l'art 292 CP).

24 JEANDIN (n. 1 }, p. 383 et citations.

25 L'art. 182 al. 1 CPC VD renvoie aux modalités d'exécution forcée prévues en relation avec l'obligation pour les tiers de se prêter à l'expertise, à savoir aux art. 230 et 231 CPC VD: J.-F. POU DRET/ J. HALDY / D. TAPPY, Procédure civile vaudoise, 3ème éd., Lausanne 2002, Art. 182.

26 ]EANDIN (n. 1), p. 378.

27 G. BROSSET, "La preuve littérale", FJS 1181, p. 3; ELAN VtSSON (n. 21), p. 71;

M. GULDENER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3ème éd., Zurich 1979, p. 335;

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE 115

Cependant, la portée de l'article 963 CO se limite à la production de livres, de la correspondance commerciale et des pièces comptables, à l'ex- clusion d'autres pièces, ce qui découle de la présence de cette disposition au sein du titre trente-deuxième du Code des obligations, consacré à la comptabilité commerciale28 ; une banque ne saurait par exemple être con- trainte de produire des directives internes, des études de marché ou encore des notes internes sur la base de cette disposition29 .

A relever l'intérêt de l'article 963 al. 2 CO, qui porte sur la production de moyens de preuve "conservés par un moyen électronique ou par un moyen comparable" (informatique, microfilm): le juge peut ordonner qu'ils soient produits de manière à être lisibles "sans l'aide d'instruments" (ch. 1), ou encore que soient mis à sa disposition "les moyens nécessaires pour les rendre lisibles" (ch. 2)30.

III. Secret bancaire et devoir de produire des pièces A. Le secret bancaire en général

Nous nous proposons de reprendre la définition du secret bancaire de M. AUBERT et R. ScHwos:

Le secret bancaire consiste dans la discrétion que les banques, leurs or- ganes et employés ainsi que certaines personnes en relation directe avec elles désignées dans la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épar- gne (LB) doivent observer sur les affaires économiques et personnelles de leurs clients et de tiers parvenues à leur connaissance dans l'exercice de leur profession31.

Le fondement juridique du devoir de la banque de garder le secret est à rechercher dans la relation contractuelle entre la banque et son client. L'ins- titution est devenue un pilier du système bancaire helvétique, au point que l'obligation de garder le secret existe indépendamment d'une mention ex- presse dans les conditions générales ou dans un document contractuel par-

J.-J. SCl-IWAAB, Devoir de discrétion et obligation de témoig11er et de produire des pièces, thèse Lausanne I Montreux 1976, pp. 180 ss.

28 JEANDlN (n. l), pp. 378 SS.

29 A ce sujet, voir infra, ch. VI.

30 ELAN VISSON (n. 21), p. 67.

31 M. AUBERT IR. SCHWOB, "Secret professionnel du banquier", FJS 69, p. l.

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ticulier, et ce en application du principe de la confiance32 . L'obligation de discrétion du banquier pris comme mandataire, un cas de figure fréquent, tire en outre sa source de l'article 398 al. 2 CO qui impose une bonne et fidèle exécution du mandat33.

Un autre fondement juridique de l'obligation de garder le secret ban- caire - qui n'est pas sans importance si on songe au cas du tiers non client de la banque34 - se trouve dans la protection accordée par notre ordre juri- dique aux droits de la personnalité et au maintien de la sphère privée, y compris à la sphère économique, qui trouve sa base légale aux articles 27 ss CC35 . A cet égard, la loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (LPD) s'en vient renforcer cet ancrage légal, elle dont le but consiste "à protéger la personnalité et les droits fondamentaux des person- nes qui font l'objet d'un traitement de données" (art. 1 LPD), un cercle dont le client de la banque fait de toute évidence partie36.

L'obligation de discrétion de la banque porte sur l'ensemble des don- nées (informations, documents) qu'elle détient à raison de ses relations ju- ridiques avec le client. Il s'agira non seulement des documents contractuels entre elle et son client (y compris des propositions, des projets), mais aussi de tous documents en rapport avec l'exécution par la banque de ses obliga- tions (ordres du client, relevés de compte, correspondance, procès-verbaux de réunion, notes internes, conventions avec des tiers, etc.) voire avec la fin - des relations juridiques entre la banque et son client (dénonciation de prêt par la banque, clôture de ses comptes par le client, etc.). En clair, toutes les pièces se rapportant spécifiquement au dossier d'un client seront couvertes par le secret bancaire.

32 B. KLEINER IR. SCHWOB, in D. BODMER I 8. KLEINER I B. Ltrrz (éd.), Kommentar zum Bundesgesetz über die Banken und Sparkassen, Zurich 1976, Art. 47 N. 2.

33 AUBERT I SCHWOB (n. 31 ), p. 1. A relever que le devoir de discrétion de la banque peut être aménagé contractuellement entre la banque et son client, ce dernier pouvant habiliter (voire obliger dans certains cas) la banque à communiquer des renseignements le concer- nant à des tiers (par exemple à lorgane de révision chargé de vérifier les comptes): KLEINER / SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 7 et 12.

34 Ainsi le bénéficiaire d'un chèque émis par la banque, ou encore le tiers auprès duquel la banque opère un versement sur ordre de son client (KLELNER / SCHWOB [n. 32], Art. 47 N. 2). li va de soi que le tiers est en outre protégé - sur une base contractuelle - à 1 'égard de sa propre banque (p.ex. celle dans les livres de laquelle est ouvert le compte sur lequel le versement précité a été effectué).

35 AUBERT/ SCHWOB (n. 31), p. 1.

36 KLEINER I SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 2 et 112.

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE 117

En revanche, ne sont pas couvertes par le secret bancaire les relations (et par conséquent les pièces y relatives) que la banque peut avoir avec des tiers dans un cadre qui excède son activité d'entité soumise à la LB, et dans lesquelles c'est en réalité bien souvent la banque elle-même qui se retrouve dans la position d'un client: on peut penser aux relations entre la banque et son architecte chargé de construire l'immeuble dans lequel elle va transfé- rer ses locaux, ou encore avec ses fournisseurs37.

L'article 47 LB s'en vient renforcer l'obligation de discrétion que la banque doit assumer à l'égard de son client, dont la violation se retrouve sanctionnée sur le plan pénal38 . Cette disposition se rapproche par nature de l'article 321 CP qui sanctionne la violation du secret professionnel. Elle s'en distingue toutefois en ce sens que l'article 321 CP ne s'applique que sur plainte du lésé, tandis que l'infraction de l'article 47 LB se poursuit d'office: cela tient au fait que le secret protégé par l'article 321 CP porte sur des faits qui relèvent avant tout de la protection de la sphère strictement personnelle (secret de la confession), alors que la protection du secret ban- caire réside certes avant tout dans l'intérêt du client, mais aussi dans l'inté- rêt de la collectivité de conférer toute l'effectivité voulue au système ban- caire et à ses fondements39.

B. La portée de l'article 47 al. 4 LB

Selon l'article 47 al. 4 LB, les dispositions de la législation fédérale et can- tonale statuant sur l'obligation de renseigner l'autorité et de témoigner en justice sont réservées. Cette réserve est identique, quasi mot pour mot, à celle de l'article 321 ch. 3 CP. Certains étaient d'avis que la situation était déjà suffisamment claire antérieurement à l'adjonction de cet alinéa 4, et que celle-ci était donc inutile. On peut en douter. Le secret bancaire - nous l'avons vu - tire ses fondements du droit privé fédéral, si bien qu'on voit mal comment on pourrait admettre une réserve implicite en faveur de toute

37 Sur l'ensemble du problème: KLEINER I SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 4.

38 KLEINER, Das Bankgeheimnis in der Schusslinie, Berne et Stuttgart 1972, pp. 11/14;

l<LEINER I SCHWOB {n. 32), Art. 47 N. 3.

39 A propos de cette comparaison entre les art. 4 7 LB et 321 CP, voir KLEIN ER I SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. l; H.U. WALDER, "Zur Berücksichtigung des Bankgeheimnisses im Zivilprozess", in F estschrift zum 70. Geburtstag von Max Guldener, Zurich 197 3, pp. 351, 352 ss. On relèvera que, contrairement à l'art. 321 CP, l'art. 47 al. 2 LB punit aussi la négligence.

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atteinte à ce secret découlant de la mise en œuvre par les cantons du droit fédéral au moyen de leurs institutions judiciaires. Il faut bien plutôt admet- tre qu'il y a conflit évident entre le devoir de discrétion de la banque et le devoir de témoigner (respectivement de produire des pièces) que pourrait lui imposer le droit de procédure - a fortiori lorsqu'il est cantonal-, une situation "conflictuelle" que seule la réserve prévue à l'article 47 al. 4 LB permet de résoudre, à l'instar de ce que fait l'article 321 ch. 3 CP40.

L'obligation de renseigner visée par l'article 47 al. 4 LB englobe tant le devoir de témoigner (par l'entremise duquel le banquier renseigne "viva vox") que le devoir de produire des pièces (par l'entremise duquel le ban- quier renseigne "mortua vox")41 . Ainsi, c'est en fonction de critères simi- laires que s'examinera dans un cas concret l'existence ou non d'un devoir de renseigner du banquier, cela indépendamment de la forme sous laquelle sera censée s'effectuer la mise à disposition du renseignement (une ques- tion qui dépend-nous l'avons vu - du droit de procédure applicable42)43

.

En d'autres termes, la banque se refusera à communiquer des pièces dont le contenu se rapporte à des faits à propos desquels elle serait en droit de refuser son témoignage44.

La réserve de l'article 47 al. 4 LB exprime un principe dont on pres- sent bien qu'il est sous-jacent à l'institution du secret bancaire: ce dernier n'est pas une fin en soi, et il est des cas dans lesquels l'intérêt du client (et non pas de la banque) au maintien du secret doit céder le pas à un intérêt

"supérieur". Ce n'est pas aux parties concernées par l'obligation de main- tien du secret (à savoir la banque et son client) qu'il incombe de décider de cette pesée d'intérêts, mais à l'autorité judiciaire qui, à ces fins, respectera ses propres règles de procédure45. En effet, compte tenu de la réserve de

40 M. AUBERT I P.-A. BEGUIN/ P. BERNASCONI I J. GRAZIANO-VON BURG IR. SCHWOB I R. TREUILLAUD, Le secret bancaire suisse, Berne 1995, pp. 118 ss (cité ci-après "AUBERT

et al."); WALDER (n. 39), pp. 356 SS.

41 R. HAUSER, Das Bankgeheimnis im Zivil-und Strafprozess sowie in der internalionalen Recht~hilfe in Strafsachen, Berne et Stuttgart 1972, p. 25.

42 Cf supra, ch. II.B.2.

43 AUBERT et al. (n. 40), p. 132 ("En ce qui concerne l'obligation de produire des pièces, le banquier est placé, au point de vue du secret professionnel, dans la même situation qu'en ce qui concerne sa déposition comme témoin"); HAUSER (n. 41), p. 28 ("Denn was der Mund nicht preisgeben muss, darf auch nichl der Hand entrissen werden"); KLEINER / SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 41.

44 HAUSER, (n. 41), p. 28.

45 Il pourra s'agir selon les cas de règles de procédure fédérales ou cantonales: KLELNER / SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 39.

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE 119

l'article 47 al. 4 LB, l'obligation contractuelle de la banque de garder le secret ne saurait à elle seule l'autoriser à se dérober au devoir légal de témoigner, tant il est vrai que "personne ne peut échapper aux devoirs im- posés par le droit en s'engageant vis-à-vis d'un tiers à ne pas les remplir"46.

Al' inverse, l'autorité judiciaire ne peut faire abstraction du secret bancaire dont la portée sur l'obligation de témoigner sera plus ou moins sensible selon qu'il s'agit d'une procédure civile ou pénale47.

La pesée des intérêts s'appréhende en effet facilement lorsque le té- moignage du banquier est requis dans le cadre d'une procédure pénale.

Dans ce cas, contrairement à ce qui prévaut dans une. procédure civile, ce n'est pas l'intérêt des parties au procès "mais bien l'intérêt public à la ma- nifestation de la vérité qui est au cœur du procès pénal": il est par consé- quent primordial dans un tel contexte qu'aucun élément "susceptible de contribuer à la découverte de la vérité ne soit soustrait aux autorités judi- ciaires", ce qui laisse peu de place au secret bancaire48 .

Il en va différemment dans le procès civil, qui met enjeu avant tout des intérêts privés. Autrement dit, la place accordée par la procédure civile à l'intérêt privé au maintien du secret bancaire mérite une pondération plus importante qu'en procédure pénale. Cela découle notamment de la maxime des débats, laquelle relativise l'intérêt public à la recherche de vérité (sans toutefois qu'il ne soit question d'en faire totalement abstraction) pour s'at- tacher aux intérêts privés mis en œuvre par le droit à la preuve visé à l'arti- cle 8 CC, lesquels doivent être confrontés à l'intérêt (privé lui aussi) des tiers au maintien du secret49. L'analyse à effectuer devient plus fine et plus subtile. C'est pour cela que le secret bancaire sera parfois (mais pas sys- tématiquement) opposable au juge civil, ce qui dépendra - comme nous le verrons - à la fois du code de procédure civile applicable (il y en a 27

46 AUBERT et al. (n. 40), p. 131.

47 Ibidem.

48 AUBERT et al. (n. 40), p. 146, qui rappellent à juste titre que le contexte pénal d'une procédure ne dispense nullement le juge de tenir compte de l'impact de la levée du secret bancaire sur la sphère personnelle privée de la banque visée, de même que "l'interdiction de la recherche indiscriminée ou exploratoire des preuves"; HAUSER (n. 41), p. 26, souli- gnait-en 1972 déjà! - l'importance énorme prise par le devoir de la banque de renseigner l'autorité pénale: "Ais Angehtiriger einer kantonalen Anklagebehtirde mêichte ich die Gelegenheit benützen, um den Banken für ihre manchmal zeitraubenden und unproduktiven Arbeiten für die Strafjustiz sehr zu danken". En principe, seul le secret professionnel visé à l'art. 321 CP est pris en compte par les codes de procédure pénale: KLEINER / SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 40.

49 WALDER (n. 39), pp. 359 SS.

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en Suisse actuellement. .. ) et de la pesée d'intérêts que certains parmi ces codes donnent pour mission au juge d'effectuer en tenant compte des cir- constances du cas concret50.

Pour en terminer avec la réserve de l'article 47 al. 4 LB, nous précise- rons que l'illiceité de l'atteinte à la personnalité d'autrui induite par une violation du devoir de discrétion de la banque disparaît lorsque le juge re- lève le banquier de son secret professionnel, ou encore lorsque la procé- dure applicable lui fait obligation de témoigner sans aucune restriction. Il y a sur le plan pénal (dans lequel s'inscrit l'article 47 LB) un fait justificatif au sens del' article 32 CP qui exclut la punissabilité du banquier, pour autant que ce dernier ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas témoigner (respectivement ne pas produire des pièces) ou fait en sorte de limiter son témoignage (respectivement la production de pièces) aux faits pertinents de la cause5L.

IV. Le détenteur du secret bancaire partie au procès

En tant qu'acteur important de la vie économique, la banque ne peut éviter de se retrouver partie à des procès civils. En cette qualité elle sera confron- tée, comme toute autre partie, à la problématique du fardeau de la preuve, ce qui risque de la placer devant le véritable dilemme qui consiste à devoir choisir entre deux voies dont aucune n'est pleinement satisfaisante: la pre- mière consiste à obtenir gain de cause au procès, avec le désagréable corol- laire consistant (alternativement ou cumulativement) d'une part à alléguer des faits couverts par le secret bancaire, d'autre part à les établir par la production de pièces elles-mêmes frappées du sceau du secret bancaire; la deuxième reviendrait à céder le pas devant l'obligation de conserver le se-

50 Il faut préciser que notre sujet n'englobe ni la procédure arbitrale (un tribunal arbitral n'est pas une autorité au sens de l'art. 47 LB et ne peut délier le banquier de son secret professionnel contre la volonté de la personne concernée; il faut cependant réserver le cas dans lequel le tribunal arbitral requiert et obtient Je concours de l'autorité judiciaire com- pétente [art. 27 al. 2 du Concordat sur l'arbitrage et 184 LDIP]) ni le témoignage du ban- quier devant un tribunal civil étranger (autorité non visée par l'article 47 al. 4 LB). Voir sur ces sujets AUBERT et al. (n. 40), pp. 119 et 141 ss; AUBERT/ SCHWOB (n. 31), p. 9;

KLEINER I SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 25 et 40.

51 AUBERT et al. (n. 40), p. 131. Le banquier devra - dans les cas douteux et pour autant que la procédure le lui permette - exposer au juge les enjeux mis en cause par la produc- tion de pièces couvertes par le secret bancaire, voire recourir contre une ordonnance l'y contraignant, ce qui dépendra des circonstances.

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE 121

cret, mais avec pour conséquence la perte du procès faute d'avoir satisfait à son obligation d'établir les faits par la production de pièces idoines. Nous nous proposons d'examiner successivement trois cas de figure, qui regrou- pent les diverses situations pouvant survenir lorsque la banque détentrice du secret est partie à un procès.

A. La banque est assignée par le titulaire du droit au secret

Lorsque le client intente action contre la banque, il faut en général admettre que le titulaire du droit au secret, demandeur, délie implicitement la banque de son obligation de discrétion pour ce qui le concerne52 . Du reste, la plu- part du temps, le dépôt de la demande aura pour conséquence que "le mal aura été fait" par le client lui-même, qui aura été amené à exposer les faits sur la base desquels il déduit ses prétentions contre la banque, de façon à satisfaire aux obligations (fardeau de la preuve et fardeau de l'allégation) que lui impose l'article 8 CC. Ainsi en ira-t-il de l'existence de relations juridiques avec la banque, de l'exécution (respectivement de la mauvaise exécution ou encore de l'inexécution) par la banque de ses obligations con- tractuelles, voire encore d'autres faits ayant émaillé les relations juridiques entre les parties, tous ces éléments étant couverts par le secret bancaire53_ Il faut rappeler que l'obligation de discrétion est un devoir de la banque à l'égard de son client, et non l'inverse; par conséquent, le client est en droit de dévoiler selon son bon vouloir des faits couverts par le secret bancaire (ce qui vaut notamment lorsqu'il décide des' adresser au juge), tout comme de produire des pièces elles-mêmes soumises au secret bancaire en vue d'apporter la preuve de ses allégués.

En revanche, il est inconcevable que le client agissant de la sorte puisse attendre de la banque qu'elle renonce à se défendre sur son propre terrain, en lui imposant, par exemple, de s'abstenir d'alléguer à son tour des faits

52 AUBERT er al. (n. 40), p. 173 ("le client ne saurait exiger le silence du banquier puis- que c'est lui-même qui contraint celui-ci à défendre ses intérêts"); WALDER (n. 39), p. 364.

53 A titre d'exemple, le client qui agit contre la banque en dommages-intérêts pour mau- vaise exécution d'un mandat de gestion devra établir l'existence de ce mandat, les instruc- tions qu'il a données, les fonds mis à disposition du banquier et la façon dont ce dernier a exécuté lesdites instructions.

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eux-mêmes frappés du secret bancaire tout comme de produire des pièces y relatives54. Une telle attitude relèverait de l'abus de droit et ne mériterait aucune protection. Tout au plus exigerons-nous de la banque placée devant une telle situation qu'elle fasse preuve d'une certaine retenue, dans le res- pect du principe de la proportionnalité: des faits couverts par le secret ban- caire ne seront dévoilés (et les pièces y relatives produites) par la banque que dans la stricte mesure nécessaire à la défense de ses intérêts55 .

Il se peut aussi que la banque se retrouve défenderesse à une action en reddition de compte intentée à son encontre par son client en vertu du droit matériel (p.ex. l'art. 400 CO). Dans un tel cas, la banque ne saurait se pré- valoir de son devoir de discrétion à l'encontre de son propre client (étant rappelé que l'obligation de garder le secret incombe à la banque et non pas au client), puisque la démarche de ce dernier n'a de sens que dans la mesure où il délie implicitement la banque de son devoir de discrétion. En réalité, ce genre de situations ne soulève pas tant la question de l'opposabilité du secret bancaire au client que celle de l'ampleur du devoir de la banque de produire les pièces requises, ce que nous aborderons plus loin56 . Il en va toutefois différemment du droit successoral, eu égard à la question de sa- voir dans quelle mesure la banque est tenue de donner des informations concernant le de cujus à des tiers, parmi lesquels les héritiers eux-mêmes57 .

54 AUBERT et al. (n. 40), p. 173.

55 On ne voit pas l'intérêt légitime dont pourrait se prévaloir la banque en révélant au juge l'existence d'avoirs "défiscalisés" sans rapport aucun avec le litige: dans ce cas la banque violerait son obligation de discrétion sans être en mesure de se prévaloir d'un fait justificatif au sens de l art. 47 al. 4 LB. Voir en outre AUBERT et al. (n. 40), p. 173 ("il va de soi que le secret professionnel doit toujours être respecté quant aux faits qui n'ont pas un rapport direct avec le litige").

56 Voir infra, ch. VI.A. Le problème se pose dans les mêmes termes en regard d'une demande de production de pièces issue du droit proc6dural (Editionspflicht).

57 L'obligation de la banque de renseigner les tiers au sujet de ses relations bancaires avec le de cujus constitue un sujet complexe dépassant le cadre de cet expos6. Voir à ce propos: M. AUBERT I R. SCHWOB, FJS 69a pp. 7 ss; P.-A. BÉGUIN, "Secret bancaire et successions", in P. BERNASCONl / R. CHOPARD (éd.), Les nouveaux défis au secret ban- caire suisse, Bellinzone 1996, pp. 23 ss; J.N. DRUEY, "Der Anspruch des Erben auf Infor- mation", BJM 1988 113 ss; KLEINER / SCHWOB (n. 32), Art. 47 N. 17 ss; G. STANISLAS,

"Ayant droit économique et droit civil: le devoir de renseignements de la banque", SJ 1999 II 413/437 ss, de même que la circulaire émise le 10 septembre 2002 par l 'ASB intitulée

"Renseignements donnés par la banque en matière successorale" (http://www.sba.ch/fr/z- 02-09-10-erben-oba).

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE 123

B. La banque assigne le titulaire du droit au secret

Cette problématique se présente différemment de la précédente. En effet, lorsque la banque assigne son client, c'est elle qui "ouvre les hostilités" en portant à la connaissance d'un tiers (le juge) des faits qui, jusqu'ici, lui étaient inconnus. Or, la plupart de ces faits seront couverts par le secret bancaire tout comme les pièces produites à l'appui de la demande de la banque58, ce qui place cette dernière dans la position du détenteur d'un secret qui le dévoile à un tiers. Est-ce à dire que le banquier doit systémati- quement s'interdire d'agir judiciairement contre son client? La réponse à cette question ne peut être que négative. L'obligation de garder le secret ne saurait en effet paralyser la banque dans l'exercice de ses droits à l' encon- tre de son client qui, à l'extrême, se verrait gratifier d'une sorte d'immunité de juridiction inespérée à l'égard de son banquier. On ne saurait cependant aller jusqu'à conférer à la banque désireuse d'agir contre son client le droit de dévoiler sans vergogne ni retenue les secrets qui le concernent, charge à ce dernier de trouver un terrain d'entente avec la banque s'il entend éviter une divulgation sans retenue59. II faut, tout comme dans le cas précédent, faire application du principe de la proportionnalité, en ce sens que la ban- que ne produira que les pièces nécessaires à respecter le fardeau de la preuve qui lui incombe en application de l'article 8 CC, à l'exclusion de toute autre pièce sans rapport direct avec le litige. S'agissant de la décision de principe d'user de la voie judiciaire contre son client (ce qui la conduira inéluctable- ment à dévoiler des secrets au détriment de ce dernier), la banque usera du principe de la subsidiarité en ce sens qu'elle n'agira de la sorte que dans la mesure où elle ne dispose pas d'autres moyens pour parvenir à ses fins et qu'on ne peut raisonnablement exiger d'elle d'en faire usage60.

La mise en œuvre de ces principes pose finalement moins de difficulté qu'il n'y paraît. En effet, bien souvent, lorsqu'un établissement bancaire agit à l'encontre de son client, c'est pour lui réclamer le remboursement

58 Ainsi la banque qui agit en remboursement d'un prêt hypothécaire.

59 AUBERT et al. (n. 40), p. 174, citant le point de vue de CAP!TATNE selon lequel il incombe au client de s'entendre à l'amiable avec son banquier s'il entend éviter la divul- gation.

60 Idem, p. 175, citant l'ATF 94 IV 68

=

JdT 1968 IV 106. Dans certains cas pour les- quels la nécessité de conserver le secret bancaire apparaît d'une acuité particulière, on pourra attendre de la banque qu'elle propose à son client un compromis arbitral avant d'agir par-devant les juridictions ordinaires: WALDER (n. 39), p. 365, se référant àAUBEKf.

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d'un crédit, quelle qu'en soit la forme. Or, l'étendue et les modalités du secret bancaire tirent leur source essentiellement dans la relation contrac- tuelle liant la banque à son client, dont le contenu s'apprécie notamment à la lumière du principe de la confiance: celui qui obtient un crédit auprès d'une banque s'engage à le rembourser; à défaut d'exécution de sa part, il doit envisager - et accepter par avance - que l'établissement prêteur en vienne à des mesures d'exécution forcée et passe si nécessaire par la voie judiciaire, ce qui revient à une renonciation anticipée à se prévaloir du se- cret bancaire61. Comme le soulignent certains auteurs, il est "inconcevable que le client d'une banque ait pu comprendre les engagements de celle-ci comme une promesse de discrétion absolue empêchant la banque de sauve- garder ses intérêts légitimes"62. Du reste, les clauses en matière de proroga- tion de for contenues dans certaines conditions générales de banque envisa- gent par définition l'hypothèse d'un litige judiciaire entre cette dernière et son client, y compris celle de l'action introduite par la banque, sans qu'il ne soit fait mention d'une quelconque restriction quant aux moyens de preuve utilisables; ceci ne fait que confirmer la nécessité d'analyser cette situation à la lumière des règles d'interprétation générales issues du principe de la confiance.

A relever que ces entorses faites au secret bancaire en faveur de la banque désireuse de sauvegarder ses intérêts légitimes ne la contraignent pas à gagner systématiquement les procès qu'elle introduit, sous peine de se voir par la suite reprocher une violation de l'article 47 al. 4 LB (en ter- mes de vérité judiciaire, la perte du procès signifie que les secrets dévoilés par la banque ne l'ont pas été à bon escient): ce n'est que dans des cas exceptionnels que le client pourrait se prévaloir d'une violation de l'article 47 al. 4 LB et intenter une action en responsabilité contre la banque63 .

6 I Ainsi celui qui obtient un prêl hypothécaire par la remise d'une cédule hypothécaire en pleine propriété doit s'attendre à ce que la banque déclenche une poursuite en réalisation du gage et agisse en mainlevée provisoire de l'opposition (art. 82 LP) en produisant la cédule, le contrat de prêt, les décomples subséquents, la lettre de dénonciation el les diver- ses mises en demeure.

62 AUBERT et al. (n. 40), p. 176.

63 Ainsi idem, pp. 175 ss de citer le cas de la banque qui perdrait son procès tout en étant condamnée à des dommages intérêts comme téméraire plaideur!

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PIÈCES BANCAIRES EN PROCÉDURE CIVILE

C. La banque est partie à un procès où le titulaire du droit au secret est un tiers

125

Dans certains cas la banque, que ce soit comme partie demanderesse ou comme partie défenderesse à la procédure, pourra trouver utile à sa cause que de produire telle ou telle pièce faisant état d'un fait couvert par le se- cret bancaire en faveur d'un tiers, lui-même non partie à la procédure. A notre sens, la production d'un tel document ne pourra avoir lieu sans l'ac- cord du tiers concerné. Quid lorsque la banque ne peut obtenir ce consente- ment, faute de parvenir à se mettre en contact avec ce tiers? On peut admet- tre à la rigueur un consentement tacitement donné par le tiers à la production de pièces le concernant lorsqu'il est lui-même intéressé au résultat du pro- cès (p.ex. lorsque la banque partie au procès agit à titre fiduciaire pour le tiers), si bien qu'à défaut d'instruction expresse contraire de la part du tiers client, la banque pourra partir du principe que la production envisagée re- lève d'une bonne et fidèle exécution du mandat au sens del' article 396 CO (voire de la gestion d'affaire au sens de l'article 419 C0)64. La question est beaucoup plus problématique lorsque la conduite du procès s'opère dans le seuJ intérêt de la banque, et l'on voit mal que dans un tel cas celle-ci puisse s'appuyer sur le consentement tacite du tiers concerné65.

La banque doit affronter une situation encore plus délicate lorsqu'elle se retrouve visée, comme partie à la procédure, par une ordonnance de pro- duction de pièces rendue par le juge en application des règles de procédure, à l'instar de ce que prévoient les articles 186 al. 2 LPC GE et 183 ZPO ZH, alors que ces pièces se rapportent précisément à des faits couverts par l'obli- gation de discrétion assumée par la banque en faveur de tiers non parties au procès. Nous l'avons vu, ce genre de dispositions procédurales ne peuvent en principe pas faire l'objet d'une contrainte directe à l'égard des parties à la procédure. En revanche, un refus de la partie visée de s'exécuter pourra avoir des incidences défavorables sur sa situation du point de vue de la preuve, ce qui dépendra du pouvoir d'appréciation du juge à cet égard66 .

64 La banque pourra aussi dénoncer le litige au tiers de sorte à lui rendre opposable par la suite le résultat défavorable du procès. Voir à ce propos WALDER (n. 39), p. 364.

65 Ibidem (soulignant à juste titre que, dans un tel cas, la banque ne pourra en principe pas se prévaloir d'un état de nécessité au sens de l'art. 34 CP pour justifier la violation du secret bancaire dont elle serait l'auteur). Ainsi la banque qui défend à une action intentée à son encontre par son client X lui reprochant une mauvaise gestion de ses avoirs ne saurait produire sans leur accord des lettres d'instructions reçues d'autres clients et allant dans le même sens que les actes de gestion reprochés par X.

66 Supra, ch. II.B.l.

(21)

Or, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances, parmi lesquelles le motif du refus de la partie récalcitrante de s'exécuter. Il fera donc preuve de retenue s'agissant du rôle qu'il entend conférer à cet incident du point de vue de l'appréciation des preuves: il pourra même, au gré des explications de la banque, révoquer sa première ordonnance, ou encore ouvrir une ins- truction sur incident67. W ALDER observe, non sans pertinence, que le juge du fond, chargé de trancher ce type de question, peut se trouver dans une situation difficile sur le plan de l'objectivité dans la suite du procès, et se demande s'il ne conviendrait pas d'instituer une instance fédérale particu- lière ayant pour mission de trancher ce genre de question68 . Sur le plan théorique, l'idée peut séduire; elle paraît cependant lourde et difficile à réaliser en pratique.

Enfin, il faut préciser que des modalités particulières de production de pièces peuvent être envisagées dans certains cas pour résoudre ce genre de situations mettant en opposition, d'une part, l'intérêt de tiers non partie à la procédure au maintien du secret bancaire et, d'autre part, l'intérêt de l'une ou l'autre paitie - ou des deux - à apporter la preuve de ses allégués69 .

V. Le détenteur du secret bancaire tiers au procès

Le chapitre précédent a été consacré à l'analyse de la situation de la banque partie au procès, cadre dans lequel surgit un conflit entre l'intérêt de cette dernière à gagner son procès - qui implique pour elle la nécessité de gérer au mieux son fardeau de la preuve, ce qui passe bien souvent par la produc- tion de pièces frappées du secret bancaire - et l'intérêt du client au main- tien du devoir de discrétion de la banque à son égard. En quelque sorte, la banque se retrouve demanderesse en matière de production de pièces, mais freinée dans son élan par son obligation de discrétion vis-à-vis de son client.

Or, la situation s'inverse lorsque la banque n'est pas partie au procès, se retrouvant dans le rôle d'un tiers appelé à fournir des renseignements, no- tamment par la production de pièces. Bien souvent la banque n'a alors pas d'intérêt propre à produire des pièces; elle aura plutôt tendance à s'y oppo-

67 R. FRANK I H. STRÂULJ I G. MESSMER, Kommentar zur zürcherischen Zivilprozess- ordnung, Zurich 1997, § 183 N. 1 et 8.

68 WALDER (n. 39), pp. 363 SS.

69 Infra, ch. VI.E.

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