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La réforme des règles sur la prévoyance professionnelle - Aspects de droit international privé

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Conference Presentation

Reference

La réforme des règles sur la prévoyance professionnelle - Aspects de droit international privé

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. La réforme des règles sur la prévoyance professionnelle - Aspects de droit international privé. In: « Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce : une réforme importante », conférence organisée par Audrey Leuba et Michelle Cottier, Professeures à l'Université de Genève, Genève, 8 novembre 2016, 2016, p. 1-21

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135058

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La réforme des règles sur la prévoyance professionnelle Aspects de droit international privé

Gian Paolo Romano

Professeur à l’Université de Genève dans le cadre de la

conférence sur

« Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce:

une réforme importante »

organisée par Audrey Leuba et Michelle Cottier, Professeures à l’Université de Genève

Genève, 8 novembre 2016

Mesdames et Messieurs, je souhaiterais d’abord remercier les organisatrices pour la belle occasion qu’elles m’offrent d’être parmi vous aujourd’hui.

On est, à l’Université de Genève, en pleine « semaine d’études libres » :

et quel meilleur usage de cette « liberté » que d’« étudier » ensemble une réforme im- portante de notre droit civil.

Le thème dont j’ai été chargé concerne les aspects de droit international privé de cette réforme.

Or pour mieux comprendre ce qui change, il est utile de rappeler d’abord ce qui est : de faire le point sur le régime actuel qui, dans moins de deux mois, sera le régime passé, car dépassé par le régime réformé.

Mais avant de se pencher sur le droit international privé, je vous invite à une brève cavalcade sur le terrain du droit comparé : histoire de se familiariser avec les diver- gences d’approches et de solutions que retiennent les législations à l’égard de la question qui nous occupe.

Le droit international privé vise à « gérer » les différences entre les lois de manière à éviter qu’elles se muent en conflits dont les particuliers seraient les premières victi- mes : conflits de lois, résultant parfois des conflits de juridictions et de décisions.

Il est donc bon de prendre conscience de ces disparités, du moins les plus saillantes.

***

Le principe, en Suisse, est, on l’a vu, le partage des fonds LPP accumulés par les époux au cours du mariage :

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une espèce de participation mutuelle de chacun aux expectatives acquises par l’autre, à l’instar de la participation aux acquêts sous l’angle du régime matrimonial.

Partage égalitaire, avec une série de correctifs.

Partage en nature, en ce sens qu’il s’opère moyennant transfert des avoirs de la caisse du débiteur à celle du créancier : là aussi avec des dérogations, en faveur d’un mode de répartition que l’on peut appeler par équivalent : c’est-à-dire moyennant versement d’un capital ou d’une rente.

***

Or le principe d’un partage égalitaire en nature est largement minoritaire à l’échelle européenne et mondiale.

Y souscrivent l’Allemagne – depuis l’adoption du Versorgungsausgleichgesetz datant de 1976 et remanié en 2009 – les Pays-Bas, depuis une loi (à l’intitulé impronon- çable…) de 1994, tout comme la législation fédérale du Canada mais aussi celle de bien des provinces.

Quelques différences se constatent dans l’aménagement de ce principe :

la liberté des époux de s’écarter du partage en faveur de la séparation des biens de prévoyance est admise sans restrictions aux Pays-Bas alors qu’en Suisse, y compris après la réforme, elle rencontre de limites assez sévères ;

le pouvoir discrétionnaire laissé au juge est plus important au Canada que chez nous ; enfin, quant aux avoirs à répartir, ils englobent, en Allemagne, ceux qui résultent d’un contrat de prévoyance non obligatoire – l’équivalent de notre troisième pilier – alors qu’en Suisse, ce n’est que le deuxième qui est soumis au partage.

***

Mais c’est surtout entre ce premier bloc de pays et pratiquement tous les autres que se rencontrent les écarts les plus significatifs :

que l’on pense à la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, etc.

Or, pour ces pays, les prétentions de retraite restent, en cas de démariage, dans la titu- larité de l’époux qui les a acquises.

On peut alors penser que ces pays sont séparatistes, pour emprunter une fois de plus la terminologie des régimes matrimoniaux, qu’ils procèdent de la séparation des biens de prévoyance.

Mais une telle présentation serait trop catégorique.

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Car une certaine solidarité post-conjugale est pratiquée également par ces pays, ou certains d’entre eux en tout cas : seulement, elle ne se déploie pas en nature, mais sous d’autres formes.

***

Prenons quelques exemples.

Commençons par la France, proximité oblige.

L’un des facteurs que le juge doit prendre en compte pour chiffrer la « prestation compensatoire » – aux termes de l’article 271 du Code civil français – est l’absence d’une prévoyance adéquate sur laquelle pourrait compter le bénéficiaire ou en tout cas la disparité entre les situations de retraite des époux.

Mais le montant d’une telle prestation est rarement équivalent à celui qui résulterait d’un partage par moitié des avoirs de pension.

En témoigne une décision française rendue dans une affaire franco-suisse (sur laquel- le je reviendrai dans un instant) :

l’épouse a dû se contenter d’un versement en capital de 160.000 Euro, équivalent à un quart seulement des avoirs de pension (plus de 600.000 CHF) auxquels elle pou- vait prétendre en vertu du droit suisse.

***

Qu’en est-il de l’Italie ?

L’assegno divorzile – ce « chèque de divorce » qu’un juge met à la charge du con- joint le plus aisé au profit du conjoint le plus faible – est déterminé en tenant compte également des expectatives de retraite :

… un certain rééquilibrage s’opère donc sur le plan de l’entretien.

Ajoutons que le droit italien accorde également à l’ex-époux le 40% de ce qu’on appelle, par un acronyme dont les Italiens sont familiers, « TFR » :

…trattamento di fine rapporto, dénommé également liquidazione :

…il s’agit d’une prestation en argent, souvent importante – plusieurs années de sa- laire – que le travailleur touche la retraite venue, et qui s’ajoute aux prestations four- nies par l’« Institut national de prévoyance sociale ».

Notons encore qu’en cas de décès, la « pension de réversibilité » peut en Italie profiter à au conjoint divorcé survivant.

Enfin, une prestation périodique en faveur de l’ex-époux dans le besoin peut être mise à la charge de la « masse successorale » : c’est l’assegno successorio.

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Bref le défaut de prévoyance adéquate peut être compensé par le droit des successions.

***

Voilà pour ce qui est de quelques éléments de droit comparé.

Passons au droit international privé.

Et d’abord, en bonne méthode, au catalogue des sources pertinentes.

Rappelons que la Convention de Lugano se désintéresse de la prévoyance tout com- me du droit de la famille.

Deux règlements de l’Union européenne en matière de sécurité sociale ont été repris par la Suisse.

Ils ne touchent cependant pas directement la matière qui nous occupe, ils ne permet- traient pas au juge civil d’un Etat partie, la Suisse par exemple, de prescrire le partage des cotisations versées par les époux à la Sécurité sociale française.

Quant à la convention bilatérale que la Suisse a conclue avec le Liechtenstein, dont on laisse entendre qu’elle témoigne de l’intégration la plus poussée, elle vise l’AVS, mais non pas le « deuxième pilier ».

Si bien qu’elle peut elle aussi être négligée.

***

C’est donc aux sources internes que revient la part du lion.

Or le législateur de la LDIP n’avait pas pu prévoir des dispositions spécifiques car la

« Loi fédérale sur le libre passage » lui est postérieure.

Le législateur de 1993 aurait pu adapter la LDIP.

Il a choisi le silence.

C’est justement ce silence qu’est venu rompre la réforme de 2015, laquelle a inséré dans la LDIP deux dispositions visant la prévoyance, sous l’angle de la compétence uniquement.

D’autres ont été modifiées.

Pour compléter le tableau, évoquons quelques nouvelles dispositions visant les rela- tions transfrontalières « noyées » dans le Code civil et le Code de procédure civile.

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Avant d’étudier toutes ces nouvelles règles, rendons-compte du régime actuel (et bientôt obsolète).

La jurisprudence a donc dû suppléer à la lacune de la LDIP.

Le Tribunal fédéral s’est tiré d’affaire en qualifiant la destinée post-conjugale de la prévoyance comme relevant des effets accessoires du divorce.

Pour clarifier les choses, je vous propose de distinguer entre divorce sollicité en Suis- se et divorce demandé à l’étranger.

***

Or le juge suisse compétent pour le divorce l’est également pour statuer sur les effets accessoires (sauf exclusions ponctuelles).

C’est l’article 63 al. 1 LDIP qui l’affirme.

Eh bien, s’agissant d’un « effet accessoire », la compétence du juge suisse du divorce s’étend également à la prévoyance.

Mais lesquels ?

D’abord, évidemment, ceux qui se trouvent en Suisse.

Il est, en revanche, incertain aujourd’hui si une telle compétence helvétique s’étend aux crédits équivalents à notre deuxième pilier se trouvant à l’étranger.

Nous verrons que la réforme a précisé ce point.

***

Quant aux circonstances dans lesquelles le divorce peut être demandé en Suisse, ce sont le domicile en Suisse ou la nationalité suisse des époux (ou de l’un d’eux) qui les définissent, selon les combinaisons prévues aux articles 59 et 60 de la LDIP.

Je ne m’y attarderai pas, d’autant que la réforme les a laissés intacts.

***

Qu’en est-il en revanche si la demande en divorce est déposée à l’étranger et que des avoirs se trouvent en Suisse?

Est-ce que la compétence suisse est aussi donnée ?

Aussi longtemps que la procédure étrangère est pendante, une action parallèle en Suisse est bloquée du fait de la litispendance.

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Si la procédure étrangère s’est soldée par une décision qui vise également les avoirs suisses, et que cette décision peut être reconnue chez nous, une action en Suisse de- vient impossible en raison de la force jugée étrangère.

En revanche, si le juge étranger a négligé les avoirs suisses, l’action qui en viserait le partage – dite parfois « en complément » – reste ouverte.

***

Prenons, pour illustrer ce point, une affaire montée jusqu’au Tribunal fédéral.

Le divorce avait été demandé en France, lieu du domicile conjugal.

Le mari, qui avait travaillé chez Petroplus, détenait des fonds LPP auprès d’une cais- se bâloise.

Ces biens n’avaient pas été pris en compte dans le calcul effectué par le juge français qui avait débouché sur une prestation compensatoire que Madame jugeait insuffi- sante.

Rien ne s’opposait donc à ce que Madame agisse en complément en Suisse.

***

Quel est le juge suisse localement compétent pour connaître d’une telle action ?

Il s’agit, en vertu de l’article 64 al. 1 LDIP, du for virtuel du divorce, aux conditions fixées par les articles 59 et 60.

A défaut de for de divorce, il faut constater une lacune : lacune qu’on s’accorde pour la combler en attribuant compétence au juge du siège de la caisse de prévoyance via le « for de nécessité ».

Le lieu de situation des avoirs constituerait un « lien suffisant » aux termes de l’ar- ticle 3 LDIP.

Reprenons l’affaire franco-bâloise.

Si l’un des époux a son domicile en France et l’autre à Zurich, c’est à Zurich que l’action en complément devra être intentée.

Si les deux époux sont domiciliés en France – comme c’était le cas en l’espèce – c’est au tribunal de Bâle, siège de la caisse, que Madame devra s’adresser.

***

Je vous propose de se tourner vers le droit applicable.

C’est surtout ça qui intéresse les particuliers.

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L’époux moins bien doté tentera de se prévaloir du droit suisse pour participer aux

« acquêts de prévoyance » de son ex-partenaire.

L’époux mieux doté plaidera pour le droit étranger : droit étranger qui consacrera le plus souvent le régime de la « séparation des biens de prévoyance » quoiqu’avec des correctifs.

Comment donc trancher ce conflit potentiel de lois ?

Eh bien, l’article 63 al. 1 LDIP soumet à la loi applicable au divorce les effets acces- soires.

Le sort de la prévoyance se trouve donc dans la dépendance de la loi du divorce.

Comment cette loi est-elle déterminée ?

***

Si le divorce est demandé en Suisse, c’est l’article 60 LDIP qui s’en charge.

Or cet article est, aujourd’hui, structuré d’une manière sophistiquée.

Rappelons-la.

C’est ce qui nous permettra de mesurer l’incidence qu’aura la réforme sur ce point.

L’article 60 pose donc un principe (premier alinéa), puis (au deuxième alinéa) une exception, enfin (au troisième) une exception de l’exception.

Le principe est l’application de la loi suisse.

L’exception l’application de la loi étrangère de la nationalité commune des époux, laquelle n’a cours cependant que lorsqu’un seul des époux a son domicile en Suisse.

***

Pour être rares, les situations où un droit étranger est désigné ne sont pas pour autant exceptionnelles.

C’est bien l’une de ces affaires qui a inauguré la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droit international privé de la prévoyance.

Voici les faits.

Le mari, citoyen espagnol, avait travaillé plus de vingt ans en Suisse.

Egalement espagnole, l’épouse n’avait jamais vécu en Suisse avec lui.

Elle était restée au pays, en Espagne, avec les deux enfants.

Une crise conjugale éclate.

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La séparation est prononcée en Espagne.

Le divorce est sollicité quelques temps après par Monsieur à Genève.

Nationalité espagnole commune.

L’épouse domiciliée en Espagne.

Bref, les conditions de l’article 61 al. 2 sont remplies.

C’est le droit espagnol qui s’applique aux motifs du divorce tout autant qu’aux

« effets accessoires » de celui-ci, dont la prévoyance.

Or le droit espagnol est de type « séparatiste » en ce sens qu’il ne prévoit pas de ré- partition des expectatives de pension.

Madame s’en irait les « mains vides ».

Une telle conséquence est jugée inacceptable par le Tribunal fédéral, lequel en appelle alors à la « clause d’exception » de l’article 15 LDIP, en prenant appui sur le

« lien fort » que le ménage avait établi avec la Suisse.

En conséquence de quoi la loi suisse devient applicable et Madame peut accéder à la moitié du deuxième pilier de Monsieur.

***

Le dénouement de l’affaire a reçu l’approbation quasi-unanime des commentateurs.

La méthode pour l’atteindre a été en revanche critiquée.

Car la clause d’exception suppose un « lien très lâche » avec l’Etat désigné.

Or l’Espagne était le « siège » du foyer conjugal et le centre de la vie familiale.

Il semble alors que le Tribunal fédéral s’est livré à une interprétation contra legem.

Ne vaudrait-il pas mieux consacrer directement la règle selon laquelle le droit suisse régit les avoirs suisses, en faisant de la sorte l’économie du double détour par la loi du divorce et par la clause d’exception?

C’est ce qu’ont pensé bien d’auteurs, parmi les plus prestigieux, Andreas Bucher en tête, mais aussi des moins prestigieux, votre serviteur notamment.

***

Mais l’inconvénient de la soumission de la prévoyance à la loi du divorce est plus visible encore lorsque le divorce est prononcé à l’étranger.

C’est alors la loi retenue par le juge étranger qui est pertinente pour les effets acces- soires.

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Or cette loi est très souvent la loi étrangère.

C’est ce qu’illustre notre affaire franco-bâloise.

Le mari avait travaillé chez Petroplus – avons-nous dit – mais son deuxième pilier avait été ignoré par le juge français du divorce.

Action en complément de Madame.

Seulement, puisque le divorce a été prononcé d’après la loi française, c’est bien la loi française qui devrait régir le sort des fonds LPP.

Suivant le Code civil français, Madame aurait le droit à un supplément de prestation compensatoire en espèces mais non pas au partage par moitié et en nature des avoirs litigieux.

Voilà qui serait peu équitable.

Loi française est donc évincée en faveur de la loi suisse.

Ici de nouveau, c’est en « manipulant » la clause d’exception que le juge rhénan, approuvé par le Tribunal fédéral, a pu parvenir à faire bénéficier Madame du partage de notre Code civil.

***

Il se peut que le juge étranger tient compte, dans les déterminations patrimoniales qu’il prend, des avoirs LPP, voire en prescrit lui-même le partage.

C’est ce qui me conduit au troisième volet de ce compte rendu de l’existant : les effets des décisions étrangères.

Pour les illustrer, je citerai deux autres affaires.

Dans une première, helvético-américaine, il s’agissait du divorce d’un diplomate de la Confédération, affilié à Publica.

En 2002, alors qu’il était domicilié aux Etats Unis, il avait conclu avec son épouse une convention de séparation en réglant les effets de celle-ci, y compris sur le plan de la prévoyance.

Une cour fédérale américaine avait peu après prononcé le divorce.

Estimant valable l’accord patrimonial, elle avait énoncé comme suit :

« It is ordered that the Pension Fund of the Swiss Confederation shall transfer to Plaintiff Fifty Percent of the accumulated value in Defendant’s Pension Fund of the Swiss Confederation… ».

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En somme, le tribunal américain semble prescrire le partage des fonds déposés chez Publica.

Or Publica invite Madame à solliciter l’exequatur auprès de la Cour cantonale bernoise, laquelle le refuse en invoquant l’ordre public.

Certains auteurs sont allés jusqu’à faire grief au juge américain d’avoir violé la sou- veraineté de la Suisse.

Il est vrai qu’il peut paraître curieux qu’un juge étranger « ordonne » à une caisse suisse, Publica de surcroît, ce qu’elle devrait faire.

Le Tribunal fédéral a, de manière pragmatique, constaté que son collègue d’outre- Atlantique, en dépit des formules un peu maladroites, n’avait pas entendu aller au- delà de la fixation de la clé de répartition.

Il a donc accepté d’accorder l’exequatur.

Si bien que la décision étrangère, ainsi helvétisée par la grâce de la reconnaissance, lie le tribunal des assurances sociales :

tout comme le lierait la décision du juge suisse du divorce.

***

Mais il se peut que le juge étranger tienne compte des avoirs suisses en s’accomodant d’une attribution par équivalent ou en valeur.

C’est bien ce qui est arrivé dans une affaire franco-genevoise.

Deux époux ayant la double nationalité française et suisse ont vécu à Genève puis à Thonon-les-Bains.

Ayant toujours été employé à Genève, l’époux s’est constitué un deuxième pilier en hauteur de 1.200.000 CHF.

C’est aux juges de Haute Savoie que les époux s’adressent pour dissoudre leur union.

Madame leur demande également de statuer sur le deuxième pilier du mari dont elle réclame la moitié.

L’affaire monte jusqu’à Paris.

La Cour de cassation prononce en substance le partage par équivalent selon une clé de répartition de 80% à Monsieur et 20% à Madame, laquelle, s’estimant lésée, ouvre à Genève une action en complément requérant le partage en nature.

Monsieur excipe de la chose jugée française.

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Madame invoque l’ordre public, mais en vain, disent la Cour de justice de Genève puis le Tribunal fédéral.

« Le fait – je cite – que l’épouse perçoit moins de la moité de la prestation de sortie du mari n’autorise pas » à conclure que la décision française est « contraire à l’ordre public matériel suisse ».

***

Une telle décision a été réprouvée par certains.

Première critique : il est injuste de priver l’ex-conjointe, qui était suisse en l’occur- rence, du bénéfice du Code civil à l’égard des avoirs en Suisse.

Deuxième critique : si le divorce avait été demandé en Suisse, Madame aurait obtenu quatre fois plus de ce qu’elle a reçu du juge français.

Or faire varier le résultat du for où l’action du divorce est portée diminue la pré- visibilité des justiciables et stimule la course au for, le forum shopping.

Une telle conséquence serait évitée si les avoirs suisses étaient soumis à la compé- tence exclusive de nos tribunaux.

C’est ce qui nous invite à considérer la réforme (enfin dirons certains).

***

La compétence suisse y est désormais qualifiée d’exclusive pour ce qui est des avoirs situés en Suisse.

C’est la première grande innovation.

Les alinéas 1-bis des articles 63 et 64 l’énoncent avec insistance, redondance même.

Les conséquences se manifestent surtout sur le terrain de la reconnaissance des déci- sions étrangères.

J’évoquerai ces conséquences dans un instant.

***

Toujours au chapitre de la compétence, il faut signaler une autre nouveauté, plus de forme que de substance celle-là.

La réforme a adjoint un article 64 al. 1bis, qui énonce (je cite) qu’« en l’absence de compétence au sens de l’al. 1, les tribunaux suisses du siège de l’institution de pré- voyance sont compétents ».

Si aucun des époux n’a son domicile en Suisse, c’est au siège de la caisse que l’action en complément devra être introduite.

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Il n’est plus besoin de mobiliser le for exceptionnel de nécessité.

Ce qui, du point de vue de la technique législative, marque un progrès.

***

La compétence exclusive ne se rapporte qu’aux avoirs suisses.

Quid des prétentions accumulés à l’étranger ? C’est là où les choses se corsent.

Mais si l’action du divorce est introduite en Suisse, la compétence du juge suisse s’étend en principe aux avoirs étrangers.

« En principe », car il y a, heureusement, des exceptions.

***

La première est suggérée par le Message, qui note que les parties peuvent « trans- férer » (c’est le terme employé par le Message) la compétence au juge étranger.

L’expression est peut-être un peu maladroite.

L’idée est bonne.

Il s’agit d’habiliter les époux à convenir d’un « for étranger » qui serait alors seul compétent pour les avoirs étrangers.

C’est ce que l’article 5 LDIP appelle une « élection de for ».

De telles conventions de for semblent se répandre dans la pratique internationale.

Dans une affaire soumise à l’Institut suisse de droit comparé, deux époux allemands avaient conclu par devant notaire un « Ehevertrag »…

…lequel entre autres fixait le for allemand comme compétent pour connaître du con- tentieux patrimonial du divorce, y compris le Versorgungsausgleich.

Le juge suisse devrait donc respecter un tel choix à tout le moins pour ce qui est des avoirs allemands.

Cette marge d’autonomie accordée aux époux me paraît très judicieuse.

On peut regretter que le principe se trouve timidement avancé dans le Message au lieu d’être énoncé en toutes lettres par la loi.

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Mais une élection de for peut bien manquer.

Le juge suisse est-il toujours compétent à l’égard des avoirs étrangers ?

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Il semble bien que si l’Etat étranger revendique une compétence exclusive, il serait opportun que le juge suisse s’abstienne de statuer sur de tels avoirs.

Voilà qui obéirait à un sain pragmatisme : à quoi bon de trancher leur sort si l’Etat en question refuserait de reconnaître la décision suisse ?

Voilà qui, surtout, est conforme à un principe universel de justice, vieux comme l’Ancien Testament:

« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi-même ».

Or si la Suisse réclame une compétence exclusive sur les avoirs en Suisse, c’est qu’elle exige des autres Etats qu’ils s’abstiennent de toute immixion à leur égard.

La Suisse devrait alors respecter le même désir que formuleraient ses homologues é- trangers.

Il est malheureux qu’un tel respect n’ait pas été expressément prévu.

On aurait pu ajouter un alinéa semblable à l’article 86 al. 2 en matière de succession, et par exemple :

« Est réservée la compétence exclusive revendiquée par l’Etat de situation des avoirs de prévoyance ».

Mais je pense qu’une telle « réserve » pourrait se déduire d’une autre disposition, non pas de la LDIP, mais du Code de procédure civile.

***

C’est l’article 283 al. 3.

Qui est propre à susciter l’intérêt.

Cet article prévoit deux choses, deux étapes : d’abord, la possibilité que le juge suisse du divorce renvoie le partage à une « procédure séparée ».

En quelles circonstances ?

Lorsque (je cite) « des prétentions de prévoyance à l’étranger sont concernées et qu’une décision relative au partage de celles-ci peut être obtenue » dans l’Etat en question.

Or de telles formules ne sont pas exemptes de difficultés.

Est-ce que la « procédure séparée » vise uniquement les avoirs étrangers ?

La lettre de la disposition laisse penser qu’elle peut bien avoir pour objet toutes les prétentions de prévoyance, suisses et étrangères.

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Mais le Message indique quant à lui que « [c]et alinéa concerne le partage de préten- tions de prévoyance à l’étranger ».

C’est là un premier élément d’incertitude.

Ensuite, comment interpréter le terme « partage » ?

La question se pose car le droit étranger peut, on l’a vu, ne pas prévoir un « partage » au sens du droit suisse.

Ainsi, lorsque des avoirs de pension se trouvent, par exemple, en France ou en Italie, faut-il conclure qu’une « décision relative au partage… ne peut pas être obte- nue dans l’Etat en question » ?

C’est la lecture qui semble résulter du Message (à la page 38).

Si l’on y souscrit, force serait de constater que le renvoi à une « procédure séparée » ne pourra être prononcé que très rarement : car la condition à laquelle il est subordonné – c’est-à-dire que l’Etat étranger connaisse un partage en nature – ne sera remplie que lorsque les avoirs sont en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Canada…

***

Quoiqu’il en soit, lorsque le renvoi est possible, il a lieu d’abord au profit d’une autre procédure séparée en Suisse.

Mais le tribunal en charge de cette autre procédure, je cite à nouveau, « peut [la] sus- pendre jusqu’à ce que la décision étrangère ait été rendue ».

C’est la deuxième étape que prescrit l’article 283 al. 3.

La première, c’est le renvoi à une procédure séparée, la deuxième c’est la suspension de la procédure séparée au profit de la procédure étrangère.

Une telle suspension semble être une « faculté » pour le juge : non pas une obliga- tion, contrairement à ce qui se passe en cas de litispendance au sens de l’article 9 LDIP.

Quels sont donc les critères pouvant conduire le juge à surseoir ? La compétence exclusive revendiquée par l’Etat étranger, sans doute.

Mais aussi l’existence d’une procédure déjà engagée à l’étranger, son degré d’avan- cement… et cetera.

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Concluons donc sur le sujet de la compétence.

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Constatons que la réforme confère aux autorités suisses une compétence très large : exclusive sur les avoirs suisses ;

concurrente sur les avoirs étrangers, avec les quelques exceptions et les quelques in- certitudes signalées.

Je ne m’attarderai pas sur les difficultés de prouver l’existence ou les montants de ces avoirs étrangers, ni de distinguer ce qui relève de la pension professionnelle de ce qui, dans le système étranger, est analogue à notre AVS.

Je préfère consacrer les quelques minutes qui me restent au droit applicable.

***

Or le principe qui place la prévoyance sous l’empire de la loi du divorce est main- tenu.

Ce qui change, c’est la méthode de désignation de cette loi.

L’article 61 LDIP a été considérablement simplifié.

Il ne reste que le premier alinéa :

« Le divorce et la séparation de corps sont régis par le droit suisse ».

Le sort des avoirs de prévoyance est lui aussi toujours soumis au droit suisse.

Cela vaut en principe pour tous les avoirs, suisses et étrangers.

Or pour ce qui est des avoirs suisses, on peut comprendre.

L’application exclusive du droit suisse à leur égard est le complément logique de la compétence exclusive du juge suisse.

Signalons comme effet heureux de la réforme que la clause d’exception ne devra plus être sollicitée.

Souvenez-vous de l’affaire hispano-suisse ?

Eh bien, si elle devait se présenter à partir de 2017, le droit suisse sera directement applicable au divorce, et donc à la prévoyance, malgré la nationalité espagnole com- mune des époux.

Pas besoin d’invoquer l’article 15 LDIP.

***

Or les avoirs suisses seront le plus souvent partagés en nature et par moitié, avec les correctifs dont la Professeure Leuba nous a entretenus.

Ce qui est plus problématique, ce sont ici de nouveau les avoirs étrangers.

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Le juge suisse doit aussi les distribuer selon le droit suisse.

Le Message laisse peu de doutes à ce sujet.

On a donc l’impression que le législateur a pensé que, comme le droit suisse est le meilleur, il faut essayer d’en imposer l’observation le plus largement possible.

Voilà qui ressemble à de l’impérialisme juridique, peu habituel pour ce pays.

Mais surtout, comment le partage des avoirs étrangers se fera-t-il ?

S’agissant des Etats à régime séparatiste, il ne pourra vraisemblablement pas être ef- fectué en nature.

Le juge suisse ne saurait prescrire à la Sécurité sociale française de partager en parts égales les cotisations des époux.

De même, on le voit mal ordonner à l’INPS italien de répartir les « contributions » versées au cours du mariage.

Comment devra-t-on s’y prendre ?

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Je vous propose de raisonner sur un exemple.

Et de supposons qu’au cours du mariage, Monsieur ait cotisé 140.000 Euros en France et Madame 50.000 Euro également en France.

90.000 Euros de différence, ce qui correspond à 100.000 CHF environ.

Le ménage s’est ensuite installé à Genève, où Monsieur s’est constitué un deuxième pilier de 100.000 CHF alors que Madame a cessé de travailler.

Après vingt ans de vie commune, ils se séparent.

Action en divorce à Genève.

Compétence du TPI pour statuer tout à la fois sur le sort du deuxième pilier suisse et des avoirs de pension français.

Le renvoi à une procédure séparée n’est probablement pas envisageable car une déci- sion de partage – au sens étroit du Message – ne pourra pas être prononcée en France.

Droit suisse applicable aux avoirs suisses et avoirs français.

Le deuxième pilier, 100.000 CHF, devra en principe être partagé par moitié : 50.000 pour Monsieur et 50.000 pour Madame.

Mais Madame voudra plus.

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Elle voudra profiter de la loi suisse à l’égard des avoirs français également.

Et la réforme lui dit : « Vous en avez le droit, Madame ».

Et donc Madame pourrait être tentée de réclamer la totalité du deuxième pilier du ma- ri pour compenser la différence de 100.000 CHF qui sépare leurs situations respec- tives de pension du côté français.

Elle pourrait s’appuyer sur l’article 124b al. 2 qui prévoit la possibilité d’une attribu- tion dépassant la moitié.

A vrai dire, cet article semble viser d’autres situations (celles que la Professeure Leuba a passé en revue).

J’ignore donc si Madame elle aurait gain de cause.

Si bien que, subsidiairement, elle aurait intérêt à demander une « prestation en capi- tal ou une rente » visant à répartir par équivalent les cotisations françaises.

Quel sera le montant de cette « prestation » ?

L’article 124e al. 1 nous dit qu’il devra être « équitable ».

Tout laisse penser qu’il sera plus élevé que celui qui serait accordé en France à titre de « prestation compensatoire ».

Or encore faut-il que le volet de la décision suisse qui concerne le partage des avoirs étrangers, y compris moyennant indemnité équitable, soit reconnu dans l’Etat étran- ger.

Car si le juge français estime que l’indemnité qui a paru équitable au juge suisse (lequel a appliqué le droit suisse) est inéquitable du point de vue du droit français, notamment car trop élevée par rapport à une prestation compensatoire à la « sauce exagonale », eh bien le juge français pourra ordonner à Madame de verser une contre- indemnité à Monsieur, par exemple, sur le fondement des principes l’enrichissement illégitime.

Est-ce que Madame pourra alors demander en Suisse une nouvelle indemnité ?

On comprendra, cette espèce de bras de fer juridictionnel est très malheureux, il alimente les conflits au lieu de les résoudre.

***

Un mot enfin de la reconnaissance en Suisse des décisions étrangères.

La réforme nous permet d’être bref sur ce point.

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Lorsqu’elles visent les avoirs suisses, l’accueil des décisions étrangères est désormais bloqué par la compétence exclusive.

Si le juge étranger prescrit le partage des avoirs LPP (comme l’avait fait le tribunal américain), il faudra de toute façon passer par une nouvelle procédure devant le juge civil suisse :

et ce alors même que la juridiction étrangère n’a fait que mettre en œuvre fidèlement les règles de notre Code civil.

Exit donc la jurisprudence stimulée par l’affaire des fonds Publica.

De même, si le juge étranger a tenu compte des avoirs suisses afin de déterminer une pension d’entretien, ce volet de la décision étrangère – à supposer qu’il soit séparable du reste – ne sera pas reconnu en Suisse.

Exit donc aussi la jurisprudence ayant reconnu la décision française malgré l’adop- tion par celle-ci d’une clé de répartition du deuxième pilier suisse éloignée du partage par moitié.

Il faudra alors que les époux attirent l’attention du juge étranger sur la compétence exclusive que réclame désormais la LDIP.

***

Quant aux avoirs étrangers, une telle compétence exclusive ne joue pas.

Rien ne s’oppose donc à la reconnaissance.

L’effet négatif de celle-ci, c’est que le juge suisse devrait s’abstenir de remettre en cause ce qui a été décidé à l’étranger à l’égard des avoirs étrangers.

Il devrait donc résister à la tentation d’attribuer une in-demnité équitable, qui s’ajou- terait, par exemple, à la prestation compensatoire allouée à l’étranger.

L’effet positif de la reconnaissance, c’est que le tribunal suisse devrait prêter main- forte à l’exécution en Suisse d’une décision étrangère accordant une prestation com- pensatoire lorsque l’époux débiteur n’a pas de biens saisissables à l’étranger.

***

Il se peut qu’un jugement suisse ait octroyé une indemnité équitable en prenant en compte les avoirs étrangers, et qu’ensuite, le juge étranger partage ces mêmes avoirs.

Afin d’éviter une injustice, l’article 124eal. 2 permet au conjoint débiteur de sollici- ter une « adaptation » du jugement suisse.

Si l’indemnité prenait la forme d’un capital, l’adaptation consisterait vraisemblable- ment à prescrire la restitution de tout ou partie de cet argent.

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Je préfère en rester là et ne pas prolonger votre souffrance, d’autant que… le repas sera servi sous peu.

Je vous remercie de votre attention.

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