Le « Grand Attracteur » n’explique pas tout !
répulsion et attraction aux sources du mouvement de la Voie Lactée
Daniel Pomarède (Institut de Recherche sur les Lois Fondamentales de l’Univers, CEA Saclay) + Hélène Courtois (U. Lyon), Brent Tully (U. Hawaii), Yehuda Hoffman (U. Jerusalem)
Festival d’Astronomie de Fleurance 2017 / IXème Marathon des sciences
1965 – Découverte du fond diffus cosmologique
Le rayonnement le plus ancien de l’Univers, produit lors du Big Bang quand l’Univers avait 380 000 ans, à l’époque de la recombinaison.
L’antenne avec laquelle Arno Penzias et Robert W. Wilson, ingénieurs à Bell Telephone Laboratories, découvrent fortuitement la lumière de fond cosmologique (prix Nobel 1978)
En première approximation, ce rayonnement est hautement isotrope, avec un spectre correspondant à une température de 2.7 K
A la recherche d’anisotropies du fond diffus cosmologique
1) La rotation de la Terre sur elle- même
2) La rotation de la Terre autour du Soleil
V=0
V=1150 km/h
V=1670 km/h
0.46 km/s à l’équateur
Vitesse orbitale moyenne: 30 km/s
L’Effet Doppler: notre mouvement dans l’espace engendrerait une variation de l’énergie mesurée des photons du fond cosmologique. Leur longueur d’onde serait décalée:
• vers le bleu dans la direction du mouvement
• vers le rouge dans la direction opposée
A quels mouvements cosmiques sommes-nous soumis, qui pourraient produire un tel effet ?
3) La rotation du système solaire autour du centre de la galaxie
220 km/s
Période orbitale: 250 millions d’années 220 km/s en direction de la constellation du Cygne
1976: U-2 Anisotropy Experiment
Un radiomètre embarqué sur des vols à haute altitude d’un avion U-2 établit définitivement l’existence d’une anisotropie dipolaire.
Georges Smoot (Prix Nobel 2006) inspecte le radiomètre
Un mouvement total de 390±60 km/s en direction de la constellation du Lion est observé, donc dans la direction opposée au mouvement de rotation du système solaire autour du centre de la galaxie
1989-1993: l’anisotropie dipolaire du fond diffus cosmologique mesurée par le satellite COBE Cosmic Background Explorer de la NASA
Ce dipôle d’une amplitude de quelques mK (un millième de la température de fond) s’interprète en termes d’une vitesse de 630±20 km/s (2.2 millions de km/h) du Groupe Local dans la direction des constellations de l’Hydre et du Centaure.
Cette carte montre les petites fluctuations de température (1/100ème du dipôle) qui correspondent à des régions de différentes densités, les germes à partir desquels vont se développer toutes les structures, en particulier les superamas de galaxies.
Elle est un ingrédient essentiel du Modèle Standard de la Cosmologie.
La soustraction du dipôle révèle la carte des fluctuations primordiales
ESA Planck (2013)
Quelle est la source du mouvement de 630 km/s ?
C’est l’étude des vitesses des galaxies et des courants cosmiques qui est privilégiée dès les années 80
Les galaxies sont soumises à deux phénomènes opposés:
1) l’expansion de l’Univers, décrite par la Loi de Hubble: les galaxies s’éloignent les unes des autres à une vitesse proportionnelle à leurs distances V=H0d où H0=75 km/s/Mpc
2) la gravitation, force d’attraction fondamentale
Ainsi les déviations par rapport à la Loi de Hubble nous informent sur les forces gravitationnelles en action, et donc sur les structures existantes, éventuellement cachées ou invisibles
Le Grand Attracteur
1988 - mise en évidence du « Grand Attracteur » par les 7 Samouraïs (Lynden-Bell, Faber, Burstein, Davies, Dressler, Terlevich, Wegner) en utilisant les vitesses de 400 galaxies.
Sandra Faber Prix Gruber de Cosmologie 2017
• les courants cosmiques convergent sur une zone située à 60 Mpc (200 millions d’années-lumière) dans la direction de la constellation du Centaure
• une masse de 5.4 1016 Mʘ permettrait d’expliquer le mouvement du Groupe Local
• cela représente 20 fois la masse de l’amas de galaxies de la Vierge
• sa direction et celle de la direction de notre mouvement ont 35o d’écart
• la proximité de la Zone of Avoidance suggère qu’une structure pourrait être cachée par l’obscuration galactique
Mauna Kea
Une difficulté majeure: l’obscuration par les nuages de
poussière de notre propre galaxie
Zone of Avoidance (ZoA)
une région de l’Univers inobservable
Distribution des positions des galaxies du 2MASS Extended Source Catalog Redshift Survey.
166,000 galaxies dans un cube de dimension 420 Mpc (1.4 milliard d’années-lumière)
Le Grand Attracteur et au-delà
1989, R. Scaramella et al., et S. Raychaudhury examinent le rôle de la concentration d’amas de galaxies de Shapley
• 28 amas de galaxies
• située plus loin à 14000 km/s (180 Mpc)
• contribue à 10% de notre vitesse de 630 km/s
• écart angulaire de 25o
1990+, de nombreuses questions se posent:
• faut-il associer le Grand Attracteur à une concentration particulière de matière noire ?
• faut-il associer le Grand Attracteur à une structure cachée dans la ZoA
• les galaxies situées au-delà de 4500 km/s se déplacent-elles vraiment vers le Grand Attracteur (« back infall ») ou vers Shapley ?
• rôle de l’amas de galaxies de Norma du côté sud de la ZoA
• des études aux résultats contradictoires se multiplient
Une conclusion: on a besoin de plus de données
Le projet Cosmicflows (2006+ H. Courtois, B. Tully)
Observations radioastronomiques et photométriques permettent de déterminer distance et vitesse radiale des galaxies
Le télescope spatial Hubble
Le télescope de 2.2m de l’Université d’Hawaï UH88 à Mauna Kea Le radiotélescope de Green Bank (110m de diamètre)
Le radiotélescope de Parkes en Australie (64m)
Cartographie du Grand Attracteur
• input: catalogue des vitesses particulières des galaxies (et de leurs erreurs)
• hypothèse: spécifier le Modèle Standard de la Cosmologie comme a priori bayésien
• output: le champ de vitesse en 3D
• produits dérivés: champ de densité, potentiel gravitationnel, tenseur de cisaillement
Vitesses particulières des galaxies du catalogue Cosmicflows-1
L’algorithme du Filtre de Wiener
Reconstruction en 3D des courants cosmiques convergeant sur le Grand Attracteur
Le Grand Attracteur: 455 km/s Catalogue Cosmicflows-1
2014: cartographie des courants cosmiques en utilisant le catalogue Cosmicflows-2
• identification d’un «bassin d’attraction», volume à l’intérieur duquel les courants convergent sur un attracteur unique: le Grand Attracteur
• ce bassin d’attraction est séparé des autres bassins d’attractions voisins
• ce volume auquel appartient la Voie Lactée correspond à un superamas de galaxies: Laniakea
Laniakea Supercluster
In Hawaiian: lani – sky,heaven akea – broad, wide, spacious, immeasurable
Projection dans le ciel des galaxies appartenant au superamas
2014-2017: cartographie du Cosmic Web
• une analyse des propriétés locales des courants cosmiques
• des compressions du flot de matière signalent l’existence de surdensités: nœuds et filaments du réseau
• article à paraître dans Astrophysical Journal
Laniakea et le Cosmic Web
Une vision de la structure de l’Univers émerge où des cellules adjacentes (les bassins d’attractions correspondant aux superamas de galaxies) sont disposées sur les nœuds du réseau du Cosmic Web.
2014-2017: cartographie du champ de vitesse total
• le flot de matière est dominé par un attracteur situé dans la région de Shapley
• une région de divergence est également mise en évidence dans cette cartographie
inversion de la gravitation: visualisation de -1v
Les lignes de courant de l’anti-flow convergent sur un point unique, un « répulseur »
flow anti-flow
Ce « répulseur » est situé dans la direction opposée au mouvement de notre galaxie
anti-flow
• les lignes de courant du flow en bleu dont les origines se situent dans la région du répulseur convergent sur l’attracteur de Shapley
• les lignes de courant de l’anti-flow en rouge avec leurs origines dans la région de l’attracteur convergent sur le répulseur
visualisation de la structure du flow et de l’anti-flow
Qu’est-ce qu’un « répulseur » ?
Dans la théorie de la formation des structures, l’Univers est caractérisé par une densité moyenne ρ
Les écarts positifs par rapport à la valeur moyenne, des surdensités, correspondent à des structures telles que des amas, des filaments ou des superamas, qui attirent la matière.
Les écarts négatifs par rapport à la valeur moyenne, des sous-densités, correspondent à des vides, qui repoussent la matière.
Dans les courants cosmiques, les attracteurs sont vus par des convergences, les répulseurs sont vus par des divergences.
Attention: nous sommes dans le cadre classique du Modèle Standard de la Cosmologie avec la gravitation comme seule force fondamentale considérée (l’expansion de l’Univers étant soustraite). Il n’y a aucune hypothèse sur des notions telles que l’énergie noire (répulsive), l’anti-gravité ou la cinquième force !
Pourquoi un vide repousse ?
Pourquoi un vide repousse ?
Il s’agit d’une force résultante.
Considérons un univers rempli de matière de manière uniforme
densité ρ
Un univers rempli de matière de manière uniforme.
Disposons des galaxies tests
Le système est en équilibre, les galaxies sont immobiles, la force résultante ressentie par chacune d’entre elles est nulle.
Créons une cavité dans cet univers: un vide.
Créons une cavité dans cet univers: un vide.
Alors les galaxies ressentent une force d’attraction moindre dans la direction du centre du vide.
Elles se mettent en mouvement dans la direction opposée au centre.
Le vide repousse.
Créons maintenant une surdensité: un superamas de galaxie.
Alors les galaxies ressentent une force d’attraction supérieure dans la direction du centre de la surdensité.
On a un attracteur et un répulseur
attracteur
répulseur
La structure des courants cosmiques révèle une telle organisation avec un répulseur et un attracteur dominants
La structure des courants cosmiques est également influencée par la structure filamentaire complexe du Cosmic Web
La visualisation du champ de potentiel gravitationnel permet également de matérialiser le répulseur et l’attracteur
L’étude des propriétés du champ de vitesse confirme les résultats de la cartographie:
• une composante dipolaire alignée sur le répulseur
• une composante quadripolaire associée à une expansion alignée sur l’attracteur
L’analyse de sous-échantillons des données en type de mesures et en distances confirme la robustesse de ces résultats
Quelles sont les caractéristiques de ce vide ?
Deux difficultés: 1. il est situé en bordure de la Zone of Avoidance
2. il est situé à la jointure du ciel observé par les télescopes de l’hémisphère Nord et de celui observé par les télescopes de l’hémisphère Sud
Catalogue XSCZ
Quelles sont les caractéristiques de ce vide ?
Pour mieux l’étudier il faudrait pouvoir disposer de mesures à plus grandes distances pour le circonscrire.
Cosmicflows-2
Quelles sont les contributions du répulseur et de l’attracteur à notre vitesse de 630 km/s ?
Une estimation est obtenue en considérant des sphères de 8000 km/s de rayon centrées sur le répulseur et l’attracteur, et en calculant la vitesse induite au niveau de notre galaxie par la densité de matière présente dans ces sphères.
Contribution du répulseur: 59 ± 26 km/s 12o de séparation angulaire, distance 15000 km/s (200 Mpc) Contribution de l’attracteur: 67 ± 27 km/s 30o de séparation angulaire, distance 17000 km/s (225 Mpc)
Le futur
•
Exploitation du catalogue Cosmicflows-3 (18000 galaxies)
–
Distances Tully-Fisher basée sur la photométrie obtenue avec le satellite Spitzer pour des galaxies proches avec un meilleur échantillonnage aux latitudes galactiques basses.
–
L’échantillon 6dF du Plan Fondamental, au sud galactique, pour compléter la couverture relativement faible de Cosmicflows-2 dans cette région.
NASA’s Spitzer Space Infrared Telescope (2003-2009) L’Observatoire Astronomique Australien et le UK Schmidt telescope équipé du 6dF « Six-degree Field instrument »
Le futur
•
Le catalogue Cosmicflows-4
–
Observations radio avec les télescopes précurseurs de SKA (Square
Kilometer Array): APERTIF dans l’hémisphère nord, WALLABY et MEERKAT dans l’hémisphère sud.
–
Photométrie: WISE, Pan-STARRS et SkyMapper.
Westerbork Synthesis Radio Telescope, Netherland, home of the APERTIF project WALLABY - the ASKAP HI All-Sky
Survey (Australia)
The South African MeerKAT radio telescope (artist rendition)
Le futur
NASA’s Wide-field Infrared Survey Explorer Pan-STARRS, the Panoramic Survey Telescope &
Rapid Response System at Haleakalā Observatory (Hawaii)
SkyMapper wide-field survey telescope at Siding Spring Observatory (Australia)
•
Le catalogue Cosmicflows-4
–
Observations radio-astronomiques avec les télescopes précurseurs de SKA (Square Kilometer Array): APERTIF dans l’hémisphère nord, WALLABY et MEERKAT dans l’hémisphère sud.
–
Photométrie: WISE, Pan-STARRS et SkyMapper.
Pour aller plus loin – des vidéos d’exploration:
http://irfu.cea.fr/laniakea
http://irfu.cea.fr/dipolerepeller
Les livres d’Hélène Courtois et J. Richard Gott:
Prix Ciel & Espace du livre d’astronomie 2017
Bonus slides
L’anisotropie du fond diffus cosmologique
Effet Doppler: notre mouvement dans l’espace engendrerait une variation de l’énergie mesurée des photons du fond cosmologique. Leur longueur d’onde serait décalée vers le bleu dans la direction du mouvement et vers le rouge dans la direction opposée.
Une course s’engage à la fin des années soixante pour mettre en évidence un tel phénomène.
1969: E.K. Conklin présente des mesures réalisées à White Mountain Research Station en Californie
Des variations de quelques mK (1 millième de la température de fond) qui révèlent un mouvement à une vitesse de plusieurs centaines de km/s !
Le Groupe Local : la Voie Lactée et Andromède
Les deux galaxies se dirigent l’une vers l’autre à une vitesse relative de 130 km/s
L’amas de galaxies de la Vierge
Image: Rogelio Bernal Andreo
Environ 2000 galaxies liées entre elles par la gravitation. Distance: de 15 à 22 Mpc.
Galaxie dominante: M87, une galaxie elliptique supergéante
L’amas de galaxies dans la constellation de la Vierge
Système de coordonnées Supergalactique (Gérard de Vaucouleurs 1991). Positions exprimées dans l’espace des redshifts. Diviser par Ho=75km s-1 Mpc-1 pour obtenir les distances en Mégaparsecs.
Attraction par Virgo: 185 km/s
L’amas du Centaure: une région où 5 filaments convergent
Une manifestation de la structure du « Cosmic Web »
Les catalogues Cosmicflows-1 et Cosmicflows-2
CF1 (2008): 1800 galaxies jusqu’à 3000 km/s CF2 (2013): 8000 galaxies jusqu’à 30000 km/s
En bleu et rouge, mesures des vitesses particulières des galaxies.
En noir, position des galaxies du catalogue 2MASS.
Les catalogues Cosmicflows-1 et Cosmicflows-2
CF1: jusqu’à l’amas du Centaure CF2: jusqu’à la Concentration de Shapley, le Grand Mur, Perseus-Pisces, Pavo-Indus, et au-delà…
En bleu et rouge, mesures des vitesses particulières des galaxies.
En noir, position des galaxies du catalogue 2MASS.
R econstruction de s courants cosmiques - le « Local Void »
Expulsion du Local Void: 259 km/s
Laniakea Supercluster
In Hawaiian: lani – sky,heaven akea – broad, wide, spacious, immeasurable
Proje ction dans le cie l de s galaxies
appartenant au s upe ramas
Projection dans le ciel de toutes les galaxie s jusqu’à 16000 km/s
Difficile d’identifier a priori notre superamas de galaxies dans cet empilement d’informations ! C’est l’association de la mesure des vitesses particulières, du Filtre de Wiener, et de la
visualisation en 3D qui nous permet de faire progresser la Cosmographie
The V-Web classification
Hoffman et al. MNRAS 425 (2012) 2049
•
The Cosmicflows-2 catalog of 8161 peculiar velocities is used as input to a Wiener filter and constrained realizations to reconstruct the velocity field
•
Information on local collapse and expansion is provided by the shear tensor:
•
The analysis of the eigenvalues of the shear tensor allows to reconstruct the Velocity Web:
• 3 ordered eigenvalues λ1 > λ2 > λ3 at each position in space, 4 possible conditions:
• λ1 > λ2 > λ3 > 0 is condition for a knot (flow is inward in 3 directions)
• λ1 > λ2 > 0 > λ3 is condition for a filament (flow is inward in 2 directions, outward on the third)
• λ1 > 0 > λ2 > λ3 is condition for a sheet (flow is inward in 1 direction, outward on the 2 others)
• 0 > λ1 > λ2 > λ3 is condition for a void (flow is outward in all 3 directions)
•
A few examples at selected locations:
• the Milky Way:
• λ1=0.277, λ2=0.086, λ3=-0.173 => the Milky Way resides in a filament
• the Perseus Cluster
• λ1=0.357, λ2=0.215, λ3=0.065 => the Perseus cluster is located in a knot
• somewhere in the middle of the Hercules Void
• λ1=-0.013, λ2=-0.128, λ3=-0.300 => this location is in a void
V-Web classification
•
V-Web classification scheme:
• 3 ordered eigenvalues λ1 > λ2 > λ3 at each position in space, 4 possible conditions:
• λ1 > λ2 > λ3 > 0 is condition for a knot (flow is inward in 3 directions)
• λ1 > λ2 > 0 > λ3 is condition for a filament (flow is inward in 2 directions, outward on the third)
• λ1 > 0 > λ2 > λ3 is condition for a sheet (flow is inward in 1 direction, outward on the 2 others)
• 0 > λ1 > λ2 > λ3 is condition for a void (flow is outward in all 3 directions)
•
Use of multiple non-null thresholds to reconstruct surfaces of constant values:
Void cells Sheet cells Filament cells Knot cells
λ2 λ3
λ1
Analysis of the V-Web using the SDvision visualization software
Visualization of the knots using 5 surface levels of λ3
1) Set the desired level of λ2
2) Get the corresponding filament surface
λ2= 0.046
A right balance between high level (surface is vanishing) and low level (surface fills the whole space) for λ2