UN PETIT MOT
J
SUR UNE VÉRITÉ IMPORTANTE
^ /
ET A l’ordre du JOUR,
PAR J. PETION.
7
C
D ANS le moment où nous
allons donner
un nouveau Gouvernement^à
laFrance
yfondé
sur les bases éternellesde
lamorale
et
de
la philosophie, les lumièressemblent
s’éloigner au lieu d’avancer.On ne
faitpas assez d’attention à ces pas rétrogrades et à l’empire
oue prend
insensibltment l’ignorance ;mais
l’Observateur, qui suitavec
soin tous lesmouvemens,
toutes les fluctuationsde
la raison publique ,en
est frappé.Je ne
parle pasdu
someî! léthargique qui s^est empa'h^ des Arts.Ces
enfansdu
loisir et
du
luxene peuvent
croître et sedévelopper,
qu’au seinde
la paix etde
l’abondance.Les
orages des révolutions leur sont contraires; mais, lorsquelecalme
renaîtra, il faut espérer qu’à leur réveil ,
ils prospérerontet
prendront un
plusgrand
caractère.Je
parlede
ces ténèbres qui se répan*'dent^
qui s’épaississent, quichaque
jourv,
'A.
Pr£N£V££KRY ' .' '
UBRAKY
(O
.
semblent
obscurcirde
plusen
plus rjiorîsonde nos
connaissancesmorales
et politiques, etenvelopper, dans
leurétendue
, et les sciences
de goût
et les sciences utiles.Ce triomphe de Tignorance
tient à plu- sieurs causes:mais
ilen
estune
principale qui méritéd'occuper
toute l’attention.Depuis
quatreannées
tous lesélémens,
quicomposent
la société, sont dansun
état d'agitation perpétuelle.Les évènemens
se sontaccumulés;
letemps
s’est passéavec
rapidité.
On
a senti la nécessitéde
préparerpromptement
les esprits à la liberté,en répandant
les lumières : les Papiers , lesJournaux,
les t-critsde
touteespèce ontcir- culé jusque'dans
lefond
descampagnes
;chacun
a étécomme
forcéde prendre
partà la
chose
publique ;chacun
aéprouvé
l’influence des loix, les a considérées, soit sous le rapportde son
intérêt pa»ticuiier ,soit sens le rapport
de
l’intérêt général.L’homme,
qui recevaitaveuglément
les yoipnîésdu pouvoir
despotique , a été appelé à penser et à raisonner*Des
so- ciétés d’mstruction se sont ouvertessurtous les pointsde
laFrance;
desApôtres de
la liberté ont prêchéen
tout lieu; lesassem-
bices politiques ont réunifréquemment
leshommes
, tantôtpour
les élections, tan- tôtpour
des objets administratifs etmuni-
cioaux;une
partie des Françaisétaitécartéede
ces assemblées etprivée,du
droitde
ci- toyen5 aujourd'hui tousen
jouissent égale-ment.
(.
^
Mais
, il fautTavouer
, la liberté ,
S'il est'
permis de
parier ainsi a étémûrie
en serre -chaude. Il est impossibledavoir
dissipé entièrementen un
sicourt espace les erreurs
de
tantde
siècles ;il est impossible d'avoir
amené
tout-à-coup
deshommes
qui languissaientdans
la fange des préjugés et
dans
l’avilissement, àun
étatde
lumière et à la hauteurde nos
destinées actuelles..Avant
notreimmortelle
révolution,
quelques
hommes
instruits, quelques philo s-aphes méditaient sur la science desgou- vernements
, sur les principesde
laliberté, sur lesgrands
objetsd’économie
politique;maisja masse de
la nation étoit inerte, livrée à des travaux pénibles quine
lui laissaient pas lemoment de
s’instruire, ec restait
courbée
sous lejoug de
la’super- stition etde
l’erreur.Cette masse
est aujourd’huien
activité etouvre
lesyeux
a la lumière; elle veut lebienet
cherche
à s’éclairer.Mais
qu’arrive- 't-il ?' Elle
prend
ses premières idées pour- des connaissances, ses
premiers
apperçuspour
des résultatsde
l’expérience ; sa pré--somption
est d’autant plusgrande
qu’elle sait moins. Plus lés sujets sur lesquels- elles’essaye sont importants, plus sesfautes sont graves et ses écarts funestes.
‘
L’homme
, qui a lemoins
cultivé sa rai-son
, semet
àharanguer,
parleavec
assu-rance
SLU* le^ matières les plus difficiles,A
2(
4
)les enti-cvolt à peine ^ les envisage sous
de
faux rapports.Ceux
quiTentendent,
n’étant ordinairement pas plus instruitsque
lui,
Tapplaudissent, recueillent l’erreur
avec
avidVté , la
propagent
; etconmie
milleendroits s’ouvrent
chaque
jour à des par- lagesde
celte espèce, insensiblement l’opi- nion publique secorrompt
etprend une
fausse direction. Cetteopinion
égarée vient ensuite prèsscrde son
poids toutesles autorités et les entraînedans son
cours.Qu’on examine
depuis quelquestems
les pensées
dominantes
-sur les pointsdelà
plushauteimportance?
Elles sont le fruit des préjugés; elles retracent l’enfance des principes : et l’on voit qu’elles soîit pio- duites parune
multituded’hommes
, quicommence
à exercerson
intelligence,o
ilest des cas
où
le peuple aun
instinct quile conduise
mieux que
la raison, cenest
‘ pas lorsqu’il s’agit d’objets qui
demandent une
suite d’idées /de combinaisons
et les leçonsdu
passé. Est-il questionde com- merce?
il croit plus obtenir par les entraj veset par les taxesque
parla liberté. Estdl questionde
propriétés , d’égalité sociale?.il n’en a
que
des notionsvagues
et erron- nées? Est-il questionde
l’ensemblede
lois d’où doit résulter lebonheur ou
lemalheur
deshommes
réunisen
société ? sescon-
ceptions ne. lui permettent pas
de
saisird^'atissi
grands
rapports ; et il seperd
/
dans
des idéesde
détail qu^ilne
peut at- tacher àaucun
principe.Qu^on examine
les discussi(MS, qui ont lieu , elles n^ontaucune
dignité ; ellesne
sont jamaisà la hauteurdu
sujet : c’estdu bavardage
, ce sont des criailleries, quel- ques idées
communes
, présentées
en mau-
vais
termes
; lebon goût
etla raisonen
.sontégalement
offensés.Qu^on examine ceux
qui aspirentavec
le plus -d’empressement aux places ? ce sont des
hommes
qui CMitquelque
jargon populaire ;mais
sans capacité ,'que lebe-
soincommande
,ou
quimettent
leuram-
bition à être quelque
chose
, et à qui rien ensuitene
paroît au-dessusde
leurs forces.L’envie et la précipitation
de
paraître .font aussi avorterbeaucoup de
talents.Un homme,
quin’apointde
fonds âmasséspour' alimenterson
esprit,ou
quine
s’est pa$donné
letems
d’élaborer ses idées par la réflexion, fùt-il biendoué de
la nature, -ne peutdonner que
des productions fai- bles etpresquetoujoursde mauvaise
qualité.Ceux
quine
sont pasbeaucoup
plus avancésen
connaissancesque
la multitude, qui n’ontque
lepremier apperçu
descho-
ses,
prennent beaucoup
d’ascendant sur elle ^pour peu
qu’ils ayent lamoindre ha-
bileté et qu’ils sachent la flatter. Ils sont naturellement à sa portée, ont des idées plus analogues aux siennes
, etdes
formes
('6 )
précisémeiîlfjtcelles qui lui
conviennent
lemieux.
‘\
On
paraît quelquefois surprisqu^un
homme
igifere , et qui n’aaucun
acquis,
Jouisse d’une certaine réputation ; mais il
en don
etre 'nécessairement ainsidans de semblables
circonstances : tel bavard esten
crédit quine
pourrait pas diredeux mots
, s’il n’avaii à parierque
deschosesi Laissezde
côté personnalités ^ injures ,calomnies
, dénonciations ,quelques
phrases banales ; et considérezde
sang- froidceque
certainspersonnages
citésdansr certains journaux ont dit et fait.Ont
-iisdécouvert
ou
perfectionnéune
seule idée?Non. Ont
-ils fait faireun
pas aux prin- cipes ?Non.
Ont-ils faitun ouvrage
,un
discours utile?
Non.
Ces
petitsCoriphées
d’un ]nur ont néan-moins une présomption
plus forteencore que
leur igorance; iis tranchentavec
des-potisme
5 Jugenten
dernier res ortks
questions les plus importantes. Celui qui n’est pas
de
leur avis est toutau moins un
sot, s’il n’est pasun
fripon. Ils font etdé-
font à leur gré les réputations ; et toutes ces impertinences ont desprôneiirs. ,Ce
qu’ily
ade
plus crueletde pks
dan-gereux
, c’est qu’ils réduisent au silence,
x’est qu’lis éloignent
l’homme de
sens,
tout à- la-fois
modeste
et fier, qui^ne pou-
vant pas tenir contre lemauvais genre
^ lemauvais
ton, lesmauvais raisonnement
,lesU
(
7
) insolencesde
ces messieurs, se retire
en gémissant,
attendant- toutdu tems
, et espérantque Fe^cès du ^lal amènera
le bien.On ne remarque
pas assezque
les luttes actuelles sont entre les lumières et les ténèbres , entre'rignorance et le savoir.La
jalousie est la passion principale quidévore
leshommes médiocres
, et la causela plus active
de
toutes les divisions,de
tous les désordres.
Ces hommes,
qui crai-gnent de
laisser entrevoir cette passionhonteuse
, la cachent sous desdehors
sé- duisants; ils supposent des cabales, des partisàceux dont
le mérite les offusque'et blesse leuramour-propre
;’
ment
intriguantsO
^,ennemis
afin d’avoir
un
prétextehonorable de
les haïr etde
lescalomnier
;en4es
attaquant,ils paraissent
combattre pour
lachose
pu- blique, tandis qu’ilsne combattent
réelle-ment que pour
leur vanité.La
nulliténe
sait jamais
pardonner
au calent.^
Rien,
jeTavoue
, n’est plus alarmant, rienne menace”
plusprochainement
,plus
imminemment
le salutde
lapa-
trie ,
que
cet ascendantde
lamédio-
crité.
La masse de
ceshommes
ignorantsou,
ce qui est pis, \ demi-savoir^ étanténorme,
se répandant par-tout ,dominant
l’opinion ,
déprave
l’esprit public au lieu d’en accélérer les progrès ; elle sape par celamême,
jusquesdans
sesfondements,
lehommes vraiment
libres etdignesde
l’être, qui ont perfectionné leur raison , qui ont réfléchi sur les institutionshumaines
, qui
ont
acquisdes
connaissances utiles, se réunissent etmontrent un
zèle infatiguablepour
éclairer leurs concitoyens. Il est né- cessaire et pressant qu’ilscomposent
des livres élémentaires et classiques sur les différentes partiesdu régime
social, qu’ils
mettent
,à
4
portéede
tous, les véritésque
tousont
intérêtde
connaître.La
tres-grande majorité deshommes
qu'on
abuse estde bonne
foi, etne
pérche que
parignorance
: instruiSez-la, et le
règne
des hypocrites, descharlatanset des fripons sera bientôt passé.- P E