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LES LINÉAMENTS D'UNE ESTHÉTIQUE EN CREUX

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Academic year: 2022

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Isabelle Michelot

Presses Universitaires de France | « L'Année balzacienne » 2006/1 n° 7 | pages 257 à 273

ISSN 0084-6473 ISBN 2130559662

DOI 10.3917/balz.007.0257

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2006-1-page-257.htm ---

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L E S L I N É A M E N T S D ’ U N E E S T H É T I Q U E

E N C R E U X B a l z a c

e t l e c o m p t e r e n d u d e t h é â t r e

Dans Illusions perdues, le narrateur commentant le compte rendu deL’Alcade dans l’embarrasque vient d’écrire Lucien, y voit « la révélation d’une manière neuve et originale » qui doit faire « révolution dans le journalisme »1. Évidemment, la pièce dont la fiction romanesque nous propose le compte rendu n’a jamais existé ; on n’en est pas moins certain que Balzac se souvient de sa propre activité de journaliste, celle des toutes premières années, durant lesquelles il commit, comme beau- coup d’autres, quelques comptes rendus de théâtre. D’ailleurs on sait ce qu’Un grand homme de province à Paris doit à l’auto- biographie, outre qu’il constitue une sorte de règlement de compte à l’égard de « la grande plaie de ce siècle », ce « jour- nalisme » dont il prétend dévoiler « les mœurs intimes »2.

Quelle fut la contribution de Balzac jeune homme au jour- nalisme de théâtre ? En vérité, elle reste modeste, et cela mal- gré le goût qu’il professa dès longtemps pour cet art. En effet, et même si on ne peut totalement exclure que certains comptes rendus aient échappé à l’entreprise d’attribution balzacienne, on ne considérera ici que ceux que les éditeurs des Œuvres complètes ont en définitive retenus, à savoir, pour la période

1. Illusions perdues,Pl., t. V, p. 399.

2. Préface de 1837,ibid., p. 111.

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antérieure à 1830, cinq comptes rendus, et pour la période ultérieure, les deux articles surHernanide Victor Hugo. À cet égard, une première remarque s’impose : l’essentiel de la pro- duction de comptes rendus se situe avant ce que Roland Chol- let appelle « le tournant de 1830 »3, et précisément en 1824.

Quant aux articles sur Hernani, écrits par un Balzac déjà reconnu après le succès rencontré par la parution de la Phy- siologie du mariage, ils échappent au format et aux enjeux habi- tuels des comptes rendus de théâtre. Or, si les articles sur Hernaniont pu attirer l’attention de la critique, encore que les analyses soient restées assez liminaires, les comptes rendus du début n’ont jamais vraiment été étudiés. Sans doute ont-ils souffert du désintérêt de la critique balzacienne pour cette période obscure où le jeune Balzac, qui ne s’appelait encore que Saint-Aubin, hésitait encore entre l’écriture dramatique et le roman.

On ne s’étonnera donc pas de l’intérêt que nous avons pu leur porter, d’autant qu’il n’est pas certain que notre ana- lyse des comptes rendus de cette période vérifie cette affir- mation de Roland Chollet à propos des articles de Balzac sur Hernani: « Le Théâtre, en effet, Balzac le mesure [...] à l’aune du romancier. »4Il s’agit donc, autant que faire se peut, d’étudier ces comptes rendus des débuts comme les articles sur Hernani, en se débarrassant de ce prisme déformant qui consiste à chercher partout le romancier en formation et, prenant au mot Balzac lui-même, de se demander si ses comp- tes rendus de théâtre témoignent de cette « manière neuve et originale » qu’il reconnaît au compte rendu fictif de Lucien.

À cet égard, il n’est peut-être pas sans intérêt de noter que le seul exemple complet de réécriture d’un article de journal dans le roman soit justement un compte rendu de théâtre : nous n’avons en effet que le début de l’article « dit de mœurs »5 de Lousteau.

Dans le paysage des comptes rendus de théâtre, ceux du jeune Balzac ont-ils quelque chose de véritablement singulier ?

3. Roland Chollet,Balzac journaliste. Le tournant de 1830, Klincksieck, 1983.

4. Ibid., p. 147.

5. Illusions perdues,Pl., t V, p. 399.

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Assurément, encore que cette originalité soit relative, et qu’elle tienne davantage peut-être au fond qu’à la forme, de sorte qu’une lecture trop rapide peut n’en pas rendre compte. En effet, chez Balzac le compte rendu de théâtre tourne toujours à la critique de genre relevant d’une réflexion sur le « drame de l’école moderne »6 et le théâtre de son temps en général.

En d’autres termes, la critique théâtrale balzacienne relève presque toujours du discours déceptif et elle met au jour bien moins ses rejets que ses attentes déçues, attentes qui portent autant sur l’écriture du drame que sur les composantes de la représentation. Dès lors, il devient possible de dégager les éléments d’une esthétique en creux, le spectre d’un théâtre à faire, qui n’a pas droit de cité sur les scènes de son temps et dont il transposera dans le roman certains principes, mais qui informera aussi son écriture dramatique.

Balzac, journaliste de théâtre, éclectisme et unité

En ce début de XIXe siècle, le compte rendu de théâtre est un genre finalement assez codifié. Si le ton varie, le compte rendu de spectacle adopte un plan récurrent : après une intro- duction générale qui porte soit sur le théâtre où a eu lieu la représentation, soit sur le genre de la pièce commentée, soit sur son auteur, le journaliste propose un résumé de l’intrigue, le plus souvent acte par acte, puis donne son point de vue sur la pièce en quelques lignes en insistant tantôt sur sa construc- tion, tantôt sur son écriture, tantôt sur sa réception (surtout quand celle-ci a été mauvaise) ; enfin, quelques lignes sont consacrées au jeu des acteurs. Le format adopté par ces articles relève de la forme journalistique brève, en moyenne cinq ou six paragraphes (deux à trois colonnes). En effet, le compte rendu est souvent écrit immédiatement après la représentation pour une publication le lendemain ; il s’agit d’un journalisme d’humeur, en prise directe avec l’actualité : il convient de faire tomber ou au contraire de promouvoir une pièce le plus vite possible après la première. À vrai dire, la structure de ces articles

6. Ferragus,Pl., t. V, p. 796.

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et leur mode de production ne sont guère différents aujour- d’hui, même s’ils sont éminemment moins nombreux. En réa- lité, ce qui distingue les articles des journalistes duXIXe siècle de ceux de nos contemporains est le ton. Dans les « Petites feuilles » dans lesquelles prennent place la plupart de ces comptes rendus, l’esprit règne en maître, la plume incisive adopte souvent un ton goguenard ; qu’on loue ou qu’on éreinte, on doit amuser son public. Certes, dans les feuilletons des journaux politiques, la critique des arts est plus posée ; on y cultive cependant le trait d’esprit éloigné de la gravité des articles de fond.

C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer les comptes rendus de 1824 du jeune Balzac. Ils ont tous été publiés dans leFeuilleton littéraire. Cette petite feuille, née du Diable boiteux en décembre 1823, finit par racheter huit mois plus tard le journal qui l’avait engendrée, et disparut du même coup sous son titre. Elle présente la particularité, nous apprend la notice de l’édition deLa Pléiade, de trancher sur la « petite presse » littéraire par un format in-quarto oblong (19,5 sur 29,5 cm), qui la rattache aux feuilletons détachés des quoti- diens politiques7. Malgré les recherches entreprises, l’attribu- tion des articles y reste difficile : ils ne sont pas signés, et l’on ignore presque tout en outre des conditions de collaboration de Balzac à ce journal. Dans ces conditions, les éditeurs des Œuvres diversesn’ont retenu dans leur corpus que cinq comptes rendus : Lisbeth ou la femme du laboureur de Victor Ducange, drame en trois actes représenté au théâtre de l’Ambigu- Comique, compte rendu paru le 14 janvier 1824 à l’occasion d’une reprise ; Léonide, ou la vieille de Suresne, comédie-vau- deville en trois actes de A. Villain de Saint-Hilaire, Dupeuty et Villeneuve, représentée au théâtre du Vaudeville, compte- rendu paru le 31 janvier 1824 ; Le Cousin Ratine, vaudeville en un acte, de MM. Laqueyrie et Charles-Hubert, représenté au théâtre de la Gaîté, compte rendu paru le 3 mars 1824 ;Le Beau-frère ou la veuve à deux maris, comédie-vaudeville de MM. Saint-Hilaire et Paulin, représentée au théâtre du Gym-

7. Notice relative aux articles publiés dansLe Feuilleton littéraire,OD, t. II, p. 1297-1298.

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nase dramatique, compte rendu paru le 16 mai 1824 ;Cardillac ou le Quartier de l’Arsenal, mélodrame à spectacle en trois actes de MM. Antony et Léopold, représenté au théâtre de l’Ambigu- Comique8, compte rendu paru le 25 mai 1824 ; L’Adjoint et l’avoué, comédie en deux actes de M. Romieu, représentée au théâtre de l’Odéon, compte rendu du 14 juin 1824.

Peut-on déterminer une logique dans cette série de comp- tes rendus, à supposer qu’il ne s’agisse pas de commandes, ce qui n’est pas certain ? Pour ce qui est des théâtres, il semble que le jeune Balzac se soit chargé (ait été chargé ?) des petits théâtres : seul le dernier compte rendu concerne un théâtre national subventionné. Or, chaque numéro duFeuilleton litté- rairerend compte d’une ou plusieurs représentations de théâtres nationaux : Théâtre-Français et théâtre de l’Odéon. Il est donc possible que les collaborateurs du journal les plus aguerris se soient réservé les comptes rendus de ces Théâtres et aient laissé aux jeunes gens, dont Balzac, les théâtres des boulevards. Par ailleurs, si l’on admet que Balzac choisissait les pièces dont il allait rendre compte, ses choix témoignent d’une prédilection pour le genre de la comédie ou de la comédie-vaudeville : trois comptes rendus sur cinq concernent ces genres, et celui deL’Adjoint et l’avouéest le seul qui soit véritablement positif.

D’ailleurs, le compte rendu fictif d’Illusions perdues porte sur ce que Balzac qualifie d’« Imbroglio »9, c’est-à-dire une struc- ture dramatique de comédie caractérisée par la complexité de son intrigue10.

Qu’en est-il maintenant de l’éventuelle originalité de ces comptes rendus ? Nous avons borné le champ de notre réflexion à la comparaison des comptes rendus attribués à Bal-

8. Une petite remarque : il existe une divergence entre la notice figurant à la page 1326 desŒuvres diverses, qui donne comme auteurs du mélodrame MM. Béraud et Chandezon, alors que l’exemplaire de la pièce consulté à la Bibliothèque nationale, comme le compte rendu de Balzac, donnent MM. Antony et Léopold, musique de M. Adrien, ballet de M. Télémaque ; décorations de MM. Joannis et Defontaines, représenté pour la première fois au théâtre de l’Ambigu-Comique, le mercredi 25 mai 1824. Il est peu probable qu’il s’agisse de pièces distinctes, d’autant que dans le 7eparagraphe du compte rendu Balzac évoque « l’éternel ballet ».

9. Illusions perdues,Pl., t. V, p. 396.

10. Voir Michel Corvin, Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, article

« Imbroglio », Larousse, coll. « In extenso », 1998.

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zac dans leFeuilleton littéraireavec ceux qui ne le sont pas. En effet, partant de l’idée que le journal est une œuvre collective qui présente une unité de ton mais aussi de structuration des articles de même catégorie, la singularité d’un journaliste ne peut se déterminer que dans le cadre contraint ainsi déterminé.

Le ton du Feuilleton littéraire, Beaux-Arts, Spectacles-Mœurs- Librairie-Annonces est volontiers fantaisiste, et toute préoccu- pation de caractère politique paraît en être exclue Qu’on en juge par cet extrait des « Motifs » figurant à la première page du premier numéro, daté du 13 décembre 1823 :

« Salut, Athéniens modernes ! Nous ne venons point commenter vos lois politiques ; nous fuyons la contrainte et l’ennui. Vos plaisirs, cette affaire de tous les jours, de tous les instans, voilà le digne objet de notre sollicitude. Laissons à vos docteurs, blancs ou noirs, le soin de régenter l’État, ou le courage de s’opposer... Et nous aussi cepen- dant nous prétendons exercer une importante magistrature, et rechercher, frapper de grands coupables et nous aussi nous nous opposerons mais notre allure aura plus de franchise, nos coups seront plus directs, plus sûrs, et notre étendard ne portera l’effroi que parmi la foule indisciplinée qui assiège le temple des lettres. »11

Dès lors, rien d’étonnant à ce que le ton des comptes rendus de Balzac soit volontiers goguenard : il ne fait en cela que s’adapter à la ligne tonale définie pour le journal. Il reste que ses introductions de compte rendu, quand elles existent – car ce n’est pas toujours le cas – prennent parfois l’allure d’exer- cices de style, comme par exemple au début des pages consa- crées àLéonide ou la vieille de Suresnes:

« Consolez-vous Lisbeth de tous les pays ; consolez-vous, et sur- tout prenez courage. Que si, par extraordinaire, vous ne trouvez pas toujours des pères indulgents, du moins soyez sans crainte sur le fruit innocent de vos malheureuses amours. Vous mourrez peut-être (de plus fortunées que vous passent par ce cruel moment), vous mourrez peut-être ; mais vous serez pleurées [...]. »12

En réalité, cette « introduction » détone quelque peu. Tout d’abord, le compte rendu est supposé concerner une comédie-

11. Nous conservons l’orthographe originale.

12. Léonide ou la vieille de Suresnes, comédie-vaudeville en trois actes (OD, t. II, p. 128).

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vaudeville. Or, avant même d’en avoir résumé l’intrigue, Balzac alerte le lecteur, spectateur en puissance, sur le reproche essentiel qu’il fera plus loin à la pièce : il l’annonce comme un mélodrame, ce qu’elle n’est pas supposée être.

À la fin du compte rendu, il la qualifiera de « drame dégé- néré »13. Par ailleurs, il adopte la posture du spectateur, plus que celle du critique qui tend à se poser en tiers surplombant par rapport au public. Ainsi, multiplie-t-il les formules de connivence du type : « vous comprenez », « on conçoit que la voir c’était l’aimer ». En outre, il manifeste parfois une certaine tendance à se confondre avec les acteurs par des phrases au discours indirect libre : « Si c’était sa fille par hasard ! », « enfin, on part pour se rendre à la municipalité...

On reviendra bientôt. »

Au delà de la facétie, le compte rendu balzacien cherche à rendre compte de la réalité de la perception du spectateur au fur et à mesure que se déroule le spectacle, proposant ainsi une sorte de scénographie scripturaire de la réception. Cela explique sans doute la tendance à passer outre à l’« introduc- tion » habituelle pour plonger le lecteur in media res, dans l’action de la pièce. Le compte rendu sur Le Cousin Ratine commence par la description du personnage principal du vaudeville tel qu’il apparaît à la première scène : « Le cousin Ratine est artiste costumier à la suite d’une troupe de comé- diens qui exploitent la province. Son habit sec démontre que les tailleurs ne sont pas les mieux étoffés, et sa figure allon- gée accuse les rois de théâtre de mal nourrir leurs sujets. »14 Se dévoile ici une autre tendance du compte rendu balza- cien, celle qui consiste à transformer le personnage principal de la pièce en type et à en proposer une sorte de microphy- siologie qui tiendra lieu de fil rouge pour la suite du compte rendu :

« Le vieux Tyrolien Bohermann, ennemi furieux des Français, terrible, inexorable, altéré de vengeance, est une véritablefigure de mélodrame. Sa présence, toujours annoncée par un bruissement géné-

13. Ibid., p. 131.

14. Le Cousin Ratine, vaudeville, par MM. Laqueyrie et Charles-Hubert, ibid.,p. 132.

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ral de l’orchestre et par un fracas redoublé de timbales, inspire la terreur. Sombre, le regard fixe, il efface tout autour de lui. »15

Ou encore

« M. Grimard est avoué dans une grande cité ? Est-ce à Paris ? Oh ! nous n’osons le croire ; Paris n’a plus de Grimard. [...] Du reste maître Grimard a tout le caractère d’un vieux procureur : il respecte le corps des huissiers, parce que les huissiers font vivre les avoués ; il aurait fait saisir Raphaël, et vendre la palette de Rubens ; à ses yeux Voltaire n’est qu’un pauvre homme, et il regarde comme une peste dans son étude les jeunes gens qui ont de l’esprit. »16

On s’accordera évidemment à voir là une préfiguration de certaines physiologies, des traits qu’on retrouve dans les romans ultérieurs, et il n’est pas sans intérêt de constater ce qu’ils doivent aux expériences de spectateur de Balzac. Quoi qu’il en soit, on retrouve cette caractéristique d’écriture du compte rendu dans les articles plus tardifs, puisque le premier de ceux qui portent surHernani, paru le 24 mars 1830 dans leFeuilleton des journaux politiques, reprend ce canevas et se consacre à l’étude du caractère de Don Carlos. Quant au compte rendu fictif d’Illusions perdues, son fil rouge est le personnage de l’Alcalde, ce « vieillard poussif »17 qui fait par son caractère comique tout l’intérêt du premier acte.

Il reste que si dans les comptes rendus balzaciens l’étude des caractères tend à prendre une place prépondérante, le per- sonnage au théâtre a les traits d’un acteur vivant, costumé et grimé, de sorte que l’intérêt que porte Balzac au personnage ne va pas sans une attention toute particulière au jeu des acteurs. Là encore, Balzac se démarque quelque peu. Quand ses confrères n’accordent que quelques mots à chaque acteur, leur jeu étant le plus souvent caractérisé d’un adjectif unique du type « faible », « enlevé », vocabulaire pauvre qui laisse appa- raître une analyse convenue et superficielle, Balzac est plus long dans cette dernière partie de ses contributions, quand il ne dissémine pas ses remarques sur le jeu dans le corps même

15. Lisbeth ou la fille du laboureur, mélodrame en trois actes de Victor Ducange,ibid., p. 127.

16. L’Adjoint et l’avoué, comédie en deux actes de M. Romieu,ibid., p. 139.

17. Illusions perdues, t. V, p. 396.

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de son texte. Ainsi Bouffé, « débutant » incarnant Ratine, est nommé dès le début de l’article et son jeu commenté en ces termes à la fin :

« Bouffé, ancien acteur du Panorama dramatique, n’a pas de voix ; ses traits ont peu d’expression ; sa taille et sa tournure n’ont rien d’avantageux ; mais, doué de beaucoup d’intelligence, il pourra tirer parti de ces privations [...]. Bouffé, exempt de défauts saillants, montre d’ailleurs un grand désir de plaire, et le public paraît disposé à lui en tenir compte : la Gaîté aura peut-être son petit Potier. »18

Une telle analyse montre l’acuité du regard que porte le jeune Balzac sur le jeu des comédiens pris dans ses différents aspects : voix, mimique, pantomime. Il est à noter d’ailleurs que Balzac reprend la comparaison entre Bouffé et Potier dans le compte rendu fictif d’Illusions perdues – argument supplé- mentaire, s’il en était besoin, pour attribuer ce compte rendu à Balzac19, même si en vérité cette comparaison court dans les feuilles de spectacles de l’époque.

Nul doute donc que le jeune Balzac n’échappe en partie à la norme de l’écriture du compte rendu théâtral dont il inflé- chit clairement la structure habituelle. Reste que l’analyse des genres à laquelle il se livre n’est pas moins intéressante dans ce qu’elle révèle de ses attentes esthétiques.

De la critique des genres à la mode sur les théâtres

Le jeune Balzac des comptes rendus du Feuilleton littéraire, comme l’auteur plus mûr des articles surHernani, n’a de cesse d’épingler les vices des genres théâtraux les plus prisés de son temps. Au centre de sa critique, la notion de vraisemblable, qu’il applique à la construction des caractères comme à celle de l’intrigue. À cet égard, il convient de distinguer les articles de 1824 de ceux de 1830 qui entrent dans le cadre de la célèbre bataille d’Hernani. En effet, le critique de 1824 n’est encore

18. Le Cousin Ratine,OD, t. II, p. 134.

19. « [...] Bouffé le successeur de Potier [est] un jeune acteur qui fait si bien les vieillards qu’il a fait rire les plus vieux vieillards »,Illusions perdues,Pl., t. V, p. 396.

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pas le romancier qui s’affirme résolument tel en 1830. Il convient donc d’analyser les comptes rendus de ces deux périodes de manière distincte.

En 1824, les théâtres des boulevards fondent leur succès sur le mélodrame et le vaudeville ou la comédie-vaudeville, et cela depuis le début de la Restauration. C’est le temps du boulevard du Crime. Pierre Gascar précise qu’en ces années-là, cent cinquante pièces en moyenne sont représentées à Paris : il s’agit d’une véritable « industrie avec tout ce que ce mot évoque : recours à des procédés de fabrication éprouvés, rapidité d’exé- cution, souci de rentabilité »20. La collaboration dans l’écriture des pièces est d’ailleurs la norme, sans parler des multiples réécritures d’un même argument. Ainsi, le drameLisbeth ou la fille du laboureuret la comédie-vaudevilleLéonide ou la vieille de Suresnes, sont tous deux des adaptations d’un même roman de Victor Ducange.

Inutile de dire que la qualité n’est pas la préoccupation principale de leurs auteurs, et à côté des grands mélodrames de Pixérécourt se multiplient les pièces bâclées, aux caractères schématiques, aux intrigues simplistes et surtout extraordinai- rement répétitives. De même le vaudeville, genre qui mêle couplets et dialogues, ou la comédie-vaudeville qui laisse plus de place à la partie dramatique, ne sont pas toujours le fait, loin s’en faut, d’aussi habiles faiseurs qu’Eugène Scribe. Or, à l’époque où Balzac écrit ses comptes rendus, une certaine lassitude se fait jour dans le public, surtout, à vrai dire, dans le public éclairé des jeunes littérateurs, car le public populaire ne semble pas se lasser de ces pièces mal faites, aux personnages peu fouillés, qui usent perpétuellement des mêmes recettes.

On appelle à un renouvellement des genres, appel auquel Hugo tentera de répondre avec le drame romantique.

Dans ces conditions, la vision très critique dont témoignent les comptes rendus du jeune Balzac n’est pas précisément ori- ginale. Ce qui l’est davantage, c’est le souci de fonder sa cri- tique sur une réelle analyse des déficiences des pièces. Dans son compte rendu surLisbeth, il relève que « Bohermann seul,

20. Pierre Gascar,Le Boulevard du Crime, Atelier Hachette/Massin, 1980, p. 112.

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sa démence et ses malheurs suffisent à l’intérêt et même à l’action des trois actes, quoiqu’on le perde de vue pendant tout le second »21. Mais le dénouement est invraisemblable. En effet, si l’on tient compte des traits de caractérisation du per- sonnage et que l’on considère les différentes phases de l’action, la logique psychologique voudrait que la pièce se terminât en drame, par la mort de la jeune Lisbeth ou celle de son amant, ou des deux. Or, il est vrai que la fin heureuse du mélodrame est pour le moins abrupte, le retournement du père s’opérant sur les trois derniers échanges dialogués de la pièce22. C’est contre cette incohérence que Balzac s’élève quand il écrit, à propos de Bohermann :

« Sa passion et l’intérêt de la scène lui font un devoir d’immoler le séducteur ; mais une loi impérieuse en ordonne autrement. De tout temps, au boulevard du Temple, à 10 heures précises le premier coup de cloche a signalé la punition du crime et le triomphe de la vertu. L’arme fatale est détournée ; le père pardonne, et unit les amants. »23

Ailleurs, il se moque sans égard des scènes obligées, incon- tournables car attendues du public. C’est, dans Cardillac, l’« éternel ballet » du mélodrame à spectacle, « troublé, comme toujours, par l’avis que Rosambert donne à Mlle Scudéry de la mort d’un jeune seigneur »24, avis dont il fustige l’absence de lien avec l’action et par conséquent l’impossible justification dramaturgique. Il conclut ce compte rendu par une vraie dia- tribe à l’encontre des usages scéniques du boulevard en matière de mélodrame :

« Après l’analyse de cette pièce, tirée du roman d’Olivier Brusson, on voit qu’elle est fondée sur la vieille et impérieuse doctrine de l’innocence faussement accusée jusqu’à 10 heures du soir, et triom- phante à 10 heures et demie. Depuis trente ans elle est établie au boulevard, et c’est sur ce patron fastidieux que sont taillés tous les ouvrages édifiants qu’on offre à la population des faubourgs. Du reste, ce type éternel, aux circonstances près, qui amène l’erreur de

21. Lisbeth ou la fille du laboureur,OD, t. II, p. 127.

22. Victor Ducange,Lisbeth ou la fille du laboureur, drame en trois actes, à spectacle, Delavigne, 1823.

23. Lisbeth ou la fille du laboureur,OD, t. II, p. 127-128.

24. Cardillac,ou le quartier de l’Arsenal,OD, t. II, p. 137.

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Thémis, n’a pas varié : la jeune fiancée devient toujours folle en temps et en lieu ; les juges sont toujours des incrédules qui ne se rendent qu’à la dernière extrémité, et lorsque toute la salle le leur crie ; c’est toujours un poignard trouvé, ou la nécessité de secourir l’homme expirant qui cause la perte de l’innocence ; et ce malheu- reux genre, par les émotions qu’il excite, tue notre tragédie, sans lui-même avancer d’un pas. »25

Diatribe intéressante si l’on se souvient que Balzac, en 1822, commettait lui aussi un mélodrame, Le Nègre, après s’être essayé à la tragédie dans Cromwell en 1819. Mais il est vrai, nous l’avons montré ailleurs, que Le Nègre débordait les conventions propres au genre du mélodrame. Ses personnages à la densité psychologique certaine (en particulier Émilie et Georges) et sa composition trop complexe, jusqu’à sembler confuse dans le troisième acte, n’empruntaient pas les voies faciles de la schématisation des caractères et des invraisem- blables retournements26. Assurément, c’est le dramaturge débutant qui s’exprime dans les lignes citées, bien plus que le romancier. Au reste, il existe une unité profonde dans l’appro- che esthétique du jeune écrivain : il s’intéresse aux passions et professe des exigences de vraisemblance dans l’action – ce qui ne veut pas dire qu’il recherche le vrai.

Les critiques que formule Balzac en 1830 à l’encontre d’Hugo sont éclairantes. Commentant l’action du second acte, en particulier le moment où Don Carlos attendant Doña Sol se voit cerné par les hommes d’Hernani, malgré les guetteurs qu’il avait placés, il écrit :

« Avant ce coup de théâtre que le dernier mélodramaturge aurait essayé de justifier, don Carlos a su attirer Doña Sol dans la rue.

Accordons qu’une femme qui a deux galants, et qui, la veille a été victime d’une ruse, puisse descendre, comme elle, au premier signal.

C’est vrai, peut-être ; mais vraisemblable, non. »27

En réalité, la notion de vraisemblance à laquelle recourt Balzac dans sa critique est celle du théâtre classique, mais plus

25. Ibid., p. 137-138.

26. Isabelle Michelot,De l’essai à l’échec : les errances d’un rêveur de théâtre, à paraître.

27. Premier article surHernani, dans leFeuilleton des journaux politiques,OD, t. II, p. 679-680.

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largement aussi de tout théâtre d’illusion, c’est-à-dire qui ressortit à la représentation du réel, notion complexe puisqu’au théâtre elle fonctionne à la fois sur le plan de l’action et de la représentation. La posture est celle du dra- maturge confronté aux exigences de justification de l’action, approche dramatique que Balzac transposera dans l’écriture du roman, mais qui assurément appartient en propre à l’écri- ture théâtrale.

Dans tous les cas, il poursuit les incohérences où elles se trouvent. Ainsi relève-t-il systématiquement les distorsions entre qualification générique et réalité de la réception. S’il accuseLéonide ou la vieille de Suresnes d’être « un drame dégé- néré »28 déguisé en vaudeville, il considère que Le Cousin Ratine, « charge comique » à la manière du Gastronome sans argent de Scribe, n’atteint pas à son but : «Ratine inspire la pitié ; il fait mal ; c’est du naturel dans toute sa laideur. »29 Qu’il s’agace ou se désole, Balzac critique raisonne comme le dramaturge lui-même qui écrit son œuvre en fonction des effets attendus que détermine en principe le choix générique.

C’est de ce point de vue qu’il juge de la réussite de la démarche ou de son échec. Dans ses articles surHernani, la plupart des questions qu’il pose, si elles peuvent être celles du spectateur, sont celles surtout auxquelles l’écrivain se doit de trouver une solution dans l’écriture : « Pourquoi le prince est-il si pressé d’entrer dans une armoire ? Est-ce pour épier Hernani ? »30 En effet, le théâtre est un art de l’action justifiée, et Balzac reproche à Hugo d’avoir fait fonctionner le sien selon une logique toute poétique, ce qui conduit à conclure qu’il « est plus poète que dramatiste »31.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas certain que la critique théâ- trale de Balzac témoigne d’une approche de romancier, surtout si l’on constate l’intérêt porté aux éléments de la représenta- tion : au décor, bien sûr, mais aussi au jeu des acteurs, à leurs déplacements, à leur façon de dire le texte. Là encore, il fustige

28. Léonide ou la vieille de Suresnes,Feuilleton littéraire,OD, t. II, p. 131.

29. Le Cousin Ratine,ibid., p. 133.

30. Premier article surHernani ou l’honneur castillan, art. cit., p. 678.

31. Second article duFeuilleton des journaux politiquessurHernani,OD, t. II, p. 690.

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l’usage persistant sur les théâtres des Boulevards de la décla- mation, en appelant à une plus grande simplicité : « Cepen- dant, l’enflure du style et de la déclamation est le défaut général de ce genre de spectacle, qu’avec plus de talent et de simplicité on pourrait rendre assez intéressant [...]. »32 Dans Les Trois Manières, projet de pièce de 1823, Balzac comptait d’ailleurs faire dialoguer Garrick et Lekain sur leur conception du théâtre33. Le choix de ces deux acteurs duXVIIIesiècle n’était pas anodin, et l’on peut imaginer que là où Lekain aurait défendu la déclamation classique à la française (il avait voulu créer une école), Garrick, acteur shakespearien au jeu révo- lutionnaire par sa vérité, aurait posé pour la réforme du jeu.

Au reste, voilà au moins un sujet sur lequel Hugo et Balzac pouvaient s’accorder.

En réalité, si les réalisations scéniques de son temps, qu’il s’agisse du mélodrame, du vaudeville ou même du drame romantique, déçoivent notre auteur, c’est qu’elles ne corres- pondent pas au théâtre imaginaire auquel il aspire. Or de ce théâtre, au détour des critiques formulées, il est peut-être pos- sible de se faire quelque idée.

Vers une esthétique d’un théâtre à faire

S’il réfléchit activement, comme tous les jeunes auteurs de son époque, las de bâiller à la tragédie comme au mélodrame, aux moyens de réformer le théâtre, le jeune Balzac assuré- ment stigmatise les défauts des pièces plutôt qu’il ne propose explicitement une nouvelle esthétique. Peut-être le projet des Trois manières aurait-il rempli cet objectif ; mais il est préci- sément resté à l’état de projet. En revanche, l’ampleur des articles sur Hernani permet de mieux cerner des attentes, même si elles s’exposent toujours sur le mode mineur de la déception.

On remarquera d’abord que si Balzac critique vivement l’Hernani d’Hugo, ce n’est pas au nom du classicisme : dans la

32. Lisbeth ou la fille du laboureur,Feuilleton littéraire, OD, t. II, p. 128.

33. VoirOD, t. I, p. 1703.

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bataille que suscita le drame, il n’est pas du côté des perruques, quoi qu’on en ait dit. À vrai dire, la lecture de la préface de Cromwell d’Hugo en 1827, véritable manifeste esthétique du drame romantique, lui avait fait espérer une réforme profonde du théâtre, et l’un des buts affichés de sa critique sera de déterminer « si cette œuvre fait faire un pas à l’art dramatique, et, si cela est, dans quel sens »34. Or il est déçu : si Hugo a malmené les règles classiques, il a débouché sur une pièce tissue d’invraisemblances. Dans le second article sur Hernani, Balzac formule sa conclusion en ces termes :

« Nous résumons notre critique en disant que tous les ressorts de cette pièce sont usés ; le sujet, inadmissible, reposât-il sur un fait vrai, parce que toutes les aventures ne sont pas susceptibles d’être dramatisées ; les caractères, faux ; la conduite des personnages contraire au bon sens ; et dans quelques années les admirateurs de ce premier angle de la trilogie que M. Victor Hugo nous promet, seront bien surpris d’avoir pu se passionner pourHernani. »35

En fait, Hugo est encore bien trop classique pour Balzac : sa révolution est d’apparence, elle ne touche pas au fond. Sans revenir sur l’accusation d’invraisemblance, celle qui concerne la fausseté des caractères est éclairante. En quoi en effet sont-ils

« faux » ? Ils ne suivent pas la logique humaine de la passion qui les caractérise. Ainsi, doña Sol est une jeune première de mélodrame, incapable d’énergie, qui ne sait que répéter « de la première scène jusqu’à la dernière, qu’elle veut son cher brigand, et ne sait pas faire un pas pour unir sa destinée à la sienne »36; Hernani est « un homme sans caractère, qui prend et quitte sa haine comme un vêtement »37; quant à don Ruy, il paraît se complaire à accomplir le qualificatif de « vieillard stupide »38que lui a donné Hernani... De ce point de vue, le Balzac de 1830 reste conforme à celui de 1824 qui décriait le schématisme des caractères du mélodrame. Assurément, quand il s’agit d’Hernani, la dimension poétique de l’œuvre lui

34. Premier article surHernani ou l’honneur castillan,OD, t. II, p. 678.

35. Second article surHernani,OD, t. II, p. 689-690.

36. Ibid., p. 687.

37. Ibid., p. 687.

38. Ibid., p. 686.

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échappe et la critique tient de la charge. Mais qu’importe, elle est révélatrice.

Balzac rêve d’un théâtre qui reposerait sur le réalisme des passions, mais aussi d’un théâtre d’action. Il reproche à Hugo d’avoir comme les classiques sacrifié la praxisau logos :« nous aurions dû voir partout l’action substituée à la parole », affirme-t-il au début du second article. Et il est clair que le théâtre d’Hugo ne remplit pas ce contrat – tels ne sont pas ses enjeux – mais en vérité aucune œuvre ne le remplit encore à part peut-être celle de Mérimée auquel Balzac fait expressément référence quand il précise qu’« au lieu de pro- céder comme Mérimée, M. Victor Hugo a tristement suivi le sillon classique »39. En effet, c’est entre 1820 et 1825 que Prosper Mérimée a écrit les premières pièces qui devaient composer Le Théâtre de Clara Gazul, pièces qu’Anne Ubers- feld définit comme « une série de petits drames ou comédies, caractérisés par l’ironie agressive, la violence passionnelle, la contestation radicale des valeurs morales »40 – en particulier Une femme est un diable et le Carrosse du Saint-Sacrement. Or Mérimée, conscient de la difficulté de porter sur le théâtre de son temps des pièces si novatrices, inventera le concept du théâtre à lire, préfiguration du Théâtre dans un fauteuil com- posé à partir de 1832 par Musset. Il reste qu’en opposant Mérimée à Hugo, Balzac témoigne d’un réel sens de ce que devrait être la modernité théâtrale, et l’histoire devait lui donner raison.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas vraiment le regard du roman- cier, mais bien celui du dramaturge, celui duFaiseur, ou, dans une moindre mesure, deLa Marâtrequi s’exerce ici. Et si Balzac transpose sa quête du drame moderne dans le roman, c’est peut-être parce qu’en ces temps théâtraux, « la comédie se raconte et le Livre devient l’arme moins rapide, mais plus sûre, des poètes »41.

Pas d’opposition donc entre Balzac romancier et Balzac dramaturge dans la démarche critique, mais bien plutôt révé-

39. Ibid., p. 684.

40. Anne Ubersfeld, article « Mérimée » du Dictionnaire encyclopédique du théâtre,op. cit., t. II, p. 1084.

41. Splendeurs et misères des courtisanes,Pl., t. VI, p. 592.

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lation de la matrice esthétique d’une œuvre qui fait de la passion et du drama le centre de toute représentation du monde. Aller vers la forme théâtrale était logique. La réussite vint du roman, et le théâtre à faire se joua sur la Scène ouverte d’un roman devenuOpéra.

Isabelle MICHELOT

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