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LA PRINCESSE DE LAM BALLE

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LA P R I N C E S S E

DE LAM BALLE

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DU MÊME AUTEUR A LA LIBRAIRIE HACHETTE

LE PARIS DE CHARLES V.

LA VIE AU MOYEN AGE.

CATHERINE DE MÉDICIS.

MARGUERITE DE NAVARRE, LA REINE MARGOT.

LE PARIS DE LOUIS X I I I . CHRISTINE, REINE DE SUÈDE.

LE MARÉCHAL DE SAXE.

L E CLUB DES JACOBINS.

LES GRANDS JOURS DE LA CONVEN- TION.

L E C O M I T É DE SALUT PUBLIC.

MARAT.

F O U Q U I E R - T I N V I L L E . MADAME TALLIEN.

A LA LIBRAIRIE JULES TALLANDIER

ADÈLE HUGO.

FRANÇOIS VILLON.

LAMARTINE.

RIMBAUD.

EDGAR POE.

ZOLA.

HENRIETTE D'ANGLETERRE.

RETZ ET SON TEMPS.

A LA LIBRAIRIE A. FAYARD HIPPOLYTE DE VILLEMENANT (Les Œuvres Libres).

A LA LIBRAIRIE AMIOT-DUMONT LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.

AUX ÉDITIONS ASTÉRIA

LES PETITS MÉTIERS DE PARIS.

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J A C Q U E S CASTELNAU

LA P R I N C E S S E D E L A M B A L L E

LIBRAIRIE HACHETTE

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© Librairie Hachette, 1956.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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1 TURIN

c

E MATIN d u 8 s e p t e m b r e 1 749, le p e u p l e d e T u r i n a q u i t t é ses m a i s o n s p o u r la m o n t é e glorieuse et t r i o m - p h a l e vers la colline d e la S u p e r g a , « a u - d e s s o u s d e laquelle, nous dit Rousseau dans l'Émile, passe le Pô et d'où l'on aperçoit le plus beau tableau dont l'œil humain puisse être frappé ».

C'est une cérémonie rituelle, sorte de pèlerinage patrio- tique qui, chaque année à pareille époque, réunit les T u r i - nois en une longue et fervente procession. Quarante-trois ans plus tôt, en effet, le 8 septembre 1706, Thomas de Carignan, le bon colosse renommé pour sa bravoure et son inconstance, avait chassé les quatre-vingt mille Fran- çais qui assiégeaient Turin et décidé, du même coup, du sort heureux de l'Italie.

On ne plaisante pas avec les victoires, et les foules, volon- tiers superstitieuses, y associent prudemment la Providence.

Leurs maîtres ne sauraient les contredire, ayant davantage besoin d'Elle. C'est pourquoi le roi Victor-Amédée I qui régnait sur la Sardaigne, avait fait élever une lourde basilique qu'il avait dédiée à la Vierge. Le cortège se déroule, scandé par les chants de guerre et les cantiques de recon-

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naissance, le branle des cloches et le bruit des canons de la citadelle. En tête, marchent de robustes jeunes gens portant un brancard sur lequel repose une Vierge d'argent, la Vierge de la Consolata.

De hautes bannières, ornées de flammes multicolores, claquent au vent. La famille royale suit à pied, entourant le souverain, silencieux et grave de la gloire de son aïeul.

Les prêtres sont derrière, en surplis de neige et chasuble d'or, l'archevêque avec eux. Et dans cette profusion d'épées, de lances, de croix et de bâtons, symbolisant les trois ordres de la société, on sent vibrer un sentiment unique qui, en cette heure solennelle, efface toutes les inégalités, toutes les rancœurs et toutes les misères : celui de la fierté natio- nale.

Le soir, les lampions s'allument, piquant de soleils bariolés les longues guirlandes de fleurs qui courent de balcons en balcons. Le peuple, descendu de sa montagne sacrée, s'adonne aux plaisirs profanes. Il y a temps pour tout, et le vin des tavernes substitue à l'émotion patriotique l'attendrissement larmoyant des douces ivresses.

Tandis que, d'année en année, par les cérémonies d'anni- versaires, se transmet la renommée des Carignan, en ce même jour d'apothéose, un autre événement la perpétue plus gracieusement. Dans le palais familial aux murs impré- gnés d'histoire, naît Marie-Thérèse-Louise de Savoie- Carignan, quatrième fille de Louis-Victor de Savoie-Cari- gnan et de Christine-Henriette de Hesse-Rhinfelds-Rothen- bourg, sa femme.

Louis-Victor de Carignan est un prince aimé de tous, mécène à ses heures, causeur disert et charmant. Mais,

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plus que le plaisir de la conversation ou de la discussion intellectuelle, il aime les parades militaires.

Fils de soldats valeureux, le fracas des armes emplit son imagination nourrie de hauts faits. L'arrière-grand-père, Emmanuel-Philibert, guerrier sourd et muet, s'était illustré à Pavie ; le grand-père, Victor-Amédée, avait pris part aux guerres des successions de Pologne et d'Autriche, et les oncles, Thomas et Eugène, avaient été présents victorieuse- ment sur d'innombrables champs de batailles d'Europe. A tous, la Sardaigne devait d'être sortie de quatre siècles de domination espagnole qui l'avait réduite à un état voisin de la misère. Même au début du XVIII siècle, le pays était encore dans une situation déplorable. Montesquieu, après son passage à Turin en 1728, écrivait : « La Sardaigne, 300 000 à 380 000 habitants. Il n'y a ni eau ni air. L'eau est presque toute saumâtre ou salée.... Le marquis de Saint - Rémy, qui y a été deux fois vice-roi, envoyait querir son eau à Pise.... Il n'y a que cinq mois de l'année où l'on puisse sortir des villes, à cause de l'intempérie.... Il n'y a non plus, en Sardaigne, d'arbres fruitiers. On fait quelquefois vingt milles sans trouver une maison, ni un arbre.... Le marquis de Saint-Rémy dit que, si son maître voulait la lui donner, il ne la prendrait pas. »

Aujourd'hui, une brise moins aigre souffle aux joues des

malheureux Sardes. Charles-Emmanuel III, souverain

prudent, a réussi à tenir en respect ses voisins par son armée

forte et bien disciplinée, attendant l'occasion propice

d'agrandir ses États, patiemment, se souvenant du mot de

son père, Victor-Amédée II : « L'Italie est un artichaut

qu'il faut manger feuille à feuille. »

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A ce prince heureux de vivre qu'est Louis de Carignan, la diplomatie des familles régnantes, ou leurs calculs, comme on voudra, a uni une princesse allemande qui fut belle, avec des cheveux blonds, mais que les années ont marquée avec une hâte cruelle. Sa bonté ne peut faire oublier l'étroi- tesse de son esprit, la raideur de ses principes, l'amertume de son caractère aigri par l'apparente injustice du sort qui l'a faite inférieure à sa sœur, qui fut reine de Sardaigne, et à ses propres enfants.

Dans cette famille nombreuse, sur laquelle veillent des parents aussi dissemblables, Marie-Thérèse grandit, en regardant curieusement autour d'elle, avec un étonnement mêlé de crainte, comme ces enfants venus tard et surtout derniers venus. Elle a quatre sœurs et deux frères et vit entre sa nourrice qui l'adore et sa mère qui l'observe avec moins de tendresse. Les Carignan, en dépit d'un nom bril- lant de gloire et d'histoire, vivent comme de riches bour- geois. Leur fortune, qui doit subvenir aux frais d'une maison lourde de descendance, les contraint à une vie sans éclat. Le palais Carignan les abrite. C'est un monument massif, tout en brique et dépourvu d'élégance, édifié sur les plans du théatin Guarini.

Il a l'austérité de ce réformateur ponctuel à qui on doit encore l'église Saint-Philippe de Néri et le collège des jésuites, en un mot, ce qu'il y a de plus géométrique à Turin. Cet amas pesant est fort heureusement contre- balancé par les nombreux édifices dus à l'architecte Invara et qui séduisent le président de Brosses, lors de son passage en 1 740. « C'est la plus jolie ville de l'Italie, écrit-il, et, à ce que je crois, de l'Europe, par l'alignement de ses rues,

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la régularité de ses bâtiments et la beauté de ses places. » Et il ajoute : « Il est vrai que l'on n'y trouve plus, ou du moins rarement, ce grand goût d'architecture qui règne dans quelques endroits des autres villes ; mais aussi on n 'y a pas le désagrément d'y voir des chaumières à côté des palais. Ici, rien n'est fort beau, mais tout y est égal ; rien n'est médiocre, ce qui forme un total, petit à la vérité (car la ville est petite), mais charmant. »

Ainsi, cadre et famille manquent de fantaisie, de sourire, pourrait-on dire. Et ces murs trop sombres, cette architec- ture trop dure, cette mère trop rigide et si vaniteuse façon- nent le caractère de Marie-Thérèse et lui impriment leur rigueur. Le palais de Raconio, résidence d'été des Carignan dans la province de Coni, n'est pas plus attrayant, malgré une restauration fort coûteuse.

La vie à Turin est maussade. Le roi de Sardaigne, Charles- Emmanuel III, est un souverain qui n'aime guère que l'on se distraie. « Nous autres rois, dit-il, ne sommes point faits pour nous amuser. » Veuf de trois épouses, il veille avec gravité sur son dernier fils vivant, le duc de Chablais. Il fait régner à sa cour le cérémonial le plus sévère. Les diplo- mates étrangers, accrédités auprès de lui, s'en plaignent secrètement et guettent l'occasion d'un changement oppor- tun. La vie est si légère à Paris ou à Vienne, et on fait de la si bonne diplomatie dans les salons des jolies femmes! On s'ennuie jusqu'à la table familiale qui demeure avant tout soumise à la plus rigoureuse étiquette. Interdiction formelle

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de s'y présenter autrement qu'en habit de cérémonie. Si, au sortir de la chasse, les princesses, crottées par la terre des labours, trop lasses pour se changer, se présentent en costume de ville au dîner, Sa Majesté, d'un regard sévère, les renvoie dans leurs chambres afin d'y faire toilette.

Aussi, dès que le maître n'est plus là une soudaine détente se produit. C'est comme une explosion de joie, un laisser-aller qui s'exagère d'autant plus qu'on le sait défendu.

Le jeune duc de Chablais, à peine plus âgé que Marie- Thérèse de Carignan, et son très intermittent compagnon de jeux, refuse de travailler et frappe son précepteur qui veut l'y contraindre. Le bonhomme menace de se retirer.

« Vous ferez fort bien, réplique le prince, car je vous jetterai les livres par la tête et vous casserai votre petit nez. »

Il se venge de l'austérité et de l'intransigeance paternelles en refusant toute discipline. A la moindre contrariété il se met en colère et, suivant l'expression du comte de Sales, devient « noir comme un chapeau ».

Est-ce pour leur appartenance à la dynastie régnante que les Carignan se montrent aussi férus d'étiquette? Il est mille manières d'être bon courtisan, et celle-ci en est une.

Charles-Emmanuel III ne paraît guère sensible à cette flatterie, car, s'il faut en croire le baron de Choiseul, ambas- sadeur de France à Turin, « le roi de Sardaigne s'est fait une loi de ne point se mêler de tout ce qui regarde les Cari- gnan ». Le propos est excessif et, partant, inexact.

Si Marie-Thérèse et les siens se montrent peu aux fêtes officielles, c'est que ces fêtes sont rares. « Un dîner était une grande nouvelle dans la ville et il en était bien question »,

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assure Montesquieu. Les nobles n'étaient proprement d'aucune société ; ils restaient invisibles au reste du monde.

Tant bien que mal, on organise quelques solennités.

La future princesse de Lamballe se souvient-elle de ce divertissement dont on parla si longtemps à la cour ? Dans le palais royal, au beau milieu du cabinet long, cinq boutiques en planches ont été dressées. Dans la première, adossée à la muraille de la pendule, on a présenté des porcelaines et des cristaux ; le maître et le garçon, masqués en Allemands, sont le page Nou et Gandofo. La seconde est remplie de bijoux comme tabatières, bourses, bagues, etc. On y reconnaît Son Altesse Royale et le page Scaramp habillés en Chinois.

La troisième offre toutes sortes de confitures et de fruits ; le page Tarin et Roca sont les confiseurs. La quatrième déborde de viandes, pains et gâteaux, et le page La Perrouse en est le traiteur. La cinquième enfin est pour le chocolat, le café, les liqueurs et les vins étrangers, Alo et le page Salugia sont les taverniers. Dames et gentilshommes se retrouvent à cette kermesse, buvant, mangeant, riant, dans un vacarme de foire, dont s'irrite l'austère monarque.

De longues années passent, des années longues comme des larmes, dira plus tard un poète. Mlle de Carignan vit des heures mornes dans le château de ses pères. On la conduit à quelques goûters d'enfants et l'on s'ingénie à lui trouver des amusements.

Aux beaux jours, on s'attarde aux promenades, on va manger la pollente chez quelque grand personnage, on visite les nouvelles constructions royales aux environs de Turin. Le soir, on joue aux tarots, à la loterie et on écoute chanter les gentilshommes. Marie-Thérèse ne prolonge

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guère les veillées ; elle est souvent souffrante et se plaint de violents maux de tête dont on ne parvient pas à expliquer la cause.

Une fois l'an, le carnaval ramène les traditionnelles réjouis- sances populaires. La cour ne s'y mêle point et reste entre soi. Chez le prince Victor, un carnet de notes contem- porain évoque une contredanse à laquelle prend part la famille royale et où les principaux costumes symbolisent les saisons.

La vie est uniforme et languissante. Les Carignan ont pourtant leur théâtre particulier, qui porte leur nom, mais on y joue rarement la comédie. Le peuple y est admis, ce qui ne va pas sans incidents. Un soir, une scène met aux prises la marquise de Noguerre et deux bourgeoises qui ont pris place dans sa loge. On ne mélange pas ainsi les condi- tions. La marquise avait cependant donné cette loge à un sien marchand, quelques jours auparavant. Puis, dési- reuse d'assister au spectacle, elle avait omis de prévenir le bonhomme. Une dispute s'ensuit, et les deux femmes, contraintes de battre en retraite, ameutent leurs amies.

Celles-ci, à bout d'arguments, s'en vont prendre le seau des urines et le jettent violemment contre la loge de la marquise, qui en est tout inondée. Le liquide immonde se répand aux étages inférieurs si bien que les spectateurs doivent s'enfuir précipitamment tandis que l'opéra se poursuit dans le tumulte.

Qu'en dit le roi, toujours hanté par l'étiquette? L'histoire

ne le dit pas. Ce que l'on sait, c'est qu'il tyrannise ses gentils-

hommes médusés par le perpétuel souci de la dignité qu'il

convient de garder en sa présence.

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Aussi, lorsque les malheureux visiteurs quittent la cour, s'empressent-ils de se distraire un peu. Ils ramènent les jolies dames dans leurs carrosses, et la conversation se mue souvent en scènes plus silencieuses. Cette galanterie, que l'on dit cependant innocente, vient aux oreilles du monarque qui entreprend aussitôt de la faire cesser.

« Sa Majesté a fait dire par le grand maître des cérémonies qu'il désapprouvait que les dames allassent tête à tête en carrosse avec les hommes et qu'Elle voulait qu'elles fussent accompagnées de quelques dames déjà sur l'âge dans les dîners, chez les ambassadeurs et autres, et même dans les visites du cardinal.... »

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II

PRINCESSE DE LAMBALLE

U

N JOUR, n o t e M m e d e L a m b a l l e , m e s p a r e n t s m e firent a p p e l e r et là, e n p r é s e n c e d u roi C h a r l e s - E m m a n u e l III et d e l ' e n v o y é d e F r a n c e , on m e demanda si j'aimerais à devenir la compagne du prince de Lamballe. « Oui, répondis-je, il ne m'inspire pas plus de

« répulsion que tout autre. » Cette réponse ingénue amusa beaucoup l'assemblée. »

Le moment est en effet venu de songer au mariage. On se marie tôt dans les cours souveraines et les unions sont affaires de chancelleries. C'est le lourd tribut que tout prince doit payer à son rang. Les maisons s'allient entre elles avec, pour seul but, l'accroissement de leur puissance et de leur fortune.

Marie-Thérèse a dix-sept ans et ne sait rien de la vie.

Carmontelle, dont la main traçait d'exquises choses, soit qu'elle tînt le pinceau, soit qu'elle maniât la plume, nous en fait alors un ravissant portrait que l'on peut voir au musée Condé, à Chantilly.

C'est une enfant joufflue, à la chevelure équilibrée, à l'expression naïve. L'ensemble est charmant, inconsistant,

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puéril. Le sourire ne révèle aucune malice et le regard semble s'étonner de tout. Le front est étroit, la bouche petite et toujours entrouverte. Il y a trop de rouge sur les pommettes et trop de poudre sur le reste du visage.

Elle paraît mal à l'aise dans son grand costume de cour qui écrase ses formes menues et fait disparaître ses petits pieds, si petits que lorsque, après son massacre, en 1 792, on retrouvera parmi ses pauvres reliques une paire de pantoufles de soie verte, si étroites, on se demandera si le pied de Cendrillon aurait pu les chausser.

A cet être fragile et sans défense, qui croit peut-être au bonheur sans le connaître, on propose un jeune prince de vingt ans qui, depuis quelques années déjà, a « pris son vol d'une aile plus légère » et connaît fort bien « et Cythère et Paphos ». Il a soudoyé le serviteur dont son noble père l'a flanqué et fait passer ses fugues nocturnes pour des visites charitables. A son précepteur, le Père Imbert, qui tente vainement de lui enseigner quelque chose, il préfère les demoiselles Farine et Famfalle qu'il retrouve, avec son cousin, le duc de Chartres, dans les petites maisons de la rue Neuve-Saint-Étienne ou de la rue Valois-du-Roure.

Peu assidu à l'église Saint-Eustache, où il a sa place mar- quée au banc d'oeuvre, on le rencontre dans tous les lieux de débauche. Il est cependant d'une santé délicate et offre un visage pâle, des lèvres pendantes, une expression lassée, désabusée. Il est faible de caractère et subit l'ascendant d'amis décidés, plus forts, lui qui ne sait pas dire non. Au demeurant, beau garçon, grand, mince, avec des yeux d 'un bleu sombre qui reflètent l'irrésolution. Il est pâle, ses traits sont fins, son allure aristocratique.

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Prompt à l'enthousiasme et au découragement, il fait partie de la jeunesse oisive et libertine. Nommé grand veneur de France, il ne s'occupe guère de ses capitaineries.

Il a bien d'autres soucis. Qu'on en juge par cette lettre écrite de Crécy, le 12 juillet 1 766 (il a alors dix-neuf ans) :

« Nous habitons Crécy depuis quinze jours, avec un fort beau temps et une fort jolie femme, qui est Mme d'Ossun, affligée de quinze ans et au surplus fort gaie et aimant fort s'amuser, ce que je tâche de lui procurer en la promenant beaucoup en cabriolet, jouant beaucoup au quinze avec elle.... »

Ce jeune prince volage, qui aime promener en cabriolet

les jolies femmes de quinze ans, est le seul survivant mâle

des enfants du duc de Penthièvre, le personnage le plus

charitable de son temps. Il a pour nom Louis-Alexis-

Stanislas-Joseph de Bourbon, prince de Lamballe ; il est

né le 7 septembre 1 747. Il est donc de deux ans plus âgé

que sa future femme. A sept ans, il perd sa mère, qui

succombe en couches, après d'incessantes maternités. Le

dernier-né de la pauvre femme, le septième, la suit dans la

tombe. Il ne reste au garçonnet qu'un père austère qui ne

pense qu'aux bonnes actions et au salut des âmes. Ce lourd

programme pèse aux frêles épaules et glace ce jeune cœur

qui ignore les tendresses. Un précepteur, religieux de haute

vertu, veille sur son éducation. Point de parent, un gouver-

neur tout habillé de noir et qui n'a que le mot de morale à

la bouche, voilà qui prédispose aux terribles renoncements

ou aux secrètes révoltes. Le prince de Lamballe n'a pas la

sainteté d 'un Vincent de Paul et il choisit la révolte. Il ment,

ruse, finasse pour tromper son maître et prendre sa revanche

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sur le sort implacable qu'on lui impose. Il s'enfonce d'autant plus dans le vice qu'on veut le maintenir dans la probité ; il lui faut à tout prix se libérer du joug insupportable. Orgueil eux de son nom, riche au-delà de toute expression, dépouillé de scrupules, il n'a qu'une idée : fuir le palais paternel qui sue l'ennui, la tristesse, le devoir.

Le duc de Penthièvre, son père, ne voit pas que son fils étouffe dans cette atmosphère d'encens et d'actions de grâce. Il prétend sauver son âme, mais l'éducation qu'il lui donne n'y contribuera guère. L'exemple qu'il propose est trop rude. Un gamin ne peut pas imiter un quinqua- génaire que la vie a durci. On lui prodigue des conseils de piété, il ne se soucie que de ses plaisirs.

Inconséquent duc de Penthièvre qui mérite cependant tant de louanges pour son édifiant comportement. Il est sur les marches du trône, étant le fils unique du comte de Toulouse, enfant légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan. Grand amiral de France et grand veneur, il s'est distingué à Dettingen et à Fontenoy. Il épouse, en 1746, Marie-Thérèse-Félicité d'Este dont il lui reste un garçon et une fille, le prince de Lamballe et sa sœur, de six ans plus jeune que lui.

Ses revenus sont considérables ; on les évalue annuelle- ment à plus de trois millions de livres, près d'un milliard de nos francs actuels. Quand on regarde cet homme qui inspire tant de respect, on demeure frappé de son infinie tristesse.

Ses yeux bleus, très doux, reflètent l'insurmontable détresse de son cœur. Veuf inconsolable, père malheureux,

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il exprime une immense lassitude. Mais son exquise poli- tesse, teintée de mélancolie, lui attire toutes les sympathies, celle des petites gens notamment auprès desquels il se montre attentif, leur témoignant beaucoup d'égards.

Il aime à s'isoler pour prier et se rapprocher de Dieu.

La fuite des heures le préoccupe sans lui donner d'effroi.

Il semble attendre avec sérénité, avec une joie d'élu, l'heure suprême qui lui fera connaître la vérité. Il est collection- neur, et ses préférences vont aux montres et pendules qu'il consulte d'un œil tranquille. Une de ses grandes distrac- tions est de les mettre d'accord, sans bien y parvenir d'ailleurs. Une seule fois, cependant, un secrétaire l'y aide.

D'un geste maladroit, les chronomètres, soigneusement rangés sur une table, sont renversés par ce malchanceux serviteur qui fait preuve d'une extrême confusion. Le duc le rassure, d'un mot spirituel : « Ne vous inquiétez pas trop, lui dit-il, c'est la première fois qu'ils seront allés d'accord ensemble. »

Il a des attentions gentilles pour les pauvres gens. Il s'intéresse à leurs petites préoccupations, les défend auprès des autorités.

Nous avons de lui cette lettre qui nous touche et nous charme tout à la fois. Elle est adressée à l'un de ses hommes d'affaires : « J'ai appris, dans une course que j'ai faite aujourd 'hui à Versailles, par le canal d'un garçon de garde- robe du roi, que l'on désolait les habitants de Vernon en les empêchant de prendre des fraises dans les bois, contre l' usage pratiqué de tout temps, les uns parce qu'ils sont privés d'une espèce de petit commerce, les autres parce qu 'ils ne mangent point de fraises.... Je prie M. du Coudray

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d'écrire en toute diligence que l'on rétablisse l'usage ancien sur ce qui regarde les fraises ; ce, dans le plus petit délai. »

Cet homme pieux et bon ne saurait être, en dépit d'appa- rences qui nous choquent aujourd'hui, un père indifférent ; c'est un père selon son époque. Il est d'usage, de tradition dans les familles nobles, que les parents vivent à l'écart de leurs enfants. Le père est « Monsieur » et la mère une dame à qui on baise la main à sa toilette. Point de tendresse, les caresses sont rares. La rigidité inspire le respect, la défé- rence craintive qui est de mise dans toute maison aristo- cratique. M. de Talleyrand dira qu'il n'a jamais couché sous le même toit que ses père et mère. Le fils du duc de Biron est confié à un laquais qui sait passablement lire et écrire et il ajoute : « J'étais d'ailleurs comme tous les enfants de mon âge et de ma sorte : les plus jolis habits pour sortir, nu et mourant de faim à la maison. »

Chateaubriand avouera plus tard : « Ma mère, ma sœur et moi étions transformés en statues par la présence de mon père ; nous ne recouvrions qu'après son départ les fonctions de la vie. » Les parents, emportés par le tour- billon de l'existence mondaine, n'ont pas le temps de voir leurs enfants.

Dans la société de nos jours, nombreuses sont encore les familles qui témoignent de cette discipline. La grande préoccupation est de préparer les jeunes à leur entrée dans le monde sans souci d'éducation familiale. De bonne heure, on leur apprend à se tenir dans un salon, à y jouer la comédie, taper sur le clavecin ou dire quelques vers. Le petit garçon est poudré à blanc, porte des boucles et des rouleaux

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pommadés, se présente avec l'épée au côté, le chapeau dans le bras, le jabot, l'habit à parements dorés et baise la main des demoiselles comme un véritable petit-maître.

« Une fillette de six ans est serrée dans un corps de baleines, son vaste panier soutient une robe couverte de guirlandes, elle porte sur la tête un savant échafaudage de faux cheveux, de coussins et de nœuds, rattaché par des épingles, couronné par des plumes, et tellement haut que souvent le menton est à mi-chemin des pieds ; parfois on lui met du rouge. »

C'est ainsi d'ailleurs que nous apparaît Marie-Thérèse de Carignan sur le portrait de Carmontelle que nous avons précédemment évoqué. C'est une dame en miniature, toute à son rôle, avec une grâce affectée, enseignée par le maître à danser qui règne sur toute la jeunesse attentive. Sans lui, comment pourrait-on se mouvoir, s'asseoir, marcher et faire la révérence? Comment relever l'éventail, écouter en tendant le petit doigt près de l'oreille, faire figure enfin dans une société légère, préoccupée des mille petits riens de la vie ? C'est là la grande affaire de l'existence et il importe de s'y rendre de bonne heure. On apprend à parler pré- cieux, à tourner un compliment, inventer une repartie ingénieuse, galante ou spirituelle. Le petit duc d'Angou- lême reçoit Suffren un livre à la main et lui dit : « Je lisais Plutarque et ses Hommes illustres, vous ne pouviez arriver plus à propos. » Le fils de M. de Sabran, âgé de huit ans, qu'une dame interroge sur ses auteurs préférés, répond :

« Madame, je ne puis me souvenir ici que d'Anacréon. » Un autre, du même âge, réplique à une question du prince Henri de Prusse, par cet impromptu en vers :

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Ma naissance n'a rien de neuf.

J'ai suivi la commune règle,

Mais c'est vous qui sortez d'un œuf, Car vous êtes un aigle.

Tels sont la société et le caractère de ce prince français que Marie-Thérèse de Carignan s'apprête à épouser par procuration, ce 1 7 janvier 1 767, à Turin. Lorsqu'elle pénètre dans le cabinet du roi de Sardaigne Charles-Emmanuel III, elle a comme un éblouissement. La cour entière est réunie, autour de son souverain, es hommes en « habit habillé », les femmes en « robe à plis à barbes tombantes », les colliers de l'Annonciade portant la culotte de satin blanc et l'ample manteau rouge de leur ordre. Elle regarde, étonnée que tant de monde se soit dérangé pour elle ; elle est surtout très émue et la tête lui tourne un peu. Elle ne connaît pas son fiancé ; elle ne sait que ce que lui en a dit le baron de Choiseul, ambassadeur de France. Être diplomate et cour- tisan, c'est être courtisan deux fois et le portrait qui est fait ne peut être qu'élogieux. C'est le plus beau prince du monde, le plus aimable, et la miniature que le courrier Agnès vient d'apporter le confirme. Le pinceau sait flatter autant que les paroles. La jeune fille regarde et semble satisfaite. L'an passé, elle avait rencontré le duc de Pen- thièvre, à Turin, et en avait conservé le souvenir d'un homme d'une tristesse inconsolable et d'une expansive bonté. Là se borne la connaissance de sa nouvelle famille.

Huit jours plus tôt, Choiseul avait remis au roi de Sar-

daigne une lettre autographe de Louis XV afin de demander

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L I B R A I R I E H A C H E T T E Paris - N° 5337 D é p ô t légal : 4 t r i m . 1956

I m p r i m é en France.

I m p r i m e r i e C R É T É Paris, Corbeil Essonnes

N° 8189-I-10-1956.

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