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La règle de priorité absolue

par Olivier Debeine et Emilie Rosier

Le 21 octobre 2021

Olivier Debeine Associé, CBR & Associés

Entreprises en difficulté

Emilie Rosier

Collaboratrice, CBR & Associés Entreprises en difficulté

Elle se traduit par la mise en place de paiements prioritaires qui peuvent être comparés à une cascade : le flux des paiements ne peut ruisseler dans le bassin aval que par débordement du bassin amont. Conçue et appliquée strictement cette règle pourrait se révéler impraticable. Par exemple, les fournisseurs ne pourraient commencer à être désintéressés qu’après l’achèvement du service de la dette des créanciers privilégiés, ce qui pourrait priver les plans de continuation de la contribution de fournisseurs non substituables. De même cela pourrait empêcher l’apport d’argent frais par des actionnaires existants, qui sont parfois les seuls prêts à soutenir le plan. Toutefois, il nous semble que, correctement interprétée, la règle de priorité absolue permet des flexibilités remarquables propres à construire des plans efficaces.

1. L’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021, qui transpose en droit français la Directive UE 2019/1023 « Restructuration et Insolvabilité » du 20 juin 2019 opère un changement radical de perspective en ce qui concerne les conditions dans lesquelles le Tribunal peut imposer un plan de sauvegarde ou de continuation1.

1 Sauf précision contraire, nous emploierons le terme plan continuation pour désigner à

2. Un régime juridique spécifique est institué, gouvernant l’adoption du plan par des classes de parties affectées et son arrêté par le Tribunal.

3. Le périmètre de ce régime inclut les procédures de sauvegarde accélérée. Elles consistent à faire adopter rapidement, selon les règles et majorités des procédures collectives, un plan qui n’a pas recueilli l’accord de toutes les parties affectées dans le cadre d’une la fois les plans de sauvegarde et les plans de redressement par voie de continuation.

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2 procédure de conciliation. La constitution de

classes de créanciers y est obligatoire dans tous les cas.

Le champ d’application de ce régime est important puisqu’il concerne aussi les dossiers de sauvegarde et de redressement, si les seuils alternatifs suivants sont atteints : soit 250 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires net ; soit 40 millions d'euros de chiffre d'affaires net 2.

4. Or, ce nouveau régime introduit des changements de perspectives majeurs.

Auparavant, le Tribunal pouvait très largement imposer aux créanciers des plans de continuation ordonnant des délais uniformes de paiement, jusqu’à dix ans, s’appliquant à ceux qui ne les avaient pas acceptés3. En application des nouvelles dispositions, il ne pourra le faire, dans le cadre du régime des classes de parties affectées, qu’avec leur accord, exprimé par un vote au sein de chaque classe.

5. Faute d’accord de toutes les parties affectées, l’arrêté du plan de continuation est désormais subordonné notamment à la preuve de ce qu’il n’est pas moins favorable aux parties dont l’accord fait défaut, désignées sous le terme de dissidents, qu’un plan de cession, une liquidation ou toute alternative au plan de continuation4.

6. C’est le test dit du test du meilleur intérêt :

2 R. 626-52 du Code de commerce.

3 L. 626-18 et L. 626-12 du Code de commerce. Le Tribunal devait s’assurer que les intérêts de tous les créanciers étaient suffisamment protégés (L. 626-18 du Code de commerce applicable au redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-19 du Code de commerce en

« Lorsque des parties affectées ont voté contre le projet de plan, aucune de ces parties affectées ne se trouve dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu'elle connaîtrait s'il était fait application soit de l'ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l'entreprise en application de l'article L. 642-1, soit d'une meilleure solution alternative si le plan n'était pas validé »5.

7. Il s’agit d’une dérogation importante au droit préexistant. Antérieurement, le Tribunal pouvait imposer des délais uniformes de paiement à des créanciers les ayant refusés dans le cadre de la consultation individuelle, y compris suite à l’échec d’une adoption en comités. Le Tribunal n’avait alors pas à se préoccuper de vérifier qu’ils n’étaient pas moins bien traités qu’en cas de plan de cession ou de liquidation judiciaire.

En redressement judiciaire, le plan de continuation était prioritaire sur le plan de cession. La sauvegarde de l’activité et de l’emploi l’emportait sur le paiement des créanciers titulaires de sûretés réelles.

8. En outre, lorsque les classes de parties affectées n’ont pas adopté le plan, le nouveau régime introduit une autre innovation majeure.

En effet, dans cette situation, le débiteur ou l’administrateur avec son accord en

cas de consultation individuelle ; L. 626-31 du Code de commerce applicable au redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-19 du Code de commerce en cas de constitution de comités de créanciers).

4 L. 626-31 du Code de commerce.

5 L. 626-31 du Code de commerce.

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3 sauvegarde6 et en redressement judiciaire7,

mais aussi une partie affectée dans cette dernière procédure, peuvent demander au Tribunal son application forcée interclasse. Le plan de continuation ne peut dans ce cas être arrêté par le Tribunal qu’à la condition que soient remplies, outre les conditions posées à l’arrêté par le Tribunal d’un plan adopté par les classes de parties affectées en présence de dissidents8, comprenant celle du meilleur intérêt, certaines conditions supplémentaires, dont celle dite de priorité absolue.

9. Cette règle9 impose au plan de continuation de prévoir que les créances des créanciers affectés dissidents sont intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu'une classe de rang inférieur a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans le cadre du plan.

10. Pour la détermination de la hiérarchie des rangs afin de mettre en œuvre la règle de priorité absolue, l’on se réfèrera aux mêmes dispositions que pour l’application du test du meilleur intérêt. Les rangs doivent donc être déterminés selon l'ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire, prévu à l’article L. 643-8 du Code de commerce, ou du prix de cession de l'entreprise en application de l’article L. 642-1, résultant notamment de son article L. 642-12.

Ci-après, sauf indication contraire, nous dirons senior un créancier ou une classe bénéficiant d’un rang supérieur en application de ces règles et junior un créancier ou une classe

6 L. 626-32 du Code de commerce.

7 L. 631-19 du Code de commerce.

8 L. 626-32 1° du Code de commerce renvoyant à l’article L. 626-31 alinéa 2 à 7 du même code.

9 Prévue à l’article L. 626-32 du Code de commerce.

bénéficiant d’un rang inférieur en application de ces règles. En principe, les détenteurs de capitaux ne peuvent être payés qu’après désintéressement des créanciers.

11. La règle de priorité absolue constitue une contrainte extraordinaire en son principe puisqu’elle implique que les créanciers juniors ne pourront pas commencer à percevoir un centime avant que les seniors n’aient perçu jusqu’au dernier des leurs, ce qui peut prendre plusieurs années, en théorie. Si la portée de la priorité absolue était d’une rigueur excessive, les plans imposés à des classes dissidentes pourraient ne préserver que les droits des classes de seniors, notamment les titulaires de sûretés réelles, au détriment des classes de juniors, notamment des fournisseurs et actionnaires (les créances résultant du contrat de travail ne sont quant à elles pas affectées par les plans régis par le régime des classes de parties affectées10). A titre d’exemple, une stricte acception de cette règle aurait empêché l’arrêté du plan de sauvegarde d’Eurotunnel en 2007, puisque les conventions de subordination n’ont pas été suivies11. Dans le dossier Suntec, le plan de continuation n’aurait pas davantage pu être arrêté en 2017 puisqu’il prévoyait la possibilité de paiements immédiats, même pour les chirographaires, alors que les privilégiés n’étaient pas immédiatement désintéressés.

12. Cependant conformément à la marge de manœuvre offerte par la Directive aux Etats Membres12, le livre VI du Code de commerce prévoit des dérogations et traitements

10 L. 626-30 IV du Code de commerce.

11 Alors qu’elles doivent désormais être respectées pour la constitution des classes ; L. 626-30 du Code de commerce.

12 Directive UE 2019/1023 « Restructuration et Insolvabilité », article 11 2° et considérants 48, 55 et 56.

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4 particuliers qui permettent la négociation de

plans de continuation efficaces associant les fournisseurs, les créanciers juniors et les détenteurs de titres de capital.

1) La règle de priorité absolue.

13. La règle de priorité absolue est énoncée dans les termes suivants13 :

« Les créances des créanciers affectés d'une classe qui a voté contre le plan sont intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu'une classe de rang inférieur a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans le cadre du plan (…) ».

Priorité absolue sur les créanciers juniors.

14. Au moins deux classes de créanciers doivent être instituées, pour les créanciers titulaires de sûretés réelles portant sur les biens du débiteur d’une part et pour les autres créanciers d’autre part. La répartition en classes doit, par ailleurs, respecter les accords de subordination conclus avant l'ouverture de la procédure14.

15. Des classes de créanciers juniors, ne peuvent percevoir la moindre somme si des créanciers seniors d’une classe dissidente n’ont pas été intégralement désintéressés. Cette règle se traduit par la mise en place de paiements prioritaires que les praticiens aux Etats-Unis désignent sous le terme de « cascade » : le flux

13 L. 626-32 I 3° du Code de commerce.

14 L. 626-30 III du Code de commerce.

des paiements ne peut ruisseler dans le bassin aval que par débordement du bassin amont.

16. Elle interdit même que des classes de créanciers juniors conservent un intéressement dans le cadre du plan. Cela signifierait, par exemple, que des chirographaires ne peuvent percevoir un paiement conditionnel déclenché par l’atteinte de seuils financiers, tels que des flux de trésorerie libre (clause d’« excess cash-flow »).

17. Ces conséquences peuvent conduire le débiteur à mettre en place un nouveau financement pour désintéresser rapidement les classes prioritaires et pouvoir débuter le service de la dette fournisseur, à condition qu’il soit nécessaire pour mettre en œuvre le plan et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des parties affectées15.

Ce nouveau financement bénéficierait du nouveau privilège de l’article L. 622-17 du Code de commerce, dit de « post-money ».

18. La règle de priorité absolue s’applique aussi aux détenteurs de titres de capital.

15 L. 626-31 du Code de commerce.

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Priorité absolue sur les détenteurs de titres de capital.

19. En droit des Etats-Unis, la priorité absolue interdit généralement aux classes de détenteurs de capital de conserver des droits sur les droits sociaux dont ils sont titulaires et de percevoir des dividendes sauf si les classes de créanciers dissidents, y compris les chirographaires, sont entièrement payées16. 20. La priorité absolue introduite par l’ordonnance

du 15 septembre 2021 ne va pas aussi loin que le droit des Etats-Unis dans une conception purement financière des droits sociaux. Elle ne prive pas les détenteurs de titres de capital de leurs droits politiques et pécuniaires et ne permet pas de cessions forcées17.

21. Elle rend cependant possible la dilution non consentie des détenteurs de capital par augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription. Lorsque les conditions légales sont remplies, cette dilution a lieu automatiquement après qu’il a été démontré qu’on peut raisonnablement supposer, après détermination de la valeur du débiteur en tant qu'entreprise en activité (et non en valeur liquidative), que les détenteurs de capital de la ou des classes dissidentes n'auraient droit à aucun paiement ou à ne conserver aucun intéressement si l'ordre de

16 Northern Pacific Railway Company et Northern Pacific Railroad Company, Appts (1913) rappelant que les actionnaires ne peuvent conserver de participation dans la société en plan et qu’en tout état de cause leur participation dans la société est subordonnée au désintéressement préalable des créanciers: “ In either event it was a right of property out of which the creditors were entitled to be paid before the stockholders could retain [equity interests] it for any purpose whatever" ;

priorité des créanciers pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l'entreprise aux termes de l'article L. 642-1 du Code de commerce était appliqué18.

Dans ces conditions, les détenteurs de capital sont dits être « en dehors de la monnaie ».

Cette règle ne s’applique pas en deçà de certains seuils, qui sont identiques à ceux rendant obligatoire la constitution de classes de créanciers19, garantissant que ce dispositif de dilution ne puisse s’appliquer, même de manière facultative, aux entreprises de taille plus modeste, dans lesquelles, en fait, l’associé majoritaire gère l’entreprise et en tire ses principaux revenus.

22. Les associés en dehors de la monnaie ont le choix entre dilution et réinvestissement. Dans ces conditions, l’évaluation sera donc sans aucun doute disputée, d’autant qu’il ne s’agit pas d’une valeur ressortant d’offres émises dans le cadre d’un processus compétitif. Les différentes classes de parties affectées pourront exprimer sur ce sujet des opinions différentes, chacune étayée par des rapports de conseils financiers aux conclusions divergentes et il reviendra au Tribunal de trancher.

United States Bankruptcy code - Chapter 11 Reorganization, § 1129 Confirmation of Plan (b)(2)(B)(ii).

17 L. 626-32 5° du Code de commerce.

18 A condition que l’entreprise atteigne les seuils suivants : 250 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires net ; ou 40 millions d'euros de chiffres d'affaires net (L. 626-32 du Code de commerce).

19 L. 626-32 V et R. 626-63 du Code de commerce.

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6 Une partie affectée dissidente pourrait saisir le

Tribunal, notamment pour contester l’application du test du meilleur intérêt et, s’agissant des détenteurs de titres de capital en dehors de la monnaie, de l’augmentation de capital imposée. Il revient au Tribunal de déterminer la valeur de l’entreprise du débiteur, au besoin en ordonnant une expertise20.

L’application de la règle de priorité absolue est parfois contestée par la doctrine aux Etats- Unis. Certains défendent la théorie de la priorité relative. Selon cette théorie, une classe doit être traitée de manière plus favorable que toute classe de juniors et de manière aussi favorable que toute classe de parties affectées de même rang. Les créanciers seniors doivent être mieux traités par le plan que les juniors et les détenteurs de titres de capital, mais ils n’ont pas à être intégralement désintéressés avant eux.

23. Les défenseurs de la priorité relative soutiennent qu’il n’est pas fondé de prendre pour référence une évaluation qui ne résulte pas du marché21 et d’imposer strictement des priorités ayant vocation à s’appliquer en cas de

20 R. 626-54 du Code de commerce.

21 Douglas G. Baird, Questions de priorités : priorité absolue, priorité relative et les coûts des procédures d’insolvabilité, University of Pennsylvania Law Review, mars 2017, volume 165 n° 4, pages 785 et suivantes.

22 Ibidem, page 793.

23 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce : « Pour la transposition, l'ordonnance retient en effet la règle de la priorité absolue (selon laquelle une classe doit être intégralement désintéressée par des moyens identiques ou équivalents pour qu'une classe de rang

liquidation, alors que l’entreprise est toujours en activité.

Selon eux, l’entreprise étant toujours en activité, on ne peut en connaître le succès ultime et donc la valeur au moment d’établir un plan de continuation. Les droits de tous les créanciers et même des associés ont une valeur. On peut approcher cette valeur en recourant à la théorie des options22.

24. La doctrine de la priorité relative n’a pas été choisie par la France pour transposer la Directive23.

25. Cependant, des dérogations et traitements particuliers sont prévus, qui déterminent opportunément une certaine flexibilité de la règle de priorité absolue24.

inférieur puisse avoir droit à un paiement ou conserver un intéressement) et non celle de la priorité relative (selon laquelle une classe doit être traitée de manière plus favorable que toute classe de rang inférieur et de manière aussi favorable que toute classe de même rang). ».

24 Priorité absolue contre priorité relative dans les réorganisations, reconsidération, Cornell Law Review, Volume 33, June 4, 1948, page 507 : si une interprétation étroite de la règle de priorité absolue était retenue elle serait impraticable et porterait gravement atteinte au développement de solides procédures de réorganisation.

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2) Les atténuations et traitements particuliers.

26. L’article L. 626-32 du Code de commerce dispose :

« II.- Sur demande du débiteur ou de l'administrateur judiciaire avec l'accord du débiteur, le tribunal peut décider de déroger au 3° du I, lorsque ces dérogations sont nécessaires afin d'atteindre les objectifs du plan et si le plan ne porte pas une atteinte excessive aux droits ou intérêts de parties affectées. Les créances des fournisseurs de biens ou de services du débiteur, les détenteurs de capital et les créances nées de la responsabilité délictuelle du débiteur, notamment, peuvent bénéficier d'un traitement particulier. ».

27. Quelles sont ces dérogations nécessaires afin d'atteindre les objectifs du plan ?

28. La règle de priorité absolue est insérée dans le titre II du livre VI du Code de commerce, dédié aux sauvegardes. Le Code prévoit que la procédure de sauvegarde comme celle de redressement sont destinées à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif25. L’on peut estimer qu’il s’agit là des objectifs du plan.

29. Les dérogations doivent être nécessaires afin d’atteindre ces objectifs. L’idée sous-jacente est que ces dérogations peuvent permettre de mettre en place un plan de continuation plus favorable à toutes les classes, y compris les

25 L. 620-1 du Code de commerce s’agissant de la sauvegarde et L. 631-1 du même code s’agissant du redressement judiciaire.

seniors, qu’un plan de cession ou une liquidation.

30. Il faut également que les dérogations ne portent pas une atteinte excessive aux droits ou intérêts de parties affectées. Un plan qui, sans leur accord, ne réserverait pas aux créanciers seniors un traitement plus favorable que celui réservé aux chirographaires ne devrait pas satisfaire ce test.

31. L’on sait aussi que les dérogations – non consenties – ne peuvent être contraires aux conditions posées à l’arrêté par le Tribunal d’un plan adopté par les classes de créanciers26, notamment :

• le respect de la règle du meilleur intérêt ;

• le traitement égalitaire entre parties affectées au sein d’une même classe et sa proportionnalité aux créances ou droits ;

• la nécessité de tout nouveau financement et son absence d’atteinte excessive aux intérêts des parties affectées.

32. Passerait, à notre avis, sous ces fourches caudines une dérogation qui consisterait à ce que des créanciers juniors puissent commencer à être désintéressés avant la fin du service de la dette senior, en contrepartie de la conversion de tout ou partie de leurs créances en capital.

26 L. 626-32 1° du Code de commerce renvoyant à l’article L. 626-31 alinéa 2 à 7 du même code.

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Dérogation en faveur de mezzaneurs convertissant leur créance en capital.

33. Les créanciers juniors bénéficiant de moins de sûretés que les seniors, ou même d’aucune sûreté, sont davantage exposés aux plans de cession ou aux liquidations et donc enclins à davantage de concessions. Si un plan de redressement n’est pas arrêté l’entreprise peut être cédée au plus offrant pour un prix qui peut ne pas être suffisant pour régler leurs créances.

Ils ne souhaitent pas toujours réinvestir dans le cadre d’un plan, mais ils peuvent permettre un allègement du poids de la dette, avantage très appréciable dans le cadre du plan – davantage encore en présence d’apports d’argent frais par d’autres parties.

34. L’allègement du poids de la dette peut ainsi être nécessaire à l’atteinte des objectifs fixés par le plan.

35. Les conditions d’éventuels nouveaux financements ne devraient pas interdire un tel allègement dans la mesure où ils ne peuvent porter une atteinte excessive aux intérêts des parties affectées.

36. Il nous semblerait donc légitime dans ce cas que des créanciers juniors, tels des titulaires de valeurs mobilières conférant une créance et donnant accès au capital - les mezzaneurs, puissent commencer à être désintéressés avant que les seniors ne le soient intégralement, éventuellement de manière progressive et sur un calendrier plus long.

37. Cette dérogation à la priorité absolue ne semblerait pas porter une atteinte excessive aux intérêts des parties affectées.

27 L. 441-10 du Code de commerce.

38. L’article L. 626-32 du Code de commerce autorise, outre de possibles dérogations, des traitements particuliers pour les fournisseurs, les détenteurs de capital et les créances nées de la responsabilité délictuelle des débiteurs.

Traitement particulier des fournisseurs, voire des fournisseurs essentiels.

39. Dans nombre d’industries, le concours des fournisseurs est indispensable à la pérennité de l’entreprise. Les fournisseurs sont souvent chirographaires et ne sont pas toujours substituables. A la différence des prêteurs professionnels, l’on ne peut supposer que les fournisseurs ont la disposition et les finances pour supporter un report significatif du règlement de leurs créances commerciales, dont la maturité est brève puisqu’elle doit s’inscrire, en France, dans les délais de la loi LME : soixante jours nets à compter de la date d'émission de la facture ou, à titre dérogatoire, quarante-cinq jours fin de mois27.

40. Les perdre après l’arrêté d’un plan suite à une application forcée interclasse, au motif que le débiteur ne peut débuter le service de cette dette qu’après plusieurs années, une fois les classes de seniors entièrement désintéressées, peut désorganiser l’entreprise, affecter sa valeur, voire conduire à sa déconfiture.

41. L’article L. 626-32 du Code de commerce permet de leur réserver un traitement particulier.

42. Une dérogation valable à la règle de priorité absolue consisterait par exemple à réunir les fournisseurs en une classe qui bénéficierait

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9 d’un plan de désintéressement débutant en

même temps que celui des créanciers de rang prioritaire mais dont le rythme serait moins rapide ; plus progressif. Accorder systématiquement des contreparties à cela, par exemple sous forme de sûretés au bénéfice des créanciers prioritaires, ne paraît pas nécessairement indispensable puisque la loi permet un traitement particulier dans des circonstances appropriées.

43. Pourrait-il être envisagé de réserver la dérogation à la règle de priorité absolue à certains fournisseurs seulement, indispensables à la réussite du plan ?

44. La jurisprudence a pu l’admettre aux Etats- Unis28, où les débiteurs saisissent fréquemment le Tribunal, peu de temps après l’ouverture de la procédure collective, de requêtes relatives aux fournisseurs essentiels.

Ces requêtes permettent généralement de payer certains fournisseurs en totalité, alors que d’autres doivent attendre l’adoption du plan pour percevoir des paiements.

45. La lecture du considérant 56 de la Directive nous apprend à ce sujet que le régulateur européen n’envisageait pas tant la dérogation au bénéfice d’une classe de fournisseur qu’à celui des fournisseurs essentiels. Il nous semble qu’il s’agirait là d’une disposition légitime, qui répondrait au cas maintes fois rencontré où un fournisseur stratégique refuse un paiement trop éloigné de ses créances. Consacrer cette

28 Czyzewski Et Al. V. Jevic Holding Corp. Et Al.- 2017, qui précise que « des tribunaux, par exemple, ont approuvé (...) les dispositions de plans prévoyant le paiement préalable des factures des

« fournisseurs essentiels » (...). Dans ces cas, les tribunaux ont généralement estimé que les distributions en question

« permettraient une réorganisation réussie

dérogation permettrait d’ailleurs d’éviter des solutions de contournement telles des garanties via des gages espèces ou des augmentations de tarifs.

46. L’on peut aussi concevoir un traitement particulier pour les détenteurs de titres de capital.

Traitement particulier des détenteurs de titres de capital en cas de nouvel apport.

47. Comme indiqué plus haut, les règles encadrant l’application forcée interclasse interdisent d’imposer aux détenteurs de capital la cession de leurs titres29 et ne les privent pas de leurs droits pécuniaires et politiques.

48. Ces règles permettent, s’ils sont « en dehors de la monnaie »30 que le plan leur impose une augmentation de capital, à charge de maintenir leur droit préférentiel de souscription.

Les détenteurs de capital ont alors le choix entre la dilution et le réinvestissement.

49. En outre, l’article L. 626-32 précité semble bien interdire un paiement au profit de la classe des détenteurs de capital, par exemple une distribution de réserves ou de dividendes, avant que les classes de créanciers affectés dissidentes ne soient intégralement désintéressées :

et amélioreraient la situation des créanciers, même les plus défavorisés ».

29 L. 626-32 5° du Code de commerce.

30 C’est-à-dire s’ils n’auraient droit à aucun paiement en plan de cession ou en liquidation en considérant une évaluation de l’entreprise en activité (L. 626-32 du Code de commerce).

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« Les créances des créanciers affectés d'une classe qui a voté contre le plan sont intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu'une classe de rang inférieur a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans le cadre du plan ».

La classe de détenteurs de titres de capital relève bien d’un rang inférieur à celui de toute classe de créanciers de sorte qu’elle ne devrait avoir droit à un paiement ou conserver un intéressement dans le cadre du plan si les classes de créanciers affectés ne sont pas désintéressées.

50. Un traitement particulier peut cependant se justifier, les détenteurs de capital se révélant parfois être un atout déterminant, voire le dernier recours pour la réussite du plan.

51. Il arrive qu’un débiteur en difficulté ne puisse faire appel avec succès aux marchés de capitaux ou à de nouveaux investisseurs privés en capital, compte tenu des aléas affectant sa situation industrielle et économique, actuelle ou anticipée, ou la représentation que des tiers peuvent s’en faire.

Dans ce cas, l’actionnaire, qui connaît bien l’entreprise pour y avoir investi et pour courir déjà le risque de la perte de son apport, est parfois le seul à croire assez au retournement du débiteur pour se risquer à y investir à nouveau en capital.

31 Sur ce point le droit des Etats-Unis d’Amérique a élaboré une doctrine dite de la nouvelle valeur (« new value »). Celle-ci repose toutefois sur un présupposé que les anciens titres de capital ne peuvent être retenus si les créanciers ne sont pas

52. Il serait valable, à notre sens, de permettre aux actionnaires qui accordent un soutien financier crucial au succès du plan en procédant à de nouvelles injections de liquidités en capital, de conserver leurs droits sociaux existants à l’ouverture de la procédure et de percevoir des dividendes avant que les créanciers ne soient intégralement désintéressés et même de les céder31. Les détenteurs de capitaux peuvent au contraire compléter leur engagement de nouvel apport par une renonciation à percevoir des dividendes et/ou à aliéner leurs droits sociaux sur tout ou partie de la durée du plan.

* * *

53. De manière générale, il apparaît ainsi que la négociation des plans revêt une importance accrue puisque qu’elle évite les contestations de créanciers ou classes dissidentes fondées sur le test du meilleur intérêt ou la règle de priorité absolue.

54. L’on passe ainsi d’un système où le Tribunal pouvait largement imposer des plans autoritaires prévoyant des délais de paiement uniformes s’appliquant à (presque) tous les créanciers, à un système où l’accord des parties affectées est un enjeu majeur. Après tout, elles ne sont pas mal placées pour se prononcer sur le sort de l’entreprise tout comme le Tribunal n’est pas mal placé pour contrôler après adoption du plan le respect du cadre juridique.

55. Lorsque les créanciers et les classes de parties affectées n’approuvent pas le plan, les conditions appliquées par le Tribunal pour l’arrêter sont plus strictes.

intégralement payés, qui n’est pas celui du droit français (Bank Of America National Trust And Savings Association, Petitioner V.

203 North Lasalle Street Partnership (1999).

Cette doctrine ne peut donc être transposée à l’identique en droit français.).

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11 56. Débiteurs comme créanciers sont incités à la

négociation. Le débiteur, pour éviter de devoir recourir à une solution imposée qui réserve un sort trop âpre à des partenaires précieux ; les créanciers à cause du repoussoir du redressement judiciaire avec consultation individuelle.

57. En effet, en redressement judiciaire, en cas d’échec de l’application forcée interclasse, la procédure est reprise selon les dispositions applicables à la consultation individuelle, sans classes de parties affectées. Ces dispositions permettent au Tribunal d’imposer aux créanciers des délais allant jusqu’à dix ans sans se préoccuper de savoir s’ils auraient été mieux traités en plan de cession ou en liquidation. En

sauvegarde, la conversion en redressement peut être demandée au Tribunal32 qui pourra donner lieu, si aucun plan n’est arrêté selon le régime des classes de créanciers, à un plan de continuation arrêté selon ces règles de consultation individuelle. En sauvegarde accélérée, faute d’arrêté du plan dans les quatre mois de l’ouverture de la procédure, le Tribunal y met fin33. Les difficultés du débiteur et les aléas qu’elles impliquent pour les créanciers perdurent.

58. La priorité absolue doit donc être donnée … à la construction d’un plan qui ait des chances sérieuses d’être voté par toutes les classes de parties affectées, parce qu’il est la meilleure solution compte tenu des circonstances.

*

La pratique « entreprises en difficultés » du cabinet CBR & Associés est animée par Olivier Debeine, et couvre les fusions-acquisitions d’entreprises en difficultés, le retournement, les acquisitions d’activités ou d’actifs d’entreprises défaillantes et le contentieux, dans des cadres domestiques et transfrontaliers.

L’équipe conseille toutes les parties prenantes, y compris la direction, les actionnaires, les créanciers et les mandataires et administrateurs judiciaires en droit français pour ce qui concerne les restructurations nationales et internationales.

32 L. 622-20 du Code de commerce. 33 L. 628-8 du Code de commerce.

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