FACULTE DE
MEDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
ANNÉE 1897-1898 IW° «5
APERÇU HISTORIQUE
SUR r
A ROME
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉ
présentée et soutenue
publiquement le 19 Janvier 1898
PAR
Marie-Joseph-Hippolyte DELAUNE
Né à Tessy-sur-Vire (Manche), le 25 Mars 1874
Élève du Service de Santé de laMarine
professeur.... Président.
professeur....i agrégé. \ Juges.
agrégé )
Lo Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les
diverses parties de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE DU MIDI — PAUL
GASSIGINOL
91 — RUE PORTE-D1JEAUX — 91
0
189 8
f MM.VERGELY Examinateurs de la Thèse:<
renucé^
(
DUBREUILHFaculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux
M. DENABIAS, doyen — M. PITRES,doyen honoraire.
g®as a*1 B3 & & 13 c bi s
MM. M1GÉ ]
AZAM > Professeurs honoraires.
DUPUY
MM.
\ PICOT.
! PITRES.
DEMONS.
LANEi.ONGI N.
E.
Clinique inlerne...
Clinique externe...
Pathologie interne.
Pathologie et théra¬
peutique générales. VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecine opératoire. MASSE.
Clinique d'accouche¬
ments MOUSSOUS.
Anatomie pathologi¬
que COYNE.
Anatomie BOUCHARD.
Anatomie générale et
histologie VIAULT.
A GBt 13G13 S 13X section demédecine(Patholog
MM. MESNARD.
CASSAEt.
AUCHii.
Physiologie Hygiène
Médecinelégale Physique
Chimie
Histoire naturelle ...
Pharmacie
Matière médicale....
Médecine expérimen¬
tale
Clinique ophtalmolo¬
gique
Clinique des maladies chirurgicales des en¬
fants
Clinique gynécologique 13 X 13 IICICl13 : ieinterneet Médecine
MM. SABRAZÈS.
Le DANTEC.
MM.
JOLYET.
LAYET.
MORACHE.
BERGONIÉ.
BLAREZ.
GUILLAUD.
FIGUIER.
de NABIAS.
FERRÉ.
BADAL.
P1ECHAUD.
BOURSIER.
légale.)
section de chirurgie et accouchements
Accouchements...iMM. RIVIERE.
CHAMBRELENT (MM. YILLAR.
Pathologie
externe]
B1NAUD. | " "/1
BRAQUEHAYEsection dessciences anatomiques et physioi.ogiques
IMM. PRINGETEAU | Physiologie MM. PACHON
Anal0UU,J 1 CANNIEU. | Histoire naturelle BEI LUE.
section des sciences physiques
Physique MM. SIGALAS. | Pharmacie M. BARTHE.
Chimie etToxicologie DEN1GÈS. |
C 55 C 11S € .111» li 131113 A '1' A 1 11 13 S :
Clinique interne des enfants MM. MOUSSOI S.
Clinique des maladies cutanées etsyphilitiques DUBREU1LH.
Clinique des maladies des voies urinaires POtISSON.
Maladies du larynx, desoreilles etdunez MOURE.
Maladies mentales RÉGIS. ,
Pathologieexterne DENUCÉ.
Accouchements RIVIÈRE.
Chimie DEN1GES
Le Secrétaire de la Faculté: LEMA1RE.
Pardélibération du 5 août1879, la Faculté aarrêté que les opinions émises dans les Thesesqui lui sontprésentées doivent être considérées comme propres à leursauteurs, et qu'elle n'entend leur donner ni approbation niimprobation. t
A MES AMIS
A MESMAITRES DESHOPITAUX ET DE LA MARINE
A mon Président de Thèse
MONSIEUR LE DOCTEUR
VERGELY
PROFESSEUR DEPATHOLOGIE ET I)E
THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE
CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR
OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
MEMBRE CORRESPONDANT DE
L'ACADÉMIE
DEMÉDECINE
I
■I
i .
ilS
* -H
, :
. ■
'
Jj
Il'
&:
.
AVANT-PROPOS
C'était unecoutume
antique. Avant de livrer sa pièce au pu¬
blic, l'auteur, se
plaçant
surPavant-scène et débitant lui-
même « le
prologue
»,demandait à ses auditeurs de bien vou¬
loirlui accorder
l'indulgence. Si la coutume est morte je veux
la faire revivre, surtout
dans cette circonstance, où il s'agit
d'un élève
présentant
untravail de jeunesse, voulu, néces¬
saire, et par
cela même incomplet. Limité par le temps, par
les bornesd'une thèse, et.
il faut bien le dire,
parles défauts
d'un
jugementqui
manqueencorede maturité, je n'offre qu'un
devoir inachevé, ne se
réclamant
quede la bonne foi qui a
présidéà
saconception.
Dans le livredivin de la nature
chacun tire
sonexégèse.
Laissant decôté les sciences
médicales
propres,sciences ex¬
périmentales
basées
surl'observation continue, scrupuleuse,
méthodique,
j'ai cherché
unsujet plus facile en abordant
uneétude historique de
la médecine. Là j'avais des guides.
Jen'avais
qu'à suivre le sillage déjà tracé, me laissant re¬
morquer
doucement. Je n'avais qu'à recueillir, à colliger des
faits éparspour
édifier. Mon travail aura-t-il signifié quelque
chose ? Je nesais, mais pour
moi, il restera
unsujet de com¬
plaisance
s'il m'a permis seulement de faire savoir à tous
mes maîtres età tous mes
camarades le respect et la sympa¬
thie que
j'ai
pour eux,s'il m'a permis de témoigner toute ma
gratitude etmes
remerciements à M. le professeur Vergely,
pour sa
bienveillance à
monégard et pour l'honneur qu'il
m'a fait en acceptant
la présidence de cette thèse.
Dans la
préface de
sonouvrage sur le « Polythéisme ro¬
main »,
Benjamin Constant écrit : « Une vive lumière éclai¬
raitla haute antiquité,
mais à peine quelques rayons sont
venus
jusqu'à
nous.Il nous semble que les Anciens étaient
dans les ténèbres, parce que nous
les voyons à travers les
nuages
épais dont
noussortons à peine. Comme des enfants
nésà minuit,
quand
nous voyonsle lever du soleil, nous
croyons
qu'hier n'a jamais existé ». Ces paroles, pour être
presque
vieilles d'un siècle, n'en demeurent pas moins jeu¬
nes et toutaussi vraies
qu'il
y acent
ans.ht cependant notre
monde est bâti surles ruines
du passé. A chaque pas nous
côtoyons et nous
foulons les choses antiques, toujours vivan¬
tes malgré lamarque
du temps. Toujours jeunes, soit dans
dans leur forme artistique,
soit dans leur forme lapidaire.
Endormies sous une
couche de poussière bien des fois sécu¬
laire, elles
semblent s'être enveloppées d'un voile mysté¬
rieux etréclamerle silence
des choses mortes. Mais ce serait
une trop
audacieuse témérité, à moins d'avoir déjà parcouru
les grades de
l'initiation,
quede vouloir s'avancer au milieu
de cesdécombres sacrés. Si
attrayantes qu'elles soient, je
m'en écarterai pour
prendre des temps plus rapprochés, plus
connus,plus
étudiés. Ce
seral'époque romaine, et, dans cette
époque
siriche,
unmince filon sera toute ma mine. Je veux
parler de
la médecine à Rome, et si l'on songe que pendant
cinq siècles
la médecine s'abrita dans les temples, j'ajoute¬
rai un addendum qui
donnera
:Médecine et religion à
Rome.
Les premiers
prêtres,
enmême temps qu'ils sacrifièrent à
la Divinité, furent
les dépositaires de l'art de guérir. Plus
— 10 —
rapprochés de la Divinité, en contact journalier avec elle, ils devaient être un intermédiaire favorableentre l'homme qui souffraitet le dieu qui avait envoyé la maladie. Cette asso¬
ciation des deux sacerdoces devait semaintenir toute la lon¬
gue durée du polythéisme pour se perdre, s'éteindre ou plu¬
tôt se transformer aux
époques
d'athéismeoù, fatiguée desa¬crifier aux dieux
incléments, l'humanité,
devenue sceptique, voulut se coaliser contre eux. Ce fut alors lerègne
de la Ma¬gie. Rivalede lareligion dès son origine, elle envahit le ter¬
rain que celle-ci délaisse et s'enrichit de toutes ses pertes.
Elle devient la hase de toutes les sciences, la médecine ne consiste plus qu'en formules mystérieuses et enmots barba¬
res. Quoi qu'il en soit, la médecine à Rome subit le joug du polythéisme. Les ministres des faux dieux conservèrent parmi eux la science et l'exercicede l'art de guérir. Cet exer¬
cice,
d'ailleurs,
retomba toujours par son propre poidsdans l'intérieur et le silence des temples, ou plutôt il essaya de s'élever àl'égal
des choses divines, il domina oudépassa
lareligion
païenne autant que la religion révélée l'abaissa lui- mêmeou l'humilia. C'est une preuve dela ressemblance in¬délébile qu'il paraît y avoir entre la médecine et la religion,
surtoutconsidérée du côté le plusaccessible aux seules lu¬
mières de la raison.
Mais l'homme est soumis à une foule de misères, il estac¬
cablé de
faiblesse,
aussi la religion romaine a-t-elle morcelé la Divinité afin que chacun adorâtla fraction qui lui serait nécessaire. C'est ce qui explique ce fait quela population du ciel est plus nombreuse que la population terrestre. Mais dans cette armée de dieux et de déesses,je dois opérerunesélection,et laissant invariablementàl'écart toutcequi n'est pas médecineet religion, je m'attache exclusivement à un
historique,
àune vue générale sur la médecineet la supers¬tition religieuse à Rome.
Comme le fait remarquer
Daremberg,
« quoiquel'empi¬
risme et la tradition n'aientpasbesoin d'une culture étran¬
gèrepour germer et pour grandir, il paraît cependant cer-
— IL —
tain que
même l'empirisme et la religion romaine ne sont
pas
autochtones. Les Etrusques envoyèrent à Rome leur
déesse Salus, et les Romains
qui avaient appris des Grecs les
lettres, les sciences et les arts en reçurent
aussi leculte d'Es-
culape, enl'an de Rome 460-294 avant J.-C. Non contents
d'emprunter
à leur vassale, ils furent chercher leurs dieux
jusque
dans les mystères d'Isis, et l'on put voir, malgré la
défense du Sénat, s'implanter
à
Romele culte d'Isis, de Séra-
pis, de
Mitlira môme, divinités tutélaires protectrices et salu¬
taires. Commesi ce n'était pasencore
suffisant, le génie
ro¬main donnades acolytes
à
cesgrandes divinités étrangères
en élevant d'un même coup des
abstractions et des maladies
môme à la hauteur de la Divinité.
Donc, l'objet de ce
travail comporte
uneétude des divinités
médicales romaines, soit empruntées aux
cultes étrangers,
soit autochtones. Mais comme dans une
question
encore bien obscure déjà, quoiqueparaissant largement éclairée, la
vérité historique
constitue
unfait de premier ordre, je n'ai
rien énoncé queje ne
puisse
prouver,et si, à rencontre de
certains antiquaires,
j'ai dû
ranger au rangdes divinités
médicales des dieux ou déesses privés
de
cetitre, je
nel'ai
fait qu'en
m'appuyant
surla foi de monuments ou d'ex¬
traits historiques.
Accouplant les données des auteurs à la
numismatique ou
à l'archéologie, je
mesuis donné la tâche
de rechercher la véracité des faits sur des gravures ou médailles, corniols et onyx,
abraxas. Malheureusement
ces dessins, gravéssur
cuivre,
nepeuvent être reproduits
dans un travail aussi
tronqué
quele comportent les limites
d'une thèse.
Je n'ai peut-être pas su
éviter la monotonie d'une routine
fastidieusequi
risquait d'imposer à chaque
groupede dieux
choisis une étiquette de
convention. Je l'admets, mais
en adoptant le planqueje livre, il m'a
paruqu'il valait mieux
dérouler sousles yeux un
tableau qui
a sonunité,
sasuite
et ses rapports
logiques,
quede
semer uneconfusion qui,
pour faciliter la lecture,
n'en détruirait
pasmoins l'harmonie
ou l'unité de ce travail.
PLAN
Chapitre premier. — Aperçu général sur la médecine et la religion à Rome.
Chapitre
II. — 1° Divinités médicalesromainesempruntéesau culte grec: Esculape, llygiea, Apollon, Junon, Minerve, Cybèle. Cérès,
Priape;
2° Empruntées au culte
égyptien
: Isis, Sérapis;3° Divinitésmédicales autochtones.
Chapitre III. — Temples. Prêtres. Cultes rendus à ces divinités.
Conclusions.
CHAPITRE
PREMIER
Aperçu
général sur la médecine et la religion
à Rome.
L'histoire
delà médecine à Rome, et ce sera une des con¬
clusions de ce
travail, peut se résumer dans cette phrase de
Pline : «
Jusqu'à deux siècles avant Auguste, Rome avait vécu
sans médecin,
mais non pas sans médecine. Méconnaissant
la divinité et
l'art médical, elle eut des autels pour une mul¬
titude dedieux
et pratiqua un nombre infini de médecines. »
C'était alors
l'épanouissement de la médecine théurgique,
toute faite de
prières, de sacrifices, d'incantations aux
formules
mystérieuses. L'empirisme le plus stupide avait
établi son
droit de cité dans le Latium, et là où les dieux se
montraient
impuissants, le concours de la science humaine
ne
pouvait aborder. Il faudra venir jusqu'au ve siècle de la
fondation, pour
rencontrer Archagathus,le premier médecin
.àRome.
Jusque-là, l'art médical est inerte, endormi à l'om¬
bre des
temples. Et il y-a là une vérité si réelle que la plupart
desauteurs d'une
histoire médicale ont glissé sur la période
romaine, l'ont
même supprimée, après avoir donné le plus
ample développement aux époques grecques ou égyptiennes.
Ainsi
Renouard et Guardia. A Rome, l'histoire de la méde¬
cineest associée
à l'histoire de la superstition ; et alors que
tous
s'occupent de guérir, c'est en vain qu'on chercherait le
nom d'un
médecin. Et cependant ils sont assez nombreux,
pour que
Caton les attaque violemment en défendant à son
fils de se livrer
à leurs conseils.
— 14 -
Empruntant
tout à la Grèce, les lettres , lessciences,
les arts, le génie romain garda les superstitions et les divinités médicales
d'Athènes,
et la médecinethéurgique
romaine ne fut pas
même autochtone;
elle ne fit ques'adapter
au sensreligieux
de la nation. Et si quelques dissemblances peuvent êtremarquées entre la médecine d'Athènes et celle de Rome, il ne faut y voir qu'un effet de la direction spéciale
imprimée
à ce sens religieux dans la Ville : «Chez les Italiotes et plus tardchez les Romains le sensreligieux
fut vif; attaché fortement àl'idée,
le Romainnela laissapas s'obscurcirsous la forme extérieure. Le Grec, quand il sacrifie, a les yeux tournés vers le ciel, le Romain
sevoile la tête: l'un
contemple
quand il prie, l'autre pense.Au milieu de la nature le Romain voit toujours l'immatériel
et l'universel ; toute chose
physique,
l'homme etl'arbre,
l'Etat et le magasin
domestique
ontpour lui leur génie qui naît et périt avec eux, toute la naturephysique
enfin se répercuteet revit dans lesesprits qu'ilimagine,
il a un génie viril pourl'homme,
une Junon pour la femme. Le mariage,la
naissance,
la vie ont dans son rituel une consécration pareille. Tandis qu'en Grèce, on s'attachedavantage
à la personne desdieux,
à Rome l'idée dela divinité prédomine.Onn'eût jamaisadoré à Rome le Zeus panhellénien comme on le faisait à Athènes.En Grèce,
l'imagination
se meutdans la libertéà Rome, elle s'arrête devant untype obligé».Cepen¬
dant,
Romen'emprunta
pas tout àAthènes,
elle eut aussi sesdieux,
divinitésinférieures,
émanations peut-être de la'personne deJupiter. La piété romaine
(L
n'allait pas cher- (') «Les dieux,italiens,dans leur silencieuseimmobilité,attendirentjusqu'àla secondeguerrepunique les mythesgrecs qui devaientleur porterle mou¬
vement et la vie. Lareligion desGrecs, inspirée par le sentiment du beau, pouvait donner naissanceà l'art, les dieux italiensne participant pointà la vie ni auxpassions de l'homme n'ont que faire de laforme humaine. Aussi les Romains n'élevèrent pointde statuesaux dieuxjusqu'enl'an 170 deRome.
ARome, les dieux sontdes dieux inconnus et pleines d'uneffrayantmystère.
Les Romains ajoutaientà leursprières : « Quisquis deus es, sive deus es
sive dea, s eualio nomine appellarivolueris. »
— 15 —
cher sa nourriture dansles
abstractions lointaines et géné¬
rales; elle
s'agenouillait,
aucontraire, devant les notions les
plus
simples et les plus individuelles. Enfin de compte les
tendances de la religionromaine
sont pratiques et utilitaires,
elles vont de pairavec
le rejet du principe idéaliste. Telle l'ut
la religion à Rome,
telle fut la médecine.
CHAPITRE II
I
Divinités médicales
étrangères empruntées
auxrites
grecs.
Le plus fameux
de tous les disciples déChiron, etcelui qui
tient.la place la
plus honorable dans l'histoire des divinités
médicales, estEsculape.
Son origine assezdouteuse se
perd dons le domaine de la
mythologie ou
des fictions poétiques. Suivant la doctrine de
l'antique
Hermès, Pan, l'esprit du monde, s'unissant avec
Athéné, l'espritfemelle de lumière, avait mis
aujour
Esculape,le dieu
de la médecine. Dans
satroisième pythique,
Pindare rapporte la fable
du
«Dieu tiré des flammes
» avecles mêmescirconstances
qu'Hésiode*
Quoi qu'il en
soit, la plupart des auteurs s'accordent à le
faire naîtredu commercequ'eurent
ensemble Apollon et Co-
ronis. Coronis habitait Lacercia en Thessalie,
près du lac
Boïbias, à l'endroitoù jaillissent les
sourcesde l'Amyrus.
C'est là qu'il
faudrait placer le berceau du dieu. Sous les aus¬
pices de Cliiron, il
cultiva
avecPodalire et Machaon l'art de
guérir, et la renommée porta
si loin et si haut
sescures
merveilleuses, qu'on
l'éleva à la divinité. Les Grecs lui bâ¬
tirent un temple et un
autel à Epidaure
;c'est dans ce sanc¬
tuaire qu'il
rendait
sesoracles et c'est de là qu'il fut trans¬
porté à Rome.
Uneépidémie
s'étant déclarée à Rome
enl'an 461 de la fon-
Del. 2
- 18 —
dation, on eut recours aux livres sybillins pour conjurer le mal. Les duuinvirs, graves comme des aruspices, prédirent la durée de
l'épidémie jusqu'au jour où
le dieu Esculape se¬rait transporté d'Epidaure dans la
ville.
Q. Olgurnius fut chargé de la mission, et, monté sur une trirème, comme le Jason des Argonautes, il partità
la recherche du dieu d'Epi¬daure. « Après qu'il eut
exposé
sa demande, au lieu de la réponse qu'ils attendaient, les Romains virent à leur plus grand étonnement un serpent sortir du temple, s'acheminervers le rivage, sauter dans le vaisseau et s'établir dans la chambre
d'Olgurnius.Quelques
Asclépiades le suivirent aus¬sitôt afin d'enseigner aux Romains le culte de ce nouveau dieu. Pendant la traversée, ons'arrêta
près
d'Antium où le serpent alla visiter le temple d'Esculape : ilrevint trois joursaprès
au vaisseau et se laissa conduire à Rome. »Le bateau remontait le Tibre et déjà l'on apercevait les
collines de la ville. Sur le caudicarius(large bateau dont 011 se servait pourremonterle Tibre), le chef desrameurschan¬
tait le celeusma pouranimer les matelots et les aider à frap¬
per les flots en mesure, C'était à l'endroit où le fleuve se
bifurque pour encadrer de ses deux bras une petite île oblongue, comme si unvieux navire s'était échoué dans son lit.
Le serpent qui, jusque là, était resté enfermé dans la chambre d'Olgurnius,sortit du vaisseau, et, à travers les ro¬
seaux, gagna l'ile. On crut àunemanifestation de la divinité qui semblait vouloir s'établir dans l'ile, et là 011 éleva un
temple. Le culte
d'Esculape
était introduit à Rome,Du même coup, 011 élevait un temple à sa fille Hygiea, déesse de la santé, qui devait avoir desjours glorieux dans la ville. D'ailleurs, l'imagede la déesse revenait plus souvent dans les temples que celui d'Esculapeson père.
Mais la sommedes maux qui accablent les hommes étant immense, ce n'était pas assez d'un seul dieu pour étendre
son rôle salutairesur toutes les douleurs.A côté
d'Esculape,
qui de simple mortel fut élevé à la divinité, 011invoqua
les grands dieux, les Dii consentes, toute l'Olympe de Jupiter.Minervesortie du cerveau du roi desdieux,
fut invoquée à
Rome entantque
déesse propice
auxsouffrances
; untemple
élevé en son honneur sur l'Esquilin., avec au
frontispice
«Minerva Romanorum medica»,en fait foi. Junon,
la jalouse
épousede Jupiter, eut
sonrôle à jouer dans l'allégement des
maux, surtout
auprès des femmes enceintes. C'est là le rôle
que les
Athéniens avaient dévolu à Hilythie, et peut-être ne
faut-il voiren Hylithieet Junon
qu'un seul personnage sous
deux dénominations différentes.
Diane
oula triple Hé¬
cate, la déesse qui,
la nuit, fait
seschevauchées dans le
ciel parles
clairs de lune, doit être rangée parmi les divi¬
nitésmédicales, sur la
foi d'ex-voto gravés à
salouange,
de corniols, d'onyx et
d'autres monuments antiques. Pour
tenir un rang moins
brillant, Cérèsou Démeter, la mère des
dieux, me semble
devoir figurer dans
cecortège. Et cepen¬
dant le rôle de divinité médicale lui a
été refusé, la question
est encore
pendante.
Lapénurie des documents, la rareté des
inscriptionsne
permettent
pas, eneffet, d'être affirmatif à ce
sujet. Mais en
parcourant
«les Fastes», du poète deSulmone,
on trouve un passage
consacré à la divinité chtonienne, pré¬
sentée au moment où elle répond ses
bienfaits
surle fils du
vieuxCelée, etramène un
enfant miné
parla consomption à
la santé. Quoi
qu'il
ensoit, si le culte de Cérès est encore
douteux, celui de
Cybèle, divinité médicale, est universelle¬
ment reconnu. Le singulier vœu
de l'impératrice Otacilla,
constitue un monument indéniable des
sacrifices
enl'hon¬
neur de la divinité quiavait
surtout
pourfonctions de veiller
aux maladies desenfants. C'est,la déesse
gardienne du
pre¬mier âge. Il n'est pas
jusqu'au vieux Priape lui-même qui,
tantôt sous la formede Liber,
tantôt
souscelle d'un faune
lubrique* nepuisse être rattaché à cette évocation des dieux
médicaux. Il
préside à la conception
;les hommes l'invoquent
pourobtenirunesemence
fécondante. Mais le premier d'entre
tous, le plus
puissant, le plus secourable, celui que l'on in¬
voque à
l'égal d'Esculape et d'Hygiea sa fille, est le divin
Apollon, aux
attributs multiples, Apollon Exr,êoXoç, Apollon
— 20 —
Terpsichore,
ApollonHwTsp. Il
préside aux maladies quedéveloppe la fièvre, il
s'occupe
de la santé morale comme de la santé du corps ;c'est
le consolateur des âmes affligées, c'est le médecin tutélaire et sauveur des malades affaiblis, ruinés, anéantis par la souffrance.II
Divinités
empruntées
auculte égyptien.
Le
polythéisme
montait comme une marée envahissante et devenait un véritable chaos. Les fables semultipliaient
comme les divinités ; une réaction était imminente. En vain les prêtres et les hommes d'état s'opposent à ce bouleverse¬
ment des croyances, à cette inondation de divinités. Le gou¬
vernail échappe de leurs mains, leurs efforts sont inutiles.
On défend souspeine de mort l'admission d'un culte étran¬
ger, chaque
Olympiade
ou chaquelustre est marquéepar la proscription des divinités barbares, par l'expulsion de leurs prêtres et le renversement de leurs temples. Mais partout le polythéisme réagit, et le Sénat romain vainqueurdu monde ne peut résister à l'opinion, il essaye de transiger
avec elle, il permet l'adoration des dieux étrangers hors de la ville. Ce futun débordementet, lorsquele flot sefut retiré, la religion égyptienne avait planté son drapeau à Rome, Isis, Sérapis et Mithra avaient droit de cité.
La fameuse table isiaque sur laquellese sont penchés tant de patients chercheurs sans pouvoir en déchiffrer l'énigme quedonnera le Sphinx
lorsqu'il
parlera, renfermedes figures où Isis est représentéeavec le serpent, symbole de la méde¬cine.
Isis représentait la force active, la puissance de concevoir et de mettre au jour dans le monde sublunaire. Peut-être pourrait-on la confondre avec Junon, les mêmes rôles leur paraissent dévolus. Serait-ceencore une Vénus génitrix, une
- 21 —
Aima Mater pareils
liominum, dont parle Lucrèce ? Malgré
les recherches les plus
laborieuses, le culte d'Isis est encore
trop vague pourque
Ton puisse inférer quelque chose de
positif à ce
sujet. Quoi qu'il
ensoit, son culte fut établi à
Rome, et au temps de
Galien la matière médicale renfermait
plusieurs
remèdes composés portant son nom.
Sérapis fut
invoqué et tenu
pour unedes plus brillantes
divinités médi aies de la Ville et
du Latium. Divinité bienfai¬
sante et redoutable, d'un côté source
de vie et de richesse,
conservateur et réparateur
de la santé,
enquoi il est identi¬
que
à Esculape, de l'autre côté, dieu de l'hiver et des ténèbres,
dominateur du sombre royaume,
il fut invoqué
pourtout
cequi
touchait à la santé, à la souffrance, aux douleurs de
l'âme. Sa renommée
grandissante franchit- les collines, et
l'on a pu retrouver
dans les ruines d'Herculanum, une statue
colorée de ce dieu. Sur d'autres
monuments figurés, cette
divinité porte des
serpents, des agathodœmons et d'autres
emblèmes de la santé. Sa fonction
de divinité médicale est
gravéeen
style lapidaire
sur unefoule de monuments ro¬
mains,qui
constituent
untémoignage probant, authentique,
du culte qui
lui fut rendu
souscette rubrique.
III
Divinités
médicales autochtones.
Pareilleaux semis d'étoiles de
la voie lactée,
unemyriade
de petits dieux
faisait
satache dans le groupe des grandes
divinités. Et c'est danscette
création
ques'est réalisé surtout
le génie propre
de la religion, le caractère utilitaire du poly¬
théisme romain. Partant des
abstractions les plus simples,
des circonstancesdela vie les plus
banales,
oninventa des
dieux pour tous
les actes physiologiques d'une existence
humaine. Le surnaturel, le
mystérieux, l'incompréhensible,
travaillaientlesesprits. Etcescroyances
qui à la longue dispa-
- 22 —
raitront des intelligences, laisseront encore longtempsaprès
elles des usages,des rites, des formes de langagedont l'incré¬
dule mêmenepourra s'affranchir.
Lemystèredelagénération
surtout reposait dans la divinité, le générateur leur parais¬
sait unêtre divinet ils adoraient leurs ancêtres. Etcependant, malgré cette déification l'homme, pour concevoir, réclamait
le secours du Ciel. Je vais montrer la foule des dieux prési¬
dant à cet acte, le poursuivant
jusqu'à
son terme, la naissance, pour nel'abandonner qu'à la puberté,
où la providencedu foyer prend sa place.C'est Jugatinus qui préside à l'union dessexes, mais il faut conduire la timide
épousée
ou toit conjugal, voici le dieu Domiducus. Est-elle arrivée, faisons-lui les honneurs de la maison; il faut l'installer. Domitius est là. Or, prise de peur ne fuira-t-elle pas? Non, Manturna la retient. La voilà livréeauxbras de son époux, consentante ou involontaire. Le Ciel l'a voulu. Mais n'est-ce point assez? épargnez de grâce la pudeur humaine, laissez faire le reste dans le secret à l'ardeur de la chair et du sang. Pourquoi, quand les para-
nymphes elles-mêmes seretirent, remplir la chambre d'une foule de divinités? C'est pour aider une jeune vierge faible
ettremblante à faire le sacrifice de sa virginité!
Cependant, voici la théorie des dieux quiva défiler. C'est la déesse Virginiensisqui s'avanceavec le
pèreSubigus,
lamère Prema, la déesse Pertunda, Vénus et Priape. Cette affluencene rendra-t-elle pas rouge de pudeur les époux et en dimi¬
nuant les ardeurs de l'un n'augmentera-t-elle pas la résis¬
tancede l'autre? Virginiensis est là pour dénouerla ceinture de
l'épousée,
Subigus pour la mettre au bras du mari, la déesse Prema pourla maîtriseret l'empêcher de se débattre.Mais àquoi bonPertunda?qu'ellesorte, qu'elle laisse quelque
chose à faire au mari, car il est inconvenant qu'un autreque lui s'acquitte de cet office.
Abaissons les rideaux, laissons les nouveauxépoux seuls
avec Liber et Libéra. Liber aidera le mâle à se débarrasser de sa semence ; auprèsde la femme, Libéraremplira le même
— 23 —
rôle. Leurvigueur est-elle encore en
défaut? C'est Janus,
protecteurcle la vie, qui
ouvreles voies à la formation d'une
existence humaine.Invoquons le: «Aditum
aperit recipiendo
semini». L'enfant estconçu;
il le
sera, carle
groupeLiber et
Libéra veille à la régularité et à la fécondité de
la
semence.Il va appartenir
à de nouvelles divinités
:Fluonia le nourrit
en retenant le sang dans le sein de sa
mère, elle est aidée
dans ses fonctions par
Alemona, qui n'est peut-être
que Mena présidant auxfonctions menstruelles et perdant
sesattributs au cours de la grossesse. Aux
derniers mois de la
gestation, Nuna et
Décima étendent leur protection
surle
fœtus, cependant que Prosa ou
Postverta, les déesses delà
version, ont veillé
à la bonne présentation de l'enfant. Les
premières(douleurs de l'enfantement
sesont déclarées,
douleurs légères,
semblables
aufrôlement d'une araignée
courant sur le ventre, douleurs aiguës,
irradiées. Partula
veille.
Ageronia préside
à
sesmouvements, et grâce
auxNixii qui
ont présidé aux
efforts de la parturiente l'accouchement
sera facile. Lucinedirigela naissance,
Diespiter donne le jour
aunouveau-né.
L'enfant est mis au monde, il est à peine
sorti du sein de
sa mère que
l'essaim des dieux voltige encore aussi dense
autour de lui et semble vouloir l'assaillir.
C'estVaticanusqui
ouvre la bouche aux premiers
vagissements, c'est Cunina
qui soignera
l'enfant dans
sonberceau, et Rumina en nour¬
rice dévouée lui
présentera la mamelle. Que faut-il de plus ?
le faire boire et le faire manger.Educa
etPotina sont présen¬
tes. Sesossont mous et flexibles comme
des
roseaux,la
déesse Ossipaga
leur donnera la dureté de la pierre ; ils doi¬
ventsourire à leur mère, prononcer ou
balbutier leurs pre¬
miers mots,
Fabunela
etLocutia leur apprendront et leur
délieront la langue. Et ce
n'est qu'une partie de
cequi futin-
voqué à Romecomme
divinité secourable propice aux dou¬
leurs, tantil est vrai que
le fanatisme religieux avait placé
les moindres phases
du développement corporel sous lapro-
tection de divinités spéciales dont, lesnoms mêmes indiquent
à quelles minuties puériles on supposait
occupées
les puis¬sances d'en haut, et avec quelle fertilité
d'imagination
le gé¬nie romain créait des dieux secourables.
Auprès
avoir suivi l'enfant au milieu de la foule des dieux qui se le partagent,jereviens à la mère. Après ladélivrance,la nouvelle accouchée réclame des soins et des exigences spéciales. Pas de
thérapeutes,
pas de sages-femmes; troisdieux vont remplir de nouvelles fonctions. C'estVarron qui
nous raconte les faits dans son livre merveilleuxdes dieux choisis, opuscule aujourd'hui perdu, mais que les pères de l'Eglise ont pu reproduire dans des pagesadmirables.
Varron assigne une trinité à la garde de celle qui vient de mettre un être au monde, de peur que Sylvain ne vienne la tourmenterla nuit. Pour figurer cette trinité, trois hommes fontla ronde autour du logis. Ils frappent d'abord le seuil de la porteavec une cognée, le heurtent avec un pilon, puis en¬
fin le nettoient avec un balai. Ces trois emblèmes de l'agri¬
culture ayant pour effet d'empêcher Sylvain d'entrer. Car c'est le ferqui taille et coupe les arbres, c'est le pilon qui broie le blé eten retire la- farine que le balai sert à recueillir.
De ces trois attributs sortent les noms de ces dieux, la déesseIntercidona, de l'incision faite par la cognée, Pilum-
nusdu pilon, Deverra du balai, trois divinités occupées à pré¬
serverles accouchées des violences de Sylvain.
Ainsi la protection des divinités bienfaisantes nepeutpré¬
valoir contre la brutalité d'un dieu malfaisant qu'à la condi¬
tion d'être trois contre un et d'opposer
à
ce dieu âpre, sau¬vageet incultecommeles boisoù il habite, les emblèmes de culturequi lui
répugnent
et le font fuir.Le peuple romain en quête de divinités ne se rebuta point devant cette multitude qui l'assiégeait déjà. On en créait
tous lesjours ce qui faisait dire à Pline : « Faciliuspossis Deumquam hoininem invenire ». S'il fallaitjuger de la piété
des Romains
d'après
le nombre de leurs dieux, on ne trou¬verait pas sur la terre de peuple aussi religieux; ils ont des
\
— 25 —
dieux pour tous les
Ages,
pourtoutes les passions, pour tous
les sentiments clelame, pour
toutes les' phases de la vie,
pour tous
les phénomènes de la nature, ils en ont tant que
leur ville est comme une Olympe.
On adorait comme une divinité
bienfaisante, le feu,
con¬servateurde la santé. Lamaison d'un
Romain renfermait
un autel, sur cet autel il y avait un peude cendre et des char¬
bons allumés. Ce feuétait
quelque chose de divin, on l'ado¬
rait, on lui rendaitun
véritable culte,
011luidonnaitenoffran¬
des tout ce qu'oncroyait
pouvoir être agréable à-un dieu, des
fleurs, des fruits, de l'encens et
du vin. On réclamait sa pro¬
tection, on le croyait puissant, on
lui adressait de ferventes prières
pourobtenir de lui
ceséternels objets des désirs bu-
mains« santé, richesse, honneurs ».
Voici d'ailleurs une
prière
audieu du feu, recueillie dans
les hymnes
orphiques.
«0 Foyer, ô toi qui es éternel, beauet
toujoursjeune,
rends-nous florissants, toi qui nourris, toi
le distributeur des dons-, sois-nous
propice, reçois
nos offrandes et en retour donnes-nous lebonheur et la santé
qui estsi douce. »
Les fontaines et les sources qui
jaillissent du
creuxdes
rochers humides, douées de
propriétés plus
oumoins cura-
tives, bénéficièrentd'un même culte. Les
eauxde Sinuesse
en Campanie, qui
font
cesserla stérilité des femmes et gué¬
rissent la folie des hommes, étaient tenuesen
grande véné¬
ration et l'objet
d'abondants pèlerinages. Ne savait-on pas
aussi que les sources
avaient été déifiées à Athènes.
Dans le territoire deThespie est une
fontaine qui rend les
femmes fécondes; la source
du Linus assujettit le fœtus
ets'oppose aux
avortements. Qu'y a-t-il d'étonnant? La fon¬
taine de Canathus refaisait la virginité et les
Argiennes
venaients'y
baigner à l'instar de Junon qui s'y rendait une
fois chaque année.
Martial nous rapporte,
lui-même, qu'il
asacrifié
unetruie
encorevierge à la
divinité d'une
eauvive qui coule dans sa
maison et qu'il a
invoquée pendant
unemaladie. Souvent,
— 26 -
d'ailleurs, lesinscriptions votives en l'honneur des sources sont motivées par leur action curative, c'est le cas de quel¬
ques ex-voto découverts dans les provincessur des
empla¬
cements où jaillissaient autrefois etoù jaillissentencore des
sources d'eaux minérales.
Mais cen'est pas tout. On en vint à déifier les maladies; la Pâleur, le Rire inextinguible, la Douleur, la Fièvre,
Mé-
phitiseurent leur culte etleur temple dans Rome. Al'exem¬
ple des antiquaires, il ne faudrait
peut-être
voirdans
ces divinités qu'une émanation de cette grande déesse aux mille noms,la Fortune des Romains. L'être mobile et indé¬terminé de Fortu-na et en général des grands Dii consentes,
seprêtait, en effet, à toutes les assimilations, à toutes les associations, à toutes les substitutions ; on sacrifiait à des abstractions divinisées qui avaient avecla Fortune des rap¬
ports intimes.
Tout d'abord, le mot Fortuna eut à l'origine une
significa¬
tion exclusivement favorable.
L'idée inconstante d'abord, puis grandissante,
d'hostilité
s'empara de son être à mesure que le sentiment religieuxetqu'une expérience plus attentive des choses du monde fit
douter de la faveur des dieux. A côté de la bonne on eut la mauvaise Fortune. Une déesse de la mauvaise Fortune eut son temple sur l'Esquilin et fut invoquée sur cette colline.
Si l'on remarque que sur ce même mont s'élevaient les tem¬
ples de la Fièvre et de Méphitis ne serait-il pas
raisonnable
d'induire que cesdéesses de la fièvre et du méphitisme for¬
maientavec Fortuna une trinité dont chaque partie
était
identique. Il n'y a pas, d'ailleurs, de divinités que les Ro¬mainsaient mieux adaptées à certaines circonstances de la
vie publique et privée, à tous les individus, à toutes les col¬
lectivités que Fortuna, qui tantôt est associée à Salus, tantôt coupléeauxdieux de la médecine, Esculape et Hygiea.
Bien quela question soit encore douteuse et restée sus¬
pendue, j'ai rangé Angërona au nombre des divinités médi¬
cales autochtones.
— 27 -
Son image était
suspendue dans la Cura Aculeia au-des¬
susdel'autel de Volupia. Elle
était figurée
avec undoigt sur
sa bouche, bandée etscellée. Que
signifie cette attitude sym¬
bolique? Les uns
font d'elle la divinité qui délivre des an¬
goisses et
des soucis secrets. C'est peut-être pour ce motif
qu'elle est
placée auprès d'une déesse qui parait avoir per¬
sonnifié le contentement et la volupté.
Les autres se basent sur ce fait
rapporté
parles histo¬
riens : unemaladie contagieuse (une sorte
d'angine) s'abat¬
titsur le Latium,n'épargnant ni
le peuple ni les animaux
domestiques. Angerona
fut invoquée, des sacrifices lui furent
offerts, eten même temps que
montait la fumée des victi¬
mes la protection
de la déesse descendait de l'Olympe, con¬
jurantle mal et
l'arrêtant dans
samarche.
Ainsi finit la description des
divinitésmédicales romaines,
si nombreuses, si
ingnifiantes
quel'on comprend presque
le chant de Néron dans l'incendie de Rome.
Jepunis cette Rome et
je
me venged'elle !
Nepoursuit-elle pas
d'un
encensinfidèle
Tour à tourJupiter et ce Christ
odieux ?
Qu'enfinàleur niveau saterreur rue
contemple !
Jeveux avoir aussimon temple
Puisque cesvils
Romains n'ont point
assezde dieux.
V
•V'V'Ï 1
fr
I!
RI
W-jK\• ]
■■'V-
»
II!
wm?k
- 'bx
H
K, • . uê
■
I
III','!*
m:?:,-
MF \;>
!
V :
"
CHAPITRE III
Temples, Prêtres. Culte rendu aux divinités
médicales.
Temples d'Esculape.
Dons l'îleTibérine, quele
fleuve
enserrede
sesdeux bras
commeles flancs d'un navire échoué, s'élevait
le temple le
plus célèbre bâti enl'honneur d'Esculape. Les Romains l'as¬
siégeaient dans les grandes
épidémies, s'y rendaient dévote¬
mentdansleurs maladies. C'était encore un refuge pour
les
esclaves souffrants ou languissants, car, au
temps de Clau¬
de, d'après Suétone, on
les exposait dans le temple du dieu
de la médecine. Les siècles qui détruisent
tout, même l'ai¬
rain, n'ont pas respecté
le monument
;cependant, il restait
encore au xvie siècle, disent certains auteurs,
dans l'île
du Tibre, des masures du temple
d'Esculape à l'endroit qu'oc¬
cupeaujourd'hui la
basilique Saint-Barthélémy.
Outrece templede l'île
Tibérine, le plus fameux de
ceuxde
Rome, on croit qu'il y en
avait
unautre
auxThermes deTra-
jan. Il n'en resteaucune trace.
L'affiuence du mondeau temple d'Esculape
était considé¬
rable. On y venait
demander la santé. Les plus ardents pas¬
saient des nuits sous la voûte sacrée et y
sommeillaient dans
l'espoir d'avoir des songesfavorables. C'était
cequ'on a ap¬
pelé l'incubation. Mais le
dieu n'envoyait de
songesheureux
— 30 —
qu'àceux dont lecorps étaitpur et quiavaientaccomplitous les ritesnécessaires
(*).
Après ces songes,selonqu'ils étaient plus oumoinsimpres¬
sionnables, plusou moins
malléables,
les uns guérissaient,les autres ne trouvaient qu'un léger ou vain soulagement.
Deceux-ci, on n'en parlait plus, mais les favorisés, croyant
devoir rapporter leur guérison aux songes età la protection d'Esculape, allaient racontant à tous les échos les cures ex¬
traordinaires du dieu. Et le culte d'Esculape grandissait, portésurles ailes de la Renommée. Et comme témoignage de reconnaissance, on immolait une chèvre au dieu, sur un
autel, le Tribomos. Ce triple autel du temple
d'Esculape
a longtemps intrigué les chercheurs. On le crut spécialementconsacréau dieu de la médecine
jusqu'au
jouroùM. Fabreti, dans une inscription, démontra qu'il existait dansplusieursautrestemples.
Au-dessus du triple autel s'élevait une magnifique statue dudieu, ouvrage du ciseau de
Cépbinodore,
et des prêtres, appelésAsclépiades,
étaient chargés de l'entretien de la sta¬tue, des sacrifices etdes prières. Ces
Asclépiades
se recru¬taient dans la famille desAcilius; comme en témoignent en effet des inscriptions sur ses monnaies, la gens Acilia por¬
tait ou l'image d'Esculape, ou celle d'Hygie, dela Santé, ou du Salus, mots synonymes dans la langue latine. Est-ce une
allégorie
du nom Acilius. une allusion au verbe grec qui si¬gnifie guérir, un rapprochementimaginé entre les Acilii, les AcesiiouAcestoïdes? Telle estl'opinion deplusieurs savants.
D'autres ont cherché avec plus de fondement, dans un pas¬
sage de Pline, l'ôrigine de ces représentations des dieux de
la santé, affectées à la famille Acilia. Nous savons, en effet, par le naturaliste, qu'à
l'époque
oùle premier médecin grec, Archagathus, vint duPéloponèse
à Rome, en 535, sa rési¬dence lui fut assignée dans le carrefourAcilius. Quoi qu'il
(fi Ou offraitaudieu le libum oulepopanum, gâteauplat, et un capedo,
sortedevaseoù l'on recueillait le vin du sacrifice.