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La brûlure du visible. Photographie et écriture

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Academic year: 2022

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La brûlure du visible

Photographie et écriture

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Collection

Eidos

dirigée par Michel Costantini & François Soulages

Série Photographie

Catherine Couanet, Sexualités & Photographie Michel Jamet, Photos manquées

Michel Jamet, Photos réussies Anne-Lise Large, La brûlure du visible Panayotis Papadimitropoulos, Le sujet photographique

François Soulages (dir.), Photographie & contemporain

François Soulages & Julien Verhaeghe (dir.), Photographie, médias & capitalisme Marc Tamisier, Sur la photographie contemporaine

Marc Tamisier, Texte, art et photographie. La théorisation de la photographie Série RETINA

Manuela de Barros, Duchamp & Malevitch. Art & Théories du langage Eric Bonnet (dir.), Le Voyage créateur

Michel Gironde (dir.), Les mémoires de la violence

François Soulages (dir.), La ville & les arts. A partir de Philippe Cardinali Série Groupe E.I.D.O.S.

Michel Costantini (dir.), Ecce Femina Michel Costantini (dir.), L'Afrique, le sens.

Représentations, configurations, défigurations Groupe EIDOS, L'image réfléchie. Sémiotique et marketing Pascal Sanson & Michel Costantini (dir.), Le paysage urbain

Marc Tamisier & Michel Costantini (dir.), Opinion, Information, Rumeur, Propagande. Par ou avec les images

Hors Série

Michel Costantini (dir.), Sémiotique du beau

Michel Costantini (dir.), La sémiotique visuelle : nouveaux paradigmes Bibliothèque VISIO 1, Biblioteca VISIO 1, Library VISIO 1

Comité scientifique international de lecture

Aniko Adam (Université Pázmány Péter, Piliscsaba, Hongrie), Michel Costantini (Université Paris 8, France), Pilar Garcia (Université Bellas Artes de Séville, Espagne), Alberto Olivieri (Université Fédérale de Bahia, Brésil), Panayotis Papadimitropoulos (Université d’Ioanina, Grèce), Gilles Rouet (Université Matej Bel, Banska Bystrica, Slovaquie), Silvia Solas (Université

de La Plata, Argentine), François Soulages (Université Paris 8, France), Rodrigo Zuniga (Université du Chili, Santiago, Chili)

Publié avec le concours

de RETINA International, Recherches Esthétiques & Théorétiques sur les Images Nouvelles & Anciennes,

& d’ECAC, Europe Contemporaine & Art Contemporain.

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Anne-Lise Large

La brûlure du visible

Photographie et écriture

L’Harmattan

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Photographie de couverture : ©Anne-Lise Large

© L’HARMATTAN, 2012

5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris ISBN : 978-2-296-96055-8

EAN : 9782296960558

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7

I

Lumière

◊ La lumière crue est la première lumière : la blancheur âpre de la page, la pellicule sensible.

◊ Il n’écrit ni ne photographie jamais ce qui est déjà accompli. Il cherche encore à faire apparaître le dissimulé ou la dissimulation profonde.

◊ La lumière sort de l’ombre. Elle est ce qui porte au visible le jusque- là-laissé-dans-l’ombre.

◊ Le fond lumineux du visible n’est pas un fondement (Abgrund). Il témoigne d’une absorption à la fois du proche et du lointain, de l’éclaircissement et de l’arrivée d’une autre lumière. Il est excès de lumière, trop plein de luminosité. Ce qui revient à situer cet excès hors de toute possibilité d’aveuglement ou d’éblouissement. Cet excès est creux, il n’excède rien, il est la première illusion fondant la banalité du jour.

◊ La lumière : le versant incontournable de la parole.

◊ De répétition en surimpression, la lumière ouvre le fond du visible : un espace de repos et de menace, de retrait et d’enfermement, d’écho et de silence.

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◊ Le trou des appareils photographiques sténopé — trou par lequel on ne photographie qu’approximativement et depuis lequel il est impossible d’opérer un cadrage précis sur le réel. Lieu d’infiltration de la lumière venant taper en profondeur sur la surface sensible, donnant souvent lieu à des photographies bougées, floues, étonnement dépourvues de centre. Au moment où le regard se tient au fond de la lumière, il se détourne de tout voilement comme de tout dévoilement.

Ce regard dont on ne saurait encore dire s’il éclaire ou obscurcit.

◊ La lumière disparaît en son apparition, elle creuse sa disparition dans ce qui la fait apparaître.

◊ La lumière rend visible. Mais cette visibilité demeure non produite, non tributaire de sa propre manifestation ou de son propre phénomène. Comme si un écho sourd se faisait entendre au lieu d’un questionnement infini : ce qui se donne à voir est lié à la lumière, et pourtant ce lien ne se laisse pas penser, ni découvrir au grand jour.

◊ L’origine n’est jamais dirigée vers le devenir de ce qui est venu ; elle n’est ni à la source des choses, ni possiblement conceptualisable, mais bien plutôt l’approche de toute approche : apparition, tentative de restitution, aveu d’une visibilité autre.

◊ La lumière se présente, non seulement comme la condition originaire de la perception, mais comme génératrice de zones éclairées et de zones d’ombres : voir pour écrire, voir pour photographier. Regarder, et même depuis le cœur de la nuit, et même le cœur de la nuit, c’est toujours être en relation avec la lumière ou l’absence de lumière, c’est encore maintenir l’œuvre dans une zone d’ambiguïté venant révéler quelque chose de résolument ancien, de non historique.

◊ La lumière viendrait, à chaque fois et discrètement, défaire la certitude de ce que l’écrivain, le regardeur, le détenteur venait chercher, garder ici. Il faudrait toujours tenter de se tourner vers cette lumière comme vers une langue encore non écrite, comme vers un espace encore non regardé, et ce afin que l’œuvre puisse enfin se tourner vers elle-même.

◊ S’il nous faut abandonner l’idée d’un espace où il n’y aurait rien d’autre à voir que ce qui est vu, où il n’y aurait pas d’autre lumière à chercher au-delà de celle qui éclaire, c’est d’abord parce qu’une telle

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conception éliminerait toute possibilité de constituer une œuvre proprement dite. Il s’agit plutôt de dépasser la perception de la lumière dans son rapport de dépendance à l’existence des objets et des choses qui l’émettent ou la réfléchissent. Dans une lecture que nous pourrions dire « fictive » de la réalité, la lumière n’éclaire plus rien, elle existe sans la présence des objets.

◊ Une lumière qui, paradoxalement, vient, d’une part, dans l’acte d’écriture, du noir, de l’encre d’imprimerie ou de la lettre noire et d’autre part, dans l’acte photographique, d’une inversion (du blanc au noir, du noir au blanc) née du négatif. Comme s’il fallait sans cesse entrer en jeu avec les surfaces, les textures, la vision encore imaginaire et la réalité. Pourtant, il ne peut être question de penser, d’un côté une œuvre réalisante, et de l’autre, une réalité de l’œuvre prenant appui sur l’œuvre et non plus seulement sur la réalité. La lumière comme effet d’écriture chasse la question du type de discours ou du registre de réalité. Il y a, dans le livre comme dans l’image, une zone d’intermittence, un espace retranché — zone d’où il nous est impossible de nous écarter, au risque d’y perdre la force du regard : espace à partir duquel ce que Blanchot nomme « l’éclaircie »1 arrive.

Dans la lumière, et pour l’épreuve de l’œuvre, s’éprouve l’éclaircie.

Nous ne savons jamais ce que l’auteur voit ou a vu avant d’écrire, c’est-à-dire comment sa position s’est éclaircie au regard de l’œuvre.

Cet espace du non-savoir constitue une trouée dans l’image ou un

« trou dans le récit »2. Il opère une percée dans le visible. L’auteur chemine ainsi dans l’œuvre, de son propre point de vue à la vue de ce qui s’éclaircit, de l’angle du regard à la trouée du visible, et ce jusqu’au lieu où viendrait se déployer l’espace d’une pure visibilité.

◊ La lumière est pour l’œuvre.

◊ Ne plus regarder (ce que nous avons vu) : nous voyons par transparence.

◊ La transparence ne résulte pas de l’éclatante apparition du jour, mais bien plutôt du pénible et laborieux mouvement au cœur duquel l’auteur éprouve sa disparition. Elle est le résultat d’une élimination qui n’en finit pas, puisqu’elle ne supporte aucune opacité —

1 Maurice Blanchot, Le Livre à venir (1959), Paris, Gallimard, Folio essais, 1986, p.

224.

2 Ibidem.

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élimination progressive et interminable où s’accomplit nécessairement la disparition de toutes les mises en place, de toutes les intentions, directions et inclinations. Le voir comme tel ne peut jamais faire sens, il est la transparence du sens à chaque fois que l’auteur disparaît un peu plus dans l’espace et dans le temps. L’œuvre progresse, en cette voie, vers sa non-identification, dès lors qu’elle ne porte plus en elle la trace du regard de celui ou celle qui l’a conçue. Le cœur de l’œuvre cacherait ce mouvement où la relation de l’auteur à ce qu’il regarde est interrompue, suspendue par une lumière rapportant l’œuvre à autre chose qu’elle-même. Puisque toute écriture qu’elle soit photographique ou littéraire ne peut purement et simplement rendre compte du point de vue de son auteur, puisqu’elle doit encore dépasser celui-ci afin d’accomplir cette possibilité autre, tout autre, dont elle ne sait rien.

Une lumière crépusculaire signe la disparition du regard et laisse entrevoir une œuvre sans repère, sans sens, bouleversant tous les rapports entre le regard et le visible, entre ce qui est donné à voir et ce qui n’a pourtant jamais encore été vu. Ce bouleversement s’accompagne également d’une certaine déficience, perte de contrôle ou de maîtrise.

Comme si à la disparition tremblante de l’auteur succédait une lumière incertaine et déclinante. Et comme si cette lumière portait déjà en elle la lueur posthume de l’œuvre.

Nous entrevoyons ici l’affirmation désastreuse d’une œuvre sans auteur, c’est-à-dire d’une lumière-trace que la lumière aurait emportée avec elle. Une vision comparable à l’existence de ces « dernières lucioles » dont parle Denis Roche : « juste ce petit signal qui dit, pour rien, juste pour elles, pour savoir où elles sont et comment elles peuvent se retrouver : lumière-extinction... lumière-extinction...

lumière-extinction... »3L’espace de l’œuvre se dessine à partir de ce qui s’éclaire et de ce qui s’éteint. Nulle possibilité de retrouver depuis quel lieu ou depuis quel regard cet espace fut circonscrit. Toute grande œuvre tient au secret le « point de vue » qui a précédé à son dessein : seule demeure la lumière indéfinie sur laquelle la vue s’arrête.

◊ Ecriture de la lumière, impression de l’œil, photo-graphie.

3 Denis Roche, La disparition des Lucioles (réflexions sur l’acte photographique), Lettre à Roland Barthes sur la disparition des Lucioles, Paris, Editions de l’Etoile, 1982, p.

166.

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◊ Qu’entendre par cette « lumière crépusculaire »4 définissant les dernières images d’Arbus — définition qui est similaire à celle de Jabès à propos du livre, pensé comme « œuvre crépusculaire »5 ? Le crépuscule se situerait à l’entre-deux du visible, au moment où quelque chose se transforme, où il y a confusion entre l’apparition et la disparition. Nous ne sommes pas seulement confrontés à l’intrication des différentes temporalités du visible, mais aussi à la présence d’un invisible. Le crépuscule porte en lui quelque chose de l’ordre de l’invisibilité de toute lumière. C’est pourquoi l’invisible ne devient pas visible ; il donne plutôt à voir sa possible apparition- disparition. Il n’y a là aucun « point de vue » ou aucun œil depuis lequel l’invisible se fait voir. Nous faisons ainsi retour à l’exigence essentielle de l’œuvre, celle qui pousse toujours un peu plus l’auteur dans ses propres limites, celle qui appelle à ne plus voir qu’un point lumineux, celle qui défait le regard de l’auteur, en fait un point vide, une incertitude.

◊ Là où le visible coupe l’invisible.

◊ Il y aurait toujours dans l’écriture un passage du visible vers l’invisible et inversement : l’encre noire se dépose sur le blanc de la page, le négatif photographique est, par extension, le garant de ce passage (en lui, le visible devient une première fois invisible sur la pellicule, se révèle après développement, est inversé, puis réapparaît).

L’œuvre ne vit que par la mémoire de ces points de croisée, de ces carrefours et détours. Elle joue toujours plus fortement autour de ces points secrets, de ces accès jamais tournés vers nous. Elle nous confronte alors à son indécision absolue, à son tiraillement intrinsèque : là où le visible indique la direction de l’invisible, là où l’invisible ne cesse de le solliciter contradictoirement.

◊ Toute œuvre écrite ou visuelle — et comme telle, œuvre de toute écriture-visuelle — doit quelque chose au visible et à l’invisible. Ce devoir est ici de l’ordre d’une dette véritable : sans cet écart au cœur du visible et de l’invisible — écart dans lequel l’œuvre est tenue de séjourner —, nous ne pourrions aborder l’espace du voir et du dire.

4 Patrick Rœgiers, Diane Arbus ou le rêve du naufrage, Paris, Editions du Chêne, 1985, p.

207.

5 Edmond Jabès, Le Livre des Questions II, Paris, Gallimard, 1967, p. 528. « Le livre est œuvre crépusculaire. »

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Et ce devoir prend alors la forme d’un détour : « penser, c’est-à-dire écrire, en se détournant de tout visible et de tout invisible. »6

◊ Conditions extrêmes du voir et du dire. La lumière s’écarte entre visibilité et invisibilité. Conditions de possibilités impossiblement réversibles qui, en ouvrant à la lumière, nous projettent pourtant au détour du visible et de l’invisible. Conditions de possibilités impossibles et indépassables, puisqu’elles échappent à toute tentative d’unification et ne peuvent se déterminer. Seuls l’espace visuel de l’écriture et le photographique lui-même jouent de cette restitution du visible et de l’invisible. Lorsque la surface du papier et de la pellicule devient le lieu de cette consécration du voir et du dire, elle restitue alors la lumière de ce détour que sa propre matière permet d’enregistrer et de retenir.

◊ La photographie est un art de l’invisible là où l’écriture est un voir de la feuille éternellement blanche.

◊ L’inconnu de la vérité : un monde à la fois, visage, arbre, corps, corps de lettres et visages de ceux qui se sont perdus, un monde qui ressurgit du visible et de l’invisible, de l’invisible vers le visible.

Surgissement de la vérité donc, dans ce va-et-vient incessant, cet interminable détour venant désormais occuper le terrain, ronger la surface même de l’œuvre.

◊ L’invisible continue à passer sans laisser de traces, sans laisser d’autres traces que celles logées au fond des yeux. Ce qui importe ici, c’est peut-être de voir ou de savoir-voir : l’invisible ressemble terriblement au visible, et c’est en cela qu’il ne peut apparaître. Il est l’obsession d’un être de pur regard. L’invisible et le visible se renversent et se montrent l’un dans l’autre. Ils s’exhibent mutuellement, si bien qu’il n’y a jamais d’un côté le visible et de l’autre l’invisible. Inutile de poser le visible comme l’envers de l’invisible, puisque cet envers n’est l’envers de rien — mouvement du laisser-voir qui rend l’œuvre manifeste dans ce jeu indiscernable d’apparition et de disparition, de monstration et de dissimulation. Et ce jeu est sans fin : l’invisible se montre dans le visible qui se cache, le visible s’absente dans la présence de l’invisible qui se donne à voir. Ils sont les « vocables d’un même sang »7. S’ouvre alors un espace défini, non pas par ce qu’on voit et par ce qu’on écrit,

6 Maurice Blanchot, L’Amitié, Paris, Gallimard, 1971, p. 251.

7 Edmond Jabès, Le Livre des Questions II, op. cit., p. 528.

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ni même par ce qu’on ne voit pas et par ce qui demeure caché, mais par ce qui demeure « visible, et pourtant non pas vu en raison de cette visibilité. »8

◊ Voir met littéralement fin au visible et à l’invisible.

◊ Ce que Blanchot, tout comme Jabès, entendait par des œuvres fortes, majeures, n’était rien d’autre que la recherche d’un certain espacement du voir au lieu du détour. Et cet espacement se détourne à tout jamais de l’expérience du visible et de l’invisible comme chemin, impression, trame ou trace de vision, ou encore récupération du visiblement acceptable. Le photographique et le littéraire se rencontrent en ce détour, et par une coïncidence étrange, échangent sur ce « sens » — la vue — qu’ils possèdent en commun et qui les poussent à autre chose qu’eux-mêmes — la « non-littérature »9 ou la

« non-photographie »10. Le littéraire et le photographique se définiraient donc à partir de lavue et à partir de ce sens du détour — détour du visible et de l’invisible dans l’espace même de l’œuvre. Tout se passe comme si la « non-littérature » ou la « non-photographie » portait cette recherche du détour : voir, oui, mais jamais en se dirigeant tout-droit-vers-le-visible ou tout-droit-vers-l’invisible.

La « non-littérature » ou la « non-photographie », c’est-à-dire ce que la grande littérature ou la grande photographie n’ont cessé de poursuivre, n’ont cessé d’engager dans ce détour, réaffirmant sans cesse : voir est l’expérience sans précédent du détour du visible et de l’invisible. Expérience de la « non-littérature ». « Expérience du non- photographique »11. Blanchot pensait même : « Expérience de la non- expérience. »12

Ce qui est écrit ou ce par quoi une image est engendrée porte à jamais l’empreinte de ce détour : l’invisible se détourne, mais en ne portant jamais aucune marque. L’invisible n’appartient à personne.

C’est la raison pour laquelle la littérature n’appartient pas à la littérature, ni la photographie à la photographie et encore moins à ceux qui la font. Autrement dit, la littérature et la photographie se sont détournées de tous les regards pour, à la fois, voir et ne pas être vues voyantes ; elles sont entrées dans un espace qui n’est pas divisible.

8 Maurice Blanchot, L’Attente l’oubli, Paris, Gallimard, 1962, p. 55.

9 Maurice Blanchot, Le Livre à venir, op. cit., p. 273.

10 François Laruelle, La « non photographie », une réalité fictionnelle irréductible in Pour la photographie, La vision non photographique, Tome III, Paris, Germs, 1990, p. 194.

11 Ibidem.

12 Maurice Blanchot, L’Entretien Infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 311.

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◊ Voir implique de se tenir au plus près de la présence, d’être en quelque sorte tenu à la présence, aux confins de ce qui, à la fois, n’est pas montrable et de ce qui se montre.

◊ Le négatif photographique encore non développé est l’intimité même et la proximité inénarrable. Il porte, en sa singularité, la trace invisible. Disparue, elle cherche à apparaître, n’apparaissant pas13.

◊ Se tenir comme à la fin de soi-même.

◊ L’intime est logé au cœur d’une proximité sans appartenance.

◊ Lorsqu’on regarde une image, il y a toujours en elle quelque chose qui ne parvient pas à se rendre à la visibilité, quelque chose qu’on ne voit pas et qui relève de cette distance intime ou de ce rapport qui n’appartient pas directement au visible. Lorsqu’on lit une œuvre, les mots ne cessent de révéler cette distance en la marquant spatialement, en évidant la surface d’elle-même, en ouvrant un espace où le voir ne peut plus accéder au vu, où lire c’est voir ce que le voir et le lire refusent. C’est pourquoi le lecteur « prend part à l’œuvre comme au déroulement de quelque chose qui se fait, à l’intimité de ce vide qui se fait être »14, tout en sachant que « l’intimité de ce vide » ne vient aucunement traduire un manque ou quelque chose qui est ouvertement caché, passé sous silence par l’auteur. En ce sens, l’intimité se fait vide.

Elle ne peut donc plus être circonscrite par le rapport entre invisibilité et visibilité, entre caché et montrable. Dans ce vide, l’intimité ne peut se rendre visible, elle signifie à nouveau son être comme creusement de toute visibilité. Du vide, il n’y a rien à voir, rien à retirer, si ce n’est l’espace du voir lui-même. Il y va de cette distance intime que l’œuvre maintient à l’égard d’elle-même, somme toute proche de ce que nous pourrions nommer une distance aveugle.

Proximité à l’œuvre ou radiation de la présence. Proximité sans écriture ou proximité de la non-écriture ou lumière.

◊ La proximité, à défaut de révéler l’intime, introduit plutôt la perte de la graphia. Car l’écriture est ce mouvement intime — de l’intimité même — vers la profondeur de toute distance, vers ce vide par lequel

13 Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Nijhoff, 1974, réed. Paris, Le Livre de poche, 1996 (édition citée), p. 84. Note 1 de bas de page.

14 Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, p. 269.

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l’œuvre échappe toujours à son devenir, rendant par là même impossible toute prise dans l’intimité. L’œuvre artistique affirme une prise de vue aux confins de la visibilité. Disons, une prise de vue de l’imprenable et depuis l’imprenable. Car l’intimité n’autorise aucune prise, elle est à la fois la forme pure de la sensibilité et l’espace corrosif de la visibilité. Il semble que la proximité conduise à l’œuvre, par cet inévitable abandon de l’auteur, du lecteur et de l’œuvre elle- même. C’est pourquoi la proximité n’est pas de l’ordre de l’accomplissement, elle ne s’accomplit pas, elle tombe au contraire dans le vide, elle tombe dans l’œuvre, elle s’imprime comme « trace d’une absence » et comme « trace perdue dans une trace ». Levinas nous met en garde : « rien n’est plus impératif que cet abandon dans le vide de l’espace, trace de l’infini qui passe sans pouvoir entrer »15.

15 Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, op. cit., p. 148.

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II

Infigurable

◊ La rencontre entre photographie et écriture, à la croisée de l’infigurable et de l’invisible, ne cesse étrangement de revenir et de tourner autour d’une seule figure : le visage. Il y aurait à la fois une écriture du visage et une écriture de la présence du visage que la photographie fixerait. Cette présence du visage demeure fortement marquée dans les écrits de Levinas, de Blanchot et de Jabès qui n’ont cessé d’en pointer le caractère d’extrême invisibilité. Parallèlement, tout un versant de la photographie contemporaine questionne le visage et le présente souvent comme échappant ou résistant à la visibilité (par le flou, par le bougé ou encore par la surexposition).

L’attrait pour l’invisibilité du visage témoigne d’une visée partagée et de l’irréductibilité d’un lien. Comme s’il s’agissait de révéler une même parole et un même rapport. Mais pourquoi le visage — ce visage qui fait indéfiniment question —appelle-t-il à se perdre dans le vide de la parole et dans l’absence brûlante de l’image ? Pensée de l’abîme, limite de la photographie et de l’écriture. Regards tournés vers l’abîme de tout horizon, nous convoquant au lieu visible où le visage n’apparaît pas, au non-lieu du visage. Et ce visage n’apparaîtra pas non plus au terme d’une dialectique ou d’un « développement ».

Et pourtant, nous nous tenons à ses côtés, en face à face : nous voyons qu’il ne se laisse pas voir, nous traversons cette « épreuve », dans le temps retenu et non restituable.

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