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La théorie de l attachement : l histoire et les personnages

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L’attachement : approche théorique et évaluation

© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

La théorie

de l’attachement :

l’histoire et les personnages

Antoine Guédeney

Ce chapitre retrace le contexte historique de l’avènement de la théorie de l’attachement, de ses principales lignes de développement – de « La situa­

tion étrange » de Mary Ainsworth à l’Adult Attachment Interview (AAI) de Mary Main – et des applications thérapeutiques du concept d’attachement.

Il donne un aperçu, nécessairement incomplet, des aspects et des polé­

miques apparus depuis une vingtaine d’années autour de cet extraordinaire progrès scientifique dans le champ de la psychologie du développement, de la psychopathologie et de la thérapie, tant de l’enfant que de l’adulte.

Contexte : la Seconde Guerre mondiale, la séparation des enfants d’avec les parents, la carence de soins maternels

C’est après la Seconde Guerre mondiale que se cristallisent les questions de la perte et de la séparation chez le jeune enfant et de leurs effets sur son développement. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la guerre n’épargne pas les populations civiles et prend aussi pour cible des femmes et des enfants. On peut voir un souci de réparation dans la prise en compte, après la guerre, des effets de la séparation précoce et dans l’avène­

ment de la théorie de l’attachement. Cependant, la question du caractère primaire de l’attachement avait déjà été soulevée par un certain nombre de précurseurs. En Europe, on peut citer d’abord Himre Hermann [1], compa­

triote de Ferenczi, qui défend l’idée d’un besoin primaire d’agrippement, en référence aux primates, dans une perspective très moderne pour l’époque d’utilisation des données éthologiques dans la compréhension du développe­

ment affectif. Ian Sutie, un psychiatre écossais, évoque lui aussi le carac­

tère primaire de l’attachement mère­enfant mais son audience reste limitée.

Celle du psychanalyste anglais Fairbairn est plus large et plus durable, et il est le premier à proposer un abandon de la théorie freudienne des pulsions, ce qui n’a pas manqué d’influencer Bowlby. Il existe donc tout un groupe de psychanalystes anglais qui défendent, dès l’avant­guerre, une opinion qui va

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à l’encontre de la théorie de l’étayage et qui se retrouvent, pour la plupart, dans le Groupe des indépendants britanniques, comme ce fut le cas pour Balint, autre psychanalyste anglais d’origine hongroise, auteur du concept d’amour primaire. En Angleterre également, Anna Freud et Dorothy Burlingham vont décrire les effets terribles de la séparation durable chez les très jeunes enfants, lors du Blitz de Londres. À cette occasion, Anna Freud parlera d’un besoin primaire d’attachement et de la nécessité de le respecter, de façon plus urgente encore plus encore que de protéger les jeunes enfants des bombes. Après la guerre, Anna Freud dira à Bowlby qu’« il eût mieux valu que chacune des puéricultrices prenne un enfant chez elle, et que l’on ferme la nursery » [2].

Aux États­Unis se développe, au même moment, un intérêt pour ce que l’on appelle alors les effets de l’institutionnalisation, c’est­à­dire de l’éle­

vage de jeunes enfants séparés de leurs parents, en collectivité. David Levy, Sally Provence, Lauretta Bender et bien sûr René Spitz en dénoncent les effets et rencontrent d’ailleurs des réactions violentes de déni quand ils les évoquent.

John Bowlby

John Bowlby naît en 1907, dans un milieu aisé mais peu attentif affective­

ment. Il s’inscrit à Cambridge en médecine, sur le conseil de son père, éminent chirurgien, mais il interrompt ses études de médecine pendant un an pour travailler dans une institution du type de Summerhill, dans le comté de Norfolk, dans un moment où il ne se trouve pas satisfait d’avoir à en passer par la médecine pour faire de la psychiatrie et pour y tester ses idées sur l’influence de la famille sur le développement de l’enfant.

Sous l’influence du directeur de l’institution, John Alford, un vétéran de la Première Guerre mondiale ayant fait l’expérience de la psychanalyse, il se présente comme élève et candidat à la Société britannique de psychanalyse où il est immédiatement accepté, ce qui lui facilite la décision de pour­

suivre la médecine. Après ses études de médecine et de psychiatrie, Bowlby travaille comme volontaire dans une école pour enfants inadaptés ; il s’y occupe d’un enfant très anxieux qui « le suit comme son ombre », et d’un adolescent très en retrait et sombre, exclu pour vol d’une précédente école, et qui n’avait jamais eu l’expérience d’une figure maternelle stable [3].

Il y observe les liens entre les troubles du comportement et l’histoire des enfants. Cela donnera la trame de ses travaux ultérieurs sur la psycho­

pathologie de l’enfant à la lumière de la séparation et du deuil.

Dans les débuts de sa carrière en psychiatrie, Bowlby partage une maison avec des étudiants en économie, qui mettent en question la validité scien­

tifique de la psychanalyse. À cette période, en 1929, Bowlby commence une analyse de sept années avec Joan Rivière, une proche de Mélanie Klein,

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qui ne semble pas avoir exercé une profonde influence sur lui [4]. En 1938, une supervision avec Mélanie Klein elle­même tourne court, la mère du jeune patient étant hospitalisée pour dépression. L’absence d’intérêt et d’empa­

thie de Klein pour l’état de la mère scandalise Bowlby, ce qui ne l’empêchera pas d’accéder à la demande de Mélanie Klein de prendre son fils en analyse.

La guerre survient, qui évite une confrontation directe qui n’en sera ensuite que plus dure. Bowlby s’occupe, avec Winnicott, du suivi des enfants placés à la campagne. Pendant la guerre, il se retrouve à l’armée en contact avec un groupe de personnes – Heargraves, Rickman, Trist, Bion, qui se retrouveront et fonderont ensuite un institut à la Tavistock Clinic –, et dont certains travaillent à la procédure de sélection des officiers. La tâche de Bowlby fut de valider ces procédures. Ainsi qu’il le note, « c’était un peu comme faire une thèse de troisième cycle en psychologie, sous la houlette de Eric Trist et de Jock Sutherland » [5]. Sous l’influence de ces mentors, il révise considé­

rablement son travail sur 44 jeunes voleurs et en étoffe l’aspect statistique.

Publiée en 1944 [6], «  44 jeunes voleurs, leur personnalité et leur vie de famille » constitue à mon sens la première étude moderne de pédopsychia­

trie. En 1945, il devient chef du service des enfants à la Tavistock Clinic, où, contrairement à ses collègues kleiniens, il s’intéresse aux interactions familiales et à leur rôle dans le développement normal et pathologique. Il modifie d’emblée l’intitulé du service, qui devient le « service des enfants et des parents ». Du fait que ses collègues kleiniens accaparent les cas cli­

niques, Bowlby ne peut les utiliser pour ses recherches, ce qui le conduit à fonder sa propre unité de recherche. Dès 1948, il s’engage avec James Robertson dans une étude des effets de la séparation des jeunes enfants, parce qu’il s’agit d’un événement clairement définissable : il y a ou il n’y a pas séparation. Bowlby pense qu’il serait difficile de démontrer les effets de l’environnement sur la relation parents­enfant, en observant des aspects qualitatifs plus subtils, ce à quoi s’attachera Ainsworth.

En 1951, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [7] lui demande un rapport sur les enfants orphelins, un problème de grande ampleur dans l’Europe de l’après­guerre. George Bowlby part pour le continent puis pour les États­Unis. En France, il est déçu par sa visite à Heuyer à la Salpêtrière, mais heureux de sa rencontre avec son assistant, Serge Lebovici. Globalement, il ne s’attendait pas à une telle influence de la psychanalyse orthodoxe, avec des attitudes négatives vis­à­vis de la recherche. Il forme une collabo­

ration fructueuse avec Jenny Aubry, Geneviève Appell et, plus tard, avec Myriam David, et les aide à obtenir une bourse de recherche du Centre international de l’enfance. Ce seront les seules Françaises à être citées dans son rapport Maternal Care and Mental Health, et elles seront invitées dans les séminaires de recherche de la Tavistock. Il entreprend avec elles un travail de recherche, dans un séminaire commun à Londres, d’où seront issus plusieurs articles en français, dans la revue du Centre international de

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l’enfance. Mary Ainsworth indiquera qu’elle s’est inspirée des observations de Myriam David et de Geneviève Appel pour décrire les caractéristiques de la sensibilité maternelle qui favorisent un attachement sécure [3]. Bowlby insiste sur l’abondance des faits étayant les effets de la carence de soins maternels, qui donne lieu ultérieurement à des relations affectives super­

ficielles, à une absence de concentration intellectuelle, à une inaccessibilité à l’autre, au comportement de vols sans but réel, à l’absence de réaction émotionnelle. L’impact du rapport fut énorme. Il rendit Bowlby célèbre, mais le mit en conflit avec le monde hospitalier et avec la plupart de ses collègues psychanalystes.

En 1946, Bowlby travaille à la Tavistock Clinic de Londres, où il engage James Robertson, un travailleur social en formation analytique, pour faire l’observation des effets de la séparation en milieu hospitalier. James et Joyce Robertson sont d’origine ouvrière ; tous deux ont travaillé pendant la guerre dans les « maisons d’enfants » dirigées par Anna Freud et Dorothy Burlingham, à Hampstead, dans la périphérie de Londres, là où Sigmund Freud s’est réfugié. James, objecteur de conscience, a été engagé comme chauffagiste à la crèche de Hampstead ; il raconte qu’Anna Freud demande à tous, quelle que soit leur tâche, de faire des observations des enfants, notées sur des cartes qui sont utilisées dans la séance d’enseignement heb­

domadaire. Grâce à cela, il développe sa remarquable capacité d’observa­

tion des jeunes enfants. Après la guerre, il devient assistant social tout en débutant une formation de psychanalyste. Joyce Robertson est psychologue et s’occupe d’abord de ses enfants, puis elle travaille dans une consultation de nourrissons. Elle y rencontre des mères et publie des articles sur l’inter­

action mère­bébé et l’influence des expériences précoces sur le développe­

ment de la personnalité. Consultante dans une pouponnière, elle rapporte la nocivité de ce mode de garde pour les nouveau­nés et les jeunes enfants.

C’est elle que l’on voit dans le film « John à la pouponnière », de plus en plus inquiète au fur et à mesure que la détresse de John devint manifeste.

C’est James Robertson qui décrit les trois phases évolutives de la sépara­

tion durable chez le jeune enfant : protestation, désespoir et détachement, ce qui deviendra la séquence explicative clé de la psychopathologie de l’enfant pour Bowlby. James Robertson avait également attiré l’attention de Mary Ainsworth sur les différents modes de réunion avec les parents après séparation. Avec ses observations soigneusement organisées, et réalisées en diverses situations, James Robertson a fourni la base clinique et théorique des développements de Bowlby et d’Ainsworth, en restant relativement dans l’ombre, ce dont il semble, par la suite, avoir tenu rigueur à Bowlby.

En 1952 [8], le film sur Laura, A two years old goes to the hospital, est accueilli avec une grande suspicion, tant par Klein ou par Bion que par les pédiatres, mais il bouleverse beaucoup de professionnels de terrain ; il conduira progressivement à une prise de conscience et à la modification

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des pratiques hospitalières de séparation longue des jeunes enfants de leurs parents, avec une augmentation du temps et de la fréquence des visites. En 1969, John goes to nursery n’est cependant pas mieux reçu, et les dénégations sont vives quant aux effets de la séparation durable chez le jeune enfant. Un troisième film permettra de montrer que la séparation, si elle est toujours pénible pour les jeunes enfants, peut voir ses effets diminués si l’enfant peut bénéficier d’une relation substitutive familière. La Société britannique de psychanalyse est alors en plein conflit entre les partisans d’Anna Freud et ceux de Mélanie Klein. Bowlby est tenu à l’écart et durement critiqué pour sa remise en cause radicale de la théorie des pulsions et pour avoir cherché ses modèles dans la cybernétique, les sciences cognitives et l’éthologie, et non dans la métapsychologie freudienne ou kleinienne.

Il est remarquable qu’il ait fallu attendre l’orée des années 1950 pour poser la question de l’existence d’un comportement d’attachement chez l’homme. Tout aussi remarquable est le raisonnement, réellement scien­

tifique, tenu par Bowlby sur la base de ses connaissances éthologiques  : tous les mammifères connaissent un développement de l’attachement, l’homme est un mammifère ; quels sont donc les comportements tradui­

sant le développement de l’attachement chez le petit humain, et quelle est leur évolution au cours du développement ? En 1951, Bowlby lit la traduc­

tion du livre de Konrad Lorenz, « L’anneau du roi Salomon », paru en 1931, mais qui vient seulement d’être traduit en anglais. Il est particulière­

ment intéressé par la notion d’empreinte comme processus sous­jacent à l’établisse ment d’un lien social mais sans lien à l’alimentation, et par la méthode éthologique, fondée sur l’observation répétée et systématique du comportement dans diverses situations. Il rencontre Robert Hinde, disparu en 2016, grand primatologue et éthologiste à Cambridge qui, en 1954, attire son attention sur le travail d’Harry Harlow [9] avec les singes rhésus. Contrairement à ce qu’ont pu dire ses détracteurs, Klein, Bion, Spitz et même Winnicott, Bowlby ne s’est pas fondé uniquement sur l’étho­

logie pour décrire le comportement d’attachement. Bowlby a eu du mal à convaincre son groupe de recherche de la pertinence de cette approche, en particulier Ainsworth, qui craignait que ces apports éthologiques ne nuisent à sa réputation. Bowlby a beaucoup utilisé les descriptions filmées de Robertson, et celles d’Ainsworth en Ouganda, mais aussi ses observa­

tions dans un groupe hebdomadaire en protection maternelle et infantile (PMI) de mères avec leurs bébés, qu’il a animé pendant 20 ans dans une PMI locale [3]. Après la mort de Bowlby, en 1990, Ainsworth signe seule l’article «  Une approche éthologique du développement de la personna­

lité » qu’ils avaient écrite ensemble, et qui débute par cette phrase : « le caractère distinctif de la théorie de l’attachement que nous avons dévelop­

pée ensemble est d’être une approche éthologique du développement de la personnalité » [10].

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L’apport de Bowlby ne se limite pas à la description du développement normatif de l’attachement chez le jeune enfant, ce qui est déjà considé­

rable. Comme toujours chez Bowlby, le départ est l’observation clinique, ce dont témoigne le titre du chapitre 2 de « L’attachement et perte : des observations à expliquer » [11]. Après sa critique de la théorie freudienne de l’angoisse, Bowlby s’attaque à la position de Spitz d’une angoisse du 8e mois comme initiant une relation à l’objet « total », et démontre le carac­

tère différent de l’angoisse de séparation et de l’angoisse de l’étranger, sur la base d’observations longitudinales et non pas d’hypothèses théoriques a priori. Bowlby critique également le récit de l’analyse indirecte du petit Hans, la pierre angulaire de la psychanalyse de l’enfant, en se fondant sur les notes même de Freud. Freud laisse de côté la relation très intrusive et très insécurisante de la mère de Hans avec son jeune fils, pour expliquer la phobie de Hans par une hypothétique relation trop œdipienne avec le père. Alors que c’est bien la mère de Hans qui quittera son mari, en lui lais­

sant son jeune fils, mettant ainsi à exécution ses menaces d’abandon s’il continuait de jouer avec son « wiwimacher, son « fait­pipi ». Or Freud ne nous dit rien de la mère de Hans, qu’il a pourtant eue en analyse, comme si son attitude ne pouvait jouer aucun rôle dans les symptômes du petit garçon.

Un autre apport majeur de Bowlby à la clinique du jeune enfant est la reconnaissance de la réaction de deuil, avec le chapitre  2 de «  La perte.

Tristesse et dépression » [12], description magistrale de la place de la perte et du deuil en psychopathologie de l’enfant, fondé sur l’article clé « Grief and mourning in infancy and early childhood  » de 1959. Bowlby y met en question la théorie alors prévalente qui suppose que le narcissisme du jeune enfant soit un obstacle à l’expérience du deuil et de la perte, que l’on considère alors comme limitée à des moments d’angoisse vite résolutifs.

Mélanie Klein pense que la perte du sein est la perte essentielle. Là encore, Bowlby sera durement critiqué, par Spitz et Mélanie Klein, dans sa prise en compte des effets des séparations réelles, qui prennent le pas pour lui sur les conflits internes. De façon alors assez pionnière, Bowlby évoque l’effet sur les parents de la perte d’un enfant, et évoque même le cas des enfants mort­

nés, cas très peu évoqué jusqu’au début des années 1970. Il décrit précisé­

ment l’évolution de la réalisation du caractère irrémédiable de la mort chez l’enfant, ainsi que les effets de mensonges qui visent à le protéger. Il est le premier à parler de guidance, inspirée par la prise en compte des logiques de l’attachement, pour aider un parent survivant dans les relations avec son enfant. Cela sera développé dans le livre remarquable et bouleversant d’Alicia Lieberman et al. : « Perdre un parent dans la petite enfance », qui décrit la manière d’aider le parent survivant avec son très jeune enfant [13].

Ce travail sur le deuil sera prolongé par l’étude chez l’adulte de Parkes, qui rejoint Bowlby dans l’unité de recherche de la Tavistock en 1962.

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Cela aboutit à un travail commun avec Bowlby [14], et à la description des quatre phases du deuil chez l’adulte :

• l’engourdissement ;

• la protestation et le manque ;

• la désorganisation et le désespoir ;

• la réorganisation.

Avant la parution de cet article, Parkes avait rendu visite à Élisabeth Kubler­Ross [15] à Chicago, qui travaillait sur son livre « Les derniers ins­

tants de la vie  » dont les phases (déni, colère, discussion, dépression et acceptation) doivent beaucoup à Bowlby, à Robertson et à Parkes.

Dans sa sixième conférence aux États­Unis, publiée dans « A Secure Base.

Clinical applications of attachment theory » [16], Bowlby nous donne l’un de ses textes le plus inspiré  : «  On knowing what you are not supposed to know and feeling what you are not supposed to feel  ». (Sur savoir ce qu’on n’est pas supposé savoir et ressentir ce qu’on n’est pas supposé res­

sentir). Bowlby parle de ce que l’on dit – et de ce qu’on ne dit pas – aux enfants dans le cas d’une mort violente d’un parent, et il appelle à plus de recherche clinique sur les effets de ces distorsions sur le développement de la personnalité. Enfin, Bowlby nous a donné une description fine de l’atta­

chement inversé et du « caregiving » compulsif, et de son implication dans les cas de phobie scolaire dans la « Séparation, attachement et “phobies” de l’enfance » dont le chapitre « Quatre schèmes d’interaction familiale » inau­

gure un abord systémique familial du point de vue de l’attachement [12].

Cette perspective sera développée par John Byng­Hall [17]. Finalement, on peut noter que très peu de cliniciens et de chercheurs ont eu, de leur vivant, un tel impact sur la modification des pratiques et sur la recherche.

En France, la pénétration de la théorie de l’attachement est lente et partielle. L’attachement, ainsi que le développement précoce, vu de façon moderne, ne sont enseignés au niveau de licence ou de master que dans quelques facultés de psychologie, dans presque aucune faculté de médecine, et dans peu d’écoles d’infirmiers ou d’assistant social. La trilogie de Bowlby : le volume 1, « Attachement et perte. L’attachement », publié en 1969 [18], n’est traduit qu’en 1978 par Janine Kalmanovitch ; le volume 2, « Sépara­

tion. Angoisse et colère  », publié en 1973 [11], est traduit par Bruno de Panafieu en 1978 ; le volume 3, « La perte. Tristesse et séparation », paru en 1980 [19] est traduit par Didier Weil dès 1984. L’ouvrage « A Secure Base » est traduit seulement en 2011 sous le titre : « Le lien, la psychanalyse et l’art d’être parent ».

Ce retard et cette réticence encore très actifs tiennent beaucoup à ce qui est perçu comme une opposition frontale de Bowlby à la théorie freu­

dienne. Mais on peut relire avec intérêt la préface de Bowlby au volume 1 de l’attachement [18] : « à mesure que j’avançais dans l’étude de la théo­

rie, il m’est apparu peu à peu que le sol où j’avais entrepris d’un cœur

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léger de porter ma charrue n’était rien moins que le champ que Freud avait commencé à labourer 60 ans plus tôt (…) l’amour et la haine, l’angoisse et défense, l’attachement et la perte… » (p. 5). Mais pour Bowlby, ce sont les faits scientifiquement recueillis qui donnent lieu à l’élaboration théorique, et non pas l’inverse. Au cours de l’accomplissement de la tâche que lui a donnée son mentor de la guerre, Heargraves, des recherches et rencontres pour écrire le rapport à l’OMS, Bowlby se rend compte qu’il manque une théorie pour organiser l’énorme masse des faits liés aux effets de la sépara­

tion. Les psychanalystes s’y étaient intéressés de longue date, mais comme le note Bowlby « the theory was a mess. I wanted to contribute to the scientific role of psycho analysis  » (la théorie était confuse. Je voulais contribuer à accroître le rôle scientifique de la psychanalyse) [20].

Mary Ainsworth : la sensibilité maternelle, la base de sécurité, la situation étrange,

mais aussi le développement de la personnalité

Mary Ainsworth a réellement codéveloppé la théorie de l’attachement, avec John Bowlby, au cours d’une collaboration qui se prolongera pendant 30 ans. Elle y contribue d’abord par la recherche en Ouganda, puis à Balti­

more, sur le développement du comportement d’attachement. Elle amène ensuite le concept clé de sensibilité maternelle aux signaux de l’enfant, et montre son rôle dans le développement de la sécurité. Enfin, Ainsworth a apporté l’idée de la figure d’attachement comme base de sécurité à partir de laquelle l’enfant peut explorer le monde. Un aspect peu connu de cette collaboration entre Bowlby et Ainsworth est l’intérêt jamais démenti pour les effets des séparations précoces sur le développement de la personnalité.

Avec la situation étrange, Mary Ainsworth va donner à la théorie de l’attachement de Bowlby un prolongement et une validation expérimentale qui vont en démultiplier l’influence. En effet, peu de situations expérimen­

tales peuvent prétendre avoir joué un tel rôle paradigmatique et exercé une telle influence. Mais l’influence considérable de la situation étrange sur la recherche en attachement cache le fait que, comme l’écrit Inge Bretherton, en 1991, en tout début de son chapitre [20] : « Attachment theory in its current form is the join work of John Bowlby and Mary Ainsworth». La théorie de l’attachement est bien le fait du travail conjoint de John Bowlby et de Mary Ainsworth, même si la postérité n’a reconnu que la paternité de John Bowlby.

Mary Ainsworth naît en 1913 dans l’Ohio au sein d’un foyer stable, mais qu’elle décrira comme émotionnellement troublé. Elle apprend à lire à 3 ans et rentre à 16 ans à l’université de Toronto. Elle y suit les cours très originaux de William Blatz, et sa théorie de la sécurité, qui est d’abord une

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