• Aucun résultat trouvé

30) Une force politique montante en Suisse: le radicalisme

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "30) Une force politique montante en Suisse: le radicalisme"

Copied!
11
0
0

Texte intégral

(1)

30) Une force politique montante en Suisse: le radicalisme

Pierre-André Stauffer, «Les radicaux imposent leur loi», dans L’Hebdo, supplément au n° 25, 1988, pp. 14-16:

« Au cours des années 1830 et 1831, onze cantons suisses se dotent de constitutions libérales. Des cantons assez fiers de ce qu’ils sont devenus. La Confédération leur apparaît alors comme un ensemble archaïque, incapable de décision, dont la survivance même gêne le progrès. Que faire?

Découragée par l’ampleur de la tâche fédérale à accomplir, l’aile droite du libéralisme a tendance à se satisfaire de ce qu’elle a déjà conquis. Le mieux est de se retirer sur ses terres, en attendant des temps meilleurs avant de continuer la lutte sur le plan national.

L’aile gauche, au contraire, exige le renforcement des institutions fédérales afin de porter à la Suisse entière le bénéfice des régénérations cantonales. “Il n’y a qu’une assemblée suisse, nommée par le peuple suisse et qui ne tienne pas ses pouvoirs des gouvernements cantonaux qui puisse s’élever au-dessus de l’esprit cantonal qui ait la capacité d’embrasser l’ensemble et de faire prévaloir les intérêts généraux sur les intérêts mesquins de la localité”, écrit en 1833 le futur conseiller fédéral Henri Druey.

Avec Ludwig Snell, un Allemand réfugié à Zurich au début des années 1820, le Lucernois Ignaz Paul Vital Troxler et le Genevois James Fazy, Henri Druey est l’un des plus illustres porte-parole de l’aile gauche libérale. C’est chez Troxler, selon Hans Ulrich Jost, que l’on trouve pour la première fois la notion de “radical”. Dans un article du 2 mai 1829 paru dans l’”Appenzeller Zeitung”, il parle déjà de la nécessité d’un changement d’Etat, concluant ainsi:

“Si vous n’êtes pas capable de le guérir radicalement laissez cette tâche à la postérité”. Et dans une lettre du 22 janvier 1830, il mêle sans distinction des notions comme “réforme radicale”

(Radicalreform) et “révolution rationnelle” (Vernunftrevolution).

Après avoir joué le rôle d’une minorité critique cherchant à promouvoir l’agressivité démocratique, l’aile gauche du libéralisme se transforme en mouvement indépendant: le radicalisme, unitaire et centralisateur. “La question de la constituante fédérale a catalysé les forces nouvelles et lui a donné les premières assises d’une doctrine”, écrit Gérald Arlettaz».

Jean-François Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, 2 vol., Neuchâtel, 1967:

«Les libéraux ont leurs censeurs, qui sont les radicaux. (…) Ils reprennent les idées des libéraux, et les poussent plus loin.

Si, comme les libéraux le disent volontiers, le peuple est souverain et les citoyens égaux, alors il convient d’en tirer les conséquences, et de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Le soin de refaire une constitution ne doit pas être abandonné à un Grand Conseil dont les origines sont viciées. Il faut faire table rase et élire une Constituante. Si les autorités légales font des difficultés, le peuple descendra dans la rue, ou plutôt, comme il s’agit d’un peuple campagnard, il marchera sur la capitale. Les radicaux sont volontiers révolutionnaires.

Il n’y a aucune raison de conserver aux villes le moindre privilège. Chaque circonscription enverra donc à la Constituante, puis au Parlement, un nombre de députés exactement proportionnel à sa population. L’élection indirecte et la cooptation sont des miroirs déformants: il faudra les briser. Le peuple, ce n’est pas seulement le groupe exclusif des ressortissants communaux ou cantonaux. On fera voter tous les Confédérés établis dans le pays.

Enfin, la souveraineté n’est pas un attribut occasionnel. C’est une qualité permanente. Le peuple, qui en est investi, ne se bornera pas à élire des représentants, il en surveillera l’oeuvre au moyen du veto et du référendum. La seule démocratie est la démocratie directe. (…)

Henri Druey (1799 à Faoug- 1855 à Berne), fils d’un aubergiste, maître à penser du radicalisme, il fera partie du premier Conseil fédéral en 1 8 4 8

(2)

En ce qui concerne la structure de la Suisse, le libéralisme et le radicalisme de I830 professent des opinions plus rapprochées. Tous deux s’accordent pour condamner la forme de la Confédération d’États. La Confédération doit devenir elle-même un État, doté de véritables organes. La Diète sera remplacée par un Parlement, où les membres voteront sans instructions. (…) En tout cas, le nouvel État aura un Gouvernement à lui, qu’il ne sera plus tenu de partager avec un canton; ce sera la fin de ce régime d’union personnelle qui a fait si longtemps la faiblesse de la Suisse. Enfin, un Tribunal fédéral sera spécialement commis au soin d’aplanir les conflits intercantonaux.(…)

En résumé, avis semblables, ou presque, sur la structure de la Suisse. Conceptions divergentes sur la souveraineté populaire, les radicaux se montrant ici plus emportés et plus généreux, les libéraux plus réalistes et peut-être plus intéressés.

Max R. Schnetzer, «Le radicalisme suisse. Racines communes, facettes multiples. 150 ans au service du pays», dans 1848. Les acquis du régime radical, Pro Fribourg n° 120, Fribourg, 1998, pp. 5-6:

«Tributaire de la Révolution française et de la pensée libérale anglo-saxonne, le radicalisme ne s’est pas contenté au siècle passé d’un ordre libéral établi sur les Droits de l’homme, mais a transformé la société en abolissant les privilèges et en luttant pour un Etat fédéral sur la base des droits populaires. Pour atteindre ce but, le radicalisme s’est même transformé en mouvement révolutionnaire, en renouant avec les buts de la Révolution française. Ce radicalisme révolutionnaire marque la période de la régénération depuis 1830. Un de ses moteurs fut, à côté de l’impact des idées, l’impatience des milieux économiques et de la bourgeoisie artisanale des villes de voir tomber enfin les multiples frontières cantonales, les 400 droits de douane et péages à l’intérieur du pays et les 860 monnaies différentes qui circulaient alors en Suisse, mises sur le marché par 79 instituts d’émission autorisés.

Après le rétablissement de l’Ancien Régime en 1815, le cantonalisme atteint son paroxysme: le seul Tessin introduit 13 péages différents et l’obligation de décharger les marchandises au sud du Gothard. Autant de raisons matérielles qu’intellectuelles de préparer un changement radical de la situation.

Caricature de Martin Disteli. Le jeune mouvement radical se mesure, dans une lutte à la culotte au vieux mouvement conservateur et aristocrate. A l’arrière-plan, l’enceinte fortifiée de la ville

de Soleure, symbole de la séparation entre les classes sociales urbaines et rurale, s’écroule

L’époque de 1830 à 1848 était tumultueuse, marquée par la lutte des radicaux pour s’emparer du pouvoir dans une majorité de cantons, afin d’imposer leurs vues à la Diète. (…)

(3)

Pour la première fois, les journaux jouaient un rôle important dans ce combat. Le peintre et caricaturiste révolutionnaire Martin Disteli d’Olten, colonel des milices soleuroises, édita même un calendrier fort populaire dans toute la Suisse radicale qui suscita l’ire des milieux conservateurs et ecclésiastiques, alors que le “Luzerner Staatszeitung” défendit le camp adverse de manière non moins virulente. D’autres journaux des deux côtés menèrent le même combat.

La préparation d’une alliance séparée, un « Sonderdund», dès 1843, par les cantons conservateurs d’Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug, Lucerne, Fridourg et Valais, suite au conflit autour de la fermeture des couvents en Argovie et l’appel des jésuites à Lucerne, augmenta la tension. Lorsque les cantons du Sonderdund, cherchant des appuis, firent appel aux Cours de Paris, Vienne et Turin, la guerre civile devint inéluctable».

a) Quelles sont les revendications principales du radicalisme suisse à partir de 1830 ? b) Pourquoi nomme-t-on «radicaux» ceux qui soutiennent de telles revendications ? c) Sur quoi libéraux et radicaux sont-ils d’accord ? Et sur quoi ne le sont-ils pas ?

d) La volonté des radicaux et des libéraux de constituer la Suisse en Etat fédéral a aussi une cause économique. Laquelle ?

e) A quelle autre force politique radicalisme et libéralisme s’opposent-ils ? Justifiez votre réponse.

31) Une affaire de couvents et de Jésuites va mettre le feu aux poudres

Georg Kreis, La Suisse dans l’histoire. 1700 à nos jours, Zurich, Silva, 1997, pp. 83-84:

«Avant 1830, on distinguait deux tendances politiques: la tendance conservatrice et la libérale. Après 1830, le mouvement libéral en engendre une troisième, celle des radicaux qui se prononcent - radicalement - pour un Etat unitaire centralisé, pour une réduction - radicale - du rôle de l’Eglise (catholique en particulier).(…)

La radicalisation née dans les années 1840 prend un caractère particulièrement aigu dans les cantons d’Argovie et de Lucerne. Dans le Grand Conseil argovien, on garantissait un nombre égal de représentants catholiques et protestants. Or, la part des protestants dans la population étant supérieure, ceux-ci demandent et obtiennent, par la révision de la Constitution de janvier 1841, une représentation par tête d’habitants. Cette modification ulcère les catholiques et déclenche des soulèvements en plusieurs endroits, notamment parmi les paysans du Freiamt. Après un bref combat près de Villmergen, les troupes

gouvernementales argoviennes se rendent rapidement maîtres de la situation.

Les libéraux sont convaincus que les instigateurs de ces révoltes étaient les couvents. Le Grand Conseil argovien approuve une motion du libéral catholique Augustin Keller qui prévoit la fermeture de huit couvent à une grande majorité. On accorde une modeste pension aux religieux et aux religieuses, mais ceux-ci sont contraints de quitter leurs monastères en plein hiver. Les biens des couvents sont sécularisés.

La suppression des couvents correspond à une violation flagrante du Pacte fédéral de 1815. La Diète

invite donc le canton d’Argovie à revenir sur sa décision. Or, elle n’est pas en mesure d’imposer sa

(4)

volonté manu militari (et ne le désire pas d’ailleurs). Elle se résignera donc à classer l’affaire après le rétablissement des quatre couvents de religieuses. La suppression des couvents de moines sera maintenue. La Diète tolérera ainsi une infraction au droit.

Peu après, Augustin Keller (…) propose de supprimer et d’expulser du territoire de la Confédération l’ordre des Jésuites. Cet ordre constitue, à son avis, un danger public politique pour un pays mixte sur le plan confessionnel parce qu’il ne connaîtpas de trêve confessionnelle.

L’agitation qu’il sème, dit-il, touche la Suisse tout entière. C’est pourquoi la question des Jésuites n’est pas seulement une affaire cantonale. La Diète rejette à une grande majorité la proposition de Keller.

Quant aux conservateurs - notamment ceux de Lucerne -, ils sont ulcérés par le fait qu’on ait accepté de débattre à la Diète cette question qui n’est pas de sa compétence mais de celle des cantons. Les conservateurs lucernois imposent donc la nomination des Jésuites dont l’activité n’est pas contestée chez eux. Le canton tient à démontrer ainsi qu’il est souverain et n’a pas de conseil à recevoir. Ce geste est donc dicté avant tout par des motifs politiques et en second lieu seulement par des considérations religieuses.

Sept Jésuites entrent alors en fonction à Lucerne, à la faculté de théologie, au grand séminaire et dans le vicariat de la Petite-Ville. (…) A l’échelon du pays, cet affectation des Jésuites ne consolide pas, comme on pourrait le croire, les conservateurs, mais leurs ennemis les plus acharnés. les radicaux. Cet ordre passe pour une troupe d’élite à laquelle les catholiques conservateurs les plus militants ont donné pour mission de faire triompher leur foi et de défendre l’Eglise contre les attaques anticléricales. A cette époque, quelque 80 Jésuites œuvrent en Suisse, à Fribourg, dans les cantons de Schwytz et du Valais avant tout. Par le texte et par l’image, les radicaux présentent les Jésuites comme des obscurantistes démoniaques et des agitateurs. En 1843, le jeune poète Gottfried Keller lui-même met son talent au service de cette campagne de diffamation: “Hou, comme cela grouille, se dérobe et rampe, / Pouah! quelle odeur infernale! / Va, Grete, ferme la fenêtre: / Ils arrivent, les Jésuites!”».

Gérard Delaloye, «1831-1847: le temps des divisions et des alliances séparées», dans Le Temps, 13 août 1998:

«Pour bien montrer qu’il est maître chez soi, le leader lucernois Siegwart-Müller fait appel aux jésuites pour leur confier l’instruction publique. Ces prêtres sont alors le fer de lance de la reconquête catholique après les désastres que l’Eglise a subis lors de la Révolution française. La provocation envers les libéraux et les protestants est donc de taille et ne reste pas sans effet: les radicaux répondent avec les “corps francs”.

De petites troupes privées, ou “corps-francs”, de quelque trois cents radicaux en folie monta contre Lucerne pour la conquérir (8 décembre 1844). Elle fut dispersee sans grand effort et la Diète, réunie en session extraordinaire, fut bien obligée de condamner le procédé. Mais elle avait à peine rendu son arrêt qu’une nouvelle expédition était entreprise (31 mars 1845). Le coup était évidemment mieux préparé. Trois mille cinq cents particuliers armés, venus d’Argovie, de Berne et de Soleure, s’assemblèrent à Zofingue et à Huttwil et franchirent la frontière sans que leurs Gouvernements parussent s’en émouvoir. Mais, cette fois-ci, l’affaire tourna très mal. Les envahisseurs furent taillés en pièces et laissèrent plus de cent morts sur le terrain. Des peines sévères furent prononcées.

Pendant l’été 1845, les cantons catholiques se concertent secrètement - ils prévoient notamment un dépeçage des cantons radicaux - et en arrivent le 11 décembre, à Lucerne, à conclure officiellement

Caricature montrant les Jésuites comme de sombres tireurs de ficelles. La légende dit: «Meneurs et menés sonderbundiens - Au nom de Dieu, tirez»

(5)

et formellement une alliance défensive, la Schutzvereinigung, plus connue sous le nom de Sonderbund, par laquelle ils veulent se protéger mutuellement des attaques radicales. Préparée depuis 1841, l’alliance reste secrète jusqu’au moment où, en juin 1846, en raison d’une prise de bec au Grand Conseil fribourgeois, la Suisse entière en apprend l’existence»

Pierre Cormon, «Il y a 150 ans, les radicaux genevois ouvraient la voie à la Suisse moderne, armes à la main», dans Le Journal de Genève, Lundi 7 octobre 1996, p. 3:

«Le 7 octobre 1846, à 3 h. 16, un coup de canon ébranle le ciel genevois. D’un côté, les 2300 hommes de la troupe, armés de canons, se sont séparés en trois colonnes. En face, les insurgés, encadrés par les radicaux, ont dressé des barricades au pont de l’île et au pont des Bergues. Des rebelles armés sont postés dans les immeubles de Saint- Gervais et de l’île. (…) Le lendemain matin, le Conseil d’Etat décide de démissionner et remet tous ses pouvoirs au Conseil administratif de la Ville de Genève. (…) Dans la matinée, un gouvernement provisoire est constitué, dominé par la figure de James Fazy. La révolution radicale a triomphé. Elle sera légitimée à la fin du mois par des élections qui donnent une large majorité aux radicaux.

La révolution radicale, qui met en place le système politique encore en vigueur, va permettre indirectement la création de la Suisse moderne (…).

La Confédération d’alors est une organisation très lâche, sans organes permanents propres. Les cantons, qui se retrouvent annuellement à la diète, sont divisés en deux camps. D’un côté les cantons dits régénérés, majoritairement protestants et industriels, qui ont adopté des

constitutions démocratiques et sont favorables à un James Fazy (1794-1878)

(6)

renforcement de l’Etat fédéral. De l’autre, les cantons conservateurs, généralement catholiques, opposés au suffrage universel et à l’établissement d’un pouvoir central.

Entre les deux camps les relations n’ont rien d’amical. Dans la première partie des années 40 elles vont jusqu’à susciter des affrontements armés. En 1845, à la suite de l’échec de la conquête de Lucerne par des corps francs radicaux, sept cantons catholiques forment un pacte secret d’assistance mutuelle: le Sonderbund. Rendu public par accident l’année suivante, il provoque l’ire des cantons protestants. La diète, réunie fin août 1846, refuse d’ordonner la dissolution du pacte, à une voix près. Et cette voix, c’est celle de Genève.

Le refus du Grand Conseil genevois de revenir sur cette position, le 3 octobre, provoque une vague de mécontentement qui culmine avec l’insurrection de Saint-Gervais et la prise du pouvoir par les radicaux.(…)

Sur le plan national que la révolution de 1846 allait avoir les répercussions les plus profondes. Avec l’arrivée des radicaux au pouvoir à Genève, la majorité des cantons bascule dans le camp progressiste qui peut enfin décider de dissoudre le Sonderbund à la diète. Celle-ci fait exécuter sa décision au cours d’une brève guerre civile. Avec la mise au pas des cantons conservateurs, la voie est libre pour l’établissement d’un véritable Etat fédéral. Le 12 septembre 1848 est promulguée la Constitution qui crée la Suisse moderne et met en place les institutions fédérales encore en vigueur.

En obstruant le` pont de l’île, les insurgés ont ouvert la voie à la Suisse moderne».

Gérard Delaloye, «1831-1847: le temps des divisions et des alliances séparées», dans Le Temps, 13 août 1998:

«Pour les radicaux, il ne fait aucun doute que le Sonderbund doit disparaître immédiatement. De discussions enflammées en tentatives avortées de médiation, le climat politique se détériore très vite. En juillet 47, à une voix de majorité, la Diète déclare l’incompatibilité du Sonderbund avec le Pacte fédéral de 1815, puis, quelques jours plus tard, décrète l’expulsion des jésuites de Suisse avant de décider de se réunir en octobre, afin de laisser un temps de réflexion aux catholiques conservateurs. Comme entre-temps, chaque camp s’est surtout préoccupé de s’armer, la Diète décide, le 24 octobre, de dissoudre le Sonderbund par la force, de lever 50 000 hommes à cet effet et d’en confier le commandement au colonel Guillaume-Henri Dufour, nommé général. Le soir même, ce dernier écrit à sa femme: “Je voudrais n’avoir que de bonnes nouvelles à te donner; au lieu de cela, il faut que je t’afflige. Je n’ai pas pu échapper à ma destinée;

malgré mes vives instances, j’ai été nommé par la Diète aux fonctions de

Commandant en chef de l’armée fédérale. J’en ai été atterré [...]

Jamais peine plus grande ne m’a atteint et pendant ces deux jours, j’ai eu une pierre dans l’estomac et ai passé les nuits blanches”. Ce désespoir poignant est celui d’un conservateur modéré et discipliné qui, à 60 ans, doit assumer le commandement militaire d’une guerre civile.

Les opérations commencent par la prise et la capitulation de Fribourg les 13 et 14 novembre 1847.

En portant un premier coup à Fribourg, il dégageait toute la Suisse occidentale avant de faire porter l’effort militaire sur la Suisse

Le général Guillaume- Henri Dufour

La prise de Fribourg par les troupes fédérales. Huile sur bois, fronton de grange de la ferme Richoz à Villaz-St- Pierre (FR)

(7)

centrale. Le Valais, isolé en raison de l’hiver, ne pourrait que se rendre compte de l’inanité de sa révolte. Le raisonnement s’avéra juste, même si la conquête de la Suisse primitive occupa le général jusqu’en janvier 1848.

Grâce à la modération du général Dufour, la guerre civile se termine sur un bilan très léger: si environ 150 000 hommes furent mobilisés par les deux camps, seule une centaine d’entre eux perdit la vie. Le Sonderbund déplora une cinquantaine de morts et 175 blessés, les troupes fédérales 78 morts et 260 blessés. Les dommages matériels furent évidemment beaucoup plus considérables et les vaincus, condamnés aux frais, en ressentirent le poids pendant des années. Sur le plan politique, les radicaux avaient désormais les mains libres. Les conservateurs catholiques perdirent l’essentiel de leur influence fédérale pour près d’un demi-siècle, leurs adversaires ne les rappelant au pouvoir en 1892 que lorsqu’ils furent devenus presque aussi conservateurs qu’eux... ».

a) A l’aide des textes ci-dessus, rédigez une chronologie des événements allant de 1830 à 1848.

b) Qu’est-ce que le Sonderbund ? Par quoi a-t-il été provoqué ? Quelle est la tendance politique des cantons qui le composent ? Quels sont leurs buts?

c) Quelle est la tendance politique des cantons formant le camp adverse ? Quels sont leurs buts?

d) En quoi la révolution genevoise de 1846 est-elle importante dans le déroulement des événements suisses ?

e) Quelle est l’issue de la guerre civile de 1847 ? A votre avis, quelle sera la conséquence immédiate de cette issue ?

(8)

32) Et la nouvelle confédération fut

Gérard Delaloye, «Et la nouvelle Confédération fut », dans Le Temps, 17 août 1998:

«Paradoxalement, une des premières tâches des vainqueurs de la guerre civile fut de ne pas se laisser entraîner dans le tourbillon des révolutions de 1848 en Europe. Quant à l’étranger, la France, l’Autriche et la Prusse font savoir par un écrit adressé en janvier 1848 à la Diète que «la Confédération suisse ne s’est constituée en 1814 et 1815 qu’avec le concours des grandes puissances» et que, pour cette raison, celles-ci ont leur mot à dire quant aux conditions auxquelles le Pacte fédéral de 1815 est révisable. Les puissances conservatrices cherchent à imposer la conception des cantons conservateurs, selon laquelle une révision totale du Pacte de 1815 approuvé à l’unanimité ne peut être effectuée qu’avec l’assentiment unanime. Cela laisserait un droit de veto à la minorité conservatrice. Les libéraux adoptent toutefois une position claire, selon laquelle la majorité libérale est suffisante. Dans leur note de réponse de février 1848, ils font valoir le droit d’autodétermination des États, disant qu’ils n’ont pas à tenir compte des vues de l’étranger pour procéder au «perfectionnement de leurs institutions politiques». Neuf jours après cette déclaration, la révolution éclate à Paris. Les luttes de février sur les barricades leur permettront toutefois de garder plus facilement leur indépendance dans la voie à suivre.

Le gros œuvre va consister la refonte constitutionnelle et la substitution d’un Etat fédératif à la confédération de cantons souverains. Depuis un quart de siècle que nous essayons en vain de réviser la Constitution, nous apprenons que seules des circonstances exceptionnelles permettent ces accouchements difficiles. Il en fut de même au siècle passé. (…) Ce n’est qu’en août 1847 que la Diète, désormais solidement contrôlée par les radicaux, rouvre le chantier en nommant une commission ad hoc. Le choix se porte alors sur une solution à l’américaine: séparation des pouvoirs; gouvernement central et bicaméralisme, les conseillers nationaux représentant le peuple, les conseillers aux États les cantons. C’est le système qui nous régit encore. La commission agit vite, les discussions sont brèves et le temps de réflexion encore plus. La Diète accepte la nouvelle Constitution le 27 juin 1848 à une petite majorité de 13 1/2 cantons et demande que les cantons se soient prononcés avant le 1er septembre

Banquet d’ouverture des Chambres fédérales en novembre 1848, au Théâtre de Berne

Le 12 septembre 1848, la Diète constate que le peuple suisse a approuvé la nouvelle Constitution dans la proportion de sept contre trois. Au vu de ces chiffres impressionnants, le moins qu’on puisse dire est que les bases de départ du nouvel Etat fédéral étaient bancales et que les grands discours que l’on a entendus depuis lors sur la Confédération comme produit d’une volonté commune relèvent plus du bricolage idéologique que de la réalité politique. Mais en politique

(9)

justement, seuls les faits comptent. Et la Suisse des radicaux a bien fonctionné (…)

L’Assemblée fédérale se constitua, le 6 novembre 1848, avant d’aller dîner. Le 16, les deux chambres, réunies, élurent le premier Conseil fédéral: Jonas Furrer, de Zurich; Ulrich Ochsenbein, de Berne; Henry Druey, de Vaud; Joseph Munzinger, de Soleure; Frédéric Frei-Hérosé, d’Argovie;

Guillaume Naef, de Saint-Gall; Stephane Franscini, du Tessin. On retrouve plusieurs noms connus.

Ce même jour, conformément aux dispositions transitoires de la Constitution, le Pacte de 1815 cessa de produire ses effets. A la fin du mois, le Parlement choisit la ville de Berne pour être la capitale».

a) Quelle a été la réaction des États étrangers après la guerre du Sonderbund ? Quel était leur but ? b) Quelle fut la réponse des radicaux et comment la justifièrent-ils ?

c) Quel est le changement majeur qui intervient sur la structure de la Suisse en 1848 ? d) De quel modèle s’est-on inspiré ? Pourquoi à votre avis ?

e) Comment expliqueriez-vous le faible majorité des citoyens qui approuvèrent la nouvelle constitution ?

33) La Constitution suisse de 1848

•Jean-François Aubert, Petite histoire constitutionnelle de la Suisse, Lausanne, Payot, 1974, pp. 29- 32:

«La Constitution de 1848 est composée d’un court préambule, de trois chapitres répartis en 114 articles (…).

Les mots du préambule sont bien choisis. L’«unité de la nation» se combine, désormais, avec l’«alliance des confédérés». La Suisse, se rappelant enfin qu’elle est une nation, se constitue en un véritable Etat. (…) Toutefois l’unité de la nation, qui sera «maintenue» et «accrue», ne doit pas être totale, comme on a voulu le décréter au temps de l’Helvétique. Les Genevois et les Thurgoviens restent des “confédérés”, les cantons gardent leur identité et ne se fondent pas dans un ensemble indifférencié. Le nouvel Etat suisse n’est plus une confédération comme en 1815; ce n’est pas non plus un Etat unitaire, c’est un Etat fédéral ou fédératif.

Tel est donc le principal effet de la Constitution. Notre pays - bien que le terme soit conservé pour des raisons d’histoire et de politique – cesse d’être une Confédération de plusieurs États pour devenir un seul Etat, divisé en cantons. Il ne résulte plus d’un traité, comme en 1815, mais d’une loi.

Les rapports fondamentaux des cantons entre eux et avec l’Etat central ne sont plus contractuels, mais constitutionnels: ils peuvent être modifiés selon des procédures ou les cantons ont perdu leur pouvoir exclusif, au profit du Parlement et d’un corps électoral national. Autre manière de présenter les choses: les cantons ne sont plus entièrement souverains, c’est l’Etat suisse qui l’est à leur place.

La Confédération de 1815 avait quelques compétences. L’Etat central ou “Confédération” de 1848 en a davantage et les cantons, par conséquent, un peu moins. Apparemment, le système de partage est resté le même. La Confédération de 1815 n’avait que les pouvoirs qu’elle tirait du Pacte. Celle de 1848 n’a que ceux qu’elle tire de la Constitution (art. 3). Il y a, néanmoins, trois différences.

D’abord, on vient de le voir, la nouvelle liste est plus longue. Mais ce n’est encore qu’une affaire de quantité. Ce qui est plus important, c’est que la liste pourra s’allonger sans l’accord de tous les cantons. On abandonne donc la règle de l’unanimité. Enfin, quand l’Etat central légifère, il n’est pas question que les cantons refusent d’appliquer ses lois.

La nouvelle liste, disions-nous, est plus longue. La Confédération a des pouvoirs accrus dans le domaine des affaires étrangères et dans celui de la défense. Sa compétence douanière est désormais exclusive. Elle a la régale des postes, celle de la monnaie, celle des poudres. Elle peut ordonner des travaux publics d’intérêt national, voire régional. Elle peut créer une école polytechnique et une université fédérales. Elle est chargée d’unifier les poids et mesures.

Les textes seront d’ailleurs interprétés généreusement. De la régale des postes, on déduira bientôt celle des télégraphes..

La Confédération de 1815 n’avait, pour agir en son nom, que la Diète; on sait que la Diète était lente

(10)

et qu’elle était faible puis qu’elle ne pouvait prendre des décisions qu’à l’unanimité. 11 y avait bien aussi, pour expédier les affaires courantes, le Gouvernement du canton directeur. Mais, justement, c’était un organe emprunté. Maintenant, l’Etat central a ses propres organes, son Parlement et son Gouvernement qui prendront des décisions à la majorité.

Le Parlement est l’Assemblée fédérale, telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. Le constituant de 1848 a découvert, après l’Amérique, les vertus du bicamérisme fédératif. L’Assemblée a donc deux chambres, l’une composée à raison de la population des cantons (Conseil national), l’autre ou chaque canton, quelle que soit sa population, a deux sièges, chaque demi-canton un siège (Conseil des États). Les membres du Conseil national sont élus, pour trois ans, au suffrage universel et direct (…) Enfin - et ceci est essentiel -, les députés ne reçoivent pas d’instructions du canton qui les élit.

Le Gouvernement de l’Etat central est le Conseil fédéral. C’est un collège de sept membres, élus pour trois ans par les deux chambres de l’Assemblée, exceptionnellement réunies. Le collège est formé d’égaux. 11 n’a pas de chef. Son Président n’a pas les pouvoirs d’un Premier Ministre britannique ou d’un Chancelier allemand. Quoique la Constitution l’appelle Président de la Confédération, il se borne à diriger les travaux du Conseil.

Le premier Conseil fédéral

Le Parlement vote les lois et le budget. Le Gouvernement les prépare, les propose et les exécute. Le Parlement peut aussi donner des ordres au Gouvernement. Dans la conception de l’époque, il lui est nettement supérieur.

Enfin on crée un Tribunal fédéral. Mais ce tribunal est un trompe-l’œil. Ses attributions sont très limitées (sauf dans les conflits civils, au demeurant fort rares, qui opposent directement la Confédération à un canton, ou un canton à un autre). Surtout, ses membres étaient, pour la plupart, des députés au Parlement. La séparation des pouvoirs n’est donc pas totale. Il faudra attendre la révision constitutionnelle de 1874 pour que le Tribunal soit une véritable cour suprême, indépendante des autorités politiques. Il reçoit alors la tâche fondamentale d’assurer l’unité d’interprétation des lois fédérales.

La Constitution de 1848 a un chapitre sur sa propre révision. Le Pacte n’en avait point (…) La Constitution est révisible en tout temps. Elle peut l’être par la décision des chambres ou à la demande de cinquante mille citoyens. Nous avons donc ici la première reconnaissance de l’initiative populaire au degré national. Quand la révision est demandée par les citoyens, on procède, sans

(11)

autre examen, à la consultation préalable du peuple suisse. On y procède aussi quand l’une des chambres demande la révision et que l’autre s’y refuse. Si le peuple répond par l’affirmative, les conseils sont dissous et renouvelés et ils travaillent à la révision. S’il vote non, les choses en restent là. La Constitution, lorsqu’elle est révisée, doit encore être soumise à l’approbation du peuple et des cantons suisses. Nous avons ainsi, outre l’initiative, divers cas de referendum. En d’autres termes, le nouvel Etat recourt assez largement à la démocratie pour les changements constitutionnels. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant, puisque les cantons la pratiquaient déjà depuis le temps de la régénération et que le texte de 1848 avait lui-même été proposé à leurs électeurs. Mais il est bien entendu, désormais, qu’un vote n’est positif que si les oui l’emportent sur les non. Le droit fédéral ne tient pas compte des abstentions».

a) Vous vous nommez Henri Druey (1799-1855). Licencié en droit de l’Université de Lausanne, vous êtes le chef de file des radicaux vaudois. Conseiller d’Etat, vous êtes aussi le président de l’Association nationale des radicaux. Après la guerre du Sonderbund, vous êtes un membre influent de la commission de la Diète chargée de rédiger une nouvelle constitution pour la Suisse. Le projet de constitution est accepté par la Diète en juin 1848 à une petite majorité de 13 cantons et un demi-canton.

Celle-ci demande que le projet soit soumis à une votation populaire dans les cantons avant le 1er septembre 1848.

Vous décidez donc de silloner votre canton afin d’informer les citoyens particulièrement sur le régime politique suisse établi par cette constitution. A cette fin, vous choisissez d’en réaliser une représentation graphique que vous utilisez pour illustrer vos exposés et que vous distribuez aux citoyens. Vous présentez donc votre production sur une feuille de format A4.

b) En outre, pour bien montrer les nouveautés apportés par cette constitution, vous décidez de noter dans un tableau à deux colonnes, en les opposant, les caractéristiques principales (au moins 5) de la Confédération de 1815 et de la Confédération de 1848.

c) Enfin, sachant que la commission s’est inspiré, a l’initiative de votre collègue lucernois Ignaz Paul Vital Troxler (auteur de l’ouvrage Die Verfassung der Vereinigten Staaten Nordamerika’s als Mutterbild der Scheizerischen Bundesreform paru en janvier 1848), de la constitution américaine, vous comparez votre représentation graphique du régime politique suisse avec celui des Etats-Unis d’Amérique. Vous relevez 4 similitudes et, dans un tableau à deux colonnes, 4 différences.

d) Revenez à notre époque. Déterminez, à l’examen de la représentation graphique de Druey, le régime politique de la confédération suisse en 1848. Est-ce encore le même aujourd’hui ? Argumentez votre réponse.

Henri Druey

Références

Documents relatifs

– f) Quelle est l'énergie cédée par le cylindre au bain, entre son immersion et le moment où l'équilibre thermique est atteint (c'est à dire lorsque la température du cylindre

connaissant toutes les parties, pouvant être occupé sur la mécanique, ayant dirigé importante fabrique de boîtes argent, métal et acier pendant plusieurs années, demande

Il faut choisir un solvant extracteur non miscible avec l’eau et dans lequel l’huile essentielle d’eucalyptus y est très soluble.. Ce solvant doit être le moins dangereux pour

Définir la fréquence puis donner la relation entre la période et la fréquence (1pt) 4.. Calculer sa fréquence f, qui est celle des battements

Téléchargé gratuitement sur charivarialecole.fr... Téléchargé gratuitement

Parce que si je commence à faire des grands gestes expressionnistes, avec des grands costumes et un langage très artificiel, en m’éloignant de ce que je pourrais faire dans la

Sous l é’ gide des CPR (Chantiers Populaires de Reboisement) d’abord, des services forestiers ensuite, utilisant la toute puissance de l ’ Etat pour imposer les

Si tu avais assisté cette année à mon séminaire, tu verrais que ce que j’énonce – qui supporte mal le terme de « théorie » – est bien fait pour répondre à