Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2018 136
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Préservation de la fertilité
R ÉSUM É Summary
La préservation de la fertilité est un enjeu majeur en onco- hématologie puisque les schémas thérapeutiques utilisés permettent d’améliorer la survie des patients. La connaissance de la gonadotoxicité spécifique de chaque molécule de chimiothérapie ainsi que de la radiothérapie permet d’améliorer la prise en charge et la qualité de vie des patient(e)s atteint(e)s de cancers hématologiques. L’impact des traitements comporte également une grande part de susceptibilité individuelle. L’information des patient(e)s et la proposition d’une préservation de leur fertilité doivent être envisagées dans la plupart des cas après concertation pluridisciplinaire.
Mots-clés : Préservation de la fertilité − Gonadotoxicité − Spermatogenèse − Folliculogenèse − Chimiothérapie − Radiothérapie.
Fertility preservation is a major issue in onco-hematology since the therapeutic regimens used can improve patients’
survival. Knowledge of the specific gonadotoxicity of each molecule of chemotherapy as of radiotherapy, improves the management and quality of life of patients with hematological malignancies. Treatments also impact patients according to individual sensitivity. Patient information and the proposal of fertility concertation should be considered in most cases after multidisciplinary preservation.
Keywords: Fertility preservation − Gonadotoxicity − Spermatogenesis − Folliculogenesis − Chemotherapy − Radiotherapy.
Effets des traitements d’onco-
hématologie sur les appareils génitaux
Effects of onco-hematology therapies on the genital tract
P. Di Pizio*, N. Rives*
* Laboratoire de biologie de la reproduction, CECOS, EA 4308 Gamétogenèse et qualité du gamète, CHU de Rouen.
L’
amélioration des traitements contre le can- cer a permis une augmentation significative de la survie (1) de certains patients (2) et notamment en onco-hématologie. La prise en charge de la qualité de vie de ces patients guéris du cancer implique également la préservation de leur fertilité.Les appareils génitaux, et plus particulièrement les gonades (ovaires et testicules), sont très sensibles aux effets des traitements du cancer puisque ces derniers agissent dans la plupart des cas sur la cellule en division.
Cependant, certains traitements agissent aussi sur des cellules qui ne se divisent pas, comme l’ovocyte ou encore les cellules somatiques du testicule (cellules de Leydig et de Sertoli).
Généralités
Testicule
La spermatogenèse débute à la puberté et aboutit à la production de spermatozoïdes de façon continue tout au long de la vie. Elle se met en place sous l’effet de l’activation de l’axe hypothalamo-hypophysaire
via la sécrétion de FSH (hormone folliculostimulante) et de LH (hormone lutéinisante). La spermatogenèse (figure 1) a lieu dans les tubes séminifères du testicule et se déroule en 3 étapes. La première consiste en une mul- tiplication des spermatogonies permettant le maintien permanent du stock de cellules souches. La deuxième étape est celle de l’engagement en méiose de certaines spermatogonies qui produiront successivement les spermatocytes I, puis les spermatocytes II, qui se dif- férencient en spermatides rondes. La spermiogenèse, troisième étape, est le dernier processus complexe de différenciation cellulaire qui permet de passer de la spermatide ronde au spermatozoïde.
Ovaire
L’ovogenèse débute dès la vie fœtale par la multipli- cation des ovogonies. Cette phase de multiplication s’arrête vers le septième mois de vie intra-utérine. Leur nombre est alors de 6 à 7 millions et les cellules n’enta- meront plus de mitoses. Dès lors, les ovogonies entrent en méiose pour s’arrêter en fin de première division méiotique devenant ainsi les ovocytes I qui ne se divise- ront plus. En même temps, elles s’associent à des cellules
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somatiques aplaties aboutissant à la mise en place des follicules primordiaux. À la naissance, il ne reste plus qu’environ 1 à 2 millions d’ovocytes au sein de follicules primordiaux constituant la réserve ovarienne. Cette réserve n’est plus constituée que de 400 000 follicules primordiaux à la puberté. Elle continuera à diminuer jusqu’à la ménopause.
La folliculogenèse (figure 2) est l’évolution des follicules primordiaux en follicules primaires, secondaires et ter- tiaires (ou follicule à antrum) avant de constituer, pen- dant la période d’activité génitale, sous l’influence de la FSH, le follicule ovulatoire de De Graaf. Au cours de cette période se produisent environ 400 à 450 ovulations.
De la puberté à la ménopause, il existe 2 contingents folliculaires ovariens : les follicules primordiaux (réserve ovarienne) et les follicules en croissance.
Traitements du cancer
L’importance de la préservation de la fertilité est essen- tielle et doit être envisagée avant tout traitement gonado toxique. La consultation avec un spécialiste de la fertilité est primordiale pour évaluer la toxicité gonadique et expliquer au patient (homme ou femme) les différentes options de préservation de la fertilité qui s’offrent à lui. Les dommages cellulaires engendrés par ces traitements sont spécifiques aux molécules utili- sées et sont essentiellement dose-dépendants. Il existe cependant une grande variabilité interindividuelle de
sensibilité à la toxicité des traitements. Il est important Figure 1. La spermatogenèse (d’après De Boeck Université, 2007).
Cellule de Sertoli
Cellule germinale (diploïde)
Spermatocyte primaire (diploïde) Spermatocytes
secondaires (haploïdes)
Spermatides (haploïdes)
Spermatozoïdes
Méiose I
Méiose II
Figure 2. La folliculogenèse (d’après De Boeck Université, 2007).
Cellule germinale (diploïde)
Ovocyte primaire (diploïde)
Ovocyte secondaire (haploïde)
Ovule (haploïde)
Follicules primaires
Follicule en développement
Follicule mature avec ovocyte secondaire Follicule rompu Corps jaune
Trompe de Fallope
Fécondation
Méiose I
Méiose II Premier globule polaire
Second globule polaire
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de souligner que le traitement de la maladie est l’objectif principal et ne doit pas être retardé outre mesure. Les stratégies thérapeutiques peuvent avoir un impact total ou partiel sur la gamétogenèse (spermatogenèse et ovogenèse/folliculogenèse) et éventuellement, dans certains cas, présenter un risque mutagène pour la cel- lule germinale et par conséquent pour le conceptus (3).
Effets des traitements chez l’homme
Chimiothérapie
Les traitements cytotoxiques altèrent la spermato- genèse (3) en touchant les spermatogonies en divi- sion quel que soit le stade de maturité du testicule.
La toxicité de la chimiothérapie dépendra de la molé- cule utilisée, de la dose cumulée envisagée et de fac- teurs individuels (4). Il en résulte une diminution de la production de spermatozoïdes qui peut être réversible ou définitive. Les agents alkylants (cyclophosphamide, busulfan, etc.) et les sels de platine sont connus pour entraîner le plus de dommages sur la fonction gona- dique masculine (tableau). Les cellules de Leydig semblent moins touchées par les chimiothérapies et la production de testostérone n’est a priori que rarement perturbée (5, 6).
Radiothérapie
La radiothérapie a également un impact majeur sur la spermatogenèse. Ses effets dépendent essentiellement Tableau. Risques d’infertilité liés aux principaux traitements contre le cancer (20).
Niveau de risque Type de traitements anticancéreux
Femme Homme
Risque élevé
> 80 % d’aménorrhée définitive et d’azoospermie • Greffe de CSH avec cyclophosphamide/ICT ou cyclophosphamide/busulfan
• Radiothérapie externe (champs d’irradiation incluant les ovaires)
• Radiothérapie > 2,5 Gy des testicules
• Chlorambucil (1,4 g/m2)
• Cyclophosphamide (19 g/m2)
• Procarbazine (4 g/m2)
• Melphalan (140 mg/m2)
• Cisplatine (500 mg/m2)
• BCNU (1 g/m2) et CCNU (500 mg/m2) Risque intermédiaire
risque d’aménorrhée définitive ou d’azoospermie probable si association avec d’autres agents gonadotoxiques
• BEACOPP • Busulfan (600 mg/kg)
• Ifosfamide (42 g/m2)
• BCNU (300 mg/m2)
• Moutardes azotées Risque faible
< 20 % d’aménorrhée définitive, diminution réversible du nombre de spermatozoïdes lorsque non associé à d’autres agents stérilisants
• ABVD chez les femmes ≥ 32 ans
• CHOP × 4-6 cycles
• CVP
• Protocoles LAM (anthracycline/cytarabine…)
• Protocoles LAL (vincristine/doxorubicine/étoposide…)
• Carboplatine (2 g/m2)
• Doxorubicine (770 mg/m2)
• Thiotépa (400 mg/m2)
• Cytosine arabinoside (1 g/m2)
• Vinblastine (50 mg/m2)
• Vincristine (8 mg/m2) Risque très faible à aucun risque
faible risque d’aménorrhée définitive, diminution temporaire du nombre de spermatozoïdes mais effets additifs possibles
• ABVD chez les femmes de moins de 32 ans
• Méthotrexate
• Vincristine
• Amsacrine
• Bléomycine
• Dacarbazine
• Daunorubicine
• Épirubicine
• Étoposide
• Fludarabine
• 6-mercaptopurine
• Méthotrexate
• Mitoxantrone
• Thioguanine
• Prednisone
• Interféron α Risque inconnu • Anticorps monoclonaux (trastuzumab, bévacizumab,
cétuximab)
• Inhibiteurs de tyrosine kinase (erlotinib, imatinib)
• Oxaliplatine
• Irinotécan
• Anticorps monoclonaux (trastuzumab, bévacizumab, cétuximab)
• Inhibiteurs de tyrosine kinase (erlotinib, imatinib)
ABVD : doxorubicine, bléomycine, vinblastine, dacarbazine ; AC : doxorubicine, cyclophosphamide ; BCNU : carmustine ; BEACOPP : doxorubicine, bléomycine, vincristine, étoposide, cyclophosphamide, procarbazine ; CCNU : lomustine ; CHOP : cyclophosphamide, doxorubicine, vincristine, prednisone ; CSH : cellules souches hématopoïétiques ; CVP : cyclophosphamide, vincristine, prednisone ; EC : épirubicine, cyclophosphamide ; ICT : irradiation corporelle totale ; LAL : leucémie aiguë lymphoblastique ; LAM : leucémie aiguë myéloblastique.
Effets des traitements d’onco-hématologie sur les appareils génitaux
du site irradié, du type de rayons, de la dose totale déli- vrée, de la dose cumulée et de l’âge du patient (7, 8).
On estime que le compartiment cellulaire somatique (cellules de Leydig et de Sertoli) est impacté pour des doses totales délivrées dépassant 20 à 30 Gy (7, 9). Elle entraîne une oligozoospermie à partir de 0,8 Gy, une azoospermie transitoire jusqu’à 2 Gy et une azoospermie définitive dès 2 Gy (10, 11).
Effets des traitements chez la femme
Chimiothérapie
Les chimiothérapies entraînent quasiment toutes un arrêt de développement des follicules en croissance.
Seules certaines molécules atteignent en plus les folli- cules de la réserve ovarienne (follicules primordiaux) [12].
Les molécules utilisées n’ont pas toutes le même impact sur le nombre de follicules ovariens primordiaux alté- rés et les risques d’infertilité que chacune comporte sont résumés dans le tableau. Le risque d’insuffisance ovarienne prématurée (IOP) est également lié à l’âge de la patiente et aux doses cumulées envisagées (13).
L’exemple des agents alkylants est à retenir puisqu’ils sont très fréquemment utilisés. La dose totale en fonc- tion de l’âge de la patiente est à prendre en considéra- tion pour prédire des chances de grossesse spontanée post-traitement. Au contraire, des protocoles aussi usi- tés que l’ABVD (doxorubicine-bléomycine -vinblastine- dacarbazine) semblent peu toxiques (14).
Radiothérapie
Comme chez l’homme, la gravité des lésions ova- riennes dépend du type de radiations ionisantes,
de la dose totale délivrée, de la dose cumulée et de l’âge de la patiente au moment de l’irradiation. La fertilité après traitement radiothérapeutique sera directement corrélée au nombre de follicules primor- diaux au moment de l’irradiation (15). Un ovaire pré- pubère sera moins radiosensible qu’un ovaire pubère.
Il a été estimé que la dose nécessaire pour aboutir à la destruction de 50 % des ovocytes existants était inférieure à 2 Gy (16). La fonction endocrine serait atteinte au-delà d’une dose cumulée de 4 Gy (17). Il est également important de souligner les effets utérins de la radiothérapie, comme les troubles de vasculari- sation, la fibrose endométriale ainsi que la propension de l’utérus à se distendre (18). Une irradiation prépu- bertaire semble également réduire le volume utérin par blocage de croissance (19).
Conclusion
L’atteinte gonadique des différents traitements du cancer n’est pas encore totalement connue, notam- ment concernant les nouvelles thérapeutiques.
Prédire et prévenir l’impact futur de ces traitements sur la fertilité des patient(e)s est essentiel dans la prise en charge pluridisciplinaire. La préservation de la fertilité constitue un élément central dans le plan de soin personnalisé et devra se faire de la manière la plus adaptée en fonction de la patho- logie, des molécules utilisées, de l’âge du patient et, surtout, de son choix éclairé. Il existe à l’heure actuelle diverses techniques pour préserver les gamètes ; nous traitons de la plupart d’entre elles
dans ce dossier. ■
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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