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Pourquoi fait-on encore des enfants ?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Médecine

& enfance

« Ma fille, aimez-moi donc toujours. C’est ma vie, c’est mon âme que votre amitié ; je vous le disais l’autre jour, elle fait toute ma joie et toutes mes douleurs. »

Mme de Sévigné, Lettre à Mme de Grignan, dimanche 31 mai 1671.

« Donner la vie m’est clairement apparu comme un acte mauvais, voire criminel. » Roland Jaccard, La tentation nihiliste.

L’arrivée d’un enfant perturbe pro- fondément toute la vie de la mère et du couple, que cet enfant soit adopté ou biologique. Quand il est biolo- gique, les parents ont neuf mois pour s’y préparer ; quand il est adopté, ils n’ont parfois que quarante-huit heures entre le coup de téléphone du service d’adoption et le premier contact avec lui.

Mme de Sévigné, veuve à l’âge de vingt- cinq ans, fait de sa fille sa raison de vivre, et, lorsque celle-ci déménage en Provence suite à son mariage, elle lui écrit tous les jours pour combler le vide que crée son éloignement.

L’enfant a toujours eu une place centra- le dans la vie des adultes.

Le temps où il fallait faire six ou huit en- fants pour en garder deux vivants (Mozart) est heureusement révolu, mais il ne faut pas croire que les parents d’autrefois s’habituaient à la mort de leurs enfants. Nous avons des témoi- gnages poignants du vécu des parents qui perdaient un enfant, notamment dans des œuvres artistiques (Victor Hu- go, Gustav Mahler, Jean-Sébastien Ba- ch…), mais aussi dans des récits plus ou moins romancés ou bien dans les his- toires que les familles nous racontent, égrenant année après année l’âge qu’au- rait leur enfant s’il n’était pas mort…

Louis XVI et Marie-Antoinette perdent un enfant de sept ans le 4 juin 1789 (le dauphin), et, fait qui ne saurait être une explication historique, ils sont encore dans un état de deuil difficile quand on les guillotine, en 1793.

Dans les fictions, que ce soit dans Le Roi Learde Shakespeare, dans Le Père Goriot de Balzac ou dans le film Fatimaprimé aux Césars en 2016, il est toujours ques-

tion de ce que les enfants font à leurs parents. Les siècles, le rang, le milieu social n’y font rien : les sentiments, les souffrances, les joies sont les mêmes.

Mais si les enfants font souffrir, pour- quoi veut-on en faire, parfois à tout prix et en allant très loin, si besoin dans une certaine manipulation de la nature (achat ou don d’ovule, gesta- tion pour autrui) plus ou moins légale selon les pays ?

D.W. Winnicott, dans La Haine dans le contre-transfert[1], donne quelques rai- sons pour lesquelles une mère peut haïr son bébé : l’enfant est un danger pour son corps, pendant la grossesse et à la naissance ; l’enfant représente une interférence dans sa vie privée ; elle doit l’aimer lui, jusqu’à ses selles sur quoi elle doit s’extasier ; son amour brûlant est un « amour de garde-man- ger », si bien que lorsqu’il a ce qu’il veut, il la rejette ; au début, elle doit subir la loi de l’enfant ; l’enfant est soupçonneux, refuse sa bonne nourri- ture et la fait douter d’elle-même, mais mange bien avec sa tante ; après une matinée épouvantable avec lui, elle sort et il sourit à un étranger qui s’ex- clame : « Comme il est mignon ! ».

En Allemagne, les sociologues Mikko Myrskylä et Rachel Margolis ont mené une étude sur 2 016 individus, avant puis après qu’ils deviennent parents[2]. Une question simple leur était posée :

« Etes-vous satisfaits de votre vie ? », à laquelle ils devaient répondre en attri- buant une note de 0 à 10. Le but de l’étude était de déterminer pourquoi, dans les pays développés, on observe un écart si important entre le nombre d’en- fants que les gens disent vouloir et celui qu’ils ont. Les Allemands déclarent ainsi volontiers vouloir deux enfants, mais le taux de natalité dans ce pays stagne à 1,5 enfant par femme depuis quarante ans. A la naissance du premier enfant, la note moyenne du bonheur a tendan- ce à baisser de 1,6 point sur 10. Néan- moins, parmi les couples qui désiraient un enfant, le bonheur est parfois monté durant l’année précédant la naissance

Pourquoi fait-on encore des enfants ?

M. Boublil,centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) de Grasse

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(le projet d’enfant ?). Une fois la nais- sance passée, seuls 30 % des parents sont restés au même niveau de bon- heur ; les autres (70 %) se sont définis comme moins heureux pendant l’année, voire les deux années suivant la nais- sance. Devenir père ou mère a fait bais- ser la note de bonheur de 1,4 point en moyenne, ce qui est très élevé. En com- paraison, car l’étude ne traitait pas seu- lement de la natalité, il était relevé une baisse moyenne de 0,6 point pour un di- vorce, de 1 point pour un licenciement.

Pendant des millénaires, les couples ont eu des enfants sans aucune connaissan- ce de ce qui se passait dans le corps. De- puis très peu de temps, on peut non seu- lement savoir et comprendre mais aussi maîtriser, manipuler, congeler, diffé- rer… Donc, on peut imaginer que la fa- talité (au sens de destin) est devenue désir conscient, raisonné (rien n’est moins sûr). Si cette hypothèse est vraie, pourquoi produire des êtres qui vont faire chuter nettement notre niveau de bonheur ?

Vignette clinique

[Sans entrer dans le détail du cas, il s’agit de parents qui, dans la même jour- née, apprennent que leur unique enfant (appelons-le Léo), adopté, âgé de seize ans, est homosexuel et séropositif, que son amant, atteint du sida, a vingt ans de plus que lui et vient d’être hospitalisé pour une tentative de suicide, car Léo veut le quitter pour un nouvel ami.

Au terme d’un suivi bref mais intensif, associant un psychologue pour Léo et moi-même pour les parents, ceux-ci concluent que leur vie « est peut-être trop pleine, mais que sans doute elle au- rait été trop vide sans enfant » !

Léo a été adopté à l’étranger, il a vécu ses trois premières années dans un or- phelinat et a eu durant tout un temps un désir irrépressible d’être totalement ai- mé. Léo est un garçon sympathique, éle- vé dans un milieu bourgeois dont il conteste les principes mais dont il appré- cie les avantages. Il a un sentiment de ri- chesse, car ses parents sont aisés, possè- dent plusieurs maisons et une collection d’objets d’art ; de manière un peu pré- tentieuse, il dit que tout ça lui reviendra

quand ils seront morts, et qu’il n’a donc pas d’inquiétude pour l’avenir. Quand on lui fait remarquer son côté « intéres- sé », il répond que c’est normal vu qu’il a

« donné » sa vie à ses parents qui étaient tristes sans enfant. Léo nous semble peu mûr, manipulateur, avide d’argent et de plaisirs, peu soucieux de l’autre, qu’il vit comme un pourvoyeur d’argent, d’objets ou d’invitations. Il explique que son amant l’a intéressé un temps mais que sa possessivité a fini par l’ennuyer, qu’il a rencontré un autre ami, lui aussi âgé, qui l’emmène dans des soirées où il s’amuse beaucoup.

Le suivi de Léo ne dure pas car il n’est pas demandeur. En revanche, les pa- rents sont suivis durant une année ; ils nous sont reconnaissants de les aider à verbaliser ce qui est difficile pour eux et qu’ils ne s’autorisent pas à dire, en rai- son de leur bonne éducation et de la chance qu’ils ont eue de pouvoir adop- ter un enfant alors qu’ils étaient déjà âgés. Ils expriment par exemple leur sentiment d’être des « vaches à lait » pour Léo, que cela durera jusqu’à leur mort, mais qu’avoir un enfant n’a pas de prix pour eux car cela donne un sens à leur vie.]

Si, à l’inverse de Winnicott, on faisait le bilan des raisons possibles pour faire un enfant, on citerait : créer un autre soi- même qui perpétuera le nom, la lignée, la famille ; le plaisir immense de voir un être qui vient à la vie se développer, ap- prendre, grandir, embellir ; le vécu d’un amour total et absolu, désintéressé et sans arrière-pensée, ce qui n’arrive ja- mais avec les autres adultes ; la valori- sation par un être qui suscite l’admira- tion de la famille et des passants ; le fait de devenir l’être le plus important au monde pour lui (c’est un sentiment qu’ont toutes les mères et cela emplit leur vie d’un sens immense, profond et durable) ; le fait d’occuper sa vie pour moins penser à la mort (le divertisse- ment au sens pascalien).

Albert Memmi écrit que ce sont les en- fants qui nous font parents. Il y a quelque chose de terriblement vrai dans cette lapalissade, car être parent aug- mente notre estime personnelle ainsi

que notre valeur aux yeux de la société (laquelle nous accorde des avantages : congés, allocations…), nous donne de l’importance, du relief, de la consistan- ce, de l’épaisseur, et, en ces temps où l’individu est incertain (A. Ehrenberg), nous donne la certitude d’être indispen- sable pour quelqu’un.

Freud [3] considérait que, chez la fem- me, le désir d’enfant correspondait à l’envie du pénis, c’est-à-dire au désir d’obtenir du père le pénis que la mère n’a pu lui donner ; on entend parler de l’enfant « pénis de la mère » dans cer- tains cas où la mère prend une position de toute-puissance à travers le fait d’avoir un enfant. En se plaçant dans cette perspective qui reconnaît l’impor- tance de la vie fantasmatique, on peut dire que la grossesse est l’occasion de retravailler la relation aux parents, à la fratrie, au conjoint, à son propre corps.

Le désir d’enfant, projet conscient infil- tré de significations et de désirs incons- cients, est caractérisé par l’accès à des souvenirs, à des affects, à tout un mon- de ordinairement inconscient. Ce vécu est un moment extraordinaire de la vie d’une femme, et on pourrait faire l’hy- pothèse qu’on veut un enfant pour vivre une grossesse.

Quelquefois la mécanique dérape, et l’enfant est utilisé, instrumentalisé, dans les problèmes de couple ou dans le syn- drome de Münchhausen par procura- tion. D’autres cas de figure existent, as- sez semblables, où des mères déficientes intellectuelles ou atteintes de troubles psychiatriques ont des enfants qui sont plus ou moins vite placés de manière ité- rative en raison de carences graves ou de maltraitances (souvent par incapaci- té). Là, l’enfant peut être un moyen pour un père d’accentuer son emprise sur une mère fragile pour obtenir de l’argent, une protection vis-à-vis de la loi, une ré- gularisation de situation…

Mais peut-être qu’il n’y a pas de raison de vouloir des enfants, pas de pourquoi et pas de sens, ou bien que c’est au-delà de toute réflexion consciente. L’acte sexuel qui produit la fécondation n’a peut-être rien à voir avec le désir d’enfant.

Certains couples ne veulent pas d’enfants Médecine

& enfance

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et en font quand même, malgré la mé- thode Ogino, la pilule, le stérilet ou mê- me la ligature des trompes.

217 000 interruptions volontaires de grossesse (les bébés qu’on ne veut pas ou qu’on ne veut pas « pour le mo- ment ») ont été enregistrées en France en 2013, mais l’IVG est souvent suivie d’une réaction de deuil ou d’une nou- velle grossesse.

Certains couples décident de ne pas avoir d’enfants, avec des arguments du type « la terre est surpeuplée, la pollu- tion gagne, le réchauffement climatique et le chômage rendent l’avenir sombre, pourquoi donner la vie à un être voué au malheur ? ». Certain(e)s écrivent des livres en listant « quarante raisons de ne pas avoir d’enfant » [4]. D’autres répon- dront que nous sommes un pays riche, protecteur, bien organisé, que les gou- vernants nous disent à longueur de dis- cours que nul ne restera au bord de la route, même s’ils ne savent pas com- ment faire pour que nous ayons 2,1 en- fants par femme pour assurer le renou- vellement des générations.

Dans les pays riches, on se soucie du de- venir des enfants et on se demande comment faire pour que les enfants de- viennent des adultes responsables, de bons citoyens qui acceptent le contrat social, participent à l’enrichissement de

la nation, et de bons parents désireux de faire des enfants pour que la natalité ne s’effondre pas.

Au Danemark, le congé parental est d’une année entière, et l’habitude s’est établie que le père prenne six mois de congé (payé) pour s’occuper de l’enfant après les six mois de congé de la mère.

Dans ce pays, il serait mal vu pour un homme de ne pas prendre ce temps pour son enfant. L’Etat danois n’agit pas par philanthropie [5] : les études mon- trent que les enfants élevés sans père ont plus de difficultés que les autres, que les enfants délinquants n’ont sou- vent pas de père et que les incestes sont plus fréquents quand le père n’a pas joué un rôle actif, « paternant », dans la petite enfance. L’Etat donne pour « éco- nomiser » ensuite des problèmes qui coûtent cher à la société (toujours l’ar- gent, mais aussi la prévention !). En France, où l’on voit les choses sur le court terme, cela est inimaginable.

Vignette clinique

[Nous recevons en consultation un couple (deux intellectuels) auquel le conseil de famille vient de confier un petit garçon de trois mois (c’est le délai légal) pour adoption. La mère raconte :

« On reçoit un e-mail avec l’objet : “Vous confier un enfant à l’adoption”. On lit le mail le soir, on ne dort pas de la nuit.

On appelle le lendemain. On est restés

“perchés” pendant un mois. Je n’avais jamais vécu ça de ma vie. J’adorais mon travail, qui aujourd’hui passe au second plan. Le congé est trop court, je souffre en le laissant chez la nourrice et je cours le soir pour le retrouver… ».]

L’enfant bouleverse notre vie. Il crée une passion. Il nous investit d’une res- ponsabilité et d’un pouvoir qui donnent un sens à notre vie. Il nous tient à tout jamais. Il nous rend fiers comme Panisse à qui Fanny révèle sa grossesse.

Depuis le jour de sa naissance, il est une mine de soucis et de joies infinis. Faire des enfants est une chose, s’en occuper en est une autre, et tirer gloire de leur existence encore une autre.

Il est quand même étonnant que l’un des actes les plus importants de notre vie n’ait pas d’explication ni de motivation logique. Cela tendrait à accréditer l’idée de Freud que « le Moi n’est pas maître dans sa propre maison » et que le couple recherche cette situation de déséquilibre qui conduit à l’enfant, à l’inconnu, com- me un défi au destin à travers une remi- se en cause des repères et des habi- tudes : avoir un enfant c’est se mettre en danger intensément et durablement, et peut-être que l’on aime par-dessus tout vivre dangereusement. 첸

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Médecine

& enfance

avril 2017 page 115 Références

[1] WINNICOTT D.W. : La haine dans le contre-transfert,Petite Bibliothèque Payot, 2014.

[2] MARGOLIS R., MYRSKYLÄ M. : « Happiness : before and after the kids », Demography,2014 ; 51 :1843-66.

[3] FREUD S. : « La féminité », Nouvelles conférences sur la psy- chanalyse,Gallimard, Paris, 1936.

[4] MAIER C. : No kid : quarante raisons de ne pas avoir d'enfant, Michalon, Paris, 2007.

[5] BOUBLIL M. : « Politique et psychopathologie pédiatrique », Méd. Enf.,2012 ; 32 :345-7.

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