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Crise des catégories, catégories de la crise. Les "métiers en tension" dans les politiques de l'emploi

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Crise des catégories, catégories de la crise. Les ”métiers en tension” dans les politiques de l’emploi

Lea Lima

To cite this version:

Lea Lima. Crise des catégories, catégories de la crise. Les ”métiers en tension” dans les politiques de l’emploi. JIST 2016. 15èmes Journées internationales de sociologie du travail. , May 2016, Athènes, Grèce. �halshs-01617176�

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Communication pour les JIST 2016, Athènes, 11-13 mai 2016

Crise des catégories, catégories de la crise : « les métiers en tension » dans les politiques de l'emploi

Léa Lima (Cnam, Lise-Cnrs, CEE) – lea.lima@lecnam.net

Mots-clés : Représentations économiques, marché du travail, politiques de l'emploi, emplois vacants, chômage.

Résumé : Cette communication s'intéresse à la genèse et à la diffusion de la notion de

« métiers en tension » comme opérateur descriptif du marché du travail et catégorie pratique des politiques de l'emploi sur les territoires. Elle s'inscrit dans une analyse des catégories de l'entendement des acteurs du marché du travail c'est-à-dire des manières de représenter et penser le marché du travail de ceux qui y agissent. La communication repose sur une série d'entretiens auprès des principaux acteurs de la construction statistique et politique de cette catégorie au ministère du travail, à Pôle Emploi, dans les services statistiques déconcentrés de l'Etat et dans un conseil régional.

L'enquête montre comment la notion de « métiers en tension » issue de la combinaison de différents indicateurs s'est imposée auprès de réseaux d'acteurs locaux des politiques de l'emploi (Agences Pôle Emploi, conseils régionaux notamment) comme l'outil de lutte contre le chômage en temps de crise dans une conception adéquationiste du marché du travail.

Notre communication vise à rendre compte de a construction à la fois statistique et politique de cette idée en action que constitue « les métiers en tension ». L’émergence de cette notion repose sur une représentation implicite de l’économie et plus particulièrement du marché du travail, des croyances concernant des problèmes de fonctionnement de ce marché du travail et enfin des actions supposées résoudre ces problèmes.

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Crise des catégories, catégories de la crise : « les métiers en tension » dans les politiques de l'emploi

Léa Lima (Cnam, Lise-Cnrs, CEE) – lea.lima@lecnam.net

Introduction

Ce travail s'inscrit dans un projet plus vaste visant à saisir les processus de colonisation de notre monde vécu par des catégories de l’entendement économique hétéronomes (celles des professionnels de l’économie et de la statistique économique, relayées par les acteurs publics, les journalistes, les juristes en droit des affaires ou droit du travail, etc.).

Plus généralement, l’étude généalogique des notions utilisées aujourd’hui dans le langage courant pour décrire la chose économique participe du dévoilement sociologique des processus de naturalisation de la pensée économique d’État. Que l’on pense à la catégorie de « chômeur », de « cadre » ou encore à celle d’« entreprise », d’« offre » e t d e « demande » associées à la catégorie du « marché », la

« consommation », etc., ces agrégats macroéconomiques ont acquis force de réalité pour la plupart des citoyens français, alors que l’histoire montre que leur accouchement a été difficile. Les controverses reflétant des conflits de groupes aux intérêts divergents sont oubliées et ne reste qu’un vocable à l’apparente neutralité descriptive. La diffusion de ces catégories par les administrations publiques, leur mise en circulation par le droit et pour les droits, le relais médiatique dont elles bénéficient en ont fait petit à petit des catégories du sens commun économique au détriment d’autres manières d’appréhender les comportements humains en jeu et la réalité qui est donnée à voir. Elles ont acquis un très haut degré de conventionalité, si bien qu’elles intègrent un « common knowledge » économique non questionné. Comme le soulignait Marcel Mauss (1925), nous sommes enfermés dans des habitudes langagières dont découle une certaine vision du monde et nous manquons du même coup de mots et de concepts pour décrire les manières de voir l’économie qui nous sont étrangères. Pourtant, il est des économistes hétérodoxes qui soutiennent que le « marché du travail » n’existe pas, des ouvriers qui ne connaissent pas l’entreprise mais « l’atelier », des précaires qui ne travaillent pas mais « font des gâches », des femmes qui ne consomment pas mais « font leurs courses » ; chaque déplacement sémantique est aussi un nouveau regard posé sur ce qui est.

De nos jours le terme de « marché du travail » fait partie du langage courant. Considérer le travail dans sa dimension marchande au même titre qu’un bien de service dont on pourrait isoler une « demande » et une « offre », de la même façon qu’il existe un

« marché de l’automobile », devient peu à peu un allant de soi qui contribue à la formation d’une certain rapport au travail chez nos concitoyens. Conformément au programme durkheimien (Steiner, 2005), la sociologie économique doit s’atteler à la genèse de cette idée de marché du travail et de sa progressive « colonisation du monde vécu » des travailleurs et enfin des conséquences pratiques de cette représentation sociale du travail comme objet d’échange marchand.

La notion de « métiers en tension » est l’une des déclinaisons ou plutôt un sous-produit de cette marchandisation du travail. Cette notion dérivée d’un autre indicateur celui des

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« difficultés de recrutement » réapparu avec l’embellie économique du tournant des années 2000, a paradoxalement renforcé sa visibilité avec la crise de 2008 en faisant l’objet de politiques de l’emploi idoines. Elle est devenue un référentiel pivot des politiques de l’emploi dans les territoires à un moment où il ne pouvait être question de pénurie de main d’œuvre.

Notre communication vise à rendre compte de a construction à la fois statistique et politique de cette idée en action (Jobert, Müller, 1987) que constitue « les métiers en tension ». L’émergence de cette notion repose sur une représentation implicite de l’économie et plus particulièrement du marché du travail, des croyances concernant des problèmes de fonctionnement de ce marché du travail et enfin des actions supposées résoudre ces problèmes.

Plan de la communication :

1. La bataille de la mesure des tensions sur le marché du travail 2. Vers une convention de tension ?

3. De la théorie aux politiques d’appariement sur le marché du travail 1. La bataille de la mesure des tensions sur le marché du travail

La mesure statistique des tensions sur le marché du travail n’est pas un exercice totalement nouveau. Il existe plusieurs sources concurrentes produites par des opérateurs divers, l’opérateur public de statistique, l’Insee s’étant singulièrement effacé de cette arène statistique. Encore plus que sur la mesure du chômage, on est face à un foisonnement de constructions statistiques dont les enjeux dépassent ceux de l'efficacité des politiques économiques. On constate notamment que la mesure des tensions sur le marché du travail est devenu un objet de communication et de valorisation des organisations productrices de chiffres.

1.1. Les difficultés de recrutement : une approche subjective

Les données les plus anciennes approchant les tensions sur le marché du travail s’intéressent au point de vue subjectif des recruteurs dont on recueille le sentiment de difficulté à recruter. Du fait de la proximité avec le point de vue de l’entreprise qu’elle suppose, la notion de « difficulté de recrutement » et sa visibilisation à travers des chiffres se trouve intégrée dans une stratégie de valorisation des intermédiaires du marché du travail qui sont en concurrence (pour certains parce qu’ils sont sur un marché privé de l’intermédiation comme Manpower et l’Apec) dans les services qu’ils offrent aux deux versants du marché.

Depuis 1962, l’Insee prend le pouls des employeurs dans son analyse de conjoncture mensuelle complétée par une enquête trimestrielle dans laquelle l'institut demande aux entreprises de son panel si elles éprouvent des difficultés de recrutement1. Mais les données sont restreintes au secteur manufacturier et ne descendent pas à un niveau très fin d’analyse. L'échantillon de 4000 entreprises ne permet pas de produire des données à un niveau géographique infra-national ; la typologie de personnels sur laquelle les employeurs sont sondés est basée sur les CSP (« manœuvres et ouvriers spécialisés »,

1La question exacte aujourd’hui est : « Eprouvez-vous actuellement des difficultés de recrutement ? », question à laquelle les employeurs doivent répondre par oui ou par non.

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« ouvriers qualifiés et contremaîtres », « techniciens et cadres ») : elle paraît assez grossière et surtout peu adaptée à une politique d'orientation et de formation des chômeurs. Ces données sont partiellement utiles aux macroéconomistes pour rendre compte des risques de tensions inflationnistes sur les salaires à un niveau très agrégé2 mais elles sont peu exploitables dans l’optique de politiques interventionnistes sur le marché du travail.

En 1999, l'ANPE met sur pied sa propre enquête annuelle de conjoncture auprès d'un panel d'employeurs (l'enquête « Anticipations des entreprises » devenue l'enquête REPERE-Recrutement et Perspectives des Entreprise) avec le double objectif de connaître les anticipations formulées par les employeurs sur leurs effectifs et leurs embauches et de mieux comprendre le comportement des entreprises en matière de recrutement et de recours aux intermédiaires de l'emploi (Zanda, Girier, Ducatez, 2009).

Cette enquête concernait un échantillon plus important que l'enquête de l'Insee (14 000 répondants en 2009) et élargie à d'autres secteurs. Le dispositif n'a cependant pas survécu à la fusion entre l'ANPE et les Assédic au sein de Pôle Emploi (2008). En 2009, Pôle Emploi met fin à REPERE pour se concentrer sur l'enquête BMO que l'Unédic avait développée de son côté.

En effet, fin 2001, l’Unédic souhaitant éclairer les Assédic sur leur achat de formation dans le cadre de la mise en œuvre du Pare (Programme d'aide au retour à l'emploi), a lancé l’enquête BMO (Besoins de Main d’œuvre) qui couvre aujourd'hui plus de 2 millions d'entreprises (avec au final 400 000 questionnaires exploitables). D’abord régionalisée, elle a été départementalisée puis depuis 2006, Pôle Emploi se targue de fournir des données au niveau des bassins d’emploi. Cette enquête tire sa force de sa simplicité : un questionnaire très court qui assure un taux de réponse de plus en plus important de la part des entreprises et des informations simples facilement communicables. Trois informations sont tirées de BMO : le volume des intentions d’embauche, la part des recrutements jugés difficiles et la part des projets d’embauche saisonniers. Cette enquête qui donne la parole aux employeurs fait l’objet d’un plan de communication très bien rôdé depuis la fusion entre les Assédic et l’ANPE en 2008.

Chaque année, la parution des résultats de l’enquête donne lieu à une conférence de presse très suivie et elle reçoit de forts échos dans la presse.

Plus récemment des organisations privées ont lancées leur propre enquête sur les difficultés de recrutement avec peu ou prou le même esprit : interroger directement les employeurs sur leurs besoins et leurs difficultés (sous entendu plutôt que de s’en remettre aux analyses des experts économistes ou statisticiens). C’est ainsi que le Medef a fait de l’Observatoire Tendance Emploi Compétence (TEC) une vitrine de sa mobilisation pour l’emploi à partir de 2013, en pleine crise économique. Sur son site web, cet observatoire justifie ses études par le fait qu’ « en dépit d’un taux de chômage élevé, beaucoup d’employeurs rencontrent toujours des difficultés pour recruter des profils correspondant à leurs besoins et beaucoup d’offres d’emploi restent non satisfaites »3. L’enquête trimestrielle menée en ligne revendique plus de 50 000 établissements dans son panel et 20 000 répondants pour la dernière vague. Le

2C'est d'ailleurs à partir de ces données de conjoncture que J. Pisani-Ferry avait construit sa courbe de Beveridge dans son rapport pour le Conseil d'Analyse Stratégique (voir infra).

3 http://www.observatoire-tec.fr/tec/presentation-etude

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questionnement est assez similaire à celui de Pôle Emploi mais avec une exploration plus fouillée des raisons exprimées par les employeurs de leur difficulté de recrutement (classées en deux catégories : « liées aux compétences du candidat » et aux

« caractéristiques propres à l’offre de poste »). Les « insuffisances des compétences attendues » sont elles-mêmes redécoupées en des « insuffisances des compétences

“métiers ” ou technique » et « des insuffisances des compétences liées au candidat » ou

« savoir-être ». Les caractéristiques du poste pouvant entraîner des difficultés de recrutement ne sont pas détaillées.

Manpower, groupe mondial de travail temporaire, s’impose aussi dans les groupes de travail sur les difficultés de recrutement fort de son assise internationale et de ses données comparatives. L'association patronale représentante des entreprises intérimaires et des agences privés d'emploi qu'est Prism'emploi assure à Manpower une entrée dans les institutions publiques et paritaires dans lesquelles s'élaborent les politiques de l'emploi. Son enquête annuelle « pénuries de talents » initiée en 2005 est du même ordre que celle du Medef avec un panel de 40 000 entreprises dans le monde4.

L’Apec s’est pour sa part spécialisée sur les difficultés de recrutement des cadres et ses enquêtes sont aussi régulièrement citées lorsqu’il s’agit de faire état de la pénurie de main d’œuvre dans tel ou tel secteur (l’informatique par exemple). Elle s’appuie aujourd’hui sur l’enquête de suivi des offres et de tension auprès de 1610 entreprises et cabinets de recrutement ayant confié une offre à l’Apec5. Ses notes de conjoncture avancent un « taux de recrutement » qui représente la part des postes pourvus 3 à 6 mois après la parution de l’offre et la part des recrutements jugés difficiles ou « sentiment de tension ». Enfin elle produit une enquête complémentaire annuelle avec des questions ouvertes permettant aux recruteurs de qualifier verbalement les problèmes qu’ils rencontrent pour recruter. L’Apec se montre plus prudente que le Medef dans son utilisation de ses données statistiques. Son étude sur les tensions sur le marché du travail de 2014 (Apec, 2014) est précédée d’un avertissement expliquant que « le recrutement est un processus interactif qui implique deux, voire trois parties (les candidats, l’entreprise qui recrute et parfois un cabinet de recrutement). Cette étude s’appuyant sur une enquête auprès des recruteurs, certaines causes, non négligeables, de difficultés de recrutement ne sont pas visibles: la mauvaise rédaction des offres et la mauvaise définition du poste à pourvoir par exemple »6.

1.2. L'approche objective : tensions sur le marché du travail et emplois vacants La Dares, le service statistique du ministère du travail, est à la source de deux notions qui approchent les tensions sur le marché du travail : le taux de tension par FAP (Famille Professionnelles) et les emplois vacants.

Depuis 1997, la Dares est co-productrice avec l’ANPE puis Pôle Emploi de données sur le taux de tension sur le marché du travail par FAP (Famille Professionnelle), une

4Mais, contrairement à l’observatoire TEC, la rigueur scientifique de l’étude n’est nullement mise en avant.

5 APEC, « Baromètre trimestriel des entreprises : la prudence toujours e mise », Note de conjoncture trimestrielle de l’Apec, n° 53, 4ème trimestre 2015.

6APEC, « Les tensions du marché de l’emploi cadre », Les études de l’emploi cadre, n° 2014-41, mai 2014.

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nomenclature d’activités professionnelles relativement agrégée. Elle s’appuie pour ce faire non pas sur des données d’enquêtes comme pour le taux de vacance d’emploi mais sur des données administratives de Pôle Emploi à savoir les Offres d’Emploi Enregistrées (OEE) et les Demande d’Emploi Enregistrées (DEE) en fin de mois. Le taux de tension est calculé en rapportant le flux d’offres d’emploi déposées à Pôle Emploi au flux de demandes d’emploi sur la même période. La Dares peut ainsi produire des données plus rapidement et à un niveau géographique fin car elle s’appuie sur des données supposées exhaustives.

Le calcul des « emplois vacants » (terme approchant des « job vacancies » américaines) fait partie d’un programme d’harmonisation européen visant à produire des statistiques fiables sur la demande de main d’œuvre non satisfaite. La France a introduit des questions concernant les postes vacants dans son enquête auprès des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur concurrentiel (l’enquête Acemo) de 2003, questions qui ont été harmonisées en 2008, puis reformulées et précisées en 2009. Les données ont été rendues obligatoires sur une base trimestrielle en 2010, si bien que la Dares fournit à la commission européenne un taux de vacance d’emplois calculé à partir du nombre d’emplois vacants selon la formule (taux de vacances d’emploi = emplois vacants/

(emplois vacants + emplois occupés)). La définition de l’emploi vacant est fixée par la commission européenne comme suit :

Une vacance d'emploi se définit comme un poste rémunéré nouvellement créé, inoccupé ou sur le point de devenir vacant,

(a) pour lequel l'employeur entreprend activement de chercher, en dehors de l'entreprise concernée, un candidat apte et est prêt à entreprendre des démarches supplémentaires, et (b) et qu'il a l'intention de pourvoir immédiatement ou dans un délai déterminé.

La notion de démarche active de recrutement se présente comme le pendant des démarches actives de recherche d’emploi (Fondeur, Zanda, 2009). Au même titre que la recherche active d’emploi il est demandé aux producteurs nationaux de cette statistique de préciser les actes de recherche de candidats dans les interrogations des employeurs 7 :

- la notification de l’emploi vacant au service public de l’emploi ; - le recours à un service privé de placement / à des chasseurs de tête ; - la publication du poste dans les médias ;

- la publication du poste sur un tableau d’affichage accessible au public ;

- la prise de contact directe avec des candidats éventuels/recrues potentielles, y compris l’organisation des entretiens et de la sélection ;

- des contacts avec des salariés et/u contacts personnels ; - le recours aux stages

L’emploi vacant est pensé en miroir de la convention de chômeur du côté de la demande de travail. Il est toutefois à noter que la terminologie n’est pas totalement symétrique : si on a bien de acteurs du côté de l’offre de travail (« chômeur », « demandeur

7 Règlement (CE) N° 19/2009 de la commission du 13 janvier 2009 portant application du règlement (CE) N° 453/2008.

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d’emploi »), on a affaire à une abstraction du côté de la demande de travail (« emploi vacant »). Une représentation strictement symétrique de l’offre et de la demande de travail supposerait de parler d’ « offreur d’emploi » ou de « recruteur » par exemple.

1.3. Le choix d'une entrée par métier

La présentation des données par « métier » s’est imposée dans la plupart de ces enquêtes et données (à l'exception de l'enquête de conjoncture de l'Insee qui s'est trouvée de fait marginalisée dans ses usages publics et de l'enquête Acemo à visée de comparaison européenne). Mais le niveau de finesse de découpage des métiers varie, ainsi que la nomenclature utilisée. La Dares retient la nomenclature des FAP-20098 en 74 familles c’est-à-dire le niveau le plus agrégé ; les résultats de l’enquête BMO de Pôle Emploi sont organisés selon la nomenclature FAP en 200 métiers. Pour les enquêtes déclaratives auprès des employeurs, l’approche par métier est utilisée non seulement pour présenter les résultats mais aussi pour interroger les employeurs qui doivent donner l’intitulé du poste pour lequel ils ont l’intention de recruter ainsi que celui pour lequel ils pensent rencontrer des difficultés pour recruter.

Cette organisation de l’enquête et de ses résultats autour de la notion de « métier » n’est pas sans orienter la lecture des résultats et leur interprétation. Il est en effet naturel de faire du métier une variable explicative des différentiels de difficulté de recrutement.

D’autres travaux plus anciens comme ceux issus de l'enquête REPERE avaient pourtant tendance à montrer que c’est moins les caractéristiques du poste et du métier que les caractéristiques de l’employeur qui pèsent sur les risques de renoncement à l’embauche

« faute de candidat adéquat »9 (Viney, Zanda, 2007). Les causes des difficultés de recrutement vont elles-mêmes être différenciées selon les métiers et non pas selon la taille de l’entreprise, les caractéristiques socio-démographiques du recruteur ou même la localisation géographique de l’entreprise. Ce sont en effet des données qui pour la plupart ne sont pas récoltées.

2. Vers une convention de tension ?

La catégorie des « métiers en tension » a gagné en conventionnalité ces dernières années en diffusant dans différents secteurs de la société. Elle sert de repère dans des domaines du droit de plus en plus étendus. La notion de « métiers en tension » se retrouve alors dans des sphères de plus en plus éloignées de la source de production statistique. Le repérage des tensions conditionne des droits à indemnisation ou des droits au séjour, tout comme la reconnaissance du statut de chômeur involontaire déclenche des droits à indemnisation.

Dans le cadre de la politique d’immigration, le service de la main d’œuvre étrangère des Direccte s’est appuyé à partir de janvier 2008 sur l’indicateur de taux de tension, l’indicateur de niveau de qualification des métiers ainsi que sur la projection des métiers d’avenir pour construire et actualiser des listes de profession par bassin d’emploi pouvant donner lieu à une autorisation de travail aux étrangers (COE, 2013). Cette liste

8 La nomenclature FAP a été créée par la Dares pour faire correspondre la nomenclature du Répertoire opérationnel des métiers et des emplois et la nomenclature des PCS de l’Insee. C’est donc déjà un produit statistique hybride.

9 Voir la présentation de Xavier Viney et Jean-Louis Zanda à la journée d’études « quand les entreprises recrutent » du 9 novembre 2007. Cf. http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/PresentationViney-Zanda.pdf

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des métiers en tension régionale permet de déroger au pouvoir discrétionnaire de l’administration du travail en matière d’autorisation de travail. En effet en dehors de ces listes qui font l’objet d’un arrêté, l’administration peut opposer la situation de l’emploi à des demandes d’autorisation de travail émanant de ressortissants de pays tiers.

Les listes régionales des métiers en tension ont été établies en retenant les métiers pour lesquels le taux de tension calculé par la Dares était supérieur à 0,8 à partir d’une liste nationale de 30 métiers en tension elle-même établie à partir d’une liste plus large de 150 métiers. La composition de cette dernière liste approuvée lors du comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI) reposait sur l’indicateur de tension mais aussi sur la pérennité des besoins économiques sur la base de travaux du Conseil d’analyse stratégique et de la Dares, restitués dans le rapport « Les métiers en 2015 ».

Cette liste des 150 métiers n'a pas été élaborée dans un groupe exclusivement technique mais a fait l’objet d’une négociation entre les organisations patronales et syndicales. Les Direccte ont pu rencontrer en 2007 les fédérations professionnelles pour constituer la liste. Pour certains pays et dans le cadre d’accords bilatéraux, la liste a pu être élargie à des métiers qui ne sont pas dans la liste des 30 mais c’est bien cette notion de « métiers en tension » qui organise les débats. Cette liste des 30 métiers n’a jamais été réactualisée depuis 2008 malgré les recommandations du Sénat par exemple. Le Conseil d’Orientation pour l’emploi préconisait notamment dans son rapport de 2013 de ne pas s’en tenir à l’indicateur du taux de tension de la Direccte pour établir la liste.

Dans le domaine de la formation le repère des « métiers en tension » s’est imposé comme catégorie conventionnelle à l’occasion de la réforme de formation professionnelle en 2014. De nouvelles instances dans lesquelles à la fois le ministère du travail (à travers la DGEFP10 et les Direccte11) et Pôle Emploi sont représentées structurent leur action autour d’une croyance dans l’existence de « métiers en tension » dont on pourrait aisément et consensuellement définir les périmètres. Là aussi il s’agit d’établir des listes à caractère règlementaire de formations menant à des métiers dits en tension, listes qui ouvrent les droits à l’utilisation du compte personnalisé de formation (CPF). Cette pratique d’orientation par la contrainte de l’utilisation des droits à la formation reprend les principes de financement de la formation de l’Unédic développés dès 2002 lors de la mise en place de BMO. Poursuivant cette orientation adéquationiste des fonds pour la formation le conseil d’administration de Pôle emploi avait par une délibération du 16 novembre 2011 décidé de réserver la rémunération de fin de formation (RFF) à des actions permettant à la fois d’acquérir une qualification reconnue au sens de l’article L. 6314-1 du code du travail et d’accéder à un emploi pour lequel sont identifiées des difficultés de recrutement, dans la région du lieu de formation et/ou dans la région du lieu de prescription de la formation. Chaque année, les services régionaux de Pôle Emploi proposent une liste de métiers à partir d’un algorithme intégrant différents indicateurs dont un indicateur de tension à partir du flux d’offres, de flux de demandes et du stock moyen de demandeurs d’emploi selon la formule suivante :

Tension = ¾*OEE/DEE + ¼*OEE/DEFM

Sur chaque bassin d’emploi sont considérés en tension les métiers qui vérifient toutes

10Direction Générale de l'Emploi et de la Formation Professionnelle.

11Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi

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les conditions suivantes : - tension >0,3

- part des projets de recrutement>20%

- soit tension>0,75, soit part des projets>60%

- OEE>10

Les Direccte pouvaient élargir leur liste à partir de cette base et le Conseil régional de l’emploi, une instance consultative du service public de l’emploi, permettait de faire intervenir les partenaires sociaux en dernier lieu avant ratification par le préfet de région.

La réforme du 5 mars 2014 qui a institué le Copanef (Conseil paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation) et leurs déclinaisons régionales, les Coparef (Conseils paritaires interprofessionnels régionaux pour l'emploi et la formation), a confié à ces instances la mission d’établir les listes de formations éligibles au compte personnel de formation au niveau national et interprofessionnel. Les organismes certificateurs de la formation qui souhaitent voir leurs formations inscrites sur la LNI (Liste Nationale Interprofessionnelle) doivent justifier d’un motif d’inscription au sein d’une liste de 5 motifs12 :

- « métiers réglementés »

- « fort besoin de recrutement », catégorie elle-même divisée en métier

« majoritairement à pouvoir par des personnes extérieures à la branche »,

« métier en tension » et « flux de formation initiale »

- « métiers d’avenir » au sein desquels on distingue « métier nouveau » et « métier existant en évolution »

- « métiers stratégiques » divisés en « métier à faible flux mais indispensable à la branche » et « métier nécessaire à l’évolution de l’entreprise de la branche » - « métiers de reconversion liés à une situation professionnelle de pénibilité » Chaque motif doit être justifié et le Copanef donne des indications sur le type de justificatifs que les promoteurs de formation doivent faire figurer. Pour la catégorie des

« métiers en tension », le guide pour le dépôt de demande d’inscription à la LNI spécifie que les porteurs de formation doivent faire référence à l’enquête BMO et les enquêtes des observatoires de branche. Cette catégorie des « métiers en tension » est la seule catégorie prenant explicitement appui sur des statistiques.

La prise en compte des tensions sur le marché du travail dans les politiques de l’emploi a connu quelques expériences plus ou moins confidentielles. Le plan « Objectif 100 000 emplois » de 2003-2004 visait à réduire le nombre d’offres non pourvues et à lutter contre les difficultés de recrutement. L’objectif était formulé en termes d’offres non satisfaites déposées par les entreprises (un indicateur de gestion de l’ANPE) : il s’agissait de réduire d’un tiers le nombre de ces offres à l’aide de plans d’action

12 Copanef, « Liste nationale interprofessionnelle des formations éligibles au CPF. Livret explicatif.

Tableau des remontées des CPNE », http://www.fpspp.org/portail/resource/filecenter/document/042- 000023-05s/cpf-lni--livret-explicatif-cpne-vfev15.pdf

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régionaux concertés des services publics de l’emploi. L’Afpa notamment s’engageait à augmenter de 10% le nombre de personnes formées aux métiers en tension (3 à 5 métiers choisis régionalement). En 2005, le crédit d’impôt Villepin visant à favoriser l’exercice d’une activité salariée dans des secteurs professionnels « connaissant des difficultés de recrutement » offrait 1000 euros de crédit d’impôt aux jeunes de moins de 26 ans qui pouvaient justifier d’une activité salariée d’au moins 6 mois dans un des 10 métiers déclarés en difficulté de recrutement (arrêté du 2 août 2005).

En 2013, en clôture de la conférence sociale, le premier ministre Jean-Marc Ayrault annonce un plan d’urgence de formation de 30 000 demandeurs d’emploi pour faire face aux offres d’emploi non pourvues dans les métiers en tension. Ce plan a été reconduit en 2014 et 2015 avec 100 000 entrées en formation chaque année. Le plan de formation des 500 000 chômeurs annoncé lors des vœux 2016 du président François Hollande s’inscrit dans cette lignée de politiques de l’emploi qui ciblent à la fois la demande et l’offre d’emploi. Après avoir annoncé un plan de financement de formations dans les

« métiers de demain » (notamment dans « l’économie verte » et le numérique), le gouvernement a répondu aux critiques des représentants patronaux13 en intégrant les

« métiers en tension » dans la présentation de son plan au CESE.

3. De la théorie aux politiques d’appariement sur le marché du travail 3.1. Une théorie économique des flux d’embauche

Les politiques de « rapprochement entre offre et demande » sont théoriquement ancrées.

Les rapports sur l’emploi qui mettent en exergue les difficultés de recrutement remontent systématiquement aux observations de Beveridge qui en 1944 s’est appliqué à rendre compte du paradoxe de l’existence simultanée entre le chômage et des emplois vacants. Beveridge a ainsi inventé le chômage frictionnel qui correspond au délai nécessaire pour pouvoir des postes vacants14. Ce chômage existe même en situation de

« plein emploi ». Plus ce délai est long, plus le chômage frictionnel sera élevé.

La théorie de l’appariement et du « job search » qui en est son corollaire représente en fait une modélisation des « frictions » sur le marché du travail dans une situation considérée comme plus réaliste que celle du marché de concurrence pure et parfaite walrasien, à savoir un marché dans lequel le facteur travail n’est pas homogène (les travailleurs ne sont pas totalement substituables les uns aux autres) et l’information est imparfaite (la recherche de candidats pour les employeurs et la recherche de postes vacants pour les chômeurs a un coût). Les modèles d’appariement qui font référence sont ceux de Diamond, Mortensen et Pissarides, trois économistes distingués en 2010 par le prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur les marchés du travail (Diamond, 1981 ; Blanchard, Diamond, 1989 ; Mortensen, Pissarides, 1994). Ces modèles élaborés dans les années 1980 reposent sur une idée commune concernant le phénomène du chômage : l’équilibre entre l’offre et la demande ne repose pas uniquement sur les prix

13 La CGPME s’exprimait à travers son porte-parole, Jean-Eudes du Mesnil du Buisson sur RTL:

« Former les demandeurs d’emploi, c’est plutôt une bonne idée mais pourquoi les seuls métiers d’avenir ? Je vous rappelle qu’il y a à peu près 250 000 offres d’emploi non pourvues chaque année, et ça, c’est les métiers du présent. Regardons déjà là où les chefs d’entreprises n’arrivent pas à embaucher. » Source : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/01/05/formation-de-500-000-chomeurs-le-plan-de- francois-hollande-suscite-des-interrogations_4842169_4355770.html#gAgZet4VevPhjKaR.99

14En fait cette explication d'un certain type de chômage se trouve déjà dans son ouvrage de 1909 sur le chômage (Beveridge, 1909) mais cette référence ne semble pas être très reprise par la suite.

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(le salaire comme variable d’ajustement) comme dans le chômage néo-classique. Pour négocier le salaire encore faut-il que offre et demande se rencontrent et quand il s’agit de travail cette rencontre n’a rien d’instantané et de gratuit.

Lorsque le nombre d’emplois vacants augmente, les flux d’embauche (ou recrutements réussis) augmentent, et le chômage baisse. Les marchés du travail se caractérisent cependant par une relation plus ou moins étroite entre augmentation du nombre d’emplois vacants et baisse du chômage qui rend compte de coûts plus ou moins élevés de coordination entre l’offre et la demande de travail. Le chômage frictionnel augmente avec l’augmentation du coût de coordination ou de « matching » entre offre et demande qui ralentit les flux d’embauche à stock de chômeurs et stock d’emplois vacants constants.

Ces modèles explorent l'hypothèse du chômage involontaire puisque le chômage apparaît comme le produit d'un type de mise en relation (plus ou moins efficace) entre la demande et l'offre. Dans ces modèles macroéconomiques, offre et demande de travail sont traités symétriquement. La probabilité d’un appariement est égale à la probabilité qu’un recruteur propose un emploi à un chômeur multipliée par la probabilité que ce chômeur accepte la proposition du recruteur (Maillard, 1997). L’efficacité de l’appariement dépend donc autant de l’intensité et l’efficacité de la recherche d’emploi du chômeur que de celle des employeurs (qui peuvent être plus ou moins efficaces dans leur procédure de recrutement). Il en va tout autrement dans les politiques de l’emploi qui découlent de cette théorie.

3.2. De la théorie à l'action publique : les tensions sur le marché du travail comme problème public

En 2000, alors que la France connaissait une de ses plus forte embellie économique des 30 dernières années, le rapport de Jean Pisani-Ferry intituléPlein Emploi produit au sein de ce centre de production de croyances économiques (Lebaron, 2000) qu’est le Conseil d’Analyse Economique, soulignait trois points noirs de l’économie française dont le dernier nous occupe plus particulièrement : « la coexistence d’un chômage de masse et de difficultés de recrutement » (Pisani-Ferry, 2000, p. 47). S’appuyant sur la très parlante « courbe de Beveridge » (p. 42, reproduite en annexe de cet article) qui retrace la relation entre le niveau de chômage et le niveau de tension sur le marché du travail, ce rapport mettait en exergue un probable « dysfonctionnement » du marché du travail que le déplacement historique de la courbe vers la droite trahissait. La présence au sein du CAE d'Olivier Blanchard, macro-économiste réputé, collaborateur de Peter Diamond, n'est sans doute pas pour rien dans ce transfert théorique.

Dès lors le thème des « tensions sur le marché du travail » a pris une place croissante dans la problématisation du marché du travail par les acteurs des politiques de l’emploi au niveau national et à des niveaux plus locaux. L’enjeu de ce rapport et du gouvernement de Lionel Jospin d’alors est de qualifier la nature du chômage et notamment de sa composante dite « structurelle ». Le chômage structurel est pour les économistes le chômage lié non pas à la demande de consommation (le chômage dit keynésien ou « cyclique ») mais celui lié au fonctionnement du marché du travail.

Puisqu’on observe une hausse du chômage à niveau donné de difficulté de recrutement pour les entreprises, cela tendrait à confirmer une hausse du chômage structurel, c’est-à- dire une hausse du chômage qui appelle des réformes structurelles du marché du travail.

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La question plus fondamentalement macro-économique d’alors est celle du risque d’inflation. Les économistes cherchent à savoir si le taux de chômage a baissé jusqu’à son niveau qui ferait repartir à la hausse l’inflation, ce qui lui est interdit par le pacte de stabilité européen.

La résorption de ce chômage structurel s’est orientée massivement vers des solutions visant à réduire le coût de la main d’œuvre et notamment celui de la main d’œuvre non qualifiée. Mais parallèlement et en s’appuyant sur ce constat d’un déplacement de la courbe de Beveridge on a vu se développer une analyse du chômage structurel dans sa dimension de désajustement qualitatif, le chômage frictionnel. Les théories de l’appariement sur le marché du travail sont venues soutenir théoriquement une représentation topologique du marché du travail dans laquelle offre et demande existent dans des positions qualifiées par leur distance relative. Ces politiques ont pour caractéristiques de prendre le niveau d’offre et de demande d’emploi comme une donnée pour se focaliser sur leur « rencontre ». Il ne s’agit pas d’agir sur le niveau d’offre d’emploi des entreprises par une action sur les coûts du travail d’un côté ou de croissance des dépenses (et donc de l'activité) de l’autre ; il ne s’agit pas non plus de peser sur le taux d’activité de la population qui détermine le niveau de demande d’emploi sur le marché du travail. Ces politiques misent plutôt sur la vitesse de déplacement de l’offre de travail vers la demande de travail et sur la qualité de son ajustement à cette demande de manière à favoriser leur appariement. Le rapport de Pisani-Ferry aborde ainsi la question du niveau de « liquidité » du marché du travail (p.

153) au centre de laquelle se trouve le problème du « matching » ou de la mise en relation entre l’offre et la demande.

3.3. Des politiques de réformes structurelles du marché du travail aux actions de matching

Les différentes actions qui découlent de ces politiques d'appariement présentent en effet plusieurs caractéristiques. Bien que présentées comme des politiques de rapprochement de l’offre et de la demande de travail, elles sont exclusivement tournées vers l’offre et plus précisément sur les demandeurs d’emploi. De plus ces politiques d’appariement s’appuient sur trois leviers principaux : la formation, l’aide à la mobilité géographique et l’information. Le premier levier a pour but de combler le « skill mismatch » c’est-à- dire l’inadéquation entre les compétences demandées sur le marché du travail et les compétences disponibles. Le second répond au problème du « spatial mismatch » qui voudrait que la demande d’emploi soit située à distance de l’offre d’emploi. Enfin des actions d’information visent à modifier les représentations des demandeurs d’emploi sur des métiers considérés en demande, en tension ou en difficulté de recrutement.

C’est dans le cadre de ce dernier groupe de mesures que se situe la mise en place du groupe « Action-Métier » par l’Oref et le Conseil Régional. Les financeurs de la formation professionnelle de la région (autant Etat que collectivités territoriales) se sont mis d’accord après une année de négociation15 sur une liste de 11 secteurs et 84 métiers

« offrant des opportunités d’embauche » dans la région. La principale action du conseil régional a alors été de mettre en place une campagne d’information sur ces métiers et notamment de bâtir un outil en ligne présentant des fiches métiers organisées en niveau de qualification. L’Oref a ensuite organisé des réunions entre prescripteurs de la

15 L’historique et les enjeux de cette négociation font l’objet d’un travail en cours.

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formation, représentants des milieux professionnels et techniciens du conseil régional pour élaborer des argumentaires afin de contrer « les idées reçues » sur les métiers qui recrutent avec le présupposé que les difficultés de recrutement sont dues à un déficit d’image ou à une mauvaise représentation.

Conclusion

Les politiques de l’emploi comportent des hypothèses implicites sur les causes du chômage et les moyens ou les instruments pour le résoudre. Un implicite des politiques de l’emploi relativement peu exploré dans la littérature consiste à anthropologiser l’offre de travail qui demeure incarnée dans des « demandeurs d’emploi » donc des acteurs ayant des comportements sur lesquels l’action publique peut éventuellement agir (même sous les atours très simplifiés de l’acteur rationnel) alors que la demande de travail « sur le marché », elle, est réifiée, déconnectée des acteurs qui la font exister (les recruteurs). Sous couvert de traiter le travail comme un bien d'échange, les acteurs des politiques de l’emploi observent un traitement asymétrique de l’offre et de la demande de travail et ce dès la phase de mesure statistique du phénomène.

Du côté de la demande d’emploi, il s’agit par le biais d’incitations ou de désincitations, ou par le biais de politiques d’informations consistant à corriger des biais informationnels de modifier les « comportements » des chômeurs qui ont des

« stratégies » de recherche d’emploi. Lorsque les acteurs publics tournent leur regard vers la demande de travail assimilée à « l’offre d’emploi » (et non les « offreurs d’emploi » qui seraient le pendant des demandeurs d’emploi), on a une vision désincarnée du marché — qui existerait bel et bien. Les référentiels des politiques de l’emploi et les catégories de l’entendement économique qui en découlent tendent à déconnecter l’offre d’emploi de ceux qui la formulent, l’expriment, la mettent en forme, alors que la demande d’emploi demeure viscéralement liée aux individus chômeurs qui la portent.

C’est dans le cadre de ce traitement différencié des deux versants du marché du travail que les actions sur les « métiers en tension » viennent s’inscrire. La catégorie des

« métiers en tension » qui selon une lecture littérale renvoie à l’idée de poches de l’économie en surchauffe ou de pénurie d’offre de travail, donc d’une analyse en termes de déséquilibre est tirée au fil des processus de traduction vers un traitement du seul versant de l’offre de travail, en direction des demandeurs d’emploi. Il s’agit notamment de changer leurs représentations (car la demande d’emploi a des représentations à l’inverse de l’offre d’emploi) pour les inciter à s’orienter, à se former, puis à postuler sur des offres d’emploi de ces métiers dits en tension. L’offre d’emploi demeure intouchable du point de vue des « métiers » qu’elle exprime rechercher, des compétences « requises » , des méthodes de recrutement et des conditions de travail qu’elle propose.

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