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Academic year: 2021

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Le "musée-laboratoire" : un concept à réinventer?

Fabrice Grognet

A la manière d'un couple, la dualité Musée / Ethnologie semble rythmée par des phases successives d'attirances et de répulsions, "d'amour et d'anamour".

Aujourd'hui, à l'heure où l'on esquisse le projet d'une future structure muséale parisienne autour des collections ethnographiques, un bref rappel de la relation liant Ethnologie et Musée parait nécessaire, afin de tirer les enseignements de près de cent vingt ans de vie commune.

A la fin du XIXe siècle (1880), Musée et Ethnologie formèrent une association originale en France avec le Musée d'Ethnographie du Trocadéro (MET). Situé sur la colline de Chaillot, ce nouvel établissement reprenait une partie d'un palais construit sous la direction des architectes Gabriel Davioud et Jules Bourdais à l'occasion de l'exposition universelle de Paris en 1878. Cet édifice, qui aurait dû disparaître sitôt celle-ci terminée, permettait finalement la création d'une institution à moindre frais.

La France d'alors était un grand pays colonialiste nécessitant un musée qui servirait de

"vitrine" à sa politique expansionniste, et à regrouper, en un lieu unique, les objets ethnographiques qu'elle possédait. En même temps, cela répondait à la nécessité de l’ethnographie, jeune discipline scientifique en émergence, qui se devait, comme partout ailleurs en Europe, de posséder son établissement qui manquait à la capitale française.

Désormais, musée et ethnologie avait un destin lié, grâce à l'action du politique.

Un mariage de raison

A l'origine de leur relation, Musée et Ethnologie avaient besoin l'un de l'autre, la recherche s'élaborant alors au musée, à partir des collections d'objets ramenées par des voyageurs naturalistes ou des particuliers, le musée était, pour le scientifique de l'époque, la seule institution existante en raison de l'absence de structure universitaire en ethnologie. Ainsi parlait-on "d'anthropologues de cabinet" et pas encore

"d'ethnographes" ou "d'ethnologues" de terrain, les scientifiques théorisant au Musée, à partir des récits de voyages et d'objets ramenés le plus souvent des colonies (fig 1).

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Collections d'objets rapport ées par les voyageurs, les nat uralist es, et les milit aires

M .E.T

Anthropologues de cabinet sédent aires Collections d'objets

données ou achetées aux part iculiers

sociét és "exot iques"

fig. 1. - 1878 - 1928 : l 'è re de s "anthropol ogues de cabine t"

Cette "sédentarité" des anthropologues, en quelque sorte "coincés" dans leur cabinet, n'était pas sans conséquence : n'ayant pas recueilli eux-mêmes les objets sur place, les anthropologues étaient tributaires des informations (limitées à la provenance et parfois à la fonction) fournies par les "collecteurs-amateurs" (naturalistes, militaires, et voyageurs) dont les motivations et préoccupations ne coïncidaient pas forcément avec les leurs. Dès lors, à la manière de Théodore Hamy, le premier directeur du MET, les anthropologues se sont attachés à définir des systèmes de classification permettant simultanément de définir l'objet ethnographique et de le présenter en salles publiques.

En effet, dès leur établissement dans la structure muséale, ils avaient la responsabilité des collections, tant du point de vue scientifique, qu'au niveau de la conservation et de la présentation. Cette concentration des "missions" en une même personne était sans doute la résultante d'une certaine idéologie positiviste régnant au XIXe siècle, faisant la part belle aux scientifiques, mais était aussi rendue nécessaire par le manque de moyens et donc de personnel dont, dès l'origine, souffre la structure muséale parisienne. De fait, l'activité scientifique de l'anthropologue, mais aussi sa responsabilité de gestion et de présentation des collections, rendaient inutiles la création d'un corps de métier spécifiquement lié au musée (muséographe ou conservateur). L'anthropologue reprenait ainsi idéalement, au niveau individuel les trois missions fondamentales du Musée : conservation-recherche-présentation.

Toutefois, ce n'est que cinquante ans après sa création que le Musée d'Ethnographie les remplira pleinement, et que la relation liant Ethnologie et Musée trouvera sa pleine mesure.

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Paul Rivet : "l'artisan-entremetteur" du mariage institutionnel entre Musée et Ethnologie

Tout commence réellement en 1928, lorsque Paul Rivet, médecin anthropologue, prend la direction du Musée d'Ethnographie du Trocadéro qui avait lentement décliné pour devenir un "vaste bric à brac" pour reprendre les termes de l'époque (Rivet 1931 : 3), sorte de lieu d'entassement des objets exotiques où venaient s'inspirer les artistes surréalistes de l'époque. Cette décrépitude progressive du MET était due à un manque criant de moyens, l'institution dépendant des crédits étatiques donnés au compte- gouttes, et aussi à l'isolement scientifique du Musée. L'ethnographie en France était alors caractérisée par son amateurisme, seule l'anthropologie physique, préoccupée par la définition des "races", était institutionnalisée et unifiée. Paul Rivet, qui venait de créer quelques années auparavant, l'Institut d'Ethnologie (1925) avec la complicité de Marcel Mauss et de Lucien Lévy-Bruhl, décidait de reformer l'institution du Trocadéro tout en participant à la professionnalisation de la discipline ethnologique.

Pour réorganiser "son" musée et finalement donner corps au projet scientifique qu'il défendait, Rivet rompit avec la tradition qui faisait la part belle aux anthropologues physiques (notamment du Muséum), mais également avec la sociologie naissante, créée par les philosophes (Durkheim en particulier). L'ethnologie telle que l'entendait Rivet, cette "étude des faits de races et de civilisations", réclamait des scientifiques "neufs", sans formation scientifique préalable, et sans à priori méthodologique, qu'il pourrait lui- même former à l'Institut de manière théorique, et au Musée de façon pratique. Une nouvelle science allait donc se créer, "l'ethnologie", autour d'un pôle unique, le Musée d'Ethnographie du Trocadéro, sorte de berceau de la discipline, concentrant recherche et pédagogie, avec de nouveaux hommes animés par un certain humanisme conforme à l'idéologie du Cartel des gauches.

Ainsi retrouve-t-on Georges-Henri Rivière, jeune musicien de jazz et autodidacte, au poste de sous-directeur et de muséographe (reconnaissance implicite de la spécificité du travail de musée) attitré d'une structure qui allait renaître et se révolutionner autour de l'idée novatrice de "Musée -Laboratoire".

Le Musée Laboratoire, ou l'harmonie Musée / Ethnologie

Si l'idée du musée-laboratoire se concrétise dès le début des années trente avec la réorganisation du MET, son plein succès se matérialisera avec la création simultanée en 1937 (dans le contexte d'une exposition internationale et d'une volonté politique du Front Populaire), du Musée de l'Homme et du Musée des Arts et Traditions Populaires, chacun occupant une aile distincte du Palais de Chaillot, séparant ainsi l'ethnologie des mondes exotiques, de l'ethnologie de la France qui était jusqu'alors présentées conjointement dans le défunt Musée d'Ethnographie du Trocadéro.

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Mais plus profondément, ce concept de musée-laboratoire revenait à mettre en équivalence musée et ethnologie : "Les objets ethnographiques sont, avant tout des signes,…, ils n'ont d'existence que grâce à un double travail, de collecte et de recherche.

Le musée ethnologique ne peut donc pas exister s'il ne s'accompagne d'une activité de recherche, et la continuité est obligatoire entre le travail au musée et l'enquête sur le terrain" (Chiva, 1987 : 61). Ainsi, au travers de l'association entre "activités muséales et activités de recherche", nous comprenons que le rôle dévolu au Musée est d'être un

"service public scientifique" (Chiva 1987: 61). Autrement dit, une nouvelle structure articulant, collecte, recherche, conservation et exposition, dut être mise place.

Or, simultanément à cette réorganisation muséale, s'opérait la professionnalisation d'un métier scientifique : celui d'ethnographe, qui devait désormais collecter lui-même les objets en étudiant les sociétés sur le "terrain", suivant en cela l'exemple des ethnologues anglo-saxons. Car les collections d'objets étaient alors au cœur de l'activité ethnographique suivant les préceptes de Marcel Mauss, figure emblématique et personnage fondateur de l'ethnologie française. L'objet était idéalement vu comme le

"témoin" d'une civilisation, sorte de social durci, toutes les activités sociales se matérialisant, se traduisant en objets donnés.

Un autre présupposé théorique sous-tendait le rapport à l'objet. En effet, cette collecte de témoignages matériels se faisait dans l'urgence comme le souligne les Instructions Sommaires pour les collecteurs d'objets ethnographiques (sorte de manuel pratique de l'ethnographe produit à l'occasion de la mission Dakar Djibouti en Mai 1931) : "Avant qu'il ne soit trop tard, il importe de combler les lacunes qui déparent notre Musée…"

(page 7). Ici l'ethnographe devenait de fait un sauveteur des témoins matériels des cultures vouées à une rapide disparition au contact des occidentaux. C'est donc avec cette considération ethnocidaire, que se justifie la collecte, l'ethnographie devenant une discipline de "l'urgence", liée à ce qui est en train de disparaître. De fait, le musée- laboratoire devenait un garant de la mémoire de ces cultures, où l'on archivait et classait le patrimoine de l'humanité des sociétés (fig 2).

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Objet

Terrain

L’objet était au centre de l’activité ethnographique, collecté comme une "pièce à conviction" en f onction de ce qui ex istait déjà au Musée. Ce dernier était donc la suite logique du terrain.

Conservation

Connaissances Collecte

Expositions Musée-Laboratoire

Musée

Les fonctions du Musée-Laboratoire ne peuvaient être dissociées,

et faisaient partie d'un système en rétroaction.

L'ère de l'ethnographe Fig 2

Ainsi, le musée-laboratoire avait remplacé le musée "bric à brac" du XIXe siècle, tout comme l'ethnographe professionnel de terrain avait remplacé l'anthropologue de cabinet amateur.

Un concept encore opératoire?

Officiellement, la relation Musée / Ethnologie procède toujours du concept de

"musée-laboratoire". Pourtant, bien des choses ont changé depuis les années trente. Tout d'abord, on ne parle plus "d'ethnographes" mais "d'ethnologues". Ce changement d'appellation pourrait paraître anecdotique s'il ne relevait pas d'une profonde mutation de la profession. Progressivement en effet, une sorte de désaffection est apparue dans l'ethnologie pour les objets au profit des structures cognitives, l'étude de "l'immatériel"

ayant supplanté l'étude du "matériel" dans les champs de recherche, suivant en cela l'anthropologie structurale de Levi-Strauss. Dès lors, le Musée n'était plus nécessairement le seul pôle institutionnel où l'ethnologie pouvait se développer. Ainsi vit-on se développer cette science après la seconde guerre mondiale, dans des institutions "sans collections" (Universités, Ecoles des Hautes Etudes). C'est dans ce contexte que les "ethnologues de Musée", toujours responsables de collections à la manière des anthropologues du XIXe, mais formés sur le tas, doivent aujourd'hui gérer

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leur carrière (et leur prestige) dans le champ de la recherche en "concurrence" avec les

"ethnologues sans collections". Or, l'étude des objets s'étant dévaluée, devenant quasiment une ethnologie de "seconde zone" (le terme "d'ethnographe" lié à la notion ambiguë de "culture matérielle" est d'ailleurs devenu presque péjoratif), il devient donc tentant pour l'ethnologue de musée, de suivre le genre d'étude qui domine le champ de l'ethnologie afin de ne pas être marginalisé. L'objet devient dès lors qu'un simple accessoire, qu'une illustration et non plus la condition sine qua non de la recherche : c'est le passage de l'ère de l'ethnographe à l'ère de l'ethnologue. Ce dernier ayant d'ailleurs d'autant moins d’intérêt à travailler sur les objets, qu'aujourd'hui l'heure est moins à la collecte qu'à leur restitution, la législation ne permettant plus de collecter n'importe quel objet comme autrefois.

Au-delà du rapport à l'objet dans la recherche, un autre facteur doit être pris en compte pour décrire le travail des ethnologues du Musée : l'évolution de carrière. Celle-ci se réalise principalement grâce aux publications, à la manière des chercheurs CNRS.

Pourtant les "ethnologues à collections" cumulent, avec plus ou moins de bonheur, quatre fonctions essentielles : conservateur - chercheur - diffuseur de connaissances - enseignant, du fait de leur appartenance au Musée. Comme on l’aura compris, des priorités, ou plus justement, des choix doivent être opérés, faute de temps, certes, mais pas uniquement.

De par l'évolution de l'ethnologie, la discipline devenant autonome vis à vis du musée, un arbitrage se dessine insidieusement entre reconnaissance des pairs et celle des publics de l'institution culturelle. Autrement dit, une exposition ne peut devenir intéressante sur le plan de la carrière que si une publication scientifique en découle. Ce qui induit le cogito ethnologique suivant : "J'écris, donc je suis!" ; la rédaction d'articles scientifiques devenant ainsi l'activité prédominante. D’ailleurs aucun “quota”

d’expositions ou de vulgarisation n’est demandé à la fin de chaque année (à la différence de l’enseignement au nombre d’heures théoriquement comptabilisées). Le fait qu’un chercheur appartienne à un musée n’induit donc pas qu'il travaille pour lui et ses publics. Comme on le voit, le terme de laboratoire tend donc à devenir un terme abstrait qui occulte en fait celui de bureau du chercheur, puisqu'à la différence des sciences dites "dures" l'objet étudié se trouve justement en dehors du "labo"

d'ethnologie, sur le terrain. Dès lors le Musée tend à devenir une structure d'accueil pour les scientifiques dont les recherches ne se font plus à partir des collections d'objets.

N'y aurait-il pas dans tout ce qui précède un mode de fonctionnement insidieux d'un système, qui fixe plusieurs missions mais n'en valorise que certaines? Plus fondamentalement, n'y a t’il pas aujourd'hui une incompatibilité dans la pratique entre la finalité culturelle du musée et la finalité scientifique et individuelle de son personnel?

Les scientifiques qui doivent gérer leur carrière, font ils dès lors véritablement partie du

"service public", et le peuvent-ils ? Doit-on pour autant séparer en corps de métiers

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distincts les missions de recherche (avec les ethnologues), de conservation (avec les conservateurs), et de présentation aux publics (muséographes) qui font la particularité du musée?

Au final, on peut se demander quels rapports doivent s'instaurer entre l'ethnologie telle qu'elle est pratiquée et exposée dans les musées, et l'ethnologie telle qu'elle est enseignée et réalisée dans les universités et autres "institutions sans collections".

Autant de questions qui ne peuvent plus être éludées si l'on veut faire du musée un cadre dynamique de la recherche ethnologique.

Bibliographie

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Chiva (I), 1987, "Le musée-laboratoire, service public de recherche", Ethnologie française Tome 17, n°1 Janvier-Mars.

Musée d'Ethnographie, Mai 1931, "Instructions Sommaires pour les Collecteurs d'Objets Ethnographiques", Mission Scientifique Dakar-Djibouti, Paris.

Rivet (P) Rivière (GH), (1931) "La réorganisation du Musée d'Ethnographie", Bulletin du Musée d'Ethnographie n°1.

Références

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