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Academic year: 2021

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Identités culturelles

A vant-propos

Anick Coudart (UMR ArScAn - Protohistoire européenne) & Serge Cleuziou (UMR ArScAn - Proche- et Moyen-Orient)

Les archéologues, les anthropologues et les historiens sont depuis quelque te m p s p lac é s dev an t d e lourdes responsabilités, lorsque leurs travaux sont sollicités à l'appui des idéologies nationalistes les plus diverses. La célébration du b a p tê m e d e Clovis — qui supposait, à rencontre d e to u te réalité historique e t anthropologique, une p erm an en ce d e l'identité d e la France — montra, s'il en était e n c o re besoin, q u e c e d étournem ent n'est pas le propre d e nations plus récentes ou moins policées q u e la nôtre. C ette compromission est aussi celle des archéologues, lorsqu'ils év o q u e n t — à l'appui d e la préservation du patrimoine — non des nécessités d e connaissance scientifique e t d e diffusion mais un impératif d e m ém oire e t d'identité qui, pour des faits rem ontant à un ou plusieurs millénaires, est vide d e sens.

Soucieux d e réalités, les archéologues, les ethnologues e t les historiens, qui ont an im é les discussions du program m e Identités culturelles d e l'unité mixte d e recherche A rchéologies e t sciences d e l'antiquité (UMR 7041), se sont p e n c h és sur les questions celtes e t des «cultures» africaines. On en trouvera ci-dessous, résumés, les différents développem ents.

La confrontation des disciplines ainsi mobilisées oblige à revenir sur la notion d e « culture », e t à reconnaître q u e le term e est, en France, équivoque. On dit, par exemple, q u e la France est un p a y s d e culture (co n çu e c om m e créatio n d e l'esprit et progrès des savoirs) — voire, pour certains, d e tocuiture ou, au moins, d'un ministère d e la culture —, tout en a d m e tta n t qu'elle est co m p o sée d e différentes cultures régionales (au sens d'identités collectives). Mais, c 'e st dans le dépassem ent d e la particularité des cultures (au sens p ré c é d a n t) e t d e leurs variations que le fondateur d e l'anthropologie structurale, C laude Lévi-Strauss, entendait trouver les invariants d e la culture (en tant q u e c a p a c ité cognitive e t faculté d e raisonnem ent) — c e tte qualité universelle e t distinctive d e l'humanité, à partir d e laquelle les différentes cultures é la b o re n t leurs spécificités. Quant à Y histoire culturelle des historiens — non sans avoir d 'a b o rd fait un détour lexical par les term es d e «civilisation» e t d e «m entalités»—, elle est celle des représentations collectives (Prost 1997) d'un g roupe socialem ent déterm iné. Ajoutons q u e le sociologue Pierre Bourdieu (1972, 1980) lui préfère les notions d ’ habitus e t d e pratiques — la prem ière étant c o n ç u e com m e un système d e dispositions, dans lequel disposition exprim e « le résultat d 'u n e a ctio n organisatrice présentant alors un sens très voisin à celui d e mots tels q u e structure » ; c e c o n c ep t désigne, par ailleurs, « une m anière d'être, un é ta t h a b itu e l (en particulier du corps) e t une prédisposition, une te n d a n ce , une propension ou une inclinaison » (Bourdieu 1972 : 247, note 28); quant à la notion d e pratiques — souvent confondue a v e c celle d 'a g e n c y (c a p a c ité d'actions délibérées ou activité intentionnellement motivée) rendu « populaire » p a r l'un des conseillers libéraux d e Tony Blair, Anthony G id d en s—, Bourdieu le conçoit co m m e le résultat d e pratiques e t d e représentations organisatrices d'un groupe ou d'u n e classe sociale, perm ettant à celle-ci d 'é la b o re r d e s stratégies qui lu soient propres et, néanmoins, guidées par des schèm es inconscients (1972: 175, 1980 ; 88).

On voit d o n c q u e le mot peut c h a n g e r d e sens selon les m oments e t les disciplines, voire m êm e ch a n g er d e mot. C e tte am biguïté e t c e tte diversité d e significations, parfois difficiles à concilier, conduisent répétitivem ent à d e s d éb ats fermés. Nous tenterons ici d 'e n expliciter les sens humaniste e t anthropologique ; pour cela, nous mêlerons aux nôtres plusieurs des réflexions présentées par Denis C u c h e (1996), dans le très utile petit m anuel qu'il a consacré à la notion d e culture dans les sciences sociales. Mais, il convient d e ne p a s oublier q u e c e s concepts n'ont d e sens q u e pour l'humanité, inscrits dans la réalité d e s milieux e t les vécus d e l'histoire. Dans c e tte perspective, la définition que Maurice Godelier (1998 ; 218) d o n n e d e la culture humaine nous sem ble particulièrement stimulante, à savoir q u e :

« La culture produit d e la société, mais ne produit pas une société (..). Il faut d o n c q u e s'ajoute un 'plus' à la culture pour faire une société. C e 'plus', c'est le principe d e réalité, c 'e s t le p a s s a g e d'idéalités p a rtag ées à d e s rapports réels entre les hommes e t a v e c la nature. Des rapports réels renvoient à des interactions complexes, matérielles, sociales, symboliques, e n tre les humains e t

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Id e n tité s cu ltu re lle s

en tre les humains et la nature (territoire, ressources). (...). 1 est indispensable d 'a jo u te r une autre dimension, temporelle, à c e tte définition forte d e la culture (...). L'humanité à une histoire ».

À propos d es sens humaniste et anthropologique d e la notion de « culture »

Le premier des sens du mot «culture» é v o q u é s ci-dessus (cf. culture d e l'esprit, productions intellectuelles e t artistiques, voire « civilisées ») rem onte au XVIe siècle, mais ne sera a c a d é m iq u e m e n t reconnu q u 'a u XVIIIe siècle. La notion — humaniste e t universaliste — est alors française, e t fait pleinement partie du vocabulaire des Lumières; l'Encyclopédie d e Denis Diderot et Je a n Le Rond d'Alembert (1751- 1765) ne lui consacrera pourtant aucun article spécifique. Si le c o n c e p t est ici unitaire e t le mot employé au singulier, son assise sém antique ap p araît des plus am biguë : la culture est, à la fois, une qualité distinctive d e l'humanité e t la som m e des connaissances accum ulées e t transmises par celle-ci a u cours d e son histoire. Le deuxièm e sens du mot (identité collective d'un groupe particulier) est né d e l'anthropologie nord-américaine, tout particulièrement des travaux d e Franz Boas, fortem ent influencé par la co n c ep tio n particulariste d e l'école d e Francfort. Il donne, au contraire d e la définition humaniste et progressiste française, toute son im portance à la diversité et au « relativisme culturel ». Mais c 'e st une définition synthétique — à la fois humaniste e t anthropologique, d e la culture et des cultures — q u e Claude Lévi-Strauss (fortem ent influencé par Rulh Benedict, elle-même élève d e Boas) déploiera au sein d e l'ethnologie française, au m oment m êm e où le d é v e lo p p e m e n t des enquêtes d e terrain confronte les ethnologues à la diversité d e s représentations collectives et des sociétés (1950: XIX 1958 : 325, 1983). C ette définition restera celle d e s chercheurs e t des spécialistes.

C e p e n d a n t, la définition anthropologique e t la variabilité d e s cultures seront facilem ent reprises par les a rch é o lo g u e s d e la préhistoire réc e n te et les protohistoriens français, confrontés aux variations g éo g ra p h iq u es e t temporelles des donn ées qu'ils étudient. De p ar l'histoire d e leur discipline, ces derniers resteront pourtant marqués par la p e n s é e allem ande. Une tradition pour laquelle la notion d e Kutfur est, com m e e n France, liée à l'idée d e progression e t d e perfection spirituelle mais implique aussi la notion d e Bildung (ou d e « formation ») et, en c o n séq u en ce, une limitation dans l'e sp a c e e t le tem ps. C ette restriction va certes d a n s le sens des périodisations e t des catégorisations typologiques d e s archéologues, dont l'intérêt est réel (com m e le montrent plus loin les travaux d'Etienne Zangato) mais dont les limites et les confusions sont, dans c e volume, é g a le m e n t d é n o n c é e s ou corrigées par les africanistes (cf. Claire Boullier, Eric d e Garine, Olivier Langlois e t J e a n Polet). Mais, à la fin du XIXe siècle, et co m m e l'expose ici Jean-Paul Démoulé, c e tte notion se situe historiquement et idéologiquem ent au moment d e la construction d e l'unité allem ande, a c c o m p a g n é e d 'u n e forte revendication d'identité nationale. La deuxièm e guerre mondiale e t le nazisme en seront l'aboutissement.

La p la c e d es archéologues français

Dans un p ay s com m e la France, où tenter d e p en ser la différence n 'a c e ssé d e rentrer en contradiction a v e c l'universalisme (abstrait) des Lumières e t les principes éthiques d e la République (la nation éta n t constituée par l'ensem ble d e la société — à savoir ceux qui, quelles que soient leurs origines, d écid en t d e vivre ensem ble), la vision allem ande d e la culture e x a c e r b é e d e sentiments nationaux ne pouvait qu'entraîner les protohistoriens français sur le chemin d e l'inconforf, voire d e la contradiction, intellectuel. Pourtant, si l'on a d m e t que la connaissance qu'une nation a d e son passé fait partie intégrante d e l'identité d e c e tte n a tio n , il peut paraître étonnant que la France ait é té si peu pressée d e professionnaliser son archéologie nationale (dernier quart du XXe siècle), e t n'ait jamais éprouvé durablem ent le besoin d 'e n q u ê te r sur ses origines. Mais, com m e le rappelle Jean-P aul Démoulé (1990: 6), c 'e s t que l'idée d'un mythe fo n d ateu r d e s origines a toujours été, en France, inutile. Depuis plusieurs siècles, e n effet, la p e rm a n e n c e des structures étatiques y est traditionnellement confondue a v e c celle d e l'unité du pays, e t si l'archéologie est d 'a b o rd c e qui montre, à un peuple, le p a ssé qu'il souhaite se donner, le passé d e la culture française a longtem ps plongé ses racines au pied du Parthénon ou du Capitole plutôt q u e sous les huttes d e « nos a n c ê tre s les Gaulois ». Ceci peut, com m e le montrent les contributions d e Patrice Brun et d e Laurent Olivier, expliquer pourquoi le d é b a t sur les rapports conflictuels qu'entretiennent les notions d'identité, d e culture e t d e nationalisme est, en France, plutôt le fait d e s archéologues e t des protohistoriens que d e chercheurs d 'a u tre s disciplines.

C e p e n d a n t, Laurent Olivier (1998: 190, 1999: 178) nous rappelle l'asp e c t pernicieux d e s notions d e c itoyenneté e t d e nation françaises, dans la mesure où elles sont à la fois des c o n c e p ts politiques (sont citoyens tous ceux qui défendent les valeurs d e la République) e t des concepts ethniques (sont Français tous ceux qui vivent à l'intérieur des frontières nationales). C ette am biguïté réapparaîtra à c h a q u e fois que la légitimité structurelle d e l'État ou les frontières du pays seront m e n a c é e s (par exem ple, sous le règne d e Napoléon III, après la défaite d e 1870 et, p endant la deuxièm e guerre mondiale, sous le régim e d e Vichy). À c h a q u e fois, l'archéologie sera sollicitée car, à c h a q u e fois, resurgira le mythe d e « nos a n c être s les Gaulois » qui, en soutenant l'idée d'une continuité nationale depuis les plus lointaines origines (dont la France ou la

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Identités culturelles

République serait l'expression) perm et — un bref instant — d e revendiquer la légitimité des frontières e t d'un État en ad équation a v e c la nation... C inquante ans plus tard, à l'heure d e la mondialisation d e s rapports sociaux d e production e t d e la nord-am éricanisation des références, c 'e s t la m êm e logique qui conduit la France à signer (en contradiction a v e c l'organisation de sa pro p re archéologie d e s a u v e ta g e ) la convention d e Malte qui préconise la protection du patrimoine a rc h é o lo g iq u e en tant que source d e la mémoire collective eu ro p é e n n e .

Du relativisme culturel au renouveau d e s nationalismes

De fait, la d é m a rc h e d e Boas, pour qui c h a q u e culture était unique e t spécifique, annonçait toute l'anthropologie culturelle à venir. Mais le relativisme culturel — notion parfaitem ent a d a p té e à une nation à laquelle les individus (immigrants ou d e s c e n d a n ts d'immigrants) participent, tout en participant à une com m unauté particulière— com m e m é th o d e e t com m e principe épistém ologique conduit progressivement à considérer les cultures c o m m e étan t autonom es, juxtaposées e t sans interrelations, alors q ue l'on vit tous a v e c des fragm ents d e la culture d e « l'autre» — un processus que Serge Gruzinski qualifie joliment d e « p e n sée métisse » (expression parfaitem ent, mais non étonnam m ent, intraduisible en anglais). C ep en d an t, les archéologues (ici Eric d e Garine e t Olivier Langlois) constatent que les représentations collectives d e l'habitat e t d e la maison sont durables, e t qu'ils sont parfois les seuls à savoir repérer ces différences invisibles mais réelles e t agissantes des identités culturelles.

Reste q u e l'accep tatio n nord-am éricaine d 'u n e autonom ie des cultures rejoint aujourd'hui — dans les faits et dans l'histoire — la négation d e l'histoire e t le renouveau des nationalismes. C 'est pourquoi, co m m e le souligne fort bien Laurent Olivier (1997: 17), à l'heure où, à l'Est c o m m e à l'Ouest, l'État libéral considère à n'avoir désormais plus com m e fonction essentielle d e «faire arriver l'histoire» (c'est-à-dire d 'a c c o m p a g n e r la m arche naturelle d e l'histoire vers le progrès d e l'humanité), mais au contraire d e sortir la nation d e l'histoire ou l'orienter vers une histoire « ferm ée », idéologiquem ent fo n d é e sur un retour aux valeurs du p a ssé « national », il nous a sem blé fondam ental d e nous poser la question du rôle d e l'archéologie, d e l'histoire et d e l'ethnologie dans la fabrication idéologique du passé, e t plus particulièrem ent du passé national.

Éléments bibliographiques

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Références

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