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Retour d expérience opérationnel prescrit et effectif dans un système à risque : le cas de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris, les 16, 17 et 18 septembre 2020. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante :

Dufau, N., Vacher, A., Parayre, P., Le Merrer, M., Stal-Le Cardinal, J., Darses, F. (2020). Retour d’expérience opérationnel prescrit et effectif dans un syst-me à risque : le cas de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Actes du 55ème Congrès de la SELF, L’activité et ses frontières. Penser et

Retour d’expérience opérationnel prescrit et effectif dans un système à risque : le cas de la Brigade de sapeurs-pompiers

de Paris

Nelly Dufau

1&2

, Anthony Vacher

1,

Patrick Parayre

3

, Marie Le Merrer

3

, Julie Le Cardinal

1

, Françoise Darses

2

nelly.dufau@ensc.fr

1

CentraleSupélec - 11 Rue Joliot Curie, 91192 Gif-sur-Yvette (F)

2

Institut de recherche biomédicale des armées – 1 place Valérie André, 91220 Brétigny sur Orge (F)

3

Brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Cette étude est la première étape d’une recherche-intervention dont le but est l’amélioration du processus de retour d’expérience opérationnel d’un système complexe, à risque : la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Elle a comporté une description du processus de retour d’expérience prescrit et une analyse de la façon dont les opérateurs en charge de sa mise en œuvre se le représentent (retour d’expérience effectif). Le retour d’expérience effectif a été étudié via une analyse de contenu thématique de 12 entretiens semi-directifs conduits auprès d’opérateurs impliqués dans le processus. Nos résultats ont montré des décalages entre le prescrit et l’effectif, notamment dans les perceptions que les opérateurs ont des objectifs du retour d’expérience et les freins à la déclaration d’événements ; ces décalages entraînent la mise en place par les intervenants de pratiques qui viennent compléter le processus prescrit. Nos résultats soulignent également l’importance de la culture de sécurité organisationnelle dans le développement d’un dispositif de retour d’expérience efficace.

Mots-clés : culture de sécurité, facteurs humains et organisationnels, retour d’expérience opérationnel, sapeur-pompier.

Prescribed and perceived operational experience feedback process in a risky system: the case of the Paris Fire Brigade

This study is the first step of an intervention-research which aims to improve the operational experience feedback process of a complex, high-risk system: the Paris Fire Brigade. It includes a description of the prescribed experience feedback process and an analysis of the representation that operators in charge of its implementation have (perceived experience feedback). The perceived experience feedback was studied through a thematic content analysis of 12 semi-directed interviews with operators involved in the process. Our results highlighted gaps between the prescribed process and the perceived process, particularly in the perceptions that operators have of the goals of the operational experience feedback and the obstacles in the declaration process; these gaps lead to the implementation by the operators of practices that complete the prescribed process. Our results also underline the importance of the organizational safety culture in the development of an effective operational experience feedback process.

Keywords: safety culture, organizational and human factors, operational experience feedback, firefighters.

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CONTEXTE ET OBJECTIFS

La Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est une unité militaire de l’Armée de Terre placée pour emploi sous l’autorité du Préfet de police de Paris. Elle a pour missions la prévention et la lutte contre les incendies, le secours à personne ainsi que l’évaluation et la prévention des risques technologiques et naturels. Sa zone de compétence comprend Paris et les trois départements de la petite couronne. En 2018, ses 8573 agents, répartis au sein de 71 centres de secours, ont conduit 552 883 interventions, concernant essentiellement le secours à personne (81,6 %) (BSPP, 2018).

Depuis 2016, la BSPP s’est engagée dans une démarche de transformation de son processus de retour d’expérience (RETEX) sur intervention, afin d’améliorer le service rendu à la population ainsi que la sécurité des intervenants, des victimes et des impliqués. Les enseignements issus du RETEX sont cruciaux pour l’adaptation de la réponse opérationnelle aux évolutions constantes du contexte des interventions.

Consciente de la nécessité de reconcevoir en continu ses processus pour s’adapter aux changements organisationnels et aux évolutions sociétales, la BSPP a sollicité notre accompagnement pour mener le projet de transformation de son processus de RETEX. Cette demande nous a conduits à proposer une recherche-intervention dont l’objectif est de contribuer à créer les conditions favorables au développement d’un RETEX efficace. Sur le plan théorique, cette étude permettra d’identifier les dimensions de la culture organisationnelle qui freinent ou soutiennent le développement d’un processus de RETEX opérationnel dans un environnement particulier, caractérisé par un fort niveau d’engagement attendu des opérateurs (le terme

« opérateur » est considéré ici dans le sens ergonomique du terme) et des exigences de performance élevées. L’objectif applicatif est de concevoir, avec les acteurs concernés, un environnement d’apprentissage organisationnel à partir des événements survenant en intervention.

Après une synthèse non exhaustive des principes du RETEX opérationnel et de ses évolutions dans les secteurs d’activité à risques, nous présentons ici la première étape de notre étude, qui a consisté à décrire le processus de RETEX sur intervention tel qu’il est prescrit (nommé RETEX PRESCRIT) et à analyser sa mise en œuvre effective, telle que les opérateurs se la représente (nommé RETEX EFFECTIF).

LE RETEX OPERATIONNEL DANS LES SECTEURS D’ACTIVITÉ À RISQUES : ASPECTS THEORIQUES

Le RETEX opérationnel recouvre « toutes les pratiques, démarches et outils qui permettent l’apprentissage à partir de l’expérience. » (Marsden, 2014, p. 2). Une telle définition du RETEX englobe un ensemble de dispositifs très variés aussi bien dans leurs formes, leurs objectifs et leurs modalités de mise en œuvre (Gaillard, 2005). Le RETEX opérationnel se réfère ainsi à la fois à des pratiques plus ou moins formalisées et anciennes telles que les débriefings d’équipe (Rogalski, 2005) et à des dispositifs institutionnalisés qui visent à formaliser et structurer la capitalisation et le partage des connaissances issues de l’analyse rétrospective des événements, comme les systèmes

de signalement d’incidents et d’accidents (Amalberti et al., 2007). Si, initialement, la mise en œuvre d’un RETEX centré sur l’analyse des accidents et des incidents graves a accompagné les progrès en sécurité observés dans le domaine du risque industriel et technologique, cette approche réactive de la sécurité a montré ses limites (Amalberti, 2001). Le contexte accidentel est peu propice au partage d’informations du fait de la mise en jeu de la responsabilité des opérateurs impliqués. À cela s’ajoute une vision normative de la sécurité où les incidents et accidents sont principalement expliqués par les écarts aux procédures et où les enseignements consistent à renforcer les procédures ou existantes (Gilbert, Amalberti, Laroche, & Paries, 2007).

Pour pallier les limites du RETEX réactif, s’est développé un RETEX positif visant à apprendre des réussites et diffuser les bonnes pratiques (Marsden, 2014). Cette forme de RETEX contribue au développement d’une nouvelle perspective sur la sécurité et la performance des systèmes à risques (Hollnagel, 2014). Celle-ci vise à comprendre les facteurs qui permettent aux opérateurs d’atteindre leurs objectifs au quotidien, en dépit de conditions variables et de la survenue de perturbations prévues ou imprévues.

Les freins et les facteurs de succès du RETEX opérationnel ont largement été étudiés (Gaillard, 2005 ; Amalberti et al., 2007). Ces travaux montrent que les freins à la mise en place de dispositifs de RETEX ne sont pas de nature technique - cet aspect étant habituellement bien maîtrisé par les entreprises, mais d’ordre socio-culturels. L’analyse des événements interroge tout autant les pratiques des opérateurs que les fondamentaux de l’organisation et sa culture. Si le RETEX participe au développement de la culture de sécurité organisationnelle, son déploiement nécessite l’existence d’un climat propice, caractérisé par une liberté d’expression pour les opérateurs et une absence de sanction systématique (culture du signalement), une atmosphère de confiance qui encourage le retour d’informations mais où les limites des comportements acceptables sont claires (culture juste), une organisation apte à se remettre en cause et à tirer les leçons d’un événement en mettant en place les actions nécessaires (culture apprenante) et une organisation où les opérateurs qui gèrent et font fonctionner le système sont conscients des facteurs influençant la sécurité (culture informée) (Reason, 1998).

LE RETEX PRESCRIT DE LA BSPP

Pour l’analyse du RETEX PRESCRIT, nous nous sommes appuyés sur l’étude de la documentation réglementaire développée par la BSPP, sur la consultation des produits issus du RETEX et sur des entretiens non directifs et observations ouvertes réalisés auprès de personnels de la Section Doctrine et RETEX (SDR), section placée auprès de l’État-major de la BSPP et en charge du projet de transformation du RETEX sur intervention.

A la BSPP, le RETEX a été formalisé par une note circulaire puis un document de doctrine nommé BSP RETEX, que nous présentons ci-dessous.

La note circulaire du 23 décembre 2016. – Cette note présente l’objectif double du RETEX : correction des pratiques et validation des bonnes pratiques à partir

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de l’analyse des événements survenant sur intervention. Il ne s’agit pas seulement de faire du RETEX sur les erreurs mais aussi de pouvoir capitaliser sur les prises d’initiatives non réglementaires mais pertinentes sur intervention (appelées « bonnes pratiques »). Selon cette note, tous les opérateurs doivent être inclus au processus, du niveau élémentaire (niveau des compagnies incendie) au niveau Brigade, incarné par la SDR. La remontée des informations via la chaîne hiérarchique filtre ce qui mérite d’être capitalisé. Cette note présente les différents outils du RETEX, en particulier la fiche de déclaration (FIREX), le RETEX pédagogique (séances magistrales de restitution de RETEX aboutis) et la base de données du RETEX.

Le BSP RETEX, document de doctrine interne. – Les activités des sapeurs-pompiers de Paris sont encadrées par des documents de doctrine interne appelés BSP. Un BSP RETEX a été développé par le personnel de la SDR à partir de 2016. Il est actuellement en cours de validation par le commandement de la BSPP. Ses objectifs sont l’amélioration de la sécurité des intervenants et des victimes sur intervention ainsi que l’amélioration de la performance, à savoir la qualité du service rendu à la population. Ce document formalise des pratiques mises en place par la SDR depuis 2016 et développées à la suite d’échanges avec des structures en charge du RETEX opérationnel d’autres organisations ou entreprises exerçant des activités à risques dans les secteurs industriels (transports, énergie) ou militaires (forces spéciales, Armée de Terre, Armée de l’air, etc.).

La structuration du processus RETEX. – Le BSP RETEX organise le processus RETEX en cinq niveaux, calqués sur l’organisation hiérarchique de la BSPP : 1) Intervenants (servants, équipiers) ; 2) Chefs d’agrès (chefs d’engin) ; 3) Chefs de garde (niveau compagnie) ; 4) Correspondants RETEX (niveau groupement) ; 5) Personnels de la SDR (niveau état- major BSPP). Les opérateurs des trois premiers niveaux ne bénéficient pas d’une formation spécifique au RETEX en dehors de messages de sensibilisation. Ils sont pourtant directement concernés par la remontée d’information et les leçons tirées des événements sur intervention. Quant aux opérateurs des niveaux 4 et 5 qui exercent le RETEX comme activité principale, ils sont formés en interne à différentes méthodes de recueil de données et d’analyse d’événements. Le BSP RETEX précise également les différentes formes que prend le RETEX sur intervention :

- La forme la plus courante et traditionnelle à la BSPP est le RETEX oral (débriefings post- intervention). Cette forme de RETEX est mise en œuvre localement par les opérateurs des niveaux 1 et 2, mais elle ne permet pas le partage des enseignements au-delà de l’équipe ou de la compagnie.

- Le RETEX écrit est utilisé pour rendre compte des événements d’importance, des événements inédits et des événements graves. L’identification et le signalement de ces événements est réalisé par les opérateurs de niveau 3, sur la base de ce qui est rapporté par les opérateurs de niveau 2.

Les événements retenus sont décrits, analysés, puis remontés dans la chaîne hiérarchique, aux niveaux 4 et 5.

LE RETEX EFFECTIF

Matériels et méthodes

Participants. – L’échantillon de participants a été conçu de façon à permettre l’inclusion de 4 opérateurs pour chacun des 3 groupements d’incendie et de secours, soit un total de 12 participants. Tous sont des hommes de 23 ans à 52 ans (médiane : 38 ans), présentant une ancienneté médiane dans la fonction de 1 an à 11 ans (médiane : 2 ans)), possédant une ancienneté de 3 ans à 33 ans à la BSPP (médiane : 16 ans). Deux participants étaient chefs d’agrès (niveau 2), 7 étaient chefs de garde (niveau 3) et 3 étaient des correspondants RETEX (niveau 4). L’échantillon de participants ne comportait ni d’opérateurs de niveau 1, ni d’opérateurs de niveau 5. Les opérateurs de niveau 1 n’étaient pas impliqués dans le processus de RETEX écrit, au-delà de rendre compte de tout événement et d’appliquer les enseignements du RETEX. Quant aux opérateurs de niveau 5, ils avaient participé à nos entretiens non directifs.

Recueil de données. – Deux guides d’entretien semi- directif ont été préparés. L’un était destiné aux opérateurs de niveau 2 et 3 et l’autre aux opérateurs de niveau 4. Chaque guide comportait trois parties : – Partie 1 : une série de questions se rapportant à l’usage d’une fiche RETEX (FIREX) pour laquelle le participant avait été impliqué.

– Partie 2 : une série de questions sur le processus de RETEX dans sa globalité.

– Partie 3 : des informations sur le parcours professionnel du participant.

Analyse des données. – Les entretiens enregistrés ont été intégralement retranscrits. Une analyse de contenu thématique a été faite sur les corpus obtenus à l’aide du logiciel NVivo 11. Cet outil permet d'organiser et d'analyser des données non structurées ou qualitatives telles que celles issues de différentes sources (textes, pages Web, etc.).

L’analyse de contenu thématique consiste à repérer dans des expressions verbales ou textuelles des thèmes généraux récurrents qui apparaissaient sous divers contenus plus concrets (Saldana, 2009). Le processus de construction des catégories thématiques est appelé codage. Il peut être réalisé de trois façons : codage déductif (les thèmes sont identifiés a priori), codage inductif (les thèmes émergent du contenu) ou codage mixte (combinaison des deux types précédents). Notre analyse a reposé sur un codage mixte combinant des thèmes établis a priori (par ex., freins à la déclaration d’événements) et des thèmes qui ont émergé de l’analyse des données (par ex., dimension de soutien psychologique associée au RETEX).

L’intérêt de NVivo 11 est de créer des « nœuds » (jargon technique pour désigner le « thème ») qui peuvent être hiérarchisés et modifiés en cours d’analyse. Celle-ci consiste à encoder de façon systématique les passages des verbatim en les associant aux nœuds concernés. L’interface permet de visualiser chaque thème et l’ensemble des verbatim associés et de comparer les nœuds mentionnés dans les différentes sources. NVivo permet donc de décrire, par le biais de la modélisation, les relations entre tous les éléments.

Résultats

Les 7 thèmes identifiés concernant le processus de RETEX ont été les suivants : les objectifs du RETEX, le

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RETEX et ses acteurs, les formats du RETEX, ses méthodologies, les limites du processus actuel, les catégories d’enseignements issus du RETEX, le type d’événements analysé et les pratiques spontanées développées par les opérateurs pour compléter le RETEX PRESCRIT. Pour cette communication, il a été fait le choix de ne retenir que trois thèmes/sous-thèmes parmi ceux cités précédemment : (1) Les objectifs du RETEX sur intervention, (2) Les freins à la déclaration d’événements, appartenant au thème « Limites du processus actuel ») et (3) Pratiques spontanées développées pour compléter le processus de RETEX

PRESCRIT. Nous détaillons chacun d’entre eux ci- dessous.

Comment les opérateurs se représentent-ils les objectifs du RETEX sur intervention ?

Les objectifs du RETEX ont été évoqués par les 12 participants.

Le RETEX comme un vecteur de progrès. – L’objectif le plus fréquemment cité (n=9 participants) était le

PROGRES. Cette dimension était particulièrement mentionnée par les opérateurs de niveau 3 dont la fonction dans le processus de RETEX est d’identifier des événements indésirables ou des dysfonctionnements sur intervention porteurs d’enseignements pour les sapeurs-pompiers. La notion de PROGRES pour les opérateurs est polysémique : pour les opérateurs de niveau 2 et 3, il s’agit surtout d’un objectif pédagogique de développement des compétences des jeunes recrues, comme l’indiquait un chef de garde en parlant des débriefings : « les effectifs sont assez jeunes et tournent beaucoup donc les sous-officiers ont aussi besoin de recadrer certaines choses et de sans cesse être dans cette démarche de progrès » (chef de garde n°1). Un autre opérateur de niveau 3 entend par PROGRES le fait de corriger des défaillances sur intervention, de faire des rappels à l’oral de points opérationnels rarement utilisés mais aussi d’ « apporter quelque chose de nouveau » (chef de garde n°3). Un opérateur de niveau 3 (chef de garde n°3) explique utiliser les débriefings pour partager son expérience en expliquant ses prises de décision opérationnelles aux intervenants et ainsi leur enseigner quel type de stratégies peuvent être abordées selon les situations opérationnelles.

Le RETEX comme vecteur du développement d’une culture du signalement. – Un deuxième objectif du RETEX est celui du DEVELOPPEMENT DUNE CULTURE DU SIGNALEMENT (n=6 participants, niveaux 3 et 4), objectif particulièrement cher aux intervenants de niveau 4.

Ceux-ci estiment que la culture du signalement n’est pas encore développée et que les opérateurs n’ont pas encore le « réflexe RETEX » : « J’aimerais que les infos remontent un peu plus vite et un peu plus facilement. Un peu plus spontanément. Mais ça, il y a encore du travail à faire dessus » (chef de garde n°4).

Pour les opérateurs de niveau 3, cette culture de RETEX « tient, comme beaucoup de choses dans notre institution, dans la tradition orale » (chef de garde n°1). Les opérateurs de niveau 3 qui ont été sensibilisés au RETEX durant leur parcours professionnel (3/7) se disent conscients d’une sous- utilisation faite du signalement par écrit. Mais ils estiment avoir davantage le « réflexe RETEX » que leurs collègues non sensibilisés.

Le RETEX comme un outil de soutien psychologique. – Le troisième objectif du RETEX mentionné par les participants (n=7) est la dimension de SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE que le RETEX peut apporter. Cet

objectif est exclusivement évoqué pour la forme orale du RETEX à l’œuvre dans les débriefings post- intervention. Il est également particulièrement mentionné par les opérateurs de niveau 3 ; les opérateurs de niveau 4, quant à eux, ne le mentionnent pas. Sur cette question, les participants mentionnent les techniques de defusing psychologiques qu’ils utilisent lors des interventions jugées difficiles, comme le dit un opérateur de niveau 2 : « s’il y a un décédé sur intervention, si c’est un enfant, on fait attention à ce que les gars ne se rétractent pas sur eux-mêmes dans la journée » (chef d’agrès n°2).

Le RETEX comme outil d’identification des « bonnes pratiques ». – Le RETEX POSITIF,porté par l’identification et la valorisation des bonnes pratiques, était régulièrement cité par les participants (n=7). Les correspondants RETEX (niveau 4) regrettent que le RETEX soit uniquement concentré sur les erreurs : « on ne développe peut-être pas assez les bonnes pratiques sur intervention » (correspondant RETEX n°1) ou encore : « j’ai l’impression que le RETEX ne sert que pour les dysfonctionnements […], on peut aussi tirer des enseignements des choses qui marchent bien » (correspondant RETEX n°2). Les 5 opérateurs confrontés à l’activité opérationnelle (niveau 3) ayant mentionné l’intérêt du RETEX POSITIF estiment que la dimension de « récompense verbale » des interventions s’étant bien déroulées ne doit pas être négligée (chef de garde n°3).

Quels sont les freins à la déclaration

d’événements identifiés par les opérateurs ? Un des thèmes récurrents quand on en vient à s’intéresser à un processus de RETEX est le fait que les opérateurs soient confrontés à des freins décourageants la remontée d’informations. Ceux-ci ont été abordés par tous les opérateurs (n=12).

La déclaration freinée par la lourdeur du processus. – Le frein le plus cité est la LOURDEUR DU PROCESSUS (n=10).

Les opérateurs parlent là exclusivement du RETEX écrit, accessible à partir des opérateurs de RETEX niveau 3. En effet, au moment du recueil des données de notre étude, le signalement écrit se faisait par la voie d’une fiche RETEX (FIREX) peu appréciée par les opérateurs car jugée trop contraignante, comme le dit un opérateur de niveau 4 : « A mon avis, il faut laisser de la souplesse sur le contenu de la FIREX. Sur la forme, mais sur le contenu aussi » (correspondant RETEX n°2). Ainsi, des opérateurs indiquaient privilégier le partage oral d’informations à la FIREX, comme l’explique un opérateur de niveau 3 : « aussi rapide et sain soit-il, le processus RETEX a été contourné puisqu’on était encore une fois sur du homme à homme et en contact direct » (chef de garde n°1). A cela s’ajoute une charge administrative étant jugée trop importante par les opérateurs, induisant signalement écrit « optionnel » (correspondant RETEX n°2).

La déclaration freinée par la crainte de la sanction. – Le frein jugé le plus contraignant par les intervenants est la SANCTION INFORMELLE (n=9 participants), c’est-à- dire la crainte du jugement et des réactions de ses pairs et de ses supérieurs hiérarchiques. Cette

SANCTION INFORMELLE est tout particulièrement crainte par les opérateurs de niveau 2 et 3 : « On est très vite jugés, par des gens qui n’ont pas tous les éléments ; que ce qui ont les éléments se permettent de porter un jugement, je veux bien, mais vous savez comment ça se passe dans une collectivité. Le bruit qui court, il court » (correspondant RETEX n°3). Il s’agit d’une

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dimension de blâme non traduit en SANCTION FORMELLE, celle-ci étant clairement identifiée par les participants (n=5), rare et évoquée en cas de risque de contentieux. Lors de la rédaction des signalements écrits, les intervenants mettent un point d’honneur à ne pas pointer explicitement leurs erreurs, comme cela a été le cas pour un opérateur de niveau 2 lors du signalement d’un oubli sur intervention : « on ne voulait pas souligner l’erreur à caractère opérationnel… » (chef d’agrès n°1).

La déclaration freinée par de possibles conséquences juridiques. – Les CONSEQUENCES JURIDIQUES représentent un frein à la déclaration (mentionné par n=4). Certains opérateurs sont réticents à s’engager dans un processus de RETEX écrit, de peur que cet écrit soit mal utilisé quand il s’agit de documenter des contentieux. Certains RETEX sont d’ailleurs réalisés sur demande et à l’intention des assurances, comme le raconte un opérateur de niveau 2 : « Il y a eu un gros préjudice financier, rien du côté humain mais quelqu’un devait payer. Ils ont donc voulu rechercher d’où venait l’erreur, voir qui en avait la responsabilité » (chef d’agrès n°2). Une telle utilisation du RETEX décourage les intervenants à déclarer leurs erreurs, par crainte d’une mise en cause personnelle ou de leur institution.

Quelles pratiques spontanées les opérateurs mettent-ils en place pour compléter le prescrit?

Malgré les freins à la déclaration, les opérateurs de tout niveau s’impliquent dans le RETEX qu’ils enrichissent, complètent et développent en fonction de leurs besoins. Ces pratiques spontanées concernent toutes les formes de RETEX qu’il soit écrit ou oral.

Des débriefings rendus plus vivants pour gagner en efficacité. – Certains opérateurs choisissent de donner une autre forme à leurs débriefings afin de les rendre aussi vivants que possible. Plutôt que de retracer l’intervention statiquement « au cul du camion », un opérateur de niveau 3 expliquait qu’il fait déplacer ses intervenants sur les points sensibles de l’intervention afin de leur montrer chacun des éléments concernés par le retour d’expérience.

Une utilisation d’outils non spécifiques au RETEX pour éviter la lourdeur du processus PRESCRIT. – Concernant le RETEX écrit, le COUT perçu du remplissage de l’outil FIREX était souvent jugé trop élevé en raison de sa lourdeur et de son manque de clarté, au regard du peu de BENEFICES perçus. Les opérateurs font également remonter les informations sous une forme moins contraignante, comme le raconte ce correspondant RETEX : « Ce n’était pas sous la forme d’une FIREX, on m’avait envoyé un compte-rendu d’intervention, plutôt que de perdre du temps à remplir une FIREX, j’avais corrigé deux ou trois trucs avant de le transmettre [à la SDR] » (correspondant RETEX n°1).

Une capitalisation des connaissances parallèle à la base de données officielle du RETEX. – Concernant la capitalisation des FIREX et des autres documents de RETEX, un opérateur de niveau 3 expliquait se constituer des dossiers de documentation opérationnelle en parallèle de la base de données RETEX officielle, pour son usage personnel et à des fins développementales, avec un classement répondant à ses besoins : « Moi j’ai un classeur dans lequel je mets tous mes Allo18 […], tous les trucs que je classe par thème, par exemple feux de transports et je révise régulièrement » (chef de garde n°6).

La rédaction de documents complémentaires à la doctrine opérationnelle. – Un opérateur de niveau 3 (chef de garde n°4), expliquait avoir complété la doctrine opérationnelle à l’occasion d’une découverte sur intervention. Constatant que la FIREX qui avait été transmise au niveau 4 n’avait pas conduit à un retour d’information, il avait pris l’initiative de rédiger un document informel baptisé

« le petit + opé », permettant d’informer tous les intervenants de sa compagnie, « jusqu’au plus petit sapeur ».

L’utilisation de réseaux informels pour compléter des FIREX jugées non suffisantes. – Le manque de méthodes d’analyse des facteurs humains et organisationnels lors de la rédaction des FIREX entraîne parfois une confusion à la lecture de celles- ci. Un opérateur de niveau 3 expliquait avoir recours à des RESEAUX INFORMELS afin de pouvoir mieux comprendre les choix faits sur des interventions relatées par FIREX : « Il m’est déjà arrivé de lire une FIREX d’un camarade et de lui passer un coup de téléphone pour lui dire que sa FIREX était intéressante mais en lui demandant pourquoi il avait fait ça, quel était le contexte de sa prise de décision » (chef de garde n°4).

L’intégration du point de vue des intervenants dans le récit d’une intervention à haut potentiel de gravité. – Un correspondant RETEX salue également l’initiative prise par un chef de garde (niveau 3) lors d’un week- end, moment où les sapeurs-pompiers ont moins de contraintes. Suite à un feu d’envergure qui aurait pu entraîner deux blessés graves au sein des effectifs pompiers, ce chef de garde avait demandé à tous les intervenants de rédiger leur ressenti sur intervention, ainsi que les actions menées. L’objectif était double : capitaliser sur le dysfonctionnement survenu sur intervention et acculturer les intervenants au RETEX. Cet opérateur de niveau 4 exprime sa satisfaction : « je nous félicite parce que ça commence à progresser ! » (Correspondant RETEX n°2).

DISCUSSION

Une appropriation du RETEX différente selon le niveau de participation des opérateurs

Notre étude a consisté à décrire le processus de RETEX PRESCRIT de la BSPP et à analyser la façon dont les opérateurs impliqués dans ce processus le mettent effectivement en pratique (RETEX EFFECTIF) L’objectif annoncé du RETEX PRESCRIT est d’améliorer la sécurité et la performance sur intervention. Nous avons montré que ces deux dimensions sont indissociables et rassemblées sous le terme de « progrès », signifiant le développement des compétences des opérateurs.

En outre, les participants confrontés à l’activité opérationnelle (niveaux 1 et 2) identifiaient des objectifs non explicités dans le RETEX PRESCRIT, notamment l’enjeu de soutien psychologique. Les opérateurs de niveau 4 mentionnent l’objectif d’encourager la déclaration afin de développer une véritable culture du RETEX.

Le RETEX PRESCRIT stipule que tous les opérateurs doivent faire remonter tout événement susceptible d’intéresser le RETEX. Nos entretiens ont mis à jour une sous-déclaration des événements par les opérateurs, réduisant les opportunités d’apprentissage. Impliquer les opérateurs de niveau 1 et 2 dans le processus de RETEX au-delà de la simple consigne de déclaration

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et d’application pourrait être une piste d’amélioration du processus actuel de RETEX au sein de la BSPP. Ainsi, dans le domaine de l’exploitation des tunnels routiers, la mise en place d’un RETEX fondé sur des espaces de débat inter-métiers animés par des managers de proximité a conduit à améliorer le partage des représentations, la confrontation des pratiques et la transmission des connaissances entre opérateurs (Casse & Caroly, 2017). De même, au sein d’entreprises de distribution d’énergie, la mise en place d’espaces de débats structurés centrés sur l’analyse du travail réel a contribué au renforcement de la culture de sécurité organisationnelle, au développement des compétences des opérateurs et à l’amélioration de la performance organisationnelle (Rocha, Mollo & Daniellou, 2015). La relation entre espace de débats, culture de sécurité et RETEX sera étudiée au cours de notre programme de recherche.

Retour d’expérience et développement d’une culture de sécurité

Des freins à la déclaration ont été identifiés. Plus que la crainte d’une sanction professionnelle ou juridique, c’est la peur de la sanction informelle qui prédomine.

Ceci confirme le frein majeur au RETEX que représente la crainte de la remise en cause de ses compétences, voire de son identité professionnelle (Gaillard, 2005). Ces résultats suggèrent la nécessité d’explorer la culture de sécurité au sein de la BSPP, en particulier ses dimensions de réponse non-punitive à l’erreur et de liberté d’expression accordée aux opérateurs de première ligne. Il a en effet été montré que ces deux dimensions sont indispensables à la mise en place d’un RETEX efficace (Reason, 1998).

Un besoin d’intégrer les facteurs humains et organisationnels au processus de RETEX

L’importance de compléter localement le RETEX

PRESCRIT, jugé peu adapté à leurs besoins a été mis à jour. Ces pratiques spontanées pallient des outils de RETEX existants mais peu accessibles aux opérateurs de première ligne (ex. : base de données RETEX), non formés à l’analyse des événements (ex. opérateurs des niveaux 1 à 3). Cette absence conduit certains opérateurs à ne pas disposer de suffisamment d’informations concernant le contexte de l’intervention et dans lequel les opérateurs ont pris leur décision. Ce résultat suggère l’importance de proposer aux opérateurs des méthodes d’analyse des événements permettant de ne pas stigmatiser les opérateurs de première ligne et une meilleure intégration des facteurs organisationnels et humains, telles que les méthodes systémiques d’analyse des événements (Hollnagel, 2004). Il n’existe pas de processus de RETEX opérationnel unique qui serait directement applicable à toutes les organisations. Le RETEX d’une organisation doit correspondre aux moyens que cette dernière alloue à ce dispositif et aux objectifs de sa culture organisationnelle (Gaillard, 2005). La particularité d’une unité militaire assurant une mission de service public avec des attentes élevées en matière de performance et un fort niveau d’engagement attendu de ses opérateurs, comme le rappelle sa devise « Sauver ou Périr » implique d’adapter le dispositif de RETEX de la BSPP aux objectifs et à sa culture organisationnelle propre.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Cette étude exploratoire sera élargie à un échantillon plus important d’opérateurs, incluant tous ceux impliqués dans le RETEX, des servants et équipiers (niveau 1) aux membres de la SDR (niveau 5). Nos résultats qualitatifs seront complétés par une étude quantitative qui visera à évaluer le climat de sécurité sur intervention au sein de la BSPP. Une dernière étape, basée sur les résultats obtenus dans les études précédentes, sera de concevoir et évaluer des méthodes et outils de partage d’expérience : création d’espaces de débats structurés pour le RETEX sur intervention de la BSPP, en nous appuyant sur des travaux déjà menés dans d’autres secteurs d’activité à risques (Casse & Caroly, 2017 ; Nascimento et Falzon, 2009 ; Rocha, et al., 2015).

BIBLIOGRAPHIE

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Références

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