FACULTÉ DE MEDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
^ IST 3STÉE 1902-1903 N° 148
ALCOOLISME
ET
PARALYSIE GÉNÉRALE
EN GIRONDE
(CONTRIBUTION
AL'ÉTUDE ÉTI0L0G1E DE LA PARALYSIE C
THESE POUR LE DOCTORAT E\T MRIJH
présentée et soutenue publiquement le 24 Juillet 1903
Jean DEBANDE
Né à Saint-Christoly (Gironde), le 8 septembre 1868.
MM.PITRES, professeur... Président.
EiuitttorsdeluTfce
)
) CASSAET,pr°iT>
agrégé { Juges., RÉGIS, ch.decours.Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE Y. GADORET
17, HUE POQUELIN-MOLIÈRE, 17 1903
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Le Secrétaire de la Faculté: lemaire.
Pardélibérationdu 5 août1SL9, la Facultéaarrêté queles opinions émises dansles ®
^jeUI
sont présentées doivent être considéréescomme propres àleursauteurs, et quelle nene donner ni approbation ni improbation.
A MON PÈRE ET A MA MÈRE
Faibletémoignage dereconnaissance.
A MA FEMME
A MON ONCLE ET A MA TANTE, M. ET Mme BILLAUX
A TOUS LES MIENS
A MES AMIS
A Monsieur le Docteur LALANNE
Docteurès-sciences
Médecin-directeurde la Maison deSantéde Casteld'Andorte 0fficier d'Académie.
A Monsieur le Docteur RÉGIS
Chargéducourscomplémentairedesmaladies mentales à la Faculté deMédecinedeBordeaux,
Chevalier de la Légion d'honneur, Officier de l'Instruclion publique.
débandé
2
A mon Président de thèse,
Monsieur le Docteur PITRES Doyen honoraire de la Faculté de Médecine deBordeaux, ProfesseurdeClinique médicale, Chevalier de la Légiond'honneur,
Membre correspondant de l'Académie de Médecine,
Membrecorrespondant delaSociété deBiologie, Officier del'Instruction publique.
Témoignage demaprofonde gratitude.
ALCOOLISME
PARALYSIE GÉNÉRALE
EN GIRONDE
(Contribution à l'étude étiologique de laParalysie Générale)
INTRODUCTION
L'élude de la paralysie générale a traversé tiois péno es
distinctes. Dans la première, lesobservateursont essayé ce de cette maladie une entité avec ses lésions, ses symptôme
son évolution propres.Cette premièrepériode,malgré la escnp tion de Haslam, en 1798 (la première en date), malgré c
d'Esquirol,
en 1816, et de Georget,en 1820, commence ven
blementàBayle, qui, en 1822,danssathèse dedoctorat, it
paralysie générale une maladie
parfaitement autonome
— ii —
rattacha àl'arachnitischronique. Depuis cette époque,
les publi¬
cations se succédèrent nombreuses et riches en documents pré¬
cieux.
Delaye (1824), Calmeil
(1821-1841-1859), Parchappe (1834-
1838) et après eux Lasègue et
Falret (1853) appuyèrent de leur
autorité incontestée la manière de voir de Bayle, qui, du moins
dans sonensemble, n'a plus été contestée
depuis. L'observation
clinique seule avaitjusqu'alors essayé
de fixer,
aupoint de
vue nosographique, la légitimité de ce typemorbide.
Dans la deuxième période, que l'on
pourrait appeler période
anatomo-pathologique, des savantstels
queRokitansky, Magnan,
Westphal, Mierzejewski,
Mendel, Crischton-Brown, fuczek,
Zacher, etc., ont voulu préciser la nature des
lésions indiquées
par Bayleet
Calmeil
et consacrerscientifiquement, histologique-
ment, la nouvelle entité. Enfin, dans la dernière
période la plus
proche denous,
l'étiologie
etla pathogénie de la paralysie géné¬
rale ontprovoqué des recherches qui se
poursuivent
encorede
nosjours.
La fréquence de la maladie, les climats sous
lesquelles elle
évolue, les races, l'âge des malades, leur sexe, leur
profession
ont surtout servi de matière aux dissertations théoriques
des
esprits chercheurs et avides de savoir. Mais unegrande notion
étiologique parait à l'heure actuelle s'être dégagée
de
ces nom¬breux travaux etl'onreconnaîtgénéralement
aujourd'hui
quela
paralysie généralevraie, bien queparfois confondue
enclinique
avec d'autres affections d'ordre cérébral, ne reconnaît le plus
souvent qu'une origine : « la syphilis ». Quoi
qu'il
ensoit,
cer¬tains auteurs prétendent encore que l'alcool sous toutesses
for¬
mes,absorbé d'une façonimmodérée,peut, à uncertain
moment,
provoquer une folie paralytique, une véritable
paralysie géné¬
rale. Dans le présent travail, nous avons la modeste
ambition
d'apporter quelques documentsnouveaux qui
viendront combat¬
tre cette dernière théorie. Nous restreindrons nos recherches
au seul département de la Gironde, espérant qu'une
idée ferme
et définitive pourrait se dégager des travaux du même
genre
faits dans tous les départements de France.
Nous laisserons délibérément de côté l'étude clinique et
l'étude anatomique de la
paralysie générale, et
nous poseronsainsi leproblème, que nous
désirons résoudre.
Dans un département
essentiellement viticole
commela Gi¬
ronde, où les habitants boivent beaucoup
de vin, quels sont les
rapports et les
variations de la paralysie générale et de l'alcoo¬
lisme?
I
Historique.
Esquirol, le premier observateurfrançais de laparalysiegéné¬
rale, dit, en parlant de la Russie, « qu'il n'est pas rare d'y
rencontrer des hommes éminents par leur rang, par leur for¬
tune, leur savoir, qui, parvenus à un certain âge, se livrent à l'abus de boissonsfortesettombent dans ladémence, compliquée
de paralysie et de tremblements ». Il ajoute plus loin qu'au
moment de laménopause, certainesfemmes « contractentl'habi¬
tude de l'ivresse, tombent dans le délire qui est ordinairement chronique, incurable, quioffre tous les caractères de ladémence,
souvent avec tremblement, plus souvent avec paralysie ».
Pour Esquirol, la démence, le tremblement et la paralysie
étaient les troisgrandssignes cliniques de la paralysie générale.
Mais il fit véritablement œuvre de clinicien avisé en indiquant
que dans bien des cas les malades qu'il observait étaient deve¬
nus alcooliques sous l'influence de la démence. Mais alors l'alcoolisme était la conséquence de la paralysie générale etnon pas sa cause. Nous insisterons tout particulièrement sur ce
point, car, à notre avis, c'est une des causes des divergences d'opinion : beaucoup d'auteurs ayant pris et prenant encore l'effet pour la cause. Bayle, Calmeil et Royer-Collard firent de l'alcoolismela causeabsolue, unique, de lamèningo-encéphalite.
Ce dernier, dans sa thèse d'agrégation d'hygiène, dit que l'alcoolisme chronique, dont les symptômes se calment assez facilement une première et une deuxième fois, aboutit à une
inflammation chronique du cerveau avec délire et que « la pa-
ralysie générale s'établit dès lors sans offrir aucune intermis¬
sion ».
En 1845, Bouillaud, dans son traité denosographie médicale,
dit quel'abus prolongé des boissons spiritueuses irritantd'abord le cerveau et le cervelet produitune inflammation réelle à mar¬
cheplus oumoins chronique qui aboutitau tremblementgénéral
et à cette « paralysie générale spéciale sur laquelle M. Calmeil
a publié une intéressante monographie ». Enfin, en 1852, l'ou¬
vrage deMagnusHuss vint révolutionner les esprits. Jusqu'alors
tous les auteurs avaient été catégoriquementpartisans de l'unité
pathogénique
de l'alcoolisme et de la paralysie générale.Magnus Hussen fit deux maladies distinctes, deux entités abso¬
lues ayant chacune ses symptômes, sa marche, sa terminaison
et ses lésions.
L'année suivante, Lasègue fut moins affirmatif et si, au point
devue
clinique,il indiquamagistralement les symptômes propes à chacune de ces deux maladies, les reconnaissant ainsi comme
très
différentes,
il n'établit entre elles aucune relation de cause à effet.Cependant,
comme l'avait déjà indiqué Esquirol, Lasè¬gue écrivait : « Les paralytiques généraux agités se mettent sou¬
vent à boire ». Il reconnaissait ainsi l'alcoolisme comme un des effets de la
paralysie générale préexistante.
Morel, en 1859, signalait lui aussi, comme cause d
erreur, la fréquence des excès alcooliques sous l'influence de la paralysie générale débutante.
Thomeuf,
Motet, Confesseaccordentaussi, dans desstatistiques minutieusement établies, une place importante aux excès alcoo¬liquescomme cause occasionnelle de la paralysie générale. Un
peu plus tard, Lagardelle dit : « On ne doit pas confondre l al¬
coolismelune de
chronique
avec la paralysie générale propre, puisquecesmaladiesn'est que la conséquenceplusoumoins éloi¬
gnéedel'autre ».Mais nousdifféronstout à fait d'opinionaveccet tuteur, puisque nous pensons absolument le contraire lorsqu il ajoute : «
Lorsqu'un
malade est atteint d'alcoolisme chronique depuis un certain temps, il arrive un moment où il présente des symptômes nouveaux,symptômes graves, caractéristiques de la
— 18 —
paralysie
générale. Alors
onpeut dire
que cemalade est para¬
lytique ».
En 1870, Nasse constata que certaines
maladies qu'il avait
étiquetées
paralysie générale guérissaient. Il
ne secrut pas auto¬
risé àleurconserver l'appellation première et en
fit la
«pseudo-
paralysisepotu»,d'un
pronostic plus favorable. Alors deux écoles
se forment : l'une admettant l'alcoolisme comme une des causes principales de la
paralysie générale, l'autre faisant de l'alcoolisme
chronique une terminaisonassez
fréquente de la paralysie géné¬
rale. Et pendant quinze ans on vitces
deux écoles, partant de
points de vue tout à fait différents,
émettre les opinions les plus
contradictoires. En avril 1870, Luys, dans une
communication
faite à la Société médicale des hôpitaux, affirme que
les excès
alcooliquesnesontquedescauses
secondaires chez des individus
qui, par les dispositionsparticulières
de leur organisme, étaient
déjà prédisposés à contracter la
paralysie générale.
En 1871, Drouet prétend que
l'alcoolisme chronique et la
paralysie générale ne sont que des
modalités cliniques d'une
seule et même maladie, la première d'un
pronostic relativement
bénin, alors que la seconde possède une
sombre gravité.
En 1873, Dagonet publia deuxmémoires dans
les Annales mé¬
dico-psychologiques sur le sujet qui nous
intéresse
;cet auteur
croit, comme Luys, que la paralysie
générale dépend d'une pré¬
disposition particulière,prédisposition qui peutse
développer en
dehors de toute cause déterminante et àelle seule déterminer
la paralysie générale. Mais il accorde aux excès
alcooliques la
faculté de pouvoir produire cette
prédisposition
enprovoquant
des accès répétés et intenses de congestion
cérébrale.
La même année, Magnan et ses élèves Gambus
et Lolliot,
étudiantl'étiologie de la paralysiegénéraleetles
rapports de cette
maladie avec l'alcoolisme, arrivent aux conclusions
suivantes :
1° Les excès alcooliques peuvent déterminer à eux
seuls la
paralysie générale;
2° Le délire alcoolique apparaît tout
d'abord, puis survient
une deuxième période ou période de transition,
qui n'est qu'un
mélange des deux maladies, alcoolisme et folie
paralytique.
- 19 —
Cette période de
transition
a unedurée très variable, d'ailleurs
impossible à
déterminer;
3° Dans une troisième période, les symptômes
de l'alcoolisme
tendent à disparaître, masqués qu'ils sont par
les signes
pro¬gressivement plus apparents de la
paralysie générale, qui, dans
certains cas, finit même par exister seule.
Bouchoir, Burlureaux, Magnan (dans un
second Mémoire),
Fovilleadoptent les idéesde Dagonet, et, comme
lui, admettent
que l'alcool, agissant sur le cerveau par
des poussées congesti-
vesrépétées, parl'altération
progressive des vaisseaux, est
unecause prédisposante de la
paralysie générale,
causequ'il
nefaut pas négliger. Depuis cette époque,
la rigueur scientifique
des observations cliniques, le nombre chaque
jour plus grand
des cas de guérison tendent à établir que
l'intoxication alcooli¬
que n'a aucune influence sur le développement
de la paralysie
générale. Millet constate que les alcooliques sont
plus souvent
des aliénés que des paralytiques généraux, et, par
conséquent,
qu'il faut chercher ailleurs que dans
l'alcool la
causede la
paralysie générale.
Moreaux, en 1881, s'attache à démontrer que
la paralysie
généralealcoolique a une marche toute
particulière, caractérisée
par la nature des rémissions qui sont plus fréquentes
et plus
franches que dans la paralysie générale
classique. Cette diffé¬
renceest très importante suivant l'auteur,
mais
nesuffit
pas,à
elle seule, pour prouver quil n'existe réellement pas
de
para¬lysie générale alcoolique.
Bégis, analysant la thèse de Moreaux, dit : «
Cette marche
régressive des symptômes de la paralysie
générale chez les
alcooliques, absolument inverse de la marcheessentiellement
progressive de la paralysie générale
ordinaire, n'a-t-elle
pasparu un caractère suffisant à l'auteur pour lui laisser
entrevoir
que cette paralysie générale des alcooliques
pouvait bien n'être,
en somme, qu'une pseudo-paralysie
générale,
tout commela
pseudo-paralysie générale saturnine ? Pour notre
part,
nousserions assez porté à l'admettre, et rien ne
saurait mieux
nousconfirmer danscetteidée quel'excellente
thèse de M. Moreaux
».— 20 —
Bail ensuite admet que l'aliénation mentale particulière, fré¬
quente et grave, causée par l'alcool ne peut pas être dela paralysie générale, et, combattant les idées d'Esquirol, Bayle
et Calmeil, il n'admet pas la corrélation directe de cause à effet entre l'aliénation mentale alcoolique et la paralysiegéné¬
rale.
Lacaille dit que si l'alcoolisme est incapable d'engendrerde
toutes pièces la paralysie générale il peut, exceptionnellement, engendrer une pseudo-paralysie générale alcoolique. Nous re¬
viendrons d'ailleursunpeu plus loinsur certains points admira-
blementmisenlumière dans cette thèse inaugurale. Enfin Régis
observa des alcooliques que l'on considérait comme atteints de
paralysie générale; certains guérirent, d'autres moururent, et chez ces derniers on ne rencontra pas à l'autopsie les lésions
de la paralysie générale.Bégisadmit que l'alcool produisaitune
pseudo-paralysie générale ou folie paralytique de Baillarger.
Ces théories produisirent une vive impression, Magnan dit qu'il
n'admettait point la pseudo-paralysie générale alcoolique, l'al¬
cool seul pouvant déterminer une prolifération conjonctive ou l'athérome.
Camuset considère la pseudo-paralysie générale alcoolique
comme une curiosité clinique plutôt que comme une variété d'alcoolisme.
Frigerio fait jouer un grand rôle aux excès alcooliques dans l'étiologie de la paralysie générale, mais ne croit pas utile la
création d'une nouvelle forme morbide intermédiaire.
Voisin ayant fait l'autopsie de plusieurs paralytiques alcooli¬
ques, arriva à celte conclusion que l'alcoolisme conduit à des lésions dégénérativesetlaparalysiegénérale àdes lésionsinflam¬
matoires. Ces deux états morbides absolument différents per¬
mettent, d'après Voisin, d'établir deux entités cliniques.
A partir de 1884, Christianet Rilti, dans une série d'articles écrits séparément ou en collaboration, tout en constatant que 1 intoxication par l'alcool peut produire des symptômes compa¬
rables, presque superposables à ceux qu'on observe dans la période d'excitation de la paralysie générale, restenttrès scepti-
- 21 —
ques et concluent que l'alcool n'est que très rarement la cause
de laparalysie générale.
Taguet se range à cette opinion, mais admet que les excès
alcooliques et vénériens sont assez souvent des phénomènes précurseurs de la paralysie générale.
Lasègue, avec ce précieux sens clinique, cette observation remarquable qui le caractérisent, revient sur sa thèse d'agré¬
gation de 1853 et, au point de vue particulier qui nousintéresse,
conclut que dansla paralysie générale il estplus facile derecon¬
naître l'élément alcoolique que de déterminer la part qu'ilcon¬
vient de lui faire.
En 1884, Blacheécrit dans sathèse dedoctorat, inspirée par le professeur Pierret,de Lyon : « Dans la paralysie générale vraie,
on ne trouve que rarement des excès alcooliques dans les anté¬
cédents des malades; s'ils en ont commisquelques-uns, un exa¬
menattentif fait découvrirquec'est sousl'influence de la maladie commençante ».
Rousseau fait une différence entre la paralysie générale vraie
et la
pseudo-paralysie
générale alcoolique; cette dernière cura¬ble, de courtedurée, peut cependantdevenir grave et s'installer d'une façon définitive.
Rouillard insiste sur cette idée que
les paralytiques généraux
vrais ont fait des excès alcooliques seulement au cours de la période
prodromique
de leurmaladie,alors queles pseudo-para¬lytiques
généraux alcooliquesen ont toujours fait.Pour lui, il est loin d'être prouvé que la pseudo-paralysie
générale
alcoolique
puisse se transformer en paralysie géné¬rale vraie.
Arnaud et Bassin n'admettent qu'une paralysie générale, une seule entité morbide, quelle que soit son origine.
Moins
catégorique et sans prendre parti, Evrard admet que
si 1alcool ne peut créer la paralysie générale, il peut la faire éclore sur unterrain préparé.
L état de la question en était encore àce point, la plus grande confusion régnait dans les esprits au moment des congrès de Paris 1889 et de
Rouen 1890. A Paris, Garnier, à Rouen, Du-
— 22 -
buisson, à l'aide de graphiques et de
statistiques imposantes,
arrivent à la même conclusion : action prépondérante de l'al¬
coolisme dans l'étiologie de la paralysie générale.
En 1890 enfin, dans son remarquable rapport sur le
rôle
del'alcoolisme dans l'étiologiede la paralysiegénérale dont nous
avons plus haut résumé la très
complète partie historique,
Roussetconclutparlestermes mêmesque
Lacaille avait employés
en1881:
1° Quelques cliniciens, les
moins nombreux,
nereconnaissent
pas de dilïèrence
fondamentale entre l'alcoolisme chronique et
la paralysiegénéraleet
croient
commeautrefois
quelaméningo-
encéphalite est le plus souvent
due
auxexcès alcooliques
;2°D'autres refusent à l'alcoolisme le droit de produire
de
toute pièce la paralysie générale et pensent que ce que
l'on
appelle la paralysie
générale alcoolique n'est
aufond qu'un état
cérébral particulier qu'ils appellent
pseudo-paralysie générale
alcoolique empruntant le masque
de
laméningo-encéphalite,
mais s'en séparant assez par la marche, la
gravité
etmême les
lésionsanatomiques, pour mériter dene pas être
confondue plus
longtemps avec cette affection;
3° D'autres établissent une distinction très nette entre l'al¬
coolisme chronique et la paralysie générale ; ils
admettent
une paralysiegénérale de naturealcoolique pouvant être quelque¬
fois l'aboutissant de l'alcoolisme chronique;
4° Les derniers, faisant preuve de plus de
circonspection et
d'éclectisme, considèrent l'alcoolismecommeunecause
purement
occasionnelle, agissant presque toujours sur un
terrain prédis¬
posé antérieurement.
Telles étaient les conclusions de la partie historique
de la
thèse de Lacaille que le docteur Rousset mit in extenso
dans ses
propres conclusions en y ajoutant simplement une
quatrième
série d'opinion.
Ce qui prouve qu'en 1890, au congrès de Rouen,
la question
n'était pas plus avancée qu'en 1881 lors de la thèse de
Lacaille.
De 1890 à nosjours, la question a-t-elle fait des
progrès ? du
ne parle que du rôle étiologiqne prépondérant de la
syphilis0'
- 23 —
l'alcoolisme n'est mentionné dans la plupart des auteurs que
comme une simple cause favorisante. Les
nombreux
auteursqui
s'occupent de l'histoire étiologiquede
laparalysie générale s'at¬
tachent à démontrer l'origine syphilitique de la paralysie géné¬
rale,comme le dit le professeur Fournier, ou la nature
syphili¬
tique de la paralysie générale comme le veut
Leredde. Somme
toute, nous en sommes encore, en 1903, au même point qu'en
1881 avec, cependant, un progrès marqué : la
paralysie géné¬
rale vraie est indiscutablement une maladie d'origine syphili¬
tique sinon de nature syphilitique.
II
Remarques et Statistiques.
« S'il estdifficile, ditLasègue, dedistinguer la paralysie géné¬
rale de l'alcoolisme lorsqueces maladiessont à l'état de simpli¬
cité, la tâche devient bien plus délicate encore lorsqu'elles se
compliquent l'une l'autre : les paralytiques généraux agités se mettent souvent à boire ». Cette dipsomanie paralytique appa¬
raît en effet bien souventau débutde la paralysie générale sous
l'influence d'une hyperactivité cérébrale (période de dynamie
fonctionnelle si bien décrite par Régis, hyperactivité qui pousse les malades à tous les excès et plus particulièrement auxexcès alcooliques). Il n'est pas étonnant, au début même de la mala¬
die, que lafamille et parfois même le médecin aient songé à
mettre sur le compte de l'alcoolisme des méfaits qui ne lui sont
pas imputables. C'est la paralysie générale qui commence et
cela n'est pas douteux, car, s'il en était autrement, comment expliquer que des hommes dans toute la plénitude de leur bon
sens, des hommes restés très sobres jusqu'alors, occupant des
situations parfois élevées, comment admettre, disons-nous, que
ces hommes, du jour au lendemain, se mettent à courir de café
en café et prennent des habitudesd'ivrognerie? C'est laparaly¬
sie généralequi débute et les malheureux qu'elle atteint, attirés
par le petit verre d'alcool comme le papillon vers la lampe où
il va se brûler, sont déjà les victimes de la maladie.
Au début donc, il y a lieu de se demander si l'on se trouve
en présence d'une paralysie générale débutante ou d'un alcoo¬
lisme vulgaire. La question est souvent très ardue et difficile à
trancher. On a dit avec raison qu'un individuqui plusieurs fois déjà avait subi les atteintes profondes de l'alcoolisme avant d'offrir les signes de la paralysie générale pouvait être consi¬
déré comme probablementatteint de pseudo-paralysie générale alcoolique, mais non pas de paralysie générale vraie. Tandis que chez les pseudo-paralysés généraux alcooliques les symp¬
tômes de paralysie générale succèdent toujours aux accidents habituels de l'alcoolisme dont ils ne constituent, somme toute, qu'une des étapes,chez les vrais paralysésgénérauxla maladie n'est, dans aucun cas, consécutive à ces accidents qui peuvent bien venir la compliquer, mais qui ne la précèdentjamais. Et
ce qui peut dérouter encore le médecin dès sa première visite
au malade interné, c'est que les signes de la paralysie générale
sontmasquésparlesaccès subaigusde l'alcoolisme etnedevien¬
nentappréciables qu'au bout de quelques jours après la dispa¬
rition même de ces accès.
Dans la paralysie générale vraie, au contraire, les symptômes morbides ne sont jamais directementconsécutifsàdes accidents
alcooliques
subaigus. Comme le dit si bien Lacaille, ces acci¬dents peuvent, il est vrai, survenir au début de la paralysie générale sous l'influence des excès de boisson que les malades
commettent parfois àce moment, maisalors, outre qu'ils ne sur¬
viennent qu'au moment où la paralysie générale est déjà plus
ou moins évidente, ils ne masquent jamais complètement les symptômes de cette affection, symptômes qui restent toujours appréciables au milieu des troubles dus à l'intoxication.
Enfin les signes de la pseudo-paralysie générale alcoolique, après ladisparitionde l'accès subaigu d'alcoolisme, se manifes¬
tent demblée dans leur plus grande intensité, tandis que dans
la paralysie générale vraie les manifestations morbides, peu apparentes d'abord, vonts'accentuant, si bienque la première,
suivantl'expressionheureuse deRégis, peut être appelée régres¬
sive, tandis que la deuxième mérite bien son nom de progres¬
sive.
Commeon le voit, le mode de début de la pseudo-paralysie
généraleÛebande
alcoolique
est bien différent de celui de laparalysie3
générale
vraie
; cesdifférences s'accentuent davantage encore
dans la
symptomatologie comparée des deux affections, mais ce
n'est point là le
sujet de notre travail.
On a dit que ce qui
démontrait facilement les relations étroi¬
tes de paralysie
générale
avecl'alcoolisme c'était l'augmentation
parallèle
de
cesdeux états morbides. Garnier et Dubuisson ont
donné des statistiques. Au
congrès international de médecine
mentale de Paris(août
1889), le Dr P. Garnier, après avoir dé¬
montré que la
folie avait augmenté de 30 p. 100 environ de 1872
à1888, ajoutait que cette
augmentation était le fait de deux types
morbides dont la fréquence est
sensiblement progressive : la
foliealcoolique et la
paralysie générale. La comparaison entre
lesgraphiques
qui marquent l'accroissement simultané de l'acoo-
lisme et de laparalysie
générale suffit
pourM. Garnier à établir
que leur
progression si rapide est nettement corrélative et lui
faitconclure de leur marche
envahissante à l'influence éfiologi-
que de
l'alcoolisme
surle développement de la paralysie géné¬
rale.Il y aévidemment une
certaine témérité à conclure de cette
façon.
Dubuisson, communiquant
les résultats de ses recherches,
constate que de
1853
à1889 le nombre des cas de paralysie
générale a
considérablement augmenté. Sur 1574 paralysies
générales,
Dubuisson note 745
casoù la cause présumée a été
l'alcoolisme. La proportion est, on
le voit, considérable.
Nous donnerons, nous aussi, des
statistiques et
nosconclusions
cependant seront
très différentes de celles de MM. Garnier et
Dubuisson. Si cette corrélation que
l'on veut bien établir entre
l'alcoolisme et la paralysie
générale existe véritablement, les
pays où il se consomme
le plus d'alcool doivent très certaine¬
ment présenter le
plus de
casde paralysie générale, c'est 1 opi¬
nion de Dubuisson pour la
Normandie, c'était déjà, en 1865,
l'opinion de Lancereaux
qui disait à
cepropos : « Le mal aug-
mente-t-il chaquejour?je le
crois, et cela
parceque la consom¬
mation de l'alcool suit une progression
constante comme le
démontre les relevés de l'octroi de la
ville. Il
sedébite à
Rouen,ditM. JulesSimon
(L'ouvrière, Paris, 1861, p. 730), dans
l'espace d'une année, 5 millions de litres
d'eau-de-vie
outre le cidre, le vin et la bière ». C'est aussi l'opinion de M. Claude (des Vosges), qui, dansson rapportde 1887, constatequ'en Nor¬mandie, où l'on distille une grande quantité d'eau-de-vie de cidre, de poiré et de betteraves, l'alcoolisme exerce les plus grandsravages. L'asile de Quatre-Mares, enNormandie, tient le premierrang parmi ceux dans lesquels la proportion d'alcooli¬
quesest laplus forte, 40,34p. 100en 1884, etc'est danscetasile
que Dubuisson a fait ses statistiques.
Etcependant ilest incontestableque lespaysoù l'onconsomme le plus d'alcool sous ses formes lesplus nocives(eaux-de-vies de betteraves, de pommes de terre, degrains, aromatisées d'essen¬
ces fortes ou de baies de genièvre, etc.) sont des pays où
la
paralysie générale n'est pas plus fréquente quedans les paysoùles gens sont sobres. Suivant Bail, la Suède, le Danemark, l'Ecosse, l'Irlande, contrées où l'on boit leplusd'alcool, sont les
moins atteintes parla paralysie générale. La Suède n'a-t-ellepas
été le pays qui a fourni à Magnus Huss les éléments de son ouvrage sur l'alcoolismechronique? Maissilaparalysie
générale
n'est pas très fréquente dans les pays où règne
l'éthylisme,
onne la trouve pas davantage chez les populations du Midi,
les
Arabes par exemple, à qui le Coran défend les boissons
alcooli¬
ques.En France, la paralysie générale paraitavoir fait des pro¬
grès ; les statistiques départementales nous montrent un parallélisme stationnaire entre les deux affections ou bien même une progression de la paralysie générale avec un
état
stationnaire de l'alcoolisme.
Enprincipe, on a prétendu qu'une statistique
étiologique
ne peut être bien faite dans un asile public et Régis,critiquant les
statistiques de Dubuisson auCongrès de Rouen(1890),indiquait
déjà les difficultés nombreuses auxquelles on se heurtequand
on veut faire, sur des sujets de ce genre, œuvre utile et
scien¬
tifique. L'absence de renseignements complets, la
mauvaise foi
volontaire ou involontaire des malades ou de leur entourage, contribuent à rendre les statistiques inexactes
parfois, parfois
absolument fausses. Mais s'il en est ainsi dans les asiles, il en
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esttout autrement dans les maisons de santé privées. Là, ilya peu d'aliénés, les
familles
sont encontact journalier
avecles
médecins traitants, les observations médicales peuvent être facilement, exactement prises et poursuivies. Pendant
les six
années que nous avons passées comme
interne dans
unde
cesétablissements privés, « Castel-d'Andorte », nous avons pu apprécier lajustesse des
observations du Dr Régis, qui, pendant
près de dix ans, fut le médecin
de
cetétablissement. Nous
noussommes trouvé dans des conditions éminemment favorables à
nos recherches et comme le disait déjà, en 1892, le Dr
Régis,
nous avons constitué nos documents sur des bases certaines qui
nous paraissent avoir une valeur
indéniable. Nous
avons com¬plété les statistiques fournies par le
Dr Régis, de 1891 à
nos jours, et suivant la même méthode, nous avonsrecherché les
statistiques dans les asiles publics de
Picon
etde Cadillac.
C'est là la partie intéressante de notre
travail. Nous ferons
remarquer que l'intérêt en est d'autant plus
grand
que nosrecherches sont faites dans le seul département de la
Gironde.
Ce département, un des plus beaux et un des plus
riches peut-
être de France, fournit à ses habitants des vins
excellents et
justement renommés dont on abuse trop souvent. Et
cependant
lescas de folie alcoolique sonttrèsraresdansles classesmoyenne
et élevée de la société girondine, qui, plusque la classepauvre,
font des excès alcooliques. Est-ce l'excellente qualité
des
pro¬duits absorbés, est-ce le tempérament mieux trempé des
Giron¬
dins qui est la cause de cette rareté de l'alcoolisme, nous ne
saurions le dire. Nous nous croyons donc mieux placé que
qui
que ce soit pour apporter un argument sérieuxà la cause
de la
non participation de l'alcoolisme dans la production
de la
para¬lysie générale vraie.
La loi du parallélisme entre la fréquence de
l'alcoolisme et
celle de la paralysie générale, formulée parcertains
médecins,
et enparticulierparPaul Garnier, est inexacte. Il
faudrait,
pour qu'elle fût vraie, que la paralysie générale fûtd'autant plus
rare dans un pays que l'alcoolisme y est moins fréquent,
et,
enoutre, que la grande majorité des paralytiques généraux
fussent
desalcooliques avérés. Les documents qui vont suivre répon¬
dront très nettement auxdivers points de ce problème. Dans les
tableaux que nous donnons, nous avons indiqué par année depuis 1871 pour Castel-d'Andorte, depuis 1886 (1) pour Châ- teau-Picon, depuis 1889 (2) pour Cadillac : 1° le chiffre des
admissions hommes et femmes; 2° le chiffre des paralytiques généraux; 3° le chiffre des alcooliques.
(1) Date de fondationde l'asile.
(2) La folie alcoolique avant cette date n'étaitpasmise à part dans cet asile.