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Ce que je dois à la pensée systémique en géographie ( )

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Bulletin de l’association de géographes français

Géographies

 

95-3 | 2018

Collectivement géographe : le Groupe Dupont

Ce que je dois à la pensée systémique en géographie (1977-2017)

What I owe to systems thought in geography (1977-2017) Catherine Sélimanovski

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/bagf/3664 DOI : 10.4000/bagf.3664

ISSN : 2275-5195 Éditeur

Association AGF Édition imprimée

Date de publication : 14 décembre 2018 Pagination : 384-391

ISSN : 0004-5322 Référence électronique

Catherine Sélimanovski, « Ce que je dois à la pensée systémique en géographie (1977-2017) », Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 95-3 | 2018, mis en ligne le 14 décembre 2019, consulté le 14 décembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/bagf/3664 ; DOI : 10.4000/bagf.

3664

Bulletin de l’association de géographes français

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géographie (1977-2017)

(WHAT I OWE TO SYSTEMS THOUGHT IN GEOGRAPHY (1977-2017))

Catherine SÉLIMANOVSKI

*

RÉSUMÉ – La communication porte sur ce que l'auteur doit à la pensée systémique en géographie à différents moments de son parcours, à travers la question centrale de la complexité  en géographie. Pendant ses études, l'auteur découvre en 1977 la complexité des interactions sociales et physiques des systèmes de l'utilisation de l'eau dans le monde. Ensuite, dans une étude portant sur l'insertion des Turcs en Alsace, en 1989, elle introduit la dimension du temps dans la représentation du champ migratoire, lui permettant de passer à l'idée de système migratoire. Enfin, dans l'étude de l'inscription spatiale de la pauvreté en France en 2008, elle se saisit du concept de frontière avec l'objectif de déchiffrer ce qui se joue entre la position sociale dominée des populations et personnes en situation de pauvreté et leur position dans l’espace, entre les phénomènes objectifs et subjectifs de leur territorialité.

Mots-clés : Complexité / Système de l'utilisation de l'eau / Système migratoire / Frontière / Frontière de la pauvreté.

ABSTRACT This article deals with what the author owes to systemic thought in geography, at various moments of her career path, through the central question of complexity in geography. During her studies, the author discovers in 1977 the complexity of social and physical interactions in water use systems in the word. Then, studying the insertion of Turks in Alsace, in 1989, she introduces the time factor in the representation of the migratory field, allowing her to conceive a migration system. Finally, when studying the spatial registration of the poverty, in France, in 2008, she tackles the concept of border. The aim is to understand what takes place between the social dominated position of the populations and people in situation of poverty and their position in the space, between objective and subjective processes of their territoriality.

Key words: Complexity / Water use system / Migration system / Border / Boundary of

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CE QUE JE DOIS À LA PENSÉE SYSTÉMIQUE EN GÉOGRAPHIE 385

Ma présentation ne rentre pas à proprement parler dans le registre du témoignage. Je souhaite simplement expliquer ici ce que j’ai emprunté à la pensée systémique en géographie pendant ma période de formation initiale dans les années 1970, puis pendant les nombreuses années du déroulement de mon parcours intellectuel et professionnel. D'une manière ou d'une autre, explicitement ou non, j'ai toujours essayé, en raisonnant dans ce cadre heuristique, de démonter les fils de la complexité : complexité des processus migratoires, de l'inscription spatiale des populations en situation de pauvreté, complexité de la territorialisation des politiques publiques destinées à ces populations. L'idée de complexité en géographie peut se résumer par un énoncé très simple : « la géographie est une science sociale, qui travaille, à travers la dimension spatiale, la tension entre acteurs et systèmes, qui considère avec une égale légitimité explicative la dimension causale et la compréhension, l’analytique et le synthétique, la partie et le tout, le qualitatif et le quantitatif, les formalisations langagières et mathématiques, le texte et la carte, le singulier et l’universel, et qui intègre la nature comme réalité significative au sein du social. » [Lévy & Lussault 2003]. Mais la complexité peut aussi être envisagée comme un « savoir émergent » traversant tous les champs de la discipline [Da Cunha & Matthey 2008]. Au total, la complexité renvoie autant à l’écriture de la géographie comme une science complexe au cœur des autres sciences sociales qu'à l’objet de la géographie, le monde lui même, de plus en plus complexe en ses espaces et territoires interdépendants, la mondialisation, déclinée à tous les ordres de grandeur... Quatre moments importants jalonnent mon parcours : 1977, 1990, 2008, 2017.

1. 1977 : la découverte des systèmes d'utilisation de l'eau

Ayant suivi à Strasbourg et à Paris une formation universitaire classique partagée entre géographie physique, géographie humaine et géographie régionale, je préparais l'agrégation de géographie. L'organisation de l'agrégation elle même reflétait cette structuration en trois domaines séparés, étanches, juxtaposés. La découverte de la question au programme relative aux systèmes d'utilisation de l'eau dans le monde avec les cours que François Durand-Dastès donnait et rédigeait, en les accompagnant de nombreux graphiques sagittaux, ouvrait l'esprit. Le géographie (re)devenait un tout ! On pouvait enfin réfléchir en termes d'interactions sociales et physiques ! Le schéma intitulé « Systèmes d’interactions rendant compte de l’utilisation de l’eau » (figure 1) le démontre de manière limpide.

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Figure 1 - Systèmes d’interactions rendant compte de l’utilisation de l’eau Source : F. Durand-Dastès, Systèmes d'utilisation de l'eau dans le monde, Paris, SEDES, 1977, p. 7

Comment comprendre les problèmes de l'eau dans le monde si l'on ne pense pas ensemble, et non séparément en les superposant tout au plus, de multiples facteurs liés par des systèmes d'interactions ? Les systèmes d'interactions concernent à la fois les milieux physiques, les milieux humains dans leur dimension présente et passée (ce que F. Durand-Dastès appellera plus tard

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2. 1990 : les Turcs en Alsace

Travaillant sur l'étude de l'insertion des Turcs en Alsace, il fallait se pencher sur l'épistémologie des migrations en géographie (figure 2). Jean-Pierre Thumerelle distinguait déjà les mobilités des migrations au sens strict en posant que le changement d'espace de vie caractérise les migrations. Roger Béteille et Gildas Simon, définissaient l'idée de champ migratoire. Pour eux, le champ migratoire est un espace réticulaire structuré par de nombreuses relations liées aux migrations internationales entre deux pays, même distants : chaînes migratoires, flux professionnels, flux financiers, flux touristiques, politiques bilatérales ou multilatérales entre États, etc. Pour ma part, dans l'objectif de caractériser et modéliser les parcours migratoires des familles turques que j'avais rencontrées à Bischwiller, il m'était nécessaire de prendre en compte la complexité du temps d'une vie, des ruptures aux moments vécus dans des lieux et espaces différents. J'ai alors introduit la question du temps dans la représentation du champ migratoire. Ce faisant on pouvait glisser d'une conception structurale de l'espace migratoire à une conception structurale et dynamique, celle d'un système spatial migratoire, susceptible de bifurcations et d'évolutions. L'idée de système migratoire a été définitivement acquise peu de temps après. Dans, Géodynamique des migrations internationales (1995), Gildas Simon décrypte le système migratoire mondial et les systèmes migratoires régionaux. Notons que les recherches présentes intègrent l'idée féconde de circulations migratoires.

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CE QUE JE DOIS À LA PENSÉE SYSTÉMIQUE EN GÉOGRAPHIE 389

3. 2008 : la frontière de la pauvreté

Partant du constat que la pauvreté n’a pas disparu dans les pays riches, on peut essayer de répondre à trois questions triviales en géographie. Où sont les personnes en situation de pauvreté ? Pourquoi sont-elles là ? Avec quels effets ?

En me saisissant du concept de frontière (limite, discontinuité marquée par le politique), mon objectif était de déchiffrer ce qui se joue entre la position sociale dominée des personnes en situation de pauvreté et leur position dans l’espace. La difficulté était celle de la mise en œuvre du concept de frontière dans un tel sujet. Quelle définition de la pauvreté adopter ? Comment rendre compte de la spatialité de cette frontière sociale ?

La définition de la pauvreté donnée par Georg Simmel, en 1907, a été le point de départ de mon approche de la pauvreté. Selon lui, l’individu pauvre n’est pas exclu mais au contraire lié à la société par la relation d'assistance. La pauvreté touche donc des personnes très différentes par leurs appartenances et leurs histoires. Ces personnes partagent l’expérience commune de la quête incertaine ou impossible du travail, perçoivent des aides qui les rendent redevables à la société et les installe dans une situation de dépendance, d’hétéronomie, dans laquelle elles sont tenues de répondre aux injonctions des intermédiaires sociaux. De ce fait, elles passent une frontière intérieure disqualifiante qui les protège et les enferme tout à la fois. Concernant la spatialité de la frontière de la pauvreté, il s'agit de démêler la complexité des processus de territorialisation des personnes en situation de pauvreté.

Selon Guy Di Méo [Di Méo 2000], la territorialité se situe entre deux pôles.

Le premier, de caractère objectif, renvoie à un territoire désigné par un nom, associé à une forme d’appropriation, de contrôle, de pouvoir qui contribue à lui fixer des limites et à l’institutionnaliser. Le second pôle tire vers l’individu et ramène celui ci à sa pratique et à son vécu de l’espace géographique. La tension entre ces deux pôles entraîne d’innombrables et d’imprévisibles déformations d’un territoire constamment remis en question par la logique des sujets-individus.

Dans le cas présent (figure 3), le premier pôle est l’espace configuré par les rapports sociaux liés aux actions d’habiter, de produire, d’échanger et les représentations collectives réifiant cet espace, où les populations en situation de pauvreté sont plus ou moins présentes et l’espace de la puissance publique où s’inscrivent les politiques publiques de lutte contre la pauvreté, politiques de droit commun et politique de la ville. Le second pôle est lié aux pratiques spatiales des personnes touchées par la pauvreté et correspond à la strate de l’espace vécu dans ses dimensions temporelles étirées entre la vie toute entière et les temps court du quotidien. Ainsi de multiples conjonctions s’établissent entre la disqualification sociale et la situation résidentielle défavorable des personnes en situation de pauvreté inscrite dans le premier pôle de l'espace au

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regard de trois effets de lieu négatifs en termes d’aménités, de représentations et dans le deuxième pôle de l'espace, entre la disqualification sociale et des pratiques de l’espace des personnes en situation de pauvreté limitées par un double processus de blocage des migrations résidentielles et de restriction de la mobilité habituelle, les conduisant à l’expérience d’une territorialité du repli.

Figure 3 – La complexité de l'espace géographique

Source : C. Sélimanovski, La frontière de la pauvreté, Rennes, PUR, 2008, p. 100

4. 2017 : le sujet social et le sujet singulier, faire de la géographie une littérature

En guise de conclusion, je voudrais dire que je dois à la rencontre de quelques membres du Groupe Dupont, pendant mes études, pendant ma participation au jury de l'agrégation interne de géographie de 1991 à 1994, puis plus tard, dans des colloques (ceux de l'Association Française de

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Un peu à l'image de ce qu'a été à l'extérieur du cercle du Groupe Dupont, dans l'ensemble du milieu de la géographie le temps suspendu des années 1980, le « temps du consensus » selon Olivier Orain [Orain 2006], ce temps éphémère mais fructueux pour la discipline dont témoigne le beau livre collectif de 1986 « Espaces, jeux et enjeux ».

Avec le recul, la pensée de la complexité passe toujours pour moi par la reconnaissance des tensions existantes entre des couples de phénomènes apparemment opposés, paradoxaux, qui s'inscrivent dans certains lieux, à des moments donnés de l'histoire. Je continue à m'intéresser à l'objet complexe de la frontière, des frontières sociales aux frontières internationales, à travers les parcours des individus, entre ancrages et mobilités. Or les individus sont des sujets sociaux et singuliers. L'apport de la littérature sur les frontières est en ce sens précieux pour la géographie. Inversement mon ambition présente me pousse à lire, dire des histoires, voyager, raconter l'histoire, écrire pour tenter de faire de la géographie une littérature.

Références bibliographiques

- AURIAC, F. & BRUNET, R. (1986) – Espaces, jeux et enjeux, Paris, Fayard, 343 p.

- BÉTEILLE, R. (1981) – « Une nouvelle approche des faits migratoires », L'Espace Géographique, vol. 10, n°3, pp. 187-197

- DA CUNHA, A. & MATTHEY, L. (2008) – « Penser les savoirs émergents », Geographica Helvetica, vol. 63, n°4, pp. 220-227

- DI MÉO, G. (2000) – « Que voulons-nous dire quand nous parlons d'espace ? », in J. Lévy

& M.Lussault (dir.), Logiques de l'espace, esprit des lieux, Paris, Belin, pp. 37-48

- DURAND-DASTÈS, F. (1977) – Systèmes d'utilisation de l'eau dans le monde, Paris, SEDES, 182 p.

- LÉVY, J. & LUSSAULT, M. (dir.) (2003) – Dictionnaire de la géographie et de l'espace de sociétés, Paris, Belin, 1034 p.

- ORAIN, O. (2006) – « La géographie comme science », in M.-C . Robic (coord.), Un grand XXe siècle de géographie française, Paris, Ministère des Affaires étrangères, ADPF, pp. 90-123

- SIMMEL, G. (1998) – Les pauvres, Paris, PUF, 102 p. (1ère édition en Allemand, 1907) - SÉLIMANOVSKI, C. (1990) – Des Turcs en Alsace. Contribution à l'étude de l'insertion des étrangers, Strasbourg, Université Louis Pasteur, mémoire de DEA, 95 p.

- SÉLIMANOVSKI, C. (2008) – La frontière de la pauvreté, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 294 p.

- SIMON, G . (1995) – Géodynamique des migrations internationales dans le monde, Paris, PUF, 429 p.

- THUMERELLE, J.-P. (1986) – Peuples en mouvement : la mobilité spatiale des populations, Paris, SEDES, 323 p.

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