Quelle place pour
un traitement au long cours par opioïdes forts dans
les douleurs abdominales chroniques non
cancéreuses ?
What place for long- term treatment with strong opioids in chronic non-cancer abdominal pain?
Laurent Bucchini
Hôpital Beaujon, Service de pancréato- gastro-entérologie, 100 boulevard du Général Leclerc, 92110 Clichy
Correspondance : L. Bucchini laurent.bucchini@aphp.fr
L
e traitement par opioïdes forts au long cours des douleurs chroniques non cancéreuses, évoluant depuis plus de trois mois, est un sujet très controversé en raison du manque de preuve de qualité montrant une balance bénéfice/risque favorable [1-5]. La définition de la douleur chronique est présentée dans letableau 1.“
Le traitement par opioïdes forts au long cours des douleurs chroniques non cancéreuses, évoluant depuis plus de trois mois, est un sujet très controverséSelon l’Agence Nationale de sécurité du Médicament (ANSM), la dé
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finition du traitement au long cours par opioïde fort correspond à au moins onze délivrances d’opioïdes forts (tels que morphine, oxycodone, etc.)(tableau 2) dans l’année avec une durée du traitement supérieure ou égale à une année [4].Aussi, des recommandations nationales ont été rédigées à l’attention des prescripteurs pour guider et restreindre l’usage des opioïdes forts dans ces douleurs chroniques.
Toutefois, ces recommandations traitent quasiment exclusivement des douleurs d’origine ostéo-articulaire et neuropathique[1-3].
Aussi, cet éditorial présentera dans une première partie la problématique générale, liée à l’usage des opioïdes forts au long cours dans la douleur chronique non cancéreuse ainsi que les recommandations de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD) sur ce sujet [2].
Quelques recommandations extraites du guideline des États-Unis seront également mentionnées[3].
La seconde partie abordera plus spécifiquement l’usage des opioïdes forts pour les douleurs abdominales chroniques non cancéreuses. Il s’agit des douleurs chroniques rencontrées par le gastro-entérologue. Les opioïdes forts induisent des effets indésirables particuliers dans ce type de douleur[1].
Ce texte ne s’applique notamment pas au traitement des douleurs aiguës, aux exacerbations douloureuses de maladies chroniques non cancéreuses, ainsi qu’au traitement de la douleur liée au cancer ou dans une situation de soins palliatifs.
Pour citer cet article : Bucchini L. Quelle place pour un traitement au long cours par opioïdes forts dans les douleurs abdominales chroniques non cancéreuses ? Hépato-Gastro et Oncologie Digestive 2020 ; 27 : 419-428. doi : 10.1684/hpg.2020.1970
ÉDITORIAL
Généralités sur l’accroissement des traitements par opioïdes forts au long cours des douleurs chroniques non cancéreuses
Point épidémiologique
L’usage des opioïdes forts prescrits une année, voire plus, a été étendu aux douleurs non cancéreuses par extrapolation des résultats obtenus dans les traitements de cours et de moyen terme des douleurs chroniques non cancéreuses. Des essais randomisés contrôlés chez des patients sélectionnés ont montré un modeste effet sur la douleur (et minime sur le retentissement fonctionnel1) [3]. L’analogie avec le traitement de la douleur cancéreuse a aussi participé à cette sur-prescription d’opioïdes au long cours. L’Amérique du Nord en particulier est confrontée depuis plusieurs années à une augmenta- tion des décès liés à la consommation d’opioïdes. Aux États-Unis, l’inflation des prescriptions d’opioïdes forts pour douleurs non cancéreuses a majoré de façon parallèle les décès par overdose. Dans ce pays, 17 000 décès par opioïdes, obtenus sur prescriptions, étaient recensés en 2016. Des données récentes suggèrent que 115 Américains meurent chaque jour d’une surdose d’opioïdes.
En France, la situation n’est pas comparable[3, 4]. Qualifiée d’épidémie par l’OMS, cette explosion parallèle des prescriptions et des overdoses a été trouvée dans d’autres pays, tels que l’Angleterre, le Canada, et l’Allemagne, comme le montre lafigure 1.
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Aux États-Unis, l’inflation des prescriptions d’opioïdes forts au long cours pour des douleurs chroniques non cancéreuses a majoré de façon parallèle les décès par overdoses”
En France, les données de l’Agence Nationale de Sécurité du médicament (ANSM) montrent une situation moins grave qu’aux États-Unis avec toutefois une augmentation de la prescription des opioïdes forts de 45 % sur la période (2000-2017) et une augmentation de 146 % des décès par overdose (de 2000 à 2015). Ces chiffres correspondent à quatre décès par semaine, à minima, et à une majoration de 167 % des hospitalisations liées à ces médicaments, prescrits à visée antalgique sur la période (2000-2017) (figure 1). Ces indicateurs justifient une vigilance accrue des prescripteurs en France[4].
TABLEAU 1Définitions de la douleur chronique. Source : Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient. Consensus formalisé, Haute Autorité de Santé.
Décembre 2008.
Évoquer l’existence d’un syndrome de douleur chronique devant l’un des signes suivants :
–Douleur résistant à l’analyse clinique et au traitementa prioribien conduit et suivi, conformément aux recommandations en cours.
–Douleur accompagnée d’une composante anxieuse ou dépressive.
–Douleur accompagnée d’une interprétation et de croyances propres au patient, et différentes de celles du médecin concernant la douleur, ses causes,
son retentissement ou ses traitements.
La douleur chronique est définie comme un syndrome multidimensionnel avec : –Douleur persistante ou récidivante, évoluant au-delà du délai habituel d’évolu- tion de la maladie causale diagnostiquée, notamment au-delà de trois mois.
–Douleur accompagnée d’un retentissement fonctionnel dans les actes de la vie quotidienne ou d’une intrication sociale ou professionnelle, notamment au-delà de 3 mois.
1La fonction désigne les tâches que le patient peut ou ne peut pas faire en raison de la douleur chronique.
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L’augmentation des décès par overdose en France justifie une vigilance accrue des prescripteursCauses d’inflation des traitements par opioïdes ”
forts pour les douleurs chroniques non cancéreuses : les raisons sont multiples et intriquées
Non liées aux prescripteurs
Brièvement, des leaders d’opinions (médias, associations de patients, etc.) ont prôné un usage plus large des opioïdes avec de « bonnes intentions ». Parfois, la pression des patients a pu aussi contribuer à cet accroissement. Pour combler l’absence de preuves de qualité sur le long terme, certains laboratoires ont
1 200
1 000
800
600
400
Consommation totale en EM mg/hab. 200
0
19851986 198719881989 1990 1991 1992 19931994 19951996 19971998 19992000 2001 20022003 20042005 2006 20072008 2009 201020112012 201320142015
Australie
Canada États-Unis Europe
Japon Suisse
Figure 1Consommation totale d’opioïdes en équivalent morphinique (EM) de 1985 à 2015. D’après Ruchat D, Suter MR, Rodondi PY, Berna C. Consommation d’opioïdes entre 1985 et 2015 : chiffres suisses et mise en perspective internationale. Rev Med Suisse 2018 ; vol. 14 : 1262-1266.
TABLEAU 2Opioïdes forts disponibles en France par voie per os ou transdermique indiqués dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses.
Buprénorphine Fentanyl base Hydromorphone
Morphine sulfate libération immédiate Morphine sulfate LP
Oxycodone libération immédiate Oxycodone LP
favorisé la sur-prescription par un marketing agressif et discutable (notam- ment sur les risques addictifs).
Liées aux prescripteurs
Des médecins initient des traitements au long cours sans avoir les connais- sances pour évaluer la balance bénéfice/risque et les modalités de suivi de cette thérapeutique par opioïdes forts.
Ce que devrait savoir tout prescripteur potentiel d’un traitement opioïde fort
Sur le niveau de preuves
Il n’existe aucune preuve de bon niveau que les opioïdes forts améliorent les douleurs chroniques non cancéreuses sur le long terme. Comme mentionné plus haut, les essais contrôlés sur le court et moyen terme ne montrent au mieux qu’un bénéfice modeste sur la douleur (de l’ordre 30 %) avec une action minime sur le retentissement fonctionnel (en outre, les études étaient réalisées chez des patients sélectionnés et ne représentaient donc pas la « vraie vie »).
Il est souvent difficile d’évaluer l’efficacité des opioïdes forts, qui sont utilisés au long cours (parfois plusieurs années). Le patient est souvent convaincu de l’efficacité des opioïdes forts au long cours car tout oubli de prise peut induire des douleurs violentes qui traduisent souvent le sevrage brutal plutôt que le contrôle insuffisant de la douleur.
Dans ce contexte, parfois brouillé par une addiction aux opioïdes, l’apprécia- tion de l’efficacité des opioïdes peut se révéler difficile. Pour y parvenir, il peut être utile de comparer les scores de douleur, lors de la consultation présente, et demander au patient de se souvenir de son score de douleur avant la mise sous opioïdes, et de faire de même avec le retentissement fonctionnel. Il est fréquent de retrouver une dégradation fonctionnelle du patient depuis la mise sous opioïdes sans amélioration (une aggravation n’est pas exception- nelle) de la douleur.
La dégradation fonctionnelle des patients a été trouvée par plusieurs études qui incluaient des patients sous fortes doses d’opioïdes au long cours.
Les effets propres aux opioïdes forts, tels que le mésusage et la tolérance (définition tableau 3), ne permettent pas d’extrapoler à long terme les résultats obtenus à bref et moyen termes.[3]. Réalisée en 2018, la seule étude randomisée réalisée sur 12 mois n’a montré aucun bénéfice du traitement opiacé en comparaison d’un traitement sans opioïdes sur des douleurs chroniques rhumatologiques[5].
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Il n’existe aucune preuve de bon niveau que les opioïdes forts améliorent les douleurs sur le long termeSur les paliers de l’Organisation Mondiale ”
de la Santé
L’application des paliers de l’OMS à la douleur chronique a contribué à cette situation. En effet, ces paliers n’ont pas été validés dans la douleur non cancéreuse. Ils ont été créés en 1986 pour inciter à la prescription d’opioïdes forts dans la douleur cancéreuse. Le traitement par palier 1 et 2, à dose maximale, ne doit pas conduire mécaniquement à prescrire un opioïde fort en l’absence de cancer. Au long cours, un traitement non opioïde, pharmaco- logique ou non, se révèle souvent plus adapté aux mécanismes nociceptifs de la douleur chronique non cancéreuse[2, 6].
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Les paliers de douleurs OMS n’ont pas été validés dans la douleur non cancéreuseSur les effets indésirables des opioïdes forts ”
À court terme, essentiellement : nausées, vomissements, diminution de la fréquence respiratoire, dysurie, rétention aiguë d’urines, prurit, cauchemar, hallucinose, myoclonies. . .
À long terme, les effets indésirables sont beaucoup moins connus. Pourtant, dès 2004, l’ANSM rappelait aux prescripteurs que ces traitements peuvent notamment induire overdoses, retentissement endocrinien, mésusage et addiction (liste non exhaustive)[6].
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Dès 2004, l’ANSM rappelait aux prescripteurs que les traitements opioïdes forts peuvent induire overdoses, retentissementendocrinien, mésusage et addiction
Les troubles endocriniens ”
Bien que fréquents sous opioïdes forts (de 21 à 86 % selon les études), ces troubles sont trop souvent méconnus et sous-diagnostiqués. Chez l’homme, on observe un hypogonadisme avec baisse de la testostérone, une diminution de la libido, une dysfonction érectile, une infertilité, un épuisement, des sudations nocturnes, une perte de la masse musculaire, des TABLEAU 3Définitions des termes employés.
Le mésusage: le terme de mésusage désigne un comportement d’utilisation inappropriée du médicament. Cela inclut toute utilisation, hors de l’AMM, telle que définie dans la Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP). Le mésusage peut être le fait du patient (par exemple : recherche d’un effet psychotrope non antalgique) mais aussi du prescripteur (par exemple : prescription de fentanyl transmuqueux dans une douleur non cancéreuse). C’est une notion plus large que celle d’addiction.
L’addiction :l’existence d’une addiction est le plus souvent caractérisée par l’existence d’un «craving» ou envie irrépressible de consommer, en dehors de la recherche d’un effet antalgique, et malgré les conséquences délétères (somati- ques, psychologiques et sociales) de cette consommation. Ainsi, l’addiction à un médicament antalgique sous-entend un mésusage, l’inverse n’étant pas toujours vrai.
La dépendance :
–Dépendance physique: elle conduit à l’apparition d’un syndrome de sevrage en cas d’arrêt brutal ou trop rapide d’une substance après une durée variable.
–Dépendance psychique: elle correspond à l’addiction
La tolérance :accoutumance de l’organisme vis-à-vis d’une substance entraînant une perte d’efficacité pouvant conduire à augmenter les doses pour restaurer l’effet de la substance
« Dépendance psychologique », « addiction » :
Le DSM-5 : il fait disparaître les termes de « dépendance psychologique » et d’addiction, qui ont été remplacés par l’«Opioids Use Disorder».
L’«Opioids Use Disorder» est un continuum entre des troubles de l’usage : légers, modérés, ou majeurs selon le nombre de symptômes (parmi 11 proposés)
retrouvés chez le patient.
Selon le DSM-5, tolérance et sevrage physique, s’ils sont isolés, n’implique pas un «Opioids Use Disorder», même mineur.
troubles de l’humeur (anxiété, dépression). Chez la femme, il peut induire, en particulier, oligo-aménorrhée, voire aménorrhée, et une baisse de la libido.
Des auteurs estiment qu’un hypogonadisme devrait être recherché à chaque renouvellement d’ordonnance.
Mésusage et addiction
Même si les prises d’opioïdes forts respectent la prescription, la douleur ne protège pas de l’addiction, contredisant un adage répandu[8]. En effet, le risque addictif varie selon les études mais reste important. Aux États-Unis, la prévalence du mésusage et de l’addiction se situeraient respectivement à (21- 29 %) et à (8-12 %). Ce risque varie notamment, avec la durée du traitement, les doses utilisées, ainsi que les facteurs de risques propres au patient(tableaux 3 et 4).
La dépendance physique et la tolérance peuvent toutes deux se voir en l’absence de mésusage ou d’addiction. Le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5) définit l’Opioids-Use-Disorderqui est un continuum incluant les termes de dépendance, de tolérance, et d’addiction.
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La douleur ne protège pas de l’addiction, contredisant un adage répandu”
L ’ hyperalgésie induite par les opioïdes
Difficile à diagnostiquer, elle correspond à l’exacerbation paradoxale de la douleur induite par les opioïdes forts.
Qualité de vie
Des études ont trouvé un impact socio-professionnel négatif lors de l’usage des opioïdes forts ainsi qu’une altération de la qualité de vie.
Effets indésirables et fortes doses
Les « fortes doses » sont au-delà de 200 mg/j d’équivalent-morphine-per-os.
Elles entraîneraient davantage d’hyperalgésie, de troubles endocriniens et d’overdoses.
Sur les modalités de prescription d ’ un opioïde fort au long cours
Tout prescripteur devrait suivre les recommandations nationales pour sécuriser les prescriptions d’opioïdes forts pour une douleur chronique non cancéreuse. Les recommandations françaises de 2016, éditées par la SFETD, sont moins contraignantes que celles du Center for Diseases Control (CDC), également de 2016(tableau 5).
TABLEAU 4Principaux facteurs de risque de mésusage.
Âge jeune Sexe masculin
Antécédent de maladie psychiatrique
Antécédent de mésusage/addiction à une substance (alcool, drogues illicites, médicament. . .)
Consommation abusive préalable d’un antalgique opioïde faible
Brièvement, prescrire un opioïde fort au long cours implique en particulier d’établir un contrat de soins, de sélectionner les patients selon leur risque de mésusage et d’assurer un suivi, conformément aux recommandations de la SFETD. Ce contrat de soin entre prescripteur et patient stipulera notamment les bénéfices attendus en termes de douleur et d’amélioration fonctionnelle, les risques encourus, les modalités d’arrêt si les objectifs ne sont pas atteints ou s’il y a mésusage.
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Prescrire un opioïde fort au long cours implique d’établir un contrat de soins, de sélectionner les patients selon leur risque de mésusage et d’assurer le suiviLe prescripteur devrait évidemment s’assurer que toutes les thérapeutiques de
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première intention (qui ne se résument pas aux paliers de l’OMS) ont été TABLEAU 5Recommandations de prescription des opioïdes forts pour une douleur chronique non cancéreuse (Société Française d’Evaluation et de Traitement de la Douleur)[2].
RECOMMANDATION 1 :Les antalgiques opioïdes forts ont montré une efficacité modérée dans le soulagement des douleurs chroniques non cancéreuses dans les étiologies suivantes : les douleurs arthrosiques des membres inférieurs ; les lombalgies chroniques réfractaires (discopathie dégénérative, spondylolisthésis, hernie discale ou canal lombaire étroit) ; les douleurs neuropathiques périphériques ou centrales.
Sous réserve impérative de respecter les recommandations suivantes :
RECOMMANDATION 2 :Instaurer un antalgique opioïde fort uniquement : avec un diagnostic précis de l’étiologie des douleurs chroniques, après échec des traitements médicamenteux recommandés en première intention donnés aux doses maximum efficaces tolérées, après une prise en charge psychologique chez les patients présentant une comorbidité dépressive ou anxieuse, une prise en charge sociale, professionnelle et rééducative pour les douleurs arthrosiques et les lombalgies chroniques.
RECOMMANDATION 3 :Ne pas utiliser d’opioïdes forts pour des maladies dysfonctionnelles et notamment dans lafibromyalgie.
RECOMMANDATION 4 :Ne pas utiliser d’opioïdes forts dans le traitement des céphalées primaires et notamment de la migraine.
RECOMMANDATION 5 :Ne pas poursuivre un antalgique opioïde fort au-delà de 3 mois en l’absence de bénéfice significatif sur au-moins un des aspects suivants : soulagement de la douleur, amélioration fonctionnelle amélioration de la qualité de vie.
RECOMMANDATION 6 :Ne pas dépasser 150 mg d’équivalent morphine/jour sans avis spécialisé.
RECOMMANDATION 7 :Tous les opioïdes forts semblent similaires en termes d’efficacité, quelle que soit l’indication. Il n’est pas recommandé d’utiliser un opioïde fort plus qu’un autre.
RECOMMANDATION 8 :Il est fortement recommandé de prévenir les effets indésirables digestifs les plus fréquents (constipations, nausées, vomissements) par un traitement symptomatique anticipé, systématiquement proposé sur ordonnance.
RECOMMANDATION 9 :Rechercher systématiquement des facteurs de risque de mésusage des antalgiques opioïdes avant toute prescription. L’existence de facteurs de risque n’interdit pas la prescription, mais justifie une attention et un suivi renforcé.
RECOMMANDATION 10 :Rechercher systématiquement un mésusage lors de chaque renouvellement d’ordonnance d’un antalgique opioïde fort.(Signes de mésusage : surdosage, chevauchement d’ordonnances, recherche effet anxiolytique/sédatif/
stimulant. . .).
RECOMMANDATION 11 :Face à une addiction ou un mésusage probable d’un antalgique opioïde fort, il est recommandé de demander un avis spécialisé (addictologue, psychiatre, algologue).
RECOMMANDATION 12 :Il est recommandé de prendre un avis spécialisé :
Avant la prescription : En l’absence d’étiologie précise expliquant les douleurs chroniques, en cas de comorbidité psychiatrique, ou devant la présence de facteurs de risque de mésusage.
Pendant la prescription : Si la douleur persiste malgré une augmentation de la posologie. Au-delà de 3 mois de traitement. Au- delà de 150 mg d’équivalent morphine par jour.
RECOMMANDATION 13 :Privilégier les antalgiques opioïdes forts à libération prolongée dans les DCNC.
RECOMMANDATION 14 :Ne pas utiliser les formes de fentanyl transmuqueux (libération rapide) dans la prise en charge des DCNC.
RECOMMANDATION 15 :Évaluer à chaque renouvellement d’ordonnance le bénéfice/risques de poursuivre un traitement par opioïde fort.
essayées de façon optimale. Par exemple, pour une lombalgie, outre l’aspect pharmacologique, le traitement de première intention inclutau minimum(et selon la SFETD) : des traitements locaux, des exercices physiques, de la rééducation, de la thérapie cognitivo-comportementale et un suivi psycho- logique (en cas de troubles de l’humeur).
Le prescripteur devrait aussi évaluer les facteurs de risque de mésusage et utiliser des outils dépistant le potentiel addictif. Une comorbidité psychia- trique implique un avis spécialisé[2].
La recherche du mésusage devrait se faire à chaque renouvellement d’ordonnance. L’absence d’efficacité de l’opiacé devrait conduire à son arrêt progressif. Par ailleurs, les fentanyl transmuqueux ne devraient pas être utilisés dans la douleur non liée au cancer.
Ces quelques recommandations suggèrent qu’il est difficile, voire impossible, de prescrire et de « monitorer », conformément aux recommandations de la SFETD, le traitement par opioïdes forts lors d’une consultation de gastroen- térologie « habituelle ». La prescription d’un opioïde fort n’est pas anodine et ne saurait résulter de la seule application des paliers de l’OMS. L’initiation et le suivi d’un tel traitement chronique nécessitent un temps dédié.
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La prescription d’un opioïde fort n’est pas anodine et ne saurait résulter de la seule application des paliers de l’OMS”
Comme mentionné plus haut, il en va tout autrement en cas de traitementbref par opioïdes forts d’une complication ou d’une exacerbation transitoire de la douleur chronique. Le problème traité, la sortie doit se faire, idéalement sans opioïde fort, ou avec un schéma de décroissance qui sera géré par le médecin traitant.
Généralités sur le traitement opioïde
dans les douleurs chroniques abdominales non cancéreuses
Évolution de la prescription
Bien que le traitement puisse être particulièrement néfaste en cas de douleur chronique abdominale non cancéreuse, une étude américaine relevait un doublement de ces traitements pour ces indications entre 1997 et 2008, chez des patients ambulatoires. De même, l’usage d’opioïdes forts varie de 13 à 50 % en cas de maladies inflammatoires chroniques intestinales (jusqu’à 70 % en hospitalisation) et dépasse les 50 % en cas de pancréatite chronique[1].
Liste non exhaustive des effets indésirables gastro-intestinaux
Les risques digestifs liés aux opioïdes forts sont regroupés sous le terme d’Opioids-Induced-Bowel-Disorder(OIBD)[1].
À part, le Narcotic Bowel Syndrome, l’Opioids Induced Bowel Disorder comprend en particulier la constipation induite qui, en soi, peut expliquer une baisse de la qualité de vie et/ou des douleurs abdominales. D’autres symptômes tels que : nausées, vomissements, gaz, crampes, reflux gastro- œsophagien par diminution du tonus du sphincter de l’œsophage, et baisse de la vidange gastrique, sont inclus dans cette association. L’Opioids Induced Bowel Disordersera prévenu par des laxatifs osmotiques.
LeNarcotic Bowel Syndrom(ouOpiate-Induced Gastroentestinal Hyperalge- sia) est peu diagnostiqué (aux États-Unis, 6,4 % des patients sous opioïdes forts
en sont atteints). En cas deNarcotic Bowel Syndrom, la douleur est le symptôme prédominant. Il s‘agit d’une hyperalgésie viscérale avec augmentation para- doxale des douleurs lors de l’incrémentation des doses d’opiacés. Cette hyperalgie serait liée à un effet central, à différencier des effets périphériques observés dans l’Opioids Induced Bowel Disorder[1]. La place des antagonistes périphériques des opioïdes ne sera pas discutée dans cet éditorial.
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En cas de Narcotic Bowel Syndrom, la douleur est unehyperalgésie viscérale avec augmentation paradoxale des douleurs lors de l’incrémentation des doses d’opiacés
Pour illustrer l’impact d’un traitement au long cours d’une maladie digestive
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chronique, nous examinerons quatre situations de maladie digestive : la pancréatite chronique, la maladie de Crohn, le syndrome de l’intestin irritable, la pseudo-obstruction intestinale chronique.
–Maladie de Crohn: Outre les multiples effets indésirables à court et à long terme déjà décrits, les opioïdes forts augmentent les complications de la maladie avec notamment une mortalité accrue et davantage d’infections sévères.
–Pancréatite chronique: La douleur est souvent réfractaire au traitement opioïde au long cours. Pourtant, près de la moitié des patients reçoivent ces traitements. Au-delà des effets indésirables, déjà décrits, le traitement compromet les chances de succès d’un geste interventionnel antalgique (endoscopique ou chirurgical) en raison d’une sensibilisation centrale induite par les opioïdes forts. Il semble y avoir consensus sur la nécessité d’un geste interventionnel si le patient nécessite constamment des opiacés plus de quelques mois ou nécessite des escalades de doses.
De plus, les patients ayant une pancréatite chronique sont souvent des sujets à fort risque de mésusage en raison de la fréquence d’un tabagisme et d’un abus d’alcool, présent ou passé.
Inversement, le sevrage très progressif de patients déjà sous traitement opioïde peut entraîner une « amélioration paradoxale » de la douleur et de l’humeur.
–Syndrome de l’intestin irritable: Le traitement opioïde peut être particu- lièrement délétère chez ces patients. Les opioïdes peuvent aggraver les douleurs notamment, par une altération du transit et le développement d’un Narcotic Bowel Syndrom. En cas de comorbidités psychologiques ou de troubles de l’humeur, le risque de mésusage des opioïdes forts est accru. De façon générale, les recommandations françaises contre-indiquent la prescrip- tion d’opiacés dans les troubles fonctionnels (intestin irritable,fibromyalgie, etc.)[1, 2, 9].
–Pseudo-obstruction intestinale chronique: Il s’agit d’une maladie rare avec des troubles sévères de la motilité. La présence de douleurs chroniques sévères peut être source de conflits avec les soignants qui tentent de ne pas prescrire de traitement opioïde (qui aggraverait les troubles de la motilité) tandis que le patient souhaite un traitement pour trouver un soulagement rapide. Pour les exacerbations douloureuses chez des patients naïfs d’opioïdes, l’usage de la nalbuphine nous semble intéressant (faible risque addictif et faible retentissement sur le transit).
Conclusion
Comme les autres types de douleur, le traitement au long cours par opioïdes forts de douleurs abdominales chroniques peut induire des effets indésirables graves et avérés sans qu’aucune étude de qualité ne montre de bénéfice en particulier sur les scores de douleur. Les alternatives au traitement opioïde
devraient comprendre des molécules non-opioïdes, des interventions comportementales, une forte relation médecin-patient et une équipe multidisciplinaire.
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Les alternatives opioïdes devraient comprendre des molécules non-opioïdes, des interventions comportementales, une forte relation médecin-patient et une équipe multidisciplinaireDes auteurs écrivent qu’un petit groupe de patients ayant une douleur
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abdominale chronique non cancéreuse pourrait bénéficier d’un traitement opioïde sans développer de tolérance, d’hyperalgésie ou d’addiction. Pour ces auteurs, ce groupe de patients justifie le maintien de l’autorisation de prescrire des opioïdes forts au long cours dans cette indication[1].
Les opioïdes doivent s’intégrer dans une stratégie multimodale (molécules non opioïdes et traitements non pharmacologiques) qui suivra les recommanda- tions nationales.
Les contraintes inhérentes à un traitement chronique par opioïdes forts bien conduit nécessitent à notre avis des consultations dédiées, par exemple dans un Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur ou une Unité Douleur.
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Les contraintes inhérentes à un traitement chronique par opioïdes forts bien conduit nécessitent des consultations dédiéesLiens d’intérêts :
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l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.
Références
1Szigethy E, Knisely M, Drossman D. Opioid misuse in gastroenterology and non-opioid management of abdominal pain.Nat Rev Gastroenterol Hepatol2018 ; 15(3) : 168-80.
2Utilisation des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse chez l’adulte. Recommandations de bonne pratique clinique par consensus formalisé. Promoteur : Société Française d’Evaluation et de Traitement de la Douleur (SFETD). https://www.sfetd-douleur.org/wp-content/uploads/2019/06/recos_o- pioides_forts_sfetd_version_longue.compressed.pdf.
3Dowell D, Haegerich TM, Chou R. CDC Guideline for Prescribing Opioids for Chronic Pain–United States, 2016.JAMA2016 ; 315(15) : 1624-45.
4ANSM. Rapport février 1019 ; Etat des lieux de la consommation des antalgiques et leurs usages problématiques. https://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/340b9f75151945cf851676b 9d51418d2.pdf.
5Krebs EE, Gravely A, Nugent S,et al. Effect of Opioid vs Nonopioid Medications on Pain-Related Function in Patients With Chronic Back Pain or Hip or Knee Osteoarthritis Pain : The SPACE Randomized Clinical Trial.
JAMA2018 ; 319(9) : 872-82.
6ANSM 2004. Mise au point sur le bon usage des opioïdes forts dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses : https://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/
409572c1abe862d46f52e80e2d4a537f.pdf.
7Fountas A, Van Uum S, Karavitaki N. Opioids-induced endocrinopathies.Lancet Diabetes Endocrinol 2020 ; 8(1) : 68-180.
8Volkow ND, McLellan AT. Opioid Abuse in Chronic Pain–Misconceptions and Mitigation Strategies.N Engl J Med2016 ; 374(13) : 1253-63.
9Crocker JA, Yu H, Conaway M,et al. Narcotic use and misuse in Crohn’s disease.Inflamm Bowel Dis 2014 ; 20(12) : 2234-8.