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Décharges

Pollution, plastiques et déchets toxiques dans les arts à l’époque de l’Anthropocène

Journée d’étude organisée par Jean-Michel DURAFOUR Aix-Marseille Université 28 novembre 2019

Appel à contributions

Tout objet – y compris notre corps – est destiné à devenir, sur un temps plus ou moins long, pour peu qu’il perdure dans son existence, un déchet. Les scories de l’activité humaine – in- salubres, sales, nuisibles – n’ont jamais été aussi invasives pour notre environnement que depuis un demi-siècle : pollution massive, matériaux non recyclables ou à la dégradation sur des milliers voire des millions d’années, résidus atomiques enterrés, rebuts toxiques déversés dans les cours d’eau et les océans, envoyés dans l’espace, et ainsi de suite. Particules fines, polyéthylènes, piles, matières ra- dioactives, cimetières électroniques… sont non seulement de nouveaux êtres du monde – il y a une solution de continuité entre la chose en service et la chose usagée – devenus à leur tour des objets possibles de la représentation dont les arts d’aujourd’hui – cinéma, arts plastiques, littérature… – s’emparent. Comme matériaux, les déchets sont saisis par l’art dans un mouvement paradoxal de médium – qui, très classiquement, fait voir autre chose que lui-même (par exemple, des capsules de bouteilles dessinent un visage) – et de matière (matter) dans la mesure où l’on cherche, en l’utilisant, à attirer l’attention du spectateur sur un type de substance, de texture bien particulier et qui tranche avec ceux plus traditionnels (végétaux, minéraux, métalliques…).

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La présence des déchets, comme sujets de la représentation, comme matériaux, n’est pas nou- velle dans l’art. Elle remonte au moins à Duchamp, Man Ray, Picasso. De tels gestes ne concernaient encore, à travers les détritus, que l’être humain qui les produisait : dénonciation de la société de consom- mation, du mode de production capitaliste, du gaspillage ; volonté de choquer ; expériences résurrec- tionnistes. C’est le modernisme du chiffonnier baudelairien puis benjaminien, c’est la « philosophie du cassé [Philosophie des Kaputen] » de Sohn-Rethel, ce sont les règles de ravaudage, de rapiéçage, de réparation. Ne s’agissait-il pas de faire porter sur les déchets une opération qui concernait tout objet, sans différence de nature, à partir du moment où il était pris en main par les artistes ?

Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de compresser des voitures, de recycler des bou- chons de liège ou cordes usagées, de filmer des décharges (La Soif du mal, Dode’s kaden). Le sac plas- tique volant parmi les feuilles mortes de American Beauty (1999) de Sam Mendes a remplacé l’affiche déchirée du Mouchard (1935) de John Ford.

L’époque dans laquelle nous nous trouvons – et que pour simplifier nous désignerons ici sous le nom d’Anthropocène (malgré les difficultés que pose ce concept) – est celle où, par le truchement de l’inquiétude écologique et de l’impact de l’être humain sur l’habitabilité de la Terre, se pose désormais la question de la manière dont les déchets, en retour, font et défont l’humanité contemporaine – ce dont la pensée contemporaine et les arts sont des témoins privilégiés. Non seulement nous assistons à leur inflation – objets jetables, obsolescence programmée, multiplication des emballages ; non seulement ce qui permet de les traiter relève à son tour des déchets nocifs dans un cercle vicieux (les fumées des combustions, par exemple), mais les ordures du monde que nous inventons nous propulsent dans un

registre au-delàde l’humain : certaines impliquent des espace-temps qu’aucun esprit humain ne peut se représenter (immense échelle temporelle, abysses océaniques, etc.), d’autres seront vraisemblablement là bien après la disparition de l’espèce humaine, etc. Surtout, elles compromettent l’homme, non plus seulement comme un bâtisseur de civilisations, d’empires dans l’empire naturel (déjà largement techni- cisé à tous les étages : il n’y a pas d’état naturel de la nature), mais comme une force géologique capable de changer le visage de la planète, au point de la rendre inhospitalière à la plupart de ses occupants.

Au-delà de l’homme, c’est la question de la Terre qui est posée par les nouveaux déchets. Ils ne sont plus simplement des immondices, ce qui n’est pas (in) de ce monde, qui en est exclu, mis au rebut, mais ils sont devenus immondes, infâmes, turpides, hideux, c’est-à-dire désormais capables d’imposer un autre monde inhumain dans (in) le monde anthropocentré que nous avons forgé à notre image et qui interroge au plus haut point la place de l’homme sur Terre. Les déchets ne font plus partie du paysage : ils sont le paysage qui vient.

L’hypothèse de cette journée d’étude est la suivante : depuis quelques décennies, nous assistons à une nouvelle décharge – visuelle et conceptuelle – des images de ou avec des déchets de toutes sortes générés par l’industrie humaine tout autour de la planète. Nos déchets contemporains ne sont plus analogues à ceux que l’humanité n’a cessé de produire depuis qu’elle existe : pathologiques, ils sont dotés d’une forme de vie autonome. Tandis que les détritus d’ancien régime pouvaient encore être inci- nérés, enfouis, escamotés, pour des raisons hygiéniques ou esthétiques (odeurs, souillure, maladies, etc.), la viscosité des nouveaux déchets les fait sans cesse revenir et hanter notre monde sur le régime, non pas de leur, mais de sa destruction. Polluer, c’est d’abord pulluler. Dans l’Océan Pacifique, un continent de plastique, le « plastisphère », composé des myriades de déchets épars sur des millions de kilomètres cubes, atteste de la manière métamorphotique, toujours en reconfiguration, dont les déchets collent au monde. On est loin du continent « Synthetica » chanté par les industriels euphoriques des temps à venir en 1940 !

L’artiste […] a charge d’âme vis-à-vis des êtres qui n’en ont pas encore, d’âme, qui n’ont que la simple et plate existence physique. […] Si bien que si cette table physiquement est faite, par le menuisier, elle est encore à faire, en ce qui concerne l’artiste ou le philosophe1.

1. Étienne Souriau, « Du mode d’existence de l’œuvre à faire » [1956] in Étienne Souriau, Les Différents Modes d’existence suivi de De l’œuvre à faire, Paris, PUF, coll. « Métaphysiques », 2009, p. 198.

© Craig Leeson, A Plastic Ocean, 2016 (DR) © Tomonari Nishikawa, Sound of a Million Insects, Light of a Thousand Stars, 2014 (DR)

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S’il existe une histoire des détritus, force est de constater une différence de nature entre des épluchures d’oranges voire une casse automobile, d’une part, et une marée noire ou les îles de déchets plastiques qui tuent plus d’un million d’animaux chaque année, d’autre part. Nous ne pouvons plus dire avec Héraclite (ou Théophraste) : « Le plus bel ordre du monde est comme un tas d’ordures rassemblé au hasard2. » Il y faut d’autres intermédiaires, d’autres pratiques. Les nouveaux déchets sont des « qua- si-objets » (Michel Serres) situés dans un réseau d’autres objets et une « interférence intermonadique»

de sujets qui les manipulent, et ils n’ont pas de configurations assignées (quelle est la forme exactement d’un sac plastique ?) ; des « objets hybrides » (Bruno Latour) qui ne permettent plus de distinguer entre culture et nature ; des « hyper objets » (Timothy Morton) non connaissables en tant que tels par l’être humain, non euclidiens, qui n’agissent dans notre monde – telle la radioactivité – que par des phases d’intersection locales, partielles, voire contradictoires.

L’art, tout autant qu’il cherche à éveiller les consciences sur les dangers qui nous menacent, est l’une des pratiques principales pour refaire monde avec ces déchets en en soulignant les fastes occultes.

Des films documentaires, comme A Plastic Ocean (2010) de Craig Leeson jusqu’au Chernobyl Herbarium (2016) de Michael Marder et Anaïs Tondeur, dont les « rayogrammes » et les textes veulent rendre visuel l’imprésentable de l’irradiation mutagène, ou les paysages de sacs plastiques de Vilde J. Rolfsen, en passant par le cinéma de fiction, les expérimentations de Tomonari Nishikawa ou James Schneider exposant la pellicule à l’effacement par la radioactivité, ou encore les installations en sacs poubelle de Clare Morgan, la lutte de Cécile Massart contre l’enfouissement et l’oubli des déchets nucléaires, notre objectif est d’interroger les manières de faire art, image et pensée avec la pollution de notre temps.

Bibliographie indicative

ARDENNE, Paul, Un art écologique. Création plasticienne et anthropocène, Lormont, Le Bord de l’Eau, coll.

« La Muette », 2018.

BOURRIAUD, Nicolas, L’Exforme, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2017.

DAGOGNET, François, Des détritus, des déchets, de l’abject. Une philosophie écologique, Le Plessis-Robin- son, Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, coll. « Les Empêcheurs de tourner en rond », 1997.

DEBARY Octave, De la poubelle au musée. Anthropologie des restes (préface de Philippe Descola), Paris, Créaphis, coll. « Poche », 2019.

LATOUR, Bruno, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Décou- verte, coll. « L’Armillaire », 1991.

MARDER, Michael et TONDEUR, Anaïs, The Chernobyl Herbarium.Fragments of an Exploded Conscious- ness, Londres, Open Humanities Press, coll. « Critical Climate Change », 2016.

MONSAINGEON, Bruno, Homo Detritus. Critique de la société du déchet, Paris, Seuil, coll. « Anthropo- cène », 2017

MORTON, Timothy, Hyperobjects. Philosophy ans Ecology after the End of the World, Minneapolis/Londres, University of Minnesota Press, coll. « Posthumanities », 2013.

SARATHY, Brinda, HAMILTON, Vivien et BRODIE Janet Farrell (éd.), Inevitably Toxic. Historical Perspec- tives on Contamination, Exposure, and Expertise, University of Pittsburgh Press, coll. « Intersection : Envi- ronment, Science, Technology », 2018.

SERRES, Michel, Le Parasite, Paris, Grasset, 1980.

TSING, Anna Lowenhaupt, BUBANDT, Nils, GAN, Elaine et SWANSON, Heather Anne, Arts of Living on a Damaged Planet. Ghosts and Monsters of the Anthropocene, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2017.

VERGINE, Lea, Quand les déchets deviennent art. TRASH rubbish mongo, trad. fr. Evelyne Giumelli et Maria Mercedes Kechler, Milan, Skira, coll. « Art ancien », 2007.

Comité scientifique Emmanuel ALLOA Université de Saint-Gall Jean-Michel DURAFOUR Université Aix-Marseille Anna GUILLÓ

Université Aix-Marseille Michael MARDER Université du Pays basque Frédéric POUILLAUDE Université Aix-Marseille Antonio SOMAINI

Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle

Les propositions sont à envoyer à Jean-Michel DURAFOUR : jean-michel.durafour@univ-amu.fr avant le 31 août 2019.

Elles devront présenter, sur une page en caractères Times New Roman 12 et interlignes 1,5, un résumé de l’intervention et être accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique de l’auteur.

Les communications dureront 40 min. suivies de 10 min. d’échange avec le public.

2. Héraclite, cité in Abel Jeannière, La Pensée d’Héraclite d’Éphèse, Paris, Aubier coll. « Philosophie de l’esprit », 1959, p. 37.

© Vilde J. Rolfsen, Plastic Bag Landscape, 2016 (DR)

Références

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