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Explicitation ou implicitation? Un exemple de communication interculturelle

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Explicitation ou implicitation? Un exemple de communication interculturelle

MOESCHLER, Jacques

MOESCHLER, Jacques. Explicitation ou implicitation? Un exemple de communication interculturelle. In: Verbeken, D. Entre sens et signification. Paris : L'Harmattan, 2009. p.

231-250

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:110263

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Explicitation ou implicitation? Un exemple de communication interculturelle Jacques Moeschler

Département de linguistique Université de Genève

Jacques.Moeschler@lettres.unige.ch

1. Introduction

Cet article a pour ambition de monter, à l’aide d’arguments théoriques et empiriques, que le do- maine principal des investigations sur la pragmatique des langues naturelle est celui des explicitations.

Cette hypothèse, déjà bien défendue par un certain nombre d’auteurs (notamment Reboul &

Moeschler, 1998; Carston, 2002), va cependant à l’opposé de thèses explicitement ou implicitement défendues en pragmatique, notamment celle consistant à dire que l’intérêt de la communication infé- rentielle est justement la possibilité pour le locuteur de communiquer implicitement son intention in- formative (Sperber & Wilson, 1989), ou encore que si le locuteur ne dit pas explicitement ce qu’il veut dire, c’est qu’il peut avoir de bonnes ou de mauvaises raisons de ne pas vouloir le dire (Ducrot, 1972).

L’argument que nous aimerions défendre ici est double: d’une part, localiser le niveau pertinent de la description du sens d’un énoncé à celui de ce que le locuteur communique explicitement permet de faire des prédictions intéressantes sur ce qui doit être nécessairement compris par l’auditeur pour que la communication réussisse; d’autre part, supposer ce que niveau de compréhension est celui des ex- plicitation a l’avantage de pouvoir être testé, notamment par l’examen de situations relevant de la communication interculturelle.

Cet article a donc deux buts précis: (i) montrer à l’aide d’arguments empiriques le rôle des explici- tations, dans la communication verbale en général et dans la communication interculturelle en particu- lier; (ii) répondre, pour des raisons théoriques, à la question suivante: pourquoi les explicitations sont- elles centrales dans la communication verbale?

Notre objectif sera donc défendu de deux manières. Nous présenterons dans un premier temps un exemple que nous jugeons paradigmatique de malentendu interculturel, en localisant la nature et le niveau des problèmes à résoudre. Nous présenterons ensuite le modèle de la pragmatique inférentielle représenté par la dernière version de la théorie de la pertinence, qui insiste notamment sur les diffé- rents niveaux de compréhension et sur la stratégie de compréhension utilisée par l’auditeur. Enfin, nous reviendrons à notre exemple jouet pour en donner une analyse théoriquement et empiriquement fondée. Nous montrerons que c’est effectivement au niveau des explicitations que la communication a échoué.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous aimerions donner quelques précisions sur le concept de

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communication interculturelle. Le domaine des études interculturelles a maintenant franchi le domaine réservé de la recherche linguistique, comme le montre la sortie dès 2004 de la revue Intercultural Pragmatics1. Nous parlerons de communication interculturelle pour désigner une situation de commu- nication dans laquelle l’obstacle à une communication réussie n’est pas tant la barrière de la langue que celle de la culture. Nous supposons en effet que le handicap linguistique, pour sérieux et important qu’il puisse être, est la plupart du temps résolu à l’aide de stratégies variables (linguistiques et non linguistiques). Il est évident que la barrière culturelle est un obstacle qui est plus sournois, comme le montrent les échecs fréquents des couples dits “mixtes”, à savoir provenant de cultures différentes.

Cela dit, nous nous intéresserons dans cet article à un cas de communication interculturelle assez fas- cinant, car masqué par le partage d’une même langue. La situation est donc intéressante, car si échec de la communication il y a, nous ne pourrons pas le localiser au niveau linguistique. Notre hypothèse sera que le malentendu interculturel a d’autant plus de chance de survenir qu’il est masqué par le par- tage d’une même langue.

La dernière précision que nous aimerions formuler concerne le concept de “culture”. Nous adopte- rons ici une approche cognitive de la culture, dans la suite du programme d’anthropologie culturelle de Dan Sperber (1996), et définirons la culture comme un “processus par lequel des types d’apprentissages particuliers se répandent par contagion d’un individu à l’autre dans une communau- té” (Pinker, 1999:412). En d’autres termes, une culture est quelque chose de vivant, dont les ingré- dients sont des propositions non seulement partagées, mais actives, diffuses, se reproduisant, la plupart du temps débattues, et survivant ou mourant. Dans cet ordre d’idées, nous verrons que le partage d’une même langue peut être, paradoxalement, un obstacle à la propagation des idées, notamment à l’accès d’hypothèses contextuelles nécessaires pour comprendre le vouloir-dire du locuteur.

Mais commençons notre démonstration par une présentation de l’état de la pragmatique contempo- raine.

2. La pragmatique contemporaine

L’un des grands débats de la pragmatique contemporaine, au sens néo- et post-gricéen, tourne au- tour du niveau pertinent de description du sens du locuteur. L’un des grands intérêts du tournant pragmatique, dont Grice a été, à son insu, l’initiateur le plus important2, réside dans l’introduction de la notion d’implicitation conversationnelle (Grice, 1989). L’idée de Grice est que le raisonnement

1 L’argument que nous allons présenté ici est reprise de Moeschler (2004).

2 Il est important d’insister sur le fait que, contrairement à ce qu’affirme la tradition francophone en pragmatique, représentée essentiellement par le travail sur l’argumentation d’Oswald Ducrot (Ducrot, 1980;

Ducrot et al. 1980), la théorie des actes de langage n’a pas joué le rôle qu’on lui attribuait dans les années soixante-dix ou quatre-vingts. Cf. Levinson (1983), Sperber & Wilson (1989) et Moeschler & Reboul (1994) pour une explication de ce changement de perspective.

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permettant à l’auditeur de découvrir le sens du locuteur, son vouloir-dire, n’obéit pas à un processus logique (au sens de la logique déductive classique), mais à un processus inférentiel basé sur la pré- somption de coopération et l’utilisation ou l’exploitation de règles ou maximes de conversation3. Les implicitations conversationnelles, qu’elles soient généralisées ou particulières, à savoir liées à une forme particulière ou à un contexte particulier, sont des aspects non-vériconditionnels du sens des énoncés: elles sont calculables, annulables, non-détachables, non-conventionnelles, dépendantes de l’énonciation et indéterminées, au contraire des implicitations conventionnelles, le second aspect non- vériconditionnel des énoncés, qui sont non calculables, non annulables, détachables, conventionnelles, indépendantes de l’énonciation et déterminées.

Le changement de perspective en sémantique et pragmatique, suite à la contribution majeur de Grice, peut se résumer de la manière suivante: l’auditeur, pour comprendre le vouloir-dire du locuteur, doit aller au-delà de la signification de la phrase4 lorsque celle-ci est incompatible avec la présomption de coopération du locuteur et de son utilisation ou exploitation des maximes de conversation. Si la communication littérale n’est pas exclue dans le paradigme gricéen5, tout l’intérêt de son dispositif est justement de comprendre comment et pourquoi les locuteurs demandent, par leur énoncé, à l’auditeur de faire plus.

L’explication classique consiste à dire que l’auditeur arrive à inférer, de manière non démonstra- tive, le vouloir-dire du locuteur en supposant que si le locuteur est coopératif, il n’a pas pu vouloir dire P en disant P, ce qui lui permet de conclure qu’il a dit P pour vouloir dire Q6. La raison pour laquelle le locuteur ne communique pas explicitement ses intentions n’est pas explicitement donnée dans les textes de Grice, mais la motivation des maximes de conversation permettent de comprendre le sens général de l’argument. Pour Grice, la conversation, comme les actions humaines, sont coopératives parce qu’elles sont rationnelles. L’un des exemples fameux, pour expliquer le caractère universel des maximes de conversation, est le suivant. Si un garagiste demande à son apprenti de lui passer une clé de 11, il ne s’attend pas à ce que ce dernier lui tende deux clés de 11, ni aucune clé (maximes de quan- tité); il ne s’attends pas à ce qu’il lui tende une clé de 10 (maximes de qualité); il ne s’attend pas non plus qu’il lui tende un tournevis (maxime de pertinence); et enfin, il ne s’attend pas à ce que l’apprenti lui lance la clé, la lui donne après avoir fait plein d’autre choses, lui fournisse une caisse remplie de clés, etc. (maximes de manière). En bref, si les locuteurs utilisent des énoncés munis d’une significa- tion linguistique conventionnelle et compositionnelle pour communiquer autre chose, c’est qu’il existe un mécanisme, rationnel, permettant à l’auditeur d’obtenir à moindre frais le bon résultat, à savoir une

3 Cf. Moeschler & Reboul (1994), chapitres 7 et 9.

4 Vériconditionnelle, compositionnelle et non contextuelle.

5 On rappellera que Searle (1982) définit le sens littéral de l’énoncé comme la combinaison de la signification de la phrase et d’un ensemble d’hypothèses d’arrière-plan.

6 Version simplifiée de la procédure de compréhension gricéenne. Cf. Moeschler & Reboul (1994, 2003-4).

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interprétation consistante avec l’intention du locuteur. La procédure de déclenchement des implicita- tions conversationnelles n’est donc pas un processus aléatoire: il est fondamentalement guidé par le principe de coopération qui suppose la rationalité et l’intention de ne pas tromper son interlocuteur7. Ce postulat est lié, comme Grice l’explicite lui-même, au caractère universel des maximes de conver- sation, dont la dénomination reprend les catégories kantiennes de quantité, qualité, relation et ma- nière8.

Même si nous reformulerons dans le cadre de la Pertinence ces explications, il nous semble impor- tant d’insister ici sur trois points.

1. L’interprétation d’un énoncé ne se réduit ni à sa signification linguistique, ni à un ensemble d’instructions, dont la caractéristique principale serait de produire des résultats différents en fonction des situations d’énonciation9. L’interprétation des énoncés est fonction de la récupération par l’auditeur du vouloir-dire du locuteur, qui peut en certaines circonstances être divergents.

2. L’interprétation d’un énoncé fait appel à un ensemble de prémisses, dont certaines sont de nature culturelle. L’accès à ces prémisses, qu’elles fassent ou non partie de l’ensemble des hypothèses entre- tenues par les locuteurs ou non, est le facteur principal à l’origine des interprétations des énoncés.

3. Bien plus qu’une procédure fonctionne étape par étape, par exemple du sens littéral au sens im- plicité, la compréhension d’un énoncé est le résultat d’un ajustement mutuel entre plusieurs types d’information: signification linguistique, hypothèses contextuelles et implicitations. Le caractère ho- liste vs analytique de la compréhension, en tant que processus, est l’une des clés permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles les malentendus, notamment culturels, peuvent survenir.

À l’heure actuelle, la stratégie générale est de situer au niveau des contenus implicités (implicita- tions conversationnelles) les causes de possibles échecs de la communication verbale. L’argument est le suivant: si le malentendu a une cause purement linguistique erreur de parsage syntaxique, cf. les phrases labyrinthes, un accès lexical déficient, une mauvaise catégorisation (verbe vs nom, article vs pronom), etc. —, on s’attend à ce que le diagnostic de l’errer survienne assez rapidement. Les erreurs pragmatiques, liées notamment à l’attribution des référents, à la désambiguïsation, à la détermination de la proposition, de la force illocutionnaire et de l’attitude propositionnelle10, ont comme caractéris-

7 La position de Grice est sur ce point très différente de celle de Sperber (1994), qui différencie différentes posi- tions que peut adopter l’auditeur relativement au dire du locuteur: l’optimisme naïf, l’optimisme prudent et la compréhension sophistiquée. Sperber relie ces attitudes à des compétences métareprésentationnelles.

8 Sur ce point, la perspective de Grice s’est opposée à des critiques portant sur le caractère anthropologiquement ethno-centré des maximes conversationnelles.

9 C’est la version classique de la pragmatique intégrée, ou théorie en Y. Voir Moeschler & Reboul (1994), Intro- duction, ou pour une version plus récente, Moeschler (2006).

10 Les exemples classiques suivants illustrent ces différentes situations:

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tiques de n’être pas immédiatement détectable, sauf lorsqu’un conflit survient, par exemple dans le traitement des énoncés subséquents, ou relativement à des informations préalablement stockées en mémoire, lors de conflits entre informations anciennes et informations nouvelles par exemple. Or, si l’on regarde de plus près, le simple fait d’envisager que les processus de désambiguïsation, d’attribution des référents, de détermination de la proposition, de la force illocutionnaire sont des pro- cessus pragmatiques ne garantit nullement que que leur résolution se fasse au niveau pragmatique, ni même qu’elle surviennent après l’échec d’une interprétation par défaut. Une telle situation se présente- rait si l’on décidait, pour revenir par exemple aux exemples de la note 10, que le référent d’un pronom doit être en position thématique (sujet), que les syntagmes prépositionnels sont préférentiellement des ajouts, que les modaux ont une préférence pour les lectures déontiques (root-interpretation), que la lecture comme acte de langage indirect est préféré pour certains actes (requêtes), et non préférés pour d’autres (invitations) et enfin que l’ironie est marquée (linguistiquement ou prosodiquement). En bref, cette analyse suppose que le système linguistique est suffisamment riche pour pouvoir expliciter et rendre non ambigu les contenus de représentation11, et que si des changements d’interprétation inter- viennent, le contexte est suffisamment saillant pour l’autoriser12.

Paradoxalement, si un tel système peut se justifier relativement à une différenciation élémentaire entre signification linguistique et sens communiqué pragmatiquement, il devient problématique dès lors que la représentation du sens ne se limite pas à une opposition entre signification non marquée et signification linguistiquement marquée. Notamment, pour ce qui est des actes de langage indirectes, la question, légitime pour une approche cognitive de la pragmatique, est de savoir si l’interprétation “in- directe” se situe au niveau de ce qui est implicité ou de ce qui est explicité. Nous reviendrons sur cette question après l’examen attentif de notre exemple jouet.

Pour résumer, nous sommes confrontés à la situation suivante en face de la question de l’indétermination du sens pragmatique. Selon la pragmatique inférentielle classique, les échecs de la communication verbale sont localisés au niveau des implicitations, à savoir de ce qui est implicité vs dit. C’est cette thèse, que nous appellerons la thèse inférentielle, que nous aimerions discuter à l’aide de l’exemple que nous présentons dans la section suivante.

(1) Le patron licencia l’ouvrier parce qu’il était communiste. il = le patron ou l’ouvrier?

(2) Jean regarde la fille avec des jumelles. regarder avec des jumelles ou la fille avec des jumelles?

(3) Marie doit réussir ses examens. certitude ou obligation?

(4) Viens-tu manger avec nous ce soir? question ou invitation?

(5) Quel coup de maître! compliment ou ironie?

11 Dans les termes de la théorie de l’optimalité, c’est la contrainte de fidélité qui gagne.

12 Dans ce cas, c’est la contrainte de marquage qui gagne.

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3. L’exemple-jouet

Voici l’exemple-jouet, authentique, à partir duquel j’aimerais développer mon argumentation. Invi- té dans le cadre d’un accord de coopération inter-universitaire par une université francophone d’Afrique du Nord, j’envoie un mail à mon interlocutrice pour savoir comment faire à mon arrivée (le soir) à l’aéroport, situé à une distance conséquence de la ville destination. Dans mon mail, je produis l’énoncé suivant, dans un but qui me semblait évident, à savoir recevoir de l’aide par une prise en charge à l’aéroport. Voici donc la formulation de ma demande:

(1) Pouvez-vous me dire comment aller de l’aéroport à X?

La surprise a été de taille lorsque j’ai reçu la réponse, littérale à ma question. On me donnait une réponse complète, me permettant d’arriver à bon port13. Le plus cocasse est que j’ai effectivement dû suivre ces instructions, alors qu’un accord était survenu et qu’un collègue devait venir me chercher — un incident l’en a empêché!

Que se passe-t-il dans ce genre de malentendu? À première vue, il n’y a pas de malentendu inter- culturel: les locuteurs parlent la même langue, avec une maîtrise d’un très haut niveau pour ma corres- pondante, et un usage à peu près correct pour un professeur suisse romand. Pourtant, rétrospective- ment, j’avais la certitude d’avoir utilisé la manière ordinaire de demander que quelqu’un vienne me chercher: on formule une requête polie, en attendant, étant donné le contexte, la longueur du dépla- cement, qu’une offre d’aide soit formulée, aide qui aurait bien entendue été négociée. Ce scénario est certainement culturel, et étant données les relations historiques fortes entre le pays de ma destination et la France, l’hypothèse d’un conflit de scénario culturel n’était pas une hypothèse initiale plausible.

Que s’est-il réellement passé? Les choses sont plus compliquées que je ne le pensais, car mon hy- pothèse initiale, celle qui a produit un retour de mail un peu sec, demandant explicitement de l’aide, n’était en fait pas la bonne. Mon hypothèse initiale, celle que je vais expliciter plus en détail par la suite14, était que mon interlocutrice avait compris ma demande littéralement, pour des raisons qui me semblaient inaccessibles. Même si j’étais agacé de la complication à venir dans l’organisation de mon déplacement, je n’avais à en prendre qu’à moi-même: qui ne veut pas s’exprimer clairement et explici- tement doit accepter de ne pas être complètement compris. Cela dit, l’hypothèse selon laquelle mon

13 Voici la réponse complète: “Pour ce qui est du transport de l’aéroport de Y à X, vous pouvez prendre un train à l’aéroport, avec un changement à la gare de Z et arriverez à la gare de X à 2 minutes de l’Hôtel où une chambre vous est réservée”.

14 Le fait que cette hypothèse soit incorrecte ne remet pas en cause la réalité de mon interprétation et des pré- misses que j’ai convoquées, ni même de l’interprétation finale que je vais proposer.

Cette hypothèse est hélas nécessaire à maintenir, car sinon, il serait totalement illusoire de penser que quelles que soient les circonstances, les interlocuteurs sont capables de se comprendre. Comme le lecteur le verra par la suite, il n’est pas totalement miraculeux que nous nous soyons compris; ce qui est miraculeux, c’est que je sois arrivé à bon port.

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interlocutrice n’avait pas compris ma requête implicite initiale s’est quelque peu lézardée pour deux raisons. D’une part, ma demande explicite a reçu une réponse favorable — même si, je le répète, elle n’a pas été couronnée de succès —, d’autre part parce que la raison principale du “refus” initial n’était pas une interprétation erronée, mais un fait totalement compréhensible: mon interlocutrice ne pouvait pas conduire de nuit. Le point important, que j’aimerais développer plus loin dans l’analyse de cet exemple, concerne les raisons pour lesquelles je n’ai pas pensé que ma correspondante ne voulait pas venir me chercher, mais ne pouvait simplement pas le faire, et aussi pourquoi cette information, cru- ciale et pertinente, n’a pas été donnée.

Le contexte, l’interprétation de la situation, ainsi que l’analyse informelle étant donnés, nous pou- vons maintenant procéder à une analyse plus détaillée de l’exemple.

Une première analyse peut se formuler de la manière suivante:

(2) En énonçant (1), le locuteur à l’intention de communiquer une demande d’aide en réalisant une question.

Le problème que pose une telle analyse est qu’une telle requête n’est pas un moyen conventionnel de produire un acte de langage indirect de requête. Si tel était le cas en effet, on devrait admettre que les locuteurs du français partagent une règle comme (3):

(3) Lorsque le locuteur ne sait pas comment aller de Y à X et qu’il demande à son interlocuteur quel trajet suivre pour aller de Y à X, il veut que son interlocuteur vienne le chercher à Y et l’amène à X.

Un argument supplémentaire peut être donné: lorsqu’un touriste énonce (1) devant son voyagiste, il ne le fait certainement pas pour lui demander de venir le chercher à Y pour le conduire à X; il pose certainement une question qui appelle une vraie réponse, à savoir l’indication d’une procédure, la plus explicite possible.

Cela dit, cette première analyse n’est pas une analyse gricéenne: elle suppose le recours à une loi de discours ad hoc, qui intervient en dehors du champs des maximes de conversation. Une analyse inférentielle doit donc, si elle veut se réclamer d’un cadre théorique consistant, expliquer comment l’interprétation d’une demande d’aide à partir d’une question utilise ou exploite les maximes de con- versation ainsi que le suppose le respect du principe de coopération. Si nous essayons de tester l’ensemble des maximes de conversation, nous obtenons le résultat suivant:

(4) Maximes de quantité: non; le locuteur a donné autant d’information que nécessaire.

Maximes de qualité: non; le locuteur n’a pas donné des informations qu’il croit fausses ou lesquelles il manque de preuve.

Maximes de manière: non; le locuteur ne viole ni la sous-maxime d’ordre, ni la sous- maxime de brièveté, ni la sous-maxime de clarté15, ni encore la sous-maxime de non-

15 L’énoncé (1) n’est clairement pas ambigu du point de vue linguistique.

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prolixité.

Maxime de pertinence: oui; le locuteur donne une information relative à son intention in- formative.

Si la seule maxime de conversation impliquée est la maxime de pertinence, alors il semble qu’il faille revoir le cadre théorique dans lequel l’analyse a été formulée. En effet, les analyses gricéennes classiques qui recourent à la maxime de pertinence le font en référence à ce que la tradition pragma- tique récente appelle des nonce implicatures, à savoir des implicitations qui sont tirées de manière conjoncturelle, particulière à une situation donnée16. Nous sommes ici loin du programme néo-gricéen basé sur une généralisation des maximes de Grice à l’aide de principes pragmatiques comme le prin- cipe-Q et le principe-I (Levinson, 2000) ou le principe-R/M (Horn, 1984), et plus proche d’une ana- lyse comme celle de la Pertinence, qui donne tout le poids des principes et règles pragmatique au seul principe de pertinence. Nous reviendrons plus tard sur cette question, mais nous aimerions dans un premier temps expliquer pourquoi, bien que l’analyse ci-dessus soit acceptable, elle n’explique pas pourquoi (1) n’est pas une manière ordinaire de demander quelque chose à quelqu’un.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, les actes de langages indirects (les implicitations conversa- tionnelles généralisées) sont associées à des formules, qui, bien qu’annulables, supposent néanmoins une relation systématique entre l’acte illocutionnaire secondaire réalisé et l’acte illocutionnaire pri- maire intentionné17. Or dans notre exemple, il semble difficile d’admettre qu’une question portant sur un trajet à accomplir puisse être connecté, par l’intermédiaire d’une quelconque règle sémantique des actes directifs, à une requête. Ici encore, la règle de discours (3), au sens des dérivations illocution- naires d’Anscombre (1980) et d’Anscombre & Ducrot (1983), est une explication ad hoc.

4. Une autre analyse: le rôle des explicitations

Il est donc temps de faire intervenir une autre analyse. Notre hypothèse est que (1) n’a pas un sens de requête comme acte primaire, ni une implicitation conversationnelle généralisée, ni encore une im- plicitation conversationnelle particulière. Au contraire, nous supposerons que l’acte illocutionnaire de requête est une explicitation d’ordre supérieur. En d’autre termes, la force illocutionnaire de l’énoncé du locuteur n’est pas pas celle d’une question, mais d’une requête (i.e. un acte directif) et n’est pas un acte indirect ou implicite mais un acte direct, à savoir, dans la terminologie de la Pertinence, une ex- plicitation.

16 Les nonce implicatures correspondent aux implicitations conversationnelles particulières.

17 Dans la terminologie de Searle (1982), l’acte primaire est l’acte intentionné et l’acte secondaire l’acte illocu- tionnaire réalisé. Dans Pouvez-vous me passer le sel?, l’acte secondaire est l’acte de demande d’information et l’acte primaire l’acte de requête.

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Dans la pertinence, une explicitation d’ordre supérieur18 est un enrichissement libre de la forme lo- gique de l’énoncé, basé sur des prémisses dont l’accessibilité est ici culturelle19. Cela signifie que lorsque l’interlocutrice n’arrive pas à tirer l’explicitation (5) comme interprétation de (1), elle n’a pas correctement compris le sens du locuteur et que la communication a échoué:

(5) L demande à son destinataire de venir le chercher à l’aéroport.

Cette analyse, outre qu’elle fait une distinction cruciale entre ce qui est explicité et ce qui est impli- cité, donne un rôle central à la pertinence. Avant la publication de Relevance, en 1986, la notion de pertinence, tout au moins dans la tradition gricéenne, n’avait pas reçu de définition claire et opératoire.

Dans la Pertinence, elle reçoit au contraire une définition précise et opératoire, que nous répétons ici:

(6) a. Toutes étant égales par ailleurs, plus un énoncé produit d’effets cognitifs, plus il est perti- nent.

b. Toutes étant égales par ailleurs, plus un énoncé demande d’efforts cognitifs, moins il est pertinent.

Les effets cognitifs sont simplement définis comme des effets contextuels, correspondant soit à l’ajout d’une information nouvelle, soit à la modification d’une information ancienne, par éradiction en cas de contradiction ou par renforcement de la force de conviction avec laquelle elle est entretenue.

Contrairement aux approches gricéennes ou néo-gricéennes, où la pertinence joue respectivement le rôle d’une maxime ou entre indirectement dans la définition du principe R/M (Horn, 1984), la théo- rie de la pertinence a érigé ce concept en principe, subsumant l’ensemble des maximes20. Elles permet- tent à la fois de caractériser l’un des traits fondamentaux de la cognition et de la communication hu- maines, définie comme un processus ostensif (le locuteur montre par son énoncé son intention com- municative) et inférentiel (l’interlocuteur cherche à inférer l’intention informative du locuteur), qui complète la communication codique via un un système de signes comme une langue naturelle par exemple21. Dans la version récente de la Théorie de la Pertinence (Wilson & Sperber, 2004), le prin-

18 Les explicitations d’ordre supérieur se distinguent des explicitations basiques, correspondant à la proposition exprimée par l’énoncé.

19 Nous voulons dire par “culturelle” le fait que ce ne sont pas des informations visibles (overt), mais invisibles (covert), à savoir accessibles par ceux qui les partagent, sans qu’elles soient manifestes. Ces hypothèses sont ici très différentes, dans leur accessibilité, des hypothèses constituant l’environnement cognitif mutuel, et a fortiori, le contexte.

20 Une information est en effet pertinente si elle satisfait les maximes de quantité, de qualité et de manière.

21 On se trouve ici, ce qui n’est pas surprenant, dans une approche non codique de la communication verbale, où le langage n’est pas défini par sa fonction de communication, mais par sa fonction de représentation, ou fonction cognitive. Sperber et Wilson, comme tous les théoriciens évolutionnistes, insistent sur le fait qu’un trait (le lan- gage, la trompe des éléphants, le long cou des girafes par exemple) ne peut pas être défini par la fonction qu’il a

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cipe de pertinence est divisé en deux principes, un principe cognitif expliquant la relation entre la per- tinence et la cognition humaine, et un principe communicatif, expliquant l’usage que les locuteurs font de la pertinence dans la communication, par exemple verbale:

(7) Principe cognitif de pertinence: l’esprit humain est orienté vers la recherche de la maximisa- tion de la pertinence.

(8) Principe communicatif de pertinence: chaque énoncé communique la présomption de sa propre pertinence optimale.

La présomption de pertinence optimale est définie comme suit:

(9) a. L’énoncé est suffisamment pertinent pour valoir la peine d’être traité.

b. Il est le plus pertinence qui soit compatible avec les capacités et les préférences du locu- teur.

L’interlocuteur cherche ainsi l’interprétation la plus pertinente, mais limite sa recherche relative- ment à ce qu’il sait des préférences et des capacités du locuteur, ces dernières modulant ses attentes de pertinence. Par exemple, pour revenir à notre exemple jouet, la réponse de mon interlocutrice traduit une interprétation (celle de demande d’information) qui satisfait ses attentes de pertinence, dont l’explication la plus simples est la suivante:

(10) Si le locuteur avait voulu demander qu’on vienne le chercher à l’aéroport, il l’aurait deman- dé (il sait comment exprimer une demande d’aide).

Bien que cette analyse satisfasse la définition (b) de la présomption de pertinence optimale, la par- tie (a) de cette définition n’est pas satisfaite de manière évidente.

La question que nous devons maintenant aborder est le rapport qui existe entre la définition de la pertinence et le malentendu. Voici les propositions que nous aimerions défendre dans la suite de cet article:

(11) Malentendu (général): un malentendu est déclenché, intentionellement ou involontairement, par les capacités et les préférences du locuteur, à l’origine de l’interprétation erronée de l’interlocuteur.

(12) Malentendu (interculturel): un malentendu interculturel est provoqué par une évaluation er- ronée de la part du destinataire des capacités et des préférences du locuteur.

De quelle nature est l’interprétation erronée? Si la définition du malentendu définit sa cause dans la

acquis. C’est un fait incontestable pour les biologiques (cf. Hauser 1996) que les ailes des oiseaux avaient initia- lement une autre fonction que le vol, même si l’évolution a permis par la suite une telle adaptation.

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seconde clause de la présomption de pertinence optimale22, elle ne résout pas la question du niveau où le malentendu se réalise. Nous avons vu que l’analyse pragmatique traditionnelle situe le malentendu au niveau des implicitations, car s’il devait avoir pour cause principale le sens littéral, aucun effort inférentiel ne serait nécessaire et le malentendu devrait être automatiquement diagnostiqué comme tel.

Il faut donc prévoir un autre niveau inférentiel pour que l’hypothèse pragmatique sur les malentendus continue à être viable23. Fort heureusement, la Pertinence a prévu dans son dispositif conceptuel un tel niveau, appelé explicitation. Une explicitation est le résultat du processus d’enrichissement de la forme logique de l’énoncé. Ce processus donne lieu à la forme propositionnelle (ou plus simplement proposition) lorsqu’il est basique, à la force illocutionnaire et à l’attitude propositionnelle lorsqu’il est d’ordre supérieur.

Comprendre un énoncé, dans cette optique, revient donc minimalement à déterminer la proposition communiquée et la force illocutionnaire intentionnée par le locuteur24. Cela signifie que le niveau de représentation du contenu de l’énoncé est celui des explicitations (Moeschler & Reboul, 1998 pour une argumentation détaillée).

Revenons à notre exemple jouet (1), reproduit en (13) et donnons-lui une une analyse dans les termes du niveau de l’explicitation (14):

(13) Pouvez-vous me dire comment aller de l’aéroport à X?

(14) a. L va de l’aéroport à X le samedi 14 avril à 20h40.

b. L demande comment aller de l’aéroport à X le samedi 14 avril à 20h40.

c. L veut savoir comment aller de l’aéroport à X le samedi 14 avril à 20h40.

(14a) exprime la proposition contenu dans l’énoncé (13) et correspond donc à l’explicitation ba- sique, alors que (14b et c) sont les explicitations d’ordre supérieur, respectivement la force illocution- naire et l’attitude propositionnelle.

Pour l’instant, l’analyse n’est pas bien différente de celle qui précède, car la force illocutionnaire, celle qui est associée à (13), est celle d’une demande d’information, correspondant à ce que l’interlocutrice montre qu’elle comprend. (13b) ne correspond pas à ce que le locuteur veut dire, à sa-

22 Ce qui veut dire pour que la présomption de pertinence optimale soit maintenue, il faut que l’interlocuteur fasse une hypothèse erronée sur l’intention informative du locuteur. C’est exactement ce qui produit dans tout malentendu, a fortiori culturel.

23 J’insiste sur ce point, car du point de l’argumentation que je défends, si l’on refuse un autre niveau inférentiel que les implicitation, la question du malentendu doit se résoudre au niveau du contenu littéral de l’énoncé, à sa- voir au niveau de la signification linguistique. Admettre comme le fait Searle que le sens littéral est calculé sur la base d’hypothèses d’arrière-plan ne résout pas vraiment le problème, car il faudrait alors indiquer clairement comment ces hypothèses affectent les conditions de vérité de l’énoncé.

24 On est ici très prêt de plusieurs analyses des actes de langages indirecte comme implicitations court-circuitées (Morgan, 1978). Cf. Moeschler (2002) pour une application dans le cadre de l’analyse conversationnelle.

(13)

voir (15):

(15) L demande que quelqu’un vienne le cherche à l’aéroport et le conduise à X.

Comment peut-on, dans ce ouveau cadre théorique, obtenir (15)? Il suffit pour cela que faire inter- venir, en plus de (14a, b et c) les prémisses implicitées (16) pour tirer la conclusion implicitée (17):

(16) a. Si L demande comment aller de l’aéroport à X, alors il ne sait pas comment y aller.

b. L ne préférerait ne pas aller seul à X.

c. Si quelqu’un se sait pas commun aller de l’aéroport à X et préfère ne pas y aller seul, alors il aimerait qu’on vienne le chercher à l’aéroport.

(17) L demande que quelqu’un vienne le chercher à l’aéroport pour le conduire à X.

En d’autres termes, nous arrivons toujours à inférer la force illocutionnaire de requête (demande d’aide), mais alors que nous avions des difficultés à le faire dans les version pragmatiques classiques, nous arrivons ici, sous l’hypothèse que les prémisses (16) ainsi que les explicitations (14) sont acces- sible, à dériver comme (17), à savoir l’acte illocutionnaire de requête, comme implication contex- tuelle.

Ce progrès n’est pas moindre, car il échappe aux deux critiques que nous avions préalablement formulées, à savoir d’une part l’impossibilité de dériver contextuellement la valeur de requête et la difficulté à recourir à une maxime de conversation pour déclencher l’implicitation.

Cela dit, l’analyse alternative que nous avons proposée n’est pas encore satisfaisante, car elle ne décrit que partiellement le problème initial: si l’explicitation (14b) correspond bien à ce qui est com- pris par l’interlocutrice, nous n’arrivons pas encore à expliquer la différence entre ce que veut dire le locuteur et ce que son interlocutrice comprend. Nous aimerions en effet montrer que (17) ne corres- pond pas à une implication contextuelle, à savoir une implicitation, mais bien à une explicitation d’ordre supérieur. Pour y arriver, il faut que nous introduisions quelques éléments théoriques supplé- mentaires de la théorie de la pertinence, récemment introduit (Wilson & Sperber, 2004).

5. Une question de pertinence

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une vraie procédure de compréhension, nous indiquant ce que l’interlocuteur doit faire pour obtenir une interprétation qui corresponde au mieux à l’intention infor- mative du locuteur.

Nous rappelons, avant d’aborder cette question, que la Pertinence décrit la communication verbale comme un processus ostensif-inférentiel: le locuteur, par son acte de communication, communique à son interlocuteur son intention communication, à savoir son intention de lui communiquer quelque chose (son intention informative). Pour accéder à l’intention informative du locuteur, l’interlocuteur doit dans un premier temps reconnaître l’intention communicative du locuteur. En effet, l’interprétation d’un énoncé, dans la communication verbale, n’est pas un processus aléatoire.

L’interlocuteur n’est ni un devin, ni un imbécile, il suit une procédure — que Sperber & Wilson

(14)

(2004) appellent la procédure de compréhension — pour arriver à une interprétation aussi proche que possible de l’intention informative du locuteur.

La procédure de compréhension est directement liée à deux principes de pertinence, le principe co- gnitif de pertinence et le principe communicatif de pertinence, définis comme suit:

(18) Principe cognitif de pertinence: l’esprit humain est orienté vers la maximisation de la perti- nence.

Ce que prédit le principe cognitif de pertinence, c’est que la cognition humaine, essentiellement pour des raisons liées à l’évolution, a la capacité à distinguer les informations pertinentes des informa- tions non pertinentes. La recherche de pertinence est donc ce qui va guider les choix interprétatifs des interlocuteurs, et c’est ce qui explique un aspects jusque-là mystérieux de la communication verbale, à savoir le fait que les interlocuteurs acceptent de prêter attention à l’acte de communication de leur in- terlocuteur sans avoir de garantie a priori que cela vaut la peine de le faire. Si l’esprit humain est donc orienté vers la pertinence, alors on comprend pourquoi, devant tout acte de communication, l’interlocuteur puisse présumer que l’énoncé du locuteur soit pertinent. C’est exactement ce que prédit le principe communicatif de pertinence:

(19) Principe communicatif de pertinence: l’énoncé du locuteur communique la présomption de sa propre pertinence optimale.

Qu’est-ce que la présomption de pertinence optimale? Pourquoi l’interlocuteur est-il autorisé à pré- sumer que l’énoncé du locuteur est optimalement pertinent? Rappelons que le principe cognitif de per- tinence explique pourquoi l’interlocuteur accepte de prêter attention à l’énoncé du locuteur et de le traiter. Mais ce seul principe ne garantit pas que ce qu’il obtiendra est pertinent. Pour cela, il faut un principe communicatif, et c’est le rôle du principe communicatif de pertinence d’autoriser l’interlocuteur à présumer, supposer, que le résultat du processus de traitement de l’énoncé aura valu la peine d’être traité. C’est exactement ce que décrit la notion de présomption de pertinence optimale:

(20) Présomption de pertinence optimale:

a. L’énoncé est suffisamment pertinent pour valoir la peine d’être traité.

b. Il est le plus pertinent compatible avec les capacités et les préférences du locuteur.

La clause (a) stipule que l’attention portée (principe cognitif de pertinence) à l’énoncé du locuteur et son traitement vaudront la peine parce qu’il est suffisamment pertinent. Maintenant, la clause (a) est relativisée par les capacités et préférences du locuteur et cette clause explique que nos attentes de per- tinence vont varier de locuteur à locuteur: le raseur n’est plus écouté, le collègue trop disert se voit être poliment interrompu, l’étudiant incapable de présenter son exposé oral suppléé par son profes- seur25.

25 On peut donner plusieurs illustrations de la clause (b). Par exemple, cet événement authentique, lors du col- loque de linguistique française de Metz en 1978 sur l’aspect, où, après la conférence de Robert Martin, un inter-

(15)

Jusque-là, tout semble acceptable, mais certains esprits chagrins, depuis la publication en 1986 de Relevance, n’arrêtent pas de demander ce que diable peut être la pertinence. Hélas pour eux, la perti- nence reçoit une définition précise, associée à deux concepts non primitifs, les efforts cognitifs et les effets cognitifs. Les efforts cognitifs sont les efforts de traitement, liés par exemple à la longueur de l’énoncé et des mots26, à l’accès lexical27, à l’accès aux règles inférentielles28, à la complexité du trai- tement syntaxique29. Les effets cognitifs, quant à eux, correspondent aux résultat du traitement de l’énoncé, et sont de trois types: ajout d’une information nouvelle (implication contextuelle), modifica- tion de force de conviction d’une hypothèse ancienne, et éradication d’une hypothèse ancienne lors d’une contradiction30.

Le principe cognitif de pertinence va donc orienter la recherche de pertinence maximale, alors que le principe communicatif de pertinence va limiter cette recherche en orientant l’interlocuteur vers la recherche d’une pertinence optimale, à savoir d’effets contrebalançant l’effort de traitement.

Nous pouvons maintenant introduire l’idée de procédure de compréhension. La question principale est de savoir quand arrêter le traitement, à savoir, à partir de quand les effets obtenus sont jugés suffi- sants31. Voici comment la procédure de compréhension est formulée (Wilson & Sperber 2004, 613):

venant a pris la parole en disant: “Votre intervention était remarquable, mais votre classification de l’aspect est lacunaire: vous n’avez pas parlé de l’aspect aquatique”.

26 L’injonction de faire des phrases courtes ne peut s’expliquer que pour des raisons de simplification du traite- ment. De même, la tendance à abréger les mots, ainsi qu’à fabriquer des acronymes) s’explique aussi pour des raisons de coûts de traitement: TGV pour train à grande vitesse, uni pour université, FN pour Fonds National suisse de la recherche scientifique, etc.

27 L’usage de mots passe-partout comme machin, truc, chose, bien que n’étant pas linguistiquement synonyme pour Georges Kleiber (cf. Kleiber, 1987) permet de simplifier l’effort dans l’accès lexical, ainsi que l’effort de traitement.

28 La Pertinence fait l’hypothèse que les règles de déduction utilisées pour le calcul des implicitations sont les règles d’élimination et non les règles d’introduction de la logique es propositions. Deux arguments sont donnés:

(i) un système de déduction contenant des règles d’introduction et d’élimination n’est pas un système formel, mais un système informel (il ne dit pas quand et comment utiliser les règles de déduction); (ii) il produit des im- plications triviales et surtout non-informatives. Par exemple, à partir de P, on produit la conclusion suivante: (P et P), ((P et P) et P), (((P et P) et P) et P), etc.

29 On rappellera que les phrases dites labyrinthes sont plus longues à traiter que les phrases ordinaires. Voici un exemple suggéré par Gérard Sabah (1989: 124): Le lac que l'écrivain décrit dans ce livre contemple est le lac de Côme.

30 Sur la gestion des contradiction d’un point de vue interculturel, cf. Van der Henst et al. (2006).

31 Dans la première version de la Pertinence, il était fait recours à l’idée de consistance avec le principe de perti- nence, selon laquelle la première interprétation qui vient à l’esprit est la bonne interprétation.

(16)

(21) Procédure de compréhension de la Pertinence

a. Suivez le chemin du moindre effort dans le calcul des effets cognitifs: testez les hypo- thèses interprétatives dans l’ordre de l’accessibilité.

b. Arrêtez lorsque vos attentes de pertinence sont satisfaites (ou abandonnées).

En d’autres termes, la procédure de compréhension doit déterminer les explicitations (basiques et d’ordres supérieures) et les implicitations (prémisses et conclusions implicitées) dans l’ordre de leur accessibilité. Lorsque les attentes de pertinence sont satisfaites, la procédure s’arrête. Ceci explique une grande partie des échecs de la communication verbale: nous n’écoutons que d’une oreille, ou ce que nous voulons entendre, nous ne lisons que la moitié d’une circulaire et arrêtons dès que nous croyons avoir compris32.

Le problème est de savoir si la procédure hiérarchise les niveaux de compréhension. Dans la ver- sion actuelle de la pertinence, seule l’accessibilité de l’information joue un rôle, nullement l’ordre des types de contenus. On parle en effet d’ajustement mutuel entre le contenu de l’énoncé, le contexte et les implications de l’énoncé pour décrire comment la procédure agit. Il me semble cela dit que l’on peut dire un peu plus, et que l’exemple-jouet est un bon exemple de ce phénomène. Voici donc la ver- sion que je propose:

(22) Procédure de compréhension (version révisée): Accédez aux niveaux suivants, de préférence de manière ordonnée:

a. Explicitation basique

b. Explicitation d’ordre supérieur c. Prémisses et conclusions implicitées

Il faut maintenant faire des prédictions sur ce qui, pour chacun de ces niveaux, est nécessaire ou suffisant pour la compréhension de l’énoncé.

1. L’explicitation basique est le niveau minimal de communication: si la forme propositionnelle n’est pas développée, la compréhension n’est pas possible et sera automatiquement diagnostiquée comme ayant échouée33.

2. Les explicitations d’ordre supérieur sont le niveau intermédiaire de la communication et le ni- veau le plus important: ne pas comprendre la force illocutionnaire ou l’attitude propositionnelle du locuteur a pour conséquence un risque de malentendu important, qui ne peut être diagnostiqué que

32 Je me souviens d’un camarade, étudiant en philosophie, qui prétendait avoir une explication de la raison pour laquelle il ne finissait jamais les livres qu’il lisait. Son argument était le suivant: “Quand j’ai compris, j’arrête.”

33 Dans ces situations, l’interlocuteur pourra demander une répétition ou une reformulation: “Tu peux répéter, je n’ai pas compris.”

(17)

bien plus tard34.

3. Enfin, les implicitations sont le niveau supérieur de communication: les prémisses implicitées, notamment, sont basées sur des ensembles de connaissances et de croyances plus ou moins fortement entretenues et accessibles; cela dit, ne pas tirer une implication contextuelle n’a pas les conséquences les plus graves et ne préjuge pas nécessairement de l’échec de la communication35.

Les échecs de la communications ont donc des conséquences selon le niveau du contenu qui n’est pas saisi ou correctement tiré: les explicitations basiques sont nécessaires à la réussite de la communi- cation, tout comme les explicitations d’ordre supérieur, alors que les implicitations, lorsqu’elle ne sont pas tirées, ne rendent pas caduc le résultat du processus de compréhension36.

Quelle conclusion pouvons-nous tirer de cette hypothèse, qui fait donc du niveau des explicitations d’ordre supérieur le niveau de compréhension crucial pour la réussite de la communication? Regar- dons un instant le contexte intégral, d’où est tiré (1):

(24) Email de Jacques: Bonjour, ma réservation d’avion est faite. J’arrive à Y le 10 avril à 20h40, et je repartirai le 14 à 14h. Pouvez-vous me dire comment aller de l’aéroport à X? Je compte sur vous pour les réservations d’hôtel à X.

(25) Réponse email à Jacques: (…) Pour ce qui est du transport de l’aéroport de Y à X, vous pou- vez prendre un train à l’aéroport, avec un changement à la gare de Z et arriverez à la gare de X à 2 minutes de l’Hôtel W où une chambre vous est réservée.

Revenons maintenant à ce qui est dit et à ce qui est intentionné37 en (24):

(26) Ce qui est dit: Pouvez-vous me dire comment aller de l’aéroport à X?

(27) Ce qui est intentionné: Pouvez-vous venir me chercher à l’aéroport et me conduire à X?

Voici maintenant, et c’est le coeur de ma démonstration, comment fonctionne la thèse des pré- misses implicitées. Elle suppose, pour que (27) soit une conclusion implicitée, les prémisses suivantes:

(28) a. Quelqu’un qui arrive dans un pays étranger a besoin d’aide.

34 Un certain nombre d’actes illocutionnaires, lorsqu’ils ne sont pas réalisés par des performatifs explicites, peu- vent donner lieu à des interprétations erronées. Je viendrai à ta soirée peut être intentionné comme une informa- tion et interprété comme une promesse ferme. Voir sur la question des promesses et l’importance du contexte culturel, cf. Egner (2006).

35 On rappellera, ce qui est une question de droit de plus en plus cruciale (cf. notamment les procès en diffama- tion, notamment de et contre Le Pen) que juridiquement, une implicitation ne peut valoir comme intention in- formative.

36 Cela est heureux, notamment pour nos étudiants: la transmission des connaissances ne serait pas possible si elle exigeait une compréhension immédiate et complète du sens des énoncés de l’enseignant…

37 Je ne dis pas implicité, puisque nous verrons que ce niveau n’est pas celui de l’implicitation, mais de l’explicitation.

(18)

b. Aller de l’aéroport au centre ville seul la nuit n’est pas une bonne idée, surtout si la dis- tance entre l’aéroport et la destination nécessite un déplacement complexe.

c. Demander comment aller de A à B revient à demander de l’aide pour aller de A à B.

La question est dès lors la suivante: pourquoi, en dépit de la haute accessibilité pour l’interlocutrice des prémisses (28), (27) ne reçoit pas de réponse et n’est probablement pas saisi? En d’autres termes, pourquoi la conclusion implicitées (29) n’est-elle pas inférée?

Il semble que nous soyons dans une impasse. J’aimerais ici faire un bilan provisoire de ce que nous avons examiné jusqu’ici:

1. La solution pragmatique simple, qui voit l’interprétation de requête comme le résultat d’une loi de discours, n’est pas satisfante, car la règle pragmatique est ad hoc.

2. La solution gricénne, qui déclenche une implicature conversationelle particulière, n’est pas très informative, puisque la seul maxime à laquelle il est possible de faire référence est la maxime de rela- tion ou de pertinence. Mais il s’agit d’une utilisation conjoncturelle, et on ne voit pas très bien ce qui motive ou justifie l’implicature.

3. La théorie des prémisses implicitées, bien qu’elle soit capable de dériver inférentiellement la bonne interprétation comme implication contextuelle, n’explique pas pourquoi, alors que les prémisses implicitées sont hautement accessibles, la réponse donnée est littérale, et ne porte pas sur la requête.

Quelle solution reste-t-il? Si l’on revient aux trois niveaux de compréhension important, il n’y en a un qui n’a pas encore été utilisé, c’est celui des explicitations d’ordre supérieur. De plus, si l’on ajoute maintenant la clause (b) de la procédure de compréhension, on peut faire l’hypothèse que l’interlocutrice s’est arrêté au niveau de l’explicitation de question. En d’autres termes, dès qu’elle a saisi l’expliciation d’ordre supérieur de question, l’interlocutrice a obtenu une pertinence suffisante pour équilibrer ses efforts de traitement et a arrêté la procédure de compréhension. Le point crucial est que pour obtenir la conclusion implicité (27), il faut justement qu’elle ne s’arrête pas à l’explicitation (26). Or l’hypothèse la plus simple, certainement la plus plausible à ce moment du processus de com- préhension, est que l’interlocutrice a arrêté la procédure de compréhension.

Cette analyse a un certain nombre d’implications, bien que, comme nous le verrons dans le dernier paragraphe, elle doive être complétée par d’autres prémisses. Cela dit, si elle explique pourquoi la conclusion implicité n’est pas tirée, elle n’explique pas pourquoi le locuteur n’a pas demandé explici- tement de l’aide, à savoir de venir le chercher à l’aéroport, si c’est effectivement ce qu’il attendait que l’on comprenne de son énoncé.

Deux réponses sont ici possibles:

a. Le locuteur était peu disposé à exprimer sa demande explicitement (par exemple, pour des rai-

(19)

sons de politesse, il ne voulait pas imposer quelque chose à son interlocutrice)38.

b. Le locuteur peut avoir pensé que son intention était suffisamment claire pour être comprise.

C’est la clause (b) que nos aimerions développer, car les arguments que l’on pourrait invoquer pour défendre (a) ne nous semblent pas convaincants39. La clause (b) fait intervenir en effet une présupposi- tion pragmatique, qui me semble particulièrement cachée et sournoise, bien qu’active, dans les situa- tions de communication interculturelle. Si les interlocuteurs n’éprouvent pas le besoin de tout explici- ter, c’est qu’ils supposent que ce qui n’est pas dit est évident et fait partie de ce que la Pertinence ap- pelle l’environnement cognitif mutuel. Or rien a priori ne devrait les autoriser à faire de telles hypo- thèses (les locuteurs sont de pays et de continents différents, de cultures religieux et historiquement différentes, etc.), si ce n’est le fait qu’il parlent — à un très haut niveau — la même langue. Tout se passe donc comme si le partage d’une même langue et plus particulièrement l’usage à un haut niveau d’une même langue jouait le rôle d’un biais culturel et rendait de ce fait opaque une partie de ce qui est pragmatiquement présupposé. En d’autres termes, les locuteurs semblent les victimes du principe sui- vant:

(29) Dans la communication interculturelle, plus le niveau de maîtrise de la langue commune est élevé, plus le risque d’attribuer à son interlocuteur les mêmes croyances et connaissances que les siennes est grand.

Nous obtenons dès lors une conclusion nouvelle et inattendues: les malentendus, notamment inter- culturels, n’ont pas une cause linguistique, mais bien une cause pragmatique, liée à l’attribution erro- nées des mêmes croyances et connaissances que les nôtres. Dès lors, les fausses inférences sont cau- sées simplement pas de fausses attributions de croyances et de connaissances partagées. Dans l’exemple analysé, le locuteur a simplement attribué à son interlocutrice de manière erronée tout un ensemble d’hypothèses qui n’ont pas été retenues.

6. Une dernière hypothèse

Nous pouvons dès lors formuler une dernière hypothèse sur les malentendus interculturels:

(30) Les malentendus interculturels se produisent lorsque de fausses hypothèses conduisent à des explicitations d’ordre supérieur erronées.

En d’autres termes, les fausses inférences dérivant des explicitations d’ordre supérieur erronées sont causées par de fausses attributions de croyances et de connaissances partagées.

38 On retrouve quelque chose de proche de la maxime de Robyn Lakoff: “Ne vous imposez pas; laissez le choix à votre interlocuteur” (Lakoff, 1973).

39 Cela supposerait que l’ensemble de nos comportements seraient en permanence dictés par des normes de com- portement culturellement, et non par des principes plus généraux comme la stratégie de l’interprète (Dennett, 1990).

(20)

On pourrait objecter que cette analyse vise simplement à faire des hypothèses d’arrière-plan cultu- relles de simples hypothèses contextuelles et que la culture est de fait quelque chose de plus spécifique (en termes de contenu) et de plus large (en termes de ses propriétés). En effet, la culture n’est pas seu- lement un ensemble de proposition, mais quelque chose qui se transmet, se diffuse, s’apprend. Notre réponse est la suivante. Les informations culturelles d’arrière-plan nécessaires à la compréhension des énoncés ont exactement les mêmes propriétés que les informations dites “contextuelles”: pour qu’elles puissent faire partie du contexte, elles doivent être manifestes, à savoir faire partie de l’environnement cognitif mutuel des interlocuteurs. Elle partagent donc les mêmes propriétés que les hypothèses contextuelles et pour certaines d’entre elles, sont présupposées vraies. Ainsi, une présup- position pragmatique d’un échange interculturel peut être qu’un haut niveau de maîtrise d’un langue naturelle est accompagné d’un ensemble d’hypothèses contextuelles identiques, à savoir mutuellement manifestes dans le contexte. Or c’est ici le risque de cette hypothèse: les deux ne vont pas nécessaire- ment de paire, à savoir la connaissance d’une langue naturelle n’implique pas, au sens logique du terme, la possession de l’ensemble de connaissances culturelles d’arrière-plan. La langue et la culture sont deux choses différentes, même si la maîtrise de l’une (la langue) est l’un des mode d’accès, cer- tainement privilégié, de l’autre (la culture).

7. Conclusion

Quelles sont les implications de l’analyse de l’exemple jouet, notamment pour la pragmatique en général et la pragmatique interculturel en particulier? Le point le plus intéressant est que cet exemple nous montre que le le niveau de sens nécessaire à assurer la communication est celui des explicita- tions, et plus particulièrement des explicitations d’ordre supérieur. En effet, la détermination de la force illocutionnaire et de l’attitude propositionnelle semble être cruciale pour assurer une communi- cation minimale. Ceci n’est pas a priori surprenant, mais contrevient à l’idée selon laquelle le sens in- tentionné est pragmatiquement associé à la communication non-littérale, à savoir les implicitations. Si au contraire on envisage la force illocutionnaire ainsi que l’attitude propositionnelle comme des enri- chissements pragmatiques, alors la détermination de ces contenus n’est pas le fait d’un simple déco- dage linguistique (comme une version sémantique et conventionnaliste de la théorie des actes de lan- gage le suppose), mais d’un vrai processus d’enrichissement pragmatique, piloté par la recherche de pertinence optimale. Cette conclusion, relativement à la force illocutionnaire et l’attitude proposition- nelle, est heureuse, car il est en effet souvent très difficile de déterminer et la force illocutionnaire d’un énoncé (est-ce une requête ou un ordre, un conseil ou une injonction, une promesse ou une prédiction, une affirmation ou constatation, etc.?) et l’attitude propositionnelle (le locuteur croit-il ce qu’il af- firme, désire-t-il que tel état de chose soit le cas, est-il sincère ou non?). On comprend que si cette tâche est déjà complexe dans des situations dites monoculturelle, elle soit particulièrement plus déli- cate à opérer dans le cas de la communication interculturelle. Sous cet angle, la détermination des con- tenus implicités paraissent d’un autre niveau de difficulté, et si de manière générale les conclusions

(21)

implicitées sont le résultat d’un processus d’ajustement mutuel entre contenu communiqué et contexte, on comprend pourquoi certaines implicitations ne sont pas facilement accessibles. Le meilleur exemple d’une telle difficulté est l’anecdote suivante, rapporté par une étudiante kenyane: lorsqu’un policier demande à un automobiliste son permis de conduire, et il est d’usage, s’il n’est pas au courant des pratiques locales, de se voir recevoir la réponse suivante: “Il manque une page à votre permis”.

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